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24 juillet.
Je nai rien appris de considérable, sinon que Mgr mécrit quil a dessein de menvoyer dans la partie orientale. En effet, la nécessité est des plus urgentes, puisquelle na pas un seul prêtre ; et comment pourrai-je suffire à deux mille chrétiens dispersés dans des montagnes, outre beaucoup de catéchumènes ? Priez donc le Seigneur tous unanimement quil supplée à mon insuffisance. Je me sens aussi intérieurement porté à aller dans cette partie. Jai vu dernièrement un chrétien qui dit avoir baptisé vingt enfants idolâtres. Ces nouvelles me réjouissent beaucoup.
Comme je ne puis écrire des lettres particulières à tous mes amis, celle-ci sera pour tous. Tous mes chers confrères, amis et bonnes âmes peuvent être assurés que leur suis plus uni que jamais. Je compte beaucoup sur leur retour, saints sacrifices et prières. Outre mes péchés, mes défauts et tous les obstacles que je puis mettre de mon côté à luvre de Dieu, le démon, et les méchants quil anime, la traversent : Et adversarii multi. (1 Co 10, 9) (Et il y a beaucoup dennemis.) Mais Dieu est plus fort que tous ; jespère que le temps viendra.
Jespère que quelquun du diocèse de Toul remplacera deux défunts missionnaires qui en étaient, et qui sont morts ces deux années dernières. Le besoin de prêtre ici est inexprimable. Nous avons une mission déserte et beaucoup dendroits non pourvus de prêtres depuis plusieurs années, et probablement ils nen verront pas de sitôt. Nous adorons la Providence de Dieu dans ses desseins, ce qui nempêche pas que nous prenions les mesures que J.-C. même nous a suggérées. Rogate Dominum messis ut mittat operarios, (Mt 9, 38) (Priez le maître de la moisson pour quil envoie des ouvriers), et que la prudence chrétienne suggère : Omnem sollicitudinem vestram projicientes in eum, quoniam ipsi cura est de vobis (1 P 5, 7) (Rejetant en lui toute votre sollicitude, parce quil a lui-même soin de vous.)
Je ne promets à ceux qui viendront ici que des peines, adoucies par des consolations spirituelles, comme de souffrir pour le nom de Jésus ; de voir des conversions opérées plutôt par le doigt de Dieu que par notre ministère ; des enfants baptisés senvoler au ciel ; un détachement de tout, une sainte liberté, une vie surnaturelle, peu dappui dans les créatures, des occasions continuelles de mortification pour les aliments et la manière de vivre, lincertitude de la vie : anima mea in manibus meis semper (Ps 118, 109) (Mon âme est toujours entre mes mains.) lattente continuelle de fâcheux événements ; la crainte dêtre trahi par quelque apostat.
J exhorte tous mes amis, quoique jaie bien plus besoin de leurs exhortations queux des miennes, dêtre assez débarrassés des choses du monde et des affections humaines, pour pouvoir servir Dieu librement. Hélas ! les choses les plus innocentes delles-mêmes, à cause de la perversité de notre nature, sont presque autant de pièges qui nous captivent ou diminuent du moins la sainte liberté des enfants de Dieu. Cest comme une glu qui sattache à notre cur, et qui lempêche de voler comme la colombe vers le sein de Dieu. Beati mundo corde, et pauperes spiritu, quos nullus affectus detinet in mundo. (Bienheureux les curs purs et les pauvres desprit quaucune affection nattache au monde.)
Je les exhorte à vivre de lamour de Dieu, de lamour de Jésus et de Marie. Puisse ce divin amour embraser et consumer nos curs ! Je vous avoue que je voudrais bien enflammer tous les curs de ce feu que notre divin Sauveur est venu apporter sur la terre. Dans limpossibilité daimer Dieu dignement et de le faire aimer, la ressource est de lui présenter sans cesse le Sacré-Cur de Jésus, embrasé de son amour, avec celui de Marie, pour honorer et aimer Dieu dignement, et suppléer à notre défaut et à celui de toutes les créatures.
À présent, nos petits chinois et chinoises me disent quils aimeraient mieux mourir que de renoncer à la vraie religion.
5 août.
Vers la fin du mois dernier on a amené de la partie occidentale à la capitale de cette province cinq chrétiens pris à la persécution dernière. Arrivés en cette province, ils sont en prison enchaînés. Deux ne sont pas encore baptisés. Nest-ce pas une providence spéciale qui fait ainsi porter dans les tribunaux le témoignage de la foi de J.-C. ? Outre cela, un chrétien voisin de ce lieu, ayant une affaire avec un païen, celui-ci la accusé dêtre dans une mauvaise secte. Il a été mis en prison avec un autre ; on les a frappés de trente soufflets et dautre manière, pour les faire renoncer à leur religion. Ils ont répondu : frappez à mort ; je ne renoncerai pas.
Nos écoliers chinois partant de Macao pour aller au collège de Pondichéry ont été pris au port et relégués, lun dans une province, et lautre dans une autre. Un deux est parvenu ici ; nous ne savons pas où est lautre. Cela fait voir combien la Providence a veillé à ma conservation, car jai couru bien dautres dangers. Remerciez Dieu pour moi.
8 août.
Les Chinois ont la guerre avec les Thibets qui confinent avec notre province. Cette guerre avait eu des succès différents : après bien des combats sur les frontières, les Chinois ont pris le dessus, sont entrés dans les pays ennemis et ont conquis, comme ils le disent, un petit royaume.
Aujourdhui nous apprenons que les ennemis viennent de remporter une victoire considérable, dix mille chinois ont été tués, et ont repris sur eux le pays quils avaient conquis ; Sils venaient ici, nous serions mal à notre aise. Un des premiers exercices du ministère que jai fait a été de réhabiliter un mariage entre une chrétienne et un païen qui est maintenant baptisé. Il y a peu de chinois païens qui aient plusieurs femmes, du moins dans le commun.
13 août.
Jai ouï plusieurs confessions. Nous aurons quatre ou cinq communions le jour de lAssomption, sil plaît à Dieu. Je compose de petites prières aux chinois, quelques aspirations pour le cours de la journée. Il y en a qui vont à merveille dans la langue chinoise, par exemple celle-ci : béni soit le saint nom de Jésus ! béni soit le Sacré-Cur de Jésus ! presque toutes les prières ont une espèce de cadence.
20 août.
Les ennemis ont gagné une seconde bataille ; ils ne sont quà quelques journées dici. Deux ou trois cents sont entrés dans cette province, et rôdent de côté et dautre dispersés. On dit quils voulaient mettre le feu aux quatre coins de la capitale. On en a pris cinq. On les cherche de toutes parts. Cela nous met dans lembarras, car pour peu que les chinois aperçoivent une physionomie différente ils examinent de près. Cependant notre prélat, dans ces troubles, est entré sans accident dans la ville. Il revenait dune campagne où il avait baptisé six adultes, trois enfants, et fait huit catéchumènes. Il en a baptisé beaucoup dautres dont jai rapporté le nombre. Il mécrit que malgré les dangers, il ne fera pas difficulté de sexposer toutes les fois quon lappellera pour les malades. Il demande de confesser la foi, cest-à-dire le martyre. La dernière chrétienté est augmentée, elle approche soixante. Un vieillard est mort, et un enfant de huit ans.
Javais appris une circonstance remarquable que je ne voulais pas hasarder ; mais elle est certaine. Le Mandarin, en renvoyant les chrétiens confesseurs leur dit : Je vous aime ; et il y a de lapparence que cest de la part de lempereur quon a affiché le susdit écrit dans la salle du mandarin de la capitale, qui porte : la religion chrétienne est une vraie religion. Cela donne espérance que peu à peu la vérité sera reconnue, mais cela nempêchera pas les mandarins et dautres de persécuter les chrétiens lorsquil leur plaira, sous divers prétextes. Il y a des moments où jespère beaucoup, dautres où je perds toute espérance, non par rapport aux persécutions, mais par rapport à dautres inconvénients qui me crucifient (qui font plus de bien que mal) ; au reste tout cela est bon pour nous faire souvent lever les yeux au ciel et recourir au Tout-Puissant. Quand nous perdons toute confiance humaine, nous sommes plus à même davoir une confiance divine et surnaturelle. Dun autre côté, je crains encore que notre Évêque, qui se livre sans mesure à toutes les fatigues, ne succombe enfin, et alors que deviendrons-nous ? Mais que Dieu soit béni en toute chose !
Suite et fin de la Relation édifiante (7)
Relation à ses amis