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Suite et fin de la Relation édifiante (7)

 

31 août.

Benedictus Deus… qui consolatur nos in omni tribulatione nostra. (2 Co 1, 4) (Béni soit Dieu qui nous console dans toutes nos affliction.) Voilà la consolation des serviteurs de Dieu. La Providence les fait passer par une vicissitude de peines et de consolations. Deux chefs de famille sont venus pour entendre les vérités de la religion. Nous ne les allons point chercher ; ils viennent d’eux-mêmes. Un jeune garçon de quatorze ans, qui étudie la langue chinoise chez un autre voisin lettré est venu se confesser et communier. Je n’ai pas encore vu de chinois qui me donne tant d’espérance que celui-là. Je le voyais si touché, et la grâce opérait si sensiblement que j’ai cru devoir le laisser au mouvement du Sainte-Esprit, sans lui dire grand-chose. Il est destiné pour le collège. Ses parents sont d’anciens chrétiens. Priez pour le baptême de tant de millions d’enfants.

Les ennemis qui étaient venus en cette province ont été pris en partie, environ cinquante en différents lieux. Ils ont avoué dans les tourments qu’ils avaient dessein de brûler la ville. Beaucoup de soldats, de généraux, capitaines, etc. sont allés de nouveau renforcer l’armée chinoise . Un chrétien voisin dit qu’il a vu un de ces généraux faire le signe de la croix en se mettant à table.

J’ai traduit les litanies du saint Enfant Jésus. C’est un enfant de quatorze ans qui les écrivait. J’engage les chrétiens à les réciter pour prier le saint Enfant Jésus d’accorder la grâce du baptême à tant de pauvres enfants. Je prie de tout mon cœur la Sainte Vierge, leurs bons anges et notre bon patron St Joseph, etc. d’intercéder pour eux. Je prie aussi les enfants morts dans l’innocence baptismale pour la même intention. Cette dévotion non publique, jusqu’à ce que l’Église l’approuve, mais particulière, était une pratique de saint Xavier qu’on nous propose pour modèle, je l’ai lu dans ses épîtres.

 

1er septembre.

J’apprends encore que notre apôtre me quittant, il y a une dizaine de jours, a converti vingt-sept infidèles, et qu’il y a encore treize autres nouvellement convertis. Nos chrétiens quoiqu’imparfaits, puisqu’il n’y a personne pour les former, ont cependant bien des belles pratiques. Ils ne jurent point, disent la prière en commun ; en entrant dans une maison, avant de saluer personne, ils se mettent à genoux et prient.

C’est une chose décidée, je partirai dans un mois et demi pour la partie orientale dont j’ai parlé ; voilà mon partage : Funes ceciderunt mihi in præclaris etenim hæreditas, etc. (Ps 15, 6) (Un lot m’est échu dans des lieux excellents, car mon héritage est excellent pour moi.)

C’est un motif bien puissant pour porter des âmes zélées à prier pour moi. Nous ne savons la plupart du temps ce que nous demandons, ni si nos affections et nos pensées, nos actions et nos désirs plaisent à Dieu. Ainsi dans cette incertitude, nous ne pouvons mieux faire que de tout soumettre au jugement de Dieu et de le prier sans cesse de mettre et d’ôter ce qu’il jugera à propos. Il me semble voir comment bien des personnes dont la conduite est réglée à l’extérieur, se passionnent pour une chose peut-être bonne et indifférente ; ensuite cette affection, qui ne vient pas de Dieu, mais d’eux-mêmes, les nourrit, les anime, les inquiète, les fait agir, entreprendre et souffrir bien des choses ; et tout cela n’est qu’une vie humaine et passionnée devant Dieu, quoiqu’elle soit louable devant les hommes. Qu’il est nécessaire de se dépouiller de tout, et de purifier ses vues et ses affections !

Nos courriers partiront bientôt pour porter nos lettres à Macao, port de la Chine, et ensuite les vaisseaux français partant de la Chine au nouvel an prochain, 1774, et arrivant en France au mois de juin, vous aurez mes lettres un peu après. Moi qui n’ai aucune nouvelle d’Europe depuis que j’en suis sorti, je n’en aurai que vers Pâques où nos courriers reviendront de leur voyage. Il leur faut trois mois au moins pour venir de Macao ici. Demandez seulement pour moi une chose qui renferme toutes les autres : c’est que je fasse en Chine ce que Dieu veut que j’y fasse, rien de ce qu’il ne veut pas que j’y fasse. En disant la sainte Messe, mon intention habituelle est de procurer à Dieu par Jésus-Christ, toute la gloire que le royaume de la Chine eût dû lui procurer, et réparer tous les outrages que cette nation a faits à la Majesté divine en adorant le démon, et par la destruction de son empire, et pour accomplir la prophétie de Malachie. Il me semble que cela est un motif bien grand pour engager un missionnaire à venir et à demeurer ici, quand il ne ferait autre chose.

Nos chrétiens ont encore cette bonne habitude, quand on les remercie, ils disent : remerciez le Seigneur. En parlant à un prêtre, au lieu de dire moi, ils disent : pécheur.

 

3 septembre.

On vient prendre mes lettres. Dans quinze jours, je joindrai Mgr pour conférer ensemble. Ensuite une quizaine après, je partirai pour la partie orientale. Je me recommande de nouveau aux prières des bonnes âmes d’Europe Benedictus Deus Dominus noster Jesus Christus cui gloria et honor et protestas in sæcula sæculorum. Amen. (Béni soit le Seigneur notre Dieu J.-C. à qui appartient dans tous les siècles des siècles, la gloire, l’honneur et la puissance. Ainsi soit-il.)

 

(Archives de Portieux.)

Relation à ses amis

 

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