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9 mai.
Notre Évêque a enfin fini de visiter son district, cest-à-dire la portion quil cultive comme missionnaire, savoir la partie occidentale. Il a baptisé quarante-huit adultes et fait plus de cent catéchumènes. Après toutes ces fatigues, il est le dernier couché et le premier levé. Il prend le plus mauvais appartement, ne mange presque pas, et malgré sa pénurie de mets il se prive encore de ce qui serait un peu plus ragoûtant. Il a avec cela les sentiments les plus humbles de lui-même.
Il y a un mois quil sest ouvert une nouvelle chrétienté aux environs. Une femme sétait faite chrétienne. Ses parents et ses amis lui en ont demandé la raison. Elle a dit ce quelle a pu, mais a promis de leur faire voir quelquun qui leur expliquerait mieux (cest notre apôtre), un laïc qui a le don de convertir les infidèles. Il est venu ; il leur a exposé notre sainte religion. Dès quils leurent ouï, ils répondirent : puisque cela est ainsi, nous allons briser et jeter nos idoles. En effet, dès lors ils adorèrent le vrai Dieu au nombre denviron quarante. Les voisins païens en murmurèrent, les menacèrent ; un surtout a dit : qui est-ce qui a gâté nos voisins ? Il faut que je dispute avec lui ; sil ne peut me convaincre, je lui casserai les jambes.
Notre évangéliste layant appris est venu exprès, la envoyé chercher, mais il a refusé de venir, disant quil navait pas le temps. Mgr vient de le faire catéchumène. Il y a un médecin qui versait des larmes en entendant lexplication des cérémonies du baptême. Il a beaucoup dautorité sur les autres. On en espère beaucoup. Mais les nouveaux convertis sattendent à la persécution qui ne leur manquera pas.
On remarque ici, aussi bien quau Tonkin, que Dieu punit visiblement les persécuteurs. Le mandarin qui a emprisonné Mr Gleyo a été étranglé ; celui qui la accusé est dans les fers. Un autre mandarin, qui a fait souffrir les chrétiens ces années dernières, disait : si votre Dieu est tout-puissant, voyons sil me punira : je vais vous faire mettre à la cangue. Trois jours après, il était déposé de sa charge. Ce perfide renégat qui vient dexciter une persécution, vient dêtre aussi étranglé par ordre des mandarins.
12 mai.
Japprends que la persécution qui menaçait les nouveaux convertis vient dêtre excitée par les païens, il y a trois jours. On les a pris et conduits au mandarin qui les interrogeait : Vous avez une prière que vous dites trois fois par jours, et que vous appelez San Kein Kin (cest langelus) ? Oui -Vous dites que tous les hommes viennent de deux personnes qui sappelaient Adam et Ève ? - Oui Il leur demanda ensuite qui les avait faits chrétiens. Un dit, cest un tel, un tel, de leurs voisins. Enfin on est venu à la source, qui est cette femme dont jai parlé. On lui a aussi demandé qui lavait convertie, et on le nomma : cest lapôtre qui en a déjà converti trois cents et plus. Il est actuellement ici, avec Mgr et moi. Nous ne savons pas sil ne sera pas pris aussi.
Un des néophytes, ou pour mieux dire, des catéchumènes, interrogé, a répondu au mandarin : Pour moi, je ne changerai pas de religion. Vous ferez ce que vous voudrez : si vous voulez me faire porter la cangue, je la porterai ; si vous voulez me battre, je le souffrirai ; si vous voulez me faire mourir, je mourrai. Mais le mandarin ne leur a fait souffrir aucun tourment. On les garde dans une auberge. Il y a des païens qui ont dit : puisque cela est ainsi, je veux aussi me faire chrétien. Nous avons aussi appris quil y a dautres païens qui veulent venir se faire instruire. Une femme, du nombre de ces catéchumènes persécutés, a brisé lidole qui était dans sa maison ; elle la fait de son propre mouvement, car on noblige pas une femme à cela, dès quelle est une fois sous la domination de son mari ; aussi la-t-il battue. Mais elle ne sest point déconcertée : elle vient encore de gagner sa mère et sa bru, quelle a amenées aux instructions. On voit que Dieu a des vues de miséricorde sur cette province, et sur tout ce petit canton. À présent il y en a plus de cinq cents. À cet instant notre convertisseur part ; je lui dis de se préparer à la persécution. Ordinairement, quand quelquun veut se faire chrétien, il lui demande : êtes-vous disposé à porter la cangue, à souffrir des soufflets ? (ces soufflets se donnent avec une semelle de cuir). Si vous êtes ainsi disposé, venez adorer Dieu avec nous. Sinon, ne venez pas.
Joubliais de rapporter une circonstance du dernier interrogatoire, bien glorieuse à notre sainte religion. On demandait qui était donc cet homme qui avait été lauteur de ces conversions, et les catéchumènes ont répondu : Cet homme était autrefois un scélérat, qui a été plusieurs fois appelé au prétoire ; mais depuis quil est chrétien, il est tout changé. En effet, cest une chose que Mgr lÉvêque leur répète souvent pour les confirmer dans la foi : Voyez, leur dit-il, ces hommes qui étaient autrefois des bandits que la crainte des tourments ne pouvait contenir, et qui, après plusieurs supplices réitérés, étaient toujours aussi méchants ; voyez-les maintenant, depuis quils sont chrétiens, comme ils sont réglés dans leurs murs, irréprochables dans leur conduite, recueillis, posés ; et ce changement si admirable, nest-il pas une preuve de la vérité de notre religion, et de la force de la grâce qui opère dans les curs des changements si surprenants ?
Japprends encore que ce médecin dont jai parlé a été aussi conduit devant le mandarin. Il était alors infirme ; à peine pouvait-il marcher avec un bâton ; depuis quil a confessé J.-C. il marche librement. Digitus Dei est hic (Ex 8, 19) (Le doigt de Dieu est ici.)
2 juin.
À peine avais-je fini décrire ce qui est ci-dessus, que les gens de la maison consternés vinrent prendre mes effets et les ornements, pour les cacher. Le soir on me fît sortir pour passer la nuit dans une autre maison ; mais une heure après, le fils de mon hôte vint nous annoncer quil y avait tout lieu de craindre que les soldats ne vinssent nous surprendre. Nous sortîmes donc et nous nous retirâmes dans un moulin banal qui sert à écosser le riz. Mais un peu après il y vint du monde ; nous ne savions pas si cétait des voleurs ou des ennemis. Nous sortîmes par une autre porte, au milieu des ténèbres, marchant par des chemins étroits et bordés deau. Malgré lattention de nos gens qui me tenaient par la main, je tombai plusieurs fois, sans me faire grand mal. Nous passâmes la nuit ainsi. Jétais plus consolé de voir les bonnes façons de nos chrétiens qui me portaient sur leurs dos, dans les endroits difficiles, quaffligé de notre situation. Vers le jour, nous revînmes à la maison que nous avions quittée. Après un peu de repos et un petit déjeuner, nous partîmes sans savoir où jallais. Jétais aussi tranquille que dans la plus grande sécurité. Je suivais mon guide sans minquiéter, persuadé que la Providence nous conduirait où il fallait. Nous vînmes à une rivière que nous naurions pu passer ; mais il se trouva dans un endroit un enfant qui passait un buffle, qui nous transporta, lun après lautre, sur sa bête, et nous arrivâmes à la maison dun chrétien qui nous reçut bien. Mais nous entendions tous les jours de fâcheuses nouvelles. On disait que les soldats étaient allés à la maison de cet homme qui avait converti les néophytes ; quils avaient déchiré un écrit qui contenait ces paroles : Au vrai Dieu, créateur de toutes choses
; que ne layant pas trouvé, ils le cherchaient partout ; et quon avait aussi déclaré lÉvêque qui les avaient faits catéchumènes ; que le mandarin envoyait des gens à sa poursuite. Nous nétions quà quatre ou cinq lieues des endroits du mandarin, et quà deux ou trois lieus des endroits où les soldats étaient venus. Enfin on vint dire que les soldats venaient à notre maison. Il fallut déguerpir, et après avoir vogué çà et là, nous revînmes la nuit. Les soldats nétaient pas venus. Quelques jours après on dit quils ne cherchaient plus personne. Je passai les fêtes de lAscension et de la Pentecôte dans cette retraite ; après cela je revins dans ma première habitation.Hier sont venus deux domestiques, dont lun a visité les chrétiens prisonniers. Ils ont la cangue au cou. Ils disent hautement que cest pour la religion quils souffrent ; ils exhortent même les païens à se convertir, et tous sont des néophytes qui ne connaissent Dieu que depuis deux mois, et qui nont pas encore reçu le Baptême. Le chrétien qui les a convertis et que le mandarin poursuit, se cache, de peur, dit-il, quil ne soit contraint par les supplices de déclarer lÉvêque. Sans cela il se serait présenté lui-même. Il en a encore converti trois autres depuis.
Nous avons reçu des nouvelles de la partie occidentale. La persécution est ralentie ; mais il y a encore six chrétiens en prison dans trois différents endroits, outre ceux de Canton et M. Gleyo ; tout cela In testimonium illis est gentibus. (Mt 10, 18) en témoignage pour eux et pour les Gentils. Tous ces événements portent des traits visibles de la main de Dieu. Si cette persécution fût arrivée plus tôt, elle eût empêchée Mgr de visiter les chrétiens et de faire tout ce quil vient de faire ; mais Dieu alors a arrêté la fureur des démons ; il ne leur a permis déclater que lorsquils ne pouvaient plus nuire.
Suite de la Relation édifiante (5)