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Jai appris des circonstances dune persécution arrivée il y a trois ans et plus ; elles méritent dêtre écrites. Le mandarin avait pris près de quarante chrétiens, entre lesquels étaient mon hôte et son fils. Ils furent en prison plus de trois mois. Le mandarin faisait tous ses efforts pour les faire renoncer à la religion chrétienne ; il était comme un furieux Mais les chrétiens non seulement confessèrent, mais prouvèrent lexistence de Dieu. Quoi ! disait mon hôte, quand je considère le ciel et la terre, je vois partout une sagesse admirable qui gouverne tout ; tout mannonce un Être suprême, tout-puissant, qui a tout créé, et après cela vous voudriez que je le renonce ! Non, je ne le ferai pas ! Alors il lui fit donner cent trente soufflets. Les chrétiens furent interrogés sur toute la religion. Ils expliquèrent le Symbole, les commandements de Dieu, etc. Il y avait un grand concours de monde qui était présent, et qui les entendit, il y en eut cent qui se convertirent.
Voilà les chrétiens avec lesquels je vis. Ce sont des confesseurs de J.-C. qui ont souffert pour les intérêts de la religion. Quand jy pense, je me confonds, surtout quand ils se prosternent devant moi, selon la coutume de respect des Orientaux. Je voulais aussi apprendre de la bouche de notre Évêque lhistoire de sa persécution. Je le mis sur les voies de la raconter ; mais il est si humble quil ne dit de lui que ce qui peut lhumilier. Quand il est venu à sa prise il se tut tout court. Je lui ai demandé : ils vous ont donc enchaîné ? Il a répondu : Oui. Mais jai appris des chrétiens quaprès trois mois de prison, et plus, il avait souffert les entraves qui est un des plus cruels supplices, car on serre tellement la machine quelle aplatit les chevilles des pieds ; après cela, on ne peut plus marcher que longtemps après. Mais on ma dit quil avait marché tout de suite, sans difficulté, ce qui serait un miracle dautant plus grand que, selon que je puis le voir par les circonstances, il fut alors conduit par les soldats jusquà lextrémité de la province où, par un autre trait de la Providence, il fut reconnu et délivré par les chrétiens.
Il ma raconté comme il avait été délivré dun autre danger. Il avait dit à un chrétien dôter toutes les marques de superstition qui étaient dans sa maison, et quil nosait détruire, par rapport à son fils qui avait quelque autorité par sa charge. Cependant, étant encouragé par les exhortations de son pasteur, il les détruisit. Son fils venant après et voyant cela, lui en demanda la cause. Il ne voulut pas en désigner lauteur ; mais un enfant qui était venu avec son père le lui découvrit. Alors il rassembla une quarantaine de personnes pour venir fondre sur Mgr. Mais le père envoya un enfant qui lavertit de ce que son fils voulait faire. Il neut que le temps de sévader avec les chrétiens. Cétait la nuit. Ils virent par après ces séditieux venir avec des lanternes et des armes, comme la troupe qui vint avec Judas prendre N.S. J.-C. Il a couru mille autres dangers dont Dieu la préservé par une protection visible.
Jomettais dans le récit précédent une circonstance : cest que le mandarin, après avoir fait frapper les chrétiens, avant de les renvoyer, voulait, par de nouvelles instances, les faire renoncer à la foi. Mais il na pu rien obtenir ; il a été obligé de les congédier, vaincu par leur constance. Cette fermeté est bien un miracle de la grâce ; mais cest un double miracle dans les chinois, vu leur timidité naturelle et lascendant que les mandarins ont sur eux. Je demandai à quelque-uns de ceux qui ont essuyé cette persécution comment ils étaient affectés intérieurement ; ils mont dit quils étaient contents et consolés.
Nos chrétiens, du moins beaucoup, ont soin de baptiser les enfants des païens.
6 juin.
Le fils aîné de la maison, avec un autre chrétien, vient de visiter les néophytes détenus et portant la cangue. On ne les a pas empêchés dentrer. Beaucoup de gens les ont vus et savent quils étaient chrétiens. Je leur ai demandé ce quils avaient dit aux prisonniers, et ce que ceux-ci avaient répondu. Il leur a dit que les tourments quils souffraient étaient passagers, et que la récompense serait éternelle ; quil avait aussi souffert comme eux, pour la même cause. Et ils ont répondu quils souffraient volontiers pour J.-C. qui avait souffert la mort pour eux. Deux soldats ont entendu leur conversation avec plaisir. Tout cela ne contribue pas peu à manifester le nom de Dieu. Il y a beaucoup de païens qui disent : Nous savons quil y a un Dieu créateur de toutes choses ; cependant ils ne ladorent pas, ils ne le craignent pas, parce que, disent-ils, il est bon à lexcès.
Le mandarin passant dans lendroit où sont les néophytes, les a vus. Ils se sont mis à genoux, à la coutume du pays ; ils lui ont demandé leur délivrance, pour aller planter le riz. Il a paru acquiescer à leur demande. Ainsi on espère quils seront délivrés promptement. Cependant les mandarins haïssent les chrétiens, par cette vue de politique, parce quayant des évêques et des prêtres, ils craignent que ces autres supérieurs ne donnent atteinte à leur autorité. Voilà pourquoi ils avaient conspiré la ruine totale de la religion chrétienne ; mais Dieu a arrêté leur fureur. Entre les preuves que la religion chrétienne a été prêchée et pratiquée en Chine, en voici une assez singulière. Il y a dans les temples une image dun homme qui a les pieds joints, et qui porte des souliers pendus à un bâton sur ses épaules. Les païens disent que cest un saint homme qui est venu en Chine en traversant la mer sans bateau, et les chrétiens pensent que cest un apôtre ou un homme apostolique. L Esprit de Dieu qui a transporté St Philippe pour évangéliser leunuque de la reine Candace, pouvait également transporter St François ou un autre dans la Chine.
16 juin.
Un païen, dun bourg où il ny a pas encore de chrétiens, (un bourg contient ordinairement dix mille âmes.) vient de se rendre auprès du maître décole, notre voisin, pour entendre la doctrine chrétienne. Cest un chef de famille. Dieu veuille que ce soit une semence féconde pour son endroit. Ce maître na pas fait les cérémonies de Confucius. Je lui ai demandé quand on lui a proposé de les faire ce quil a répondu ; il sest excusé en disant quil navait pas le temps. Il a instruit ce prosélyte devant ses écoliers païens, ce qui ma fait grand plaisir. Notre apôtre est allé visiter ses prosélytes en prison.
26 juin.
Il y a quatre ou cinq jours que deux personnes du voisinage, lhomme et la femme ont été possédés du démon. Lhomme exerçait les superstitions païennes pour deviner et on appelle ce genre de superstition Tiao tang Kung. Ces deux possédés, dans le transport de leur fureur sautent, battent des mains et prononcent le nom dune femme de leur idole appelée Nian-nian. Leurs parents ne veulent pas quils aient aucun commerce avec les chrétiens ; ils ont confiance en leur idole, et font toutes sortes de superstitions pour les guérir. Mais jespère et demande à Dieu quaprès avoir connu linutilité et la faiblesse de leur divinité, ils auront recours à Dieu, quils le connaissent et ladorent.
Un chrétien est allé les voir dans les commencements ; ils lui ont dit : Vous priez bien Dieu, nous vous entendons ; cependant ils ne sont pas à portée dentendre les chrétiens qui prient. On dit que cet homme est véridique. Quoi quil en soit, les desseins de Dieu sont connus à lui seul ; mais il est évident que cest Dieu qui conduit ici toute la religion, lui seul, afin quil ait lui seul la gloire de son établissement et du progrès de lÉvangile dans ces pays, et quon ne puisse attribuer aux hommes ce qui est dû à Dieu : Gloriam meam alteri non dabo (Is 42, 8) (Je ne donnerai pas ma gloire à un autre.) Les hommes ne sont que des instruments dont il veut bien se servir par miséricorde, et dont il na aucun besoin ; serviteurs inutiles, ainsi que moi, de qui la Providence a voulu se servir pour convertir une grande partie de cette chrétienté qui est dans notre voisinage : dun chrétien encore néophyte qui auparavant était un scélérat : Ut sublimitas sit virtutis Dei et non ex nobis (2 Co 4, 7) (Afin que la grandeur appartienne à la vertu de Dieu et ne vienne pas de nous.)
Voilà neuf catéchumènes qui à peine ont connu et adoré le vrai Dieu, qui souffrent avec joie les tourments pour la gloire de son nom. Digitus Dei est hic (Ex 8, 19) (Le doigt de Dieu est ici.) Tous les mandarins de notre province conjurent la destruction totale du christianisme ; Astiterunt reges terræ et principes convenerunt, etc. (Ps 2, 1) (Les Rois de la terre se sont levés et les Princes se sont ligués contre le Seigneur et contre Jésus-Christ.) Leur conclusion est que la religion chrétienne est une invention vaine, contraire à la raison, aux bonnes murs et aux lois ; que les chrétiens font tout cela pour éviter la transmigration ; quainsi il faut labolir ; mais Non est contra Dominum ; Dominus irridebit eos. (On ne peut rien contre le Seigneur, le Seigneur se rira deux.) Dans la suite, quand on ne pourra plus disconvenir que la conversion des chinois est luvre de Dieu, il faut espérer que la Providence y multipliera tous les autres moyens dont elle se sert dans le cours ordinaire ; mais il est de sa gloire que tout le monde sache que cest son ouvrage, et non celui des hommes.
Il est encore à remarquer que le peu de prêtres quil y a ici ne peuvent parler aux païens ; cest Dieu qui les touche et les éclaire. Ils entendent quil y a des chrétiens ; ils viennent souvent demander eux-même quon les instruise. Jéprouve ici deux choses, que lEsprit de Dieu souffle, mais aussi que le démon agit furieusement. Jai entre les mains les livres de Confucius qui dit : Yan-yan a créé et nourrit toutes choses, et les élève jusquau ciel. Qui est ce Yan-yan ? Les lettrés chinois disent que cest létendue de lunivers. Le mot Yan, seul signifie la mer ; peut-être que Confucius a voulu entendre labîme, les eaux que Dieu a voulu élever pour former les cieux visibles. Dans le même livre il dit que le ciel crée toutes choses, que le ciel nous donne la nature, et dans la nature la doctrine, Tao lici, la raison dans la raison, la loi dont nous ne devons jamais nous écarter. Il dit encore que lesprit a une très grande vertu : il voit tout, il entend tout ; que rien ne lui échappe ; ou lon peut encore interpréter ces paroles en ce sens : quon ne peut le voir ni lentendre, et que les corps ne peuvent larrêter. Ensuite celui qui est pur observe le jeûne, prend les habits de cérémonie ou les habits pontificaux, ou les habits propres (car Confucius est concis et obscur.), offre des sacrifices à lesprit Yan yan comme sil était sur sa tête et à ses côtés. Les lettrés entendent par cet esprit le démon ; mais moi je nen crois rien ; et ils disent que Yan-yan ici signifie quil faut respecter, saluer lesprit, cest-à-dire le démon, comme sil était présent sur nous et à coté de nous, mais cela sentendrait fort bien de limmensité de Dieu.
Il est à remarquer que Confucius na pas écrit, mais ce sont ses disciples qui ont écrit sa doctrine ; ils étaient païens, ils lont peut-être altérée. Il est à présumer quil a connu Dieu, au moins autant que les autres philosophes du paganisme. Outre les lumières naturelles que Dieu lui communiquait, il paraît quil avait encore quelque connaissance de la tradition, puisquil dit : Il y a un saint en Occident. Il savait sans doute quelque chose de plus que ce que la raison enseigne. Quoi quil en soit, Dieu la suscité pour enseigner aux Chinois au moins la loi naturelle et la civilité. Il ny a peut-être point de nation sur la terre plus polie, plus civile, plus modérée, et plus modeste à lextérieur. Je nai encore vu aucune immodestie. On ne saurait croire combien ils sont réservés, du moins à lextérieur, car il ny a que la grâce de J.-C. qui puisse purifier le cur.
29 juin.
Béni soit Dieu ! voilà un des chrétiens prisonniers qui vient dapporter la nouvelle quils sont sortis de prison, après avoir été détenus environ six semaines, et porté la cangue près dun mois. Aucun na abjuré, au contraire ils ont souffert avec constance ; ils ont refusé avec fermeté de donner de largent pour leur délivrance. Le fils du médecin qui avait été un des accusateurs, sest converti depuis.
Outre environ dix mille chrétiens, on compte encore cinq cents aspirants. Il y en a qui adorent Dieu depuis trois ou quatre ans, et qui ne sont pas encore baptisés faute de prêtres. On ma apporté les caractères qui sont au bas de linscription chinoise du Chen-si. Je ne puis les lire. On dit que ce sont les noms des prêtres et des évêques. (Mr Alary qui a été sur les lieux, au Chen-si, en a rapporté linscription entière, en caractères propres, tirés de la pierre sur un grand papier quon y a appliqué, de la hauteur de six pieds, au séminaire de Paris où il est arrivé et est directeur depuis décembre 1773.) Il est dit dans cette inscription que cest de la Judée que sont venus ceux qui ont apporté la foi dans la Chine. Linscription est composée par un homme public, comme vous diriez le chancelier du royaume. Son style est concis et élégant. Elle est de la hauteur dun homme. Toute la religion y est renfermée. Le mystère de lincarnation est comparé à un arbre sur lequel on a greffé une greffe étrangère, et deux branches sur un même tronc marquent les deux natures subsistantes dans une même personne. On ajoute comme une chose certaine quil y a dans léglise qui est actuellement le temple dun bonze idolâtre, un coffre suspendu quils nont jamais pu ouvrir quoiquils leussent tenté.