PARTIE II
Réflexions sur les vices dominants de notre siècle
1. Sur le déisme
2. Sur lesprit du monde
3. Sur la présomption, ou illusion dune fausse conversion, qui est cause de la profanation des sacrements
4. Conversions humaines et naturelles
5. Marques dune conversion surnaturelle
6. Illusion dune vie aisée
7. SUR LA MORTIFICATION DES PASSIONS
Une suite de la vie aisée, cest limmortification des passions. Il y a une infinité de chrétiens qui suivent sans examen et sans retenue tous les caprices de leur volonté, bons ou mauvais, quimporte ! Il suffit quils aient envie de dire ou de faire quelque chose pour le dire ou pour le faire en effet, sans faire attention si cest la passion qui les fait parler ou agir. Ils donnent toute liberté à leurs sens et à leurs curs. Ils ne savent pas ce que cest que de renoncer à une inclination naturelle et de se priver dun plaisir qui paraît innocent. Mortifier sa sensualité, retenir sa langue, réprimer sa curiosité, modérer ses empressements et ses vivacités, surmonter ses répugnances, vaincre son humeur et ses antipathies cest un langage inconnu à bien des gens qui font même profession de piété. Or, jamais ces sortes de personnes, quelque bonne volonté quelles semblent avoir dailleurs, ne feront de progrès réels dans la vertu, à moins quelles ne sétudient à connaître et à vaincre leurs passions en les mortifiant, même dans les choses les plus ordinaires. Les bonnes uvres quelles feront seront presque toujours corrompues par quelque passion.
La passion est un mouvement déréglé du cur, une inclination vers le mal. Cest ce penchant malheureux qui vient du péché originel et qui nous porte au péché actuel ; car quoique le péché originel soit effacé par le baptême, la concupiscence reste néanmoins dans les personnes baptisées, pour être aux justes mêmes un sujet continuel de combat et une occasion de mérite et de récompense. Cette concupiscence est quelquefois appelée péché dans lécriture, mais improprement, parce quelle vient du péché et quelle porte au péché. Le sentiment de la passion nest donc pas un péché, mais une tentation qui devient un péché si on y consent, et une victoire si on résiste. Si, au lieu de résister à une passion, on la satisfait volontairement, quon laime et quon sy plaise, cest non seulement un péché, mais une affection au péché. Comme nous avons tous été conçus avec le péché originel, nous avons tous la concupiscence, et dans la concupiscence le principe de toutes les passions. Ainsi nous sommes tous naturellement portés à lorgueil, à lavarice, à lenvie, à limpureté, à la sensualité, à la colère, et à la paresse. Car ces vices, que lon nomme communément les sept péchés capitaux, sont plutôt des passions que des péchés. Et chacune de ces passions est une passion capitale, parce quelle est la source de beaucoup dautres passions quelle excite et des péchés quelle occasionne.
Lorgueil et lamour propre excitent la vanité, la vanterie, lamour des nouveautés, la flatterie, lhypocrisie, lopiniâtreté, la contention, la discorde, la désobéissance, etc.
Lavarice cause la dureté de cur envers les pauvres, lempressement pour amasser les biens temporels, et lindifférence pour les spirituels, linquiétude pour conserver ce quon a, la fraude, la tromperie, linjustice, le parjure, la violence pour se procurer ce quon na pas.
Lenvie donne lieu à la médisance et à la critique des personnes qui en sont lobjet ; à des jugements téméraires sur leur compte, à une joie maligne du mal qui leur arrive, et à une tristesse de leur prospérité, enfin à la haine des personnes.
Limpureté occasionne des pensées, des paroles, et des actions déshonnêtes ; elle aveugle lâme, elle la souille et labrutit. Ses effets sont donc laveuglement de lesprit et linsensibilité du cur pour les choses de Dieu, une espèce dhorreur pour Dieu, et le désespoir pour son salut, une haine de la religion, une opposition aux vérités de la foi, et un plaisir secret de les voir combattues.
La gourmandise et la sensualité rendent lhomme animal et incapable de consolations spirituelles ; elles occasionnent des excès dintempérance, des dépenses superflues, et quelquefois même des larcins quon fait pour avoir de quoi la satisfaire.
La colère fait souvent proférer des injures et des blasphèmes, et excite quelquefois des querelles, des batailles, et des meurtres.
La paresse spirituelle nous fait négliger nos devoirs de religion, et la corporelle ceux de notre état ; lune et lautre sont causes de bien des péchés domission, de bien des défauts, et des imperfections dans le bien que nous faisons.
De lobligation où nous sommes de mortifier nos passions ;
moyen de les connaître et manière de les combattre
Ne suivez point vos passions, dit lécriture : post passiones tuas non eas. Ainsi Dieu nous impose une obligation étroite de résister au torrent de nos passions et de les mortifier. Cest dans cette mortification des passions que consiste le point essentiel de la morale chrétienne. On ne saurait trop linculquer : rien nest plus nécessaire, rien nest si difficile, rien nest plus méritoire que la mortification des passions qui nous attachent au péché mortel. Point de vraie conversion, car une seule de ces passions criminelles, ménagée, suffit pour rendre inutiles tous les bons sentiments dun pécheur qui voudrait rentrer en grâce avec Dieu ! Sans la mortification des passions qui nous attachent au péché véniel, point de progrès dans la perfection ! Une seule de ces passions, quoique légère en apparence, qui nous laisse volontairement dans laffection au péché véniel, peut mettre obstacle à labondance des grâces qui nous sont nécessaires pour avancer dans la voie du salut ! Que les personnes qui sentent bien quelle navancent pas dans la vertu sexaminent, et elles trouveront que la cause de ce retardement ne vient que de quelquattache, de quelque passion cachée dans le fond de leur cur, et elles doivent la sacrifier sans ménagement, dès quelles lauront découverte.
La mortification des passions est donc le seul moyen sûr pour arriver à la perfection. Ce nest que par cette voie que les saints y sont parvenus. Ils se sont tous exercés pendant très longtemps dans cette pratique, purifiant constamment leur cur de tout ce quil avait de corrompu et dhumain. Car il faut quelquefois des années entières pour déraciner une passion. Et si chaque année nous nous corrigions entièrement dun vice, nous serions bientôt parfaits, dit lImitation (I, ch. 11, 15). Ce qui fait que nos passions nous dominent si longtemps, cest le plus souvent parce que nous nallons pas jusquà la racine ; nous nous contentons den ôter la superficie, et seulement pour un temps, nous réservant de les contenter dans une autre circonstance, alors quil faudrait en arracher jusquà la dernière racine, et cela pour toujours. Voilà pourquoi elles renaissent continuellement comme des mauvaises herbes dont on ne fait que couper le bout sans les déraciner. Nous sommes tous remplis de passions. Ceux qui en connaissent le moins sont souvent ceux qui en ont le plus. Et sils ne les voient pas, cest que le grand nombre de ces passions les aveugle.
Le moyen de connaître ses passions, cest de réfléchir sur tous les mouvements de son cur pour en examiner la cause. Ainsi, à chaque sensation que lon éprouve on doit se demander intérieurement à soi-même, Doù me vient ce sentiment ? Quel peut être le principe de cette joie que je ressens ? Vient-elle de Dieu ? Vient-elle de la nature ? Pourquoi cette tristesse ? Est-ce parce quil mest survenu une humiliation ? Est-ce parce quon ma dit quelque parole disgracieuse ? Si cest cela, cest lorgueil et lamour propre qui est ma passion. Pourquoi cette répugnance à telle chose ? Pourquoi cet empressement à telle autre ? Cest peut-être parce que je crains quelque peine dans lune, et que jattends quelque plaisir et quelque satisfaction dans lautre. La sensualité ou limmortification est donc encore une de mes passions. Ainsi lattention et la réflexion sur tous les mouvements de son cur est le moyen de connaître ses différentes passions. On doit surtout sappliquer à distinguer sa passion dominante et travailler particulièrement à la déraciner. Car si on peut y réussir, les autres quelle anime et quelle excite tomberont avec elle. La sensualité ou lamour du plaisir sensuel est dans bien des gens une passion dominante.
La vraie manière de combattre ses passions, cest de les mortifier en leur refusant ce quelles demandent, et en faisant tout le contraire de ce quelles désirent. Ainsi chaque fois quon sent le mouvement dune passion on doit lui résister, la renoncer, la sacrifier, et entrer dans un sentiment opposé, et pratiquer la vertu contraire. Cest en cela que consiste principalement ce renoncement à soi-même si recommandé dans lÉvangile. Il en coûte pour cela ; on a à chaque instant bien des sacrifices à faire, mais aussi ce sont des sacrifices bien grands, bien héroïques, bien agréables et bien méritoires devant Dieu, puisque lhomme dans ces sacrifices immole à Dieu ce quil a de plus cher, sa volonté et ses inclinations ; ou plutôt cest lui-même quil immole et quil sacrifie, au lieu que dans toute autre chose il noffre à Dieu que ce qui lui est extérieur et distingué de lui-même.
Résolution de mortifier ses passions, avec une prière pour en demander à Dieu la victoire
Mon Dieu, vous connaissez vous seul toutes les passions qui me dominent. Faites-moi les connaître, et inspirez-moi en même temps le courage et la force de les combattre, de les vaincre et de les détruire. Javoue et je reconnais devant vous qui êtes le témoin de mon cur que je suis plein de faiblesses, de misères, et de corruption, sujet à une infinité de défauts et de passions qui massaillent de toute part. Hélas ! Seigneur, je suis tout rempli dorgueil, damour propre, de vanité, denvie, de jalousie, de gourmandise, de sensualité, de colère, daigreur, de ressentiment, dhumeur, de vivacité, dempressement, de distractions, ardent pour le plaisir, sensible à la moindre peine, lâche et négligent pour le bien et toujours porté au mal. Jai mille autres passions que je ne connais pas et qui me tyrannisent. Quelle servitude ! Quel esclavage pour une âme qui devrait jouir de la sainte liberté de vos enfants ! Jusquà quand vivrai-je dans un si honteux esclavage ? Il ny a que vous, mon Dieu, il ny a que votre grâce qui puisse men délivrer. Et cest avec le secours de cette grâce que jespère maffranchir du joug de mes cruelles passions. Oui, dès ce moment même je veux les quitter et leur déclarer une guerre continuelle, en les mortifiant dans tout temps et à chaque occasion.
Soutenez-moi, mon Dieu, dans cette sainte résolution, et aidez-moi dans tous les combats que je me propose de livrer à cet enfer contre moi-même. Divin Jésus, je vous conjure, par la pureté et la sainteté des affections de votre cur, de purifier la corruption du mien. Vous nous dites dans lÉvangile que toute plante que votre Père céleste na point plantée sera arrachée (Mt 15, 13). Arrachez donc du fond de mon âme tous les vices et toutes les passions que le démon, votre ennemi, ou que la nature corrompue y ont fait naître, et remplissez-la de votre grâce et de votre amour, et de tous les pieux sentiments et des vertus dont la vôtre était elle-même remplie, plenum gratiæ et veritatis (Jn 1, 14).
8. AUTRES VICES QUI RÉGNENT DANS NOTRE SIÈCLE :
LIMPURETÉ, LA MÉDISANCE, ET LINTEMPÉRANCE
SUR lIMPURETÉ
Un péché qui damne tous les jours une infinité dâmes, cest limpureté, ce vice infâme qui dégrade la raison et qui renverse la religion. Il est très facile dy tomber, et il est très difficile de sen corriger. On en contracte aisément lhabitude, et on a toutes les peines imaginables de le rompre. On peut se rendre coupable de ce péché en mille manières différentes. On peut pécher contre la chasteté par tous les sens, et on doit expliquer dans la confession quelle est lespèce du péché quon a commis. On ne peut point sexempter de saccuser dun péché dimpureté sous prétexte quil nest que véniel, car les théologiens enseignent que tout est mortel en cette matière, et quune seule pensée, un seul regard, un seul sentiment impur est un péché damnable, dès quil est libre et volontaire et quon y donne un plein consentement. Cependant, combien na-t-on pas de ces pensées, de ces désirs, et de ces sentiments impurs dans ces jeux indécents, dans ces badinages et ces familiarités honteuses, dans ces libertés criminelles que des personnes de différent sexe prennent et se permettent mutuellement, surtout dans le temps de la jeunesse dissipée, volage, et libertine ! On traite tout cela de bagatelles, on regarde tout cela comme des récréations honnêtes et des amusements permis. À peine en parle-t-on dans le tribunal de la pénitence ! Car combien de fois narrive-t-il pas, surtout aux jeunes personnes du sexe, de les cacher, ces péchés honteux ? De là, que de confessions et de communions sacrilèges ! Il y en a même qui se tiennent pour innocents, pourvu quils nen soient point venus aux derniers excès du crime, dont les suites, quils craignent plus que le péché, les couvriraient de honte aux yeux des hommes. Mais ils nen sont pas moins coupables devant Dieu, à qui rien nest caché, qui regarde principalement le cur et la volonté. Il découvrira au jour du jugement toutes ces iniquités secrètes à la face du ciel et de la terre.
On peut aussi commettre dans le mariage de très grands péchés dimpureté. Lécriture nous apprend que Her et Onan furent frappés de mort pour avoir commis un de ces péchés détestables. Cest donc une damnable erreur que de se persuader que tout soit permis dans le mariage, comme si ce sacrement devait servir de prétexte pour satisfaire une infâme passion et de voile pour la couvrir. Au contraire, les péchés de cette espèce sont plus griefs dans les personnes mariées, parce quils ne blessent pas seulement la chasteté, mais parce quils sont opposés à la sainteté du sacrement, qui doit représenter par la pureté de lunion conjugale celle de Jésus-Christ avec son Église, dont elle est limage. Les personnes qui sont engagées dans le mariage ou qui sy disposent doivent se faire instruire par leurs pasteurs et leurs confesseurs des obligations de cet état.
Les pères et mères doivent inspirer à leurs enfants une haine mortelle pour cet exécrable péché, et les éloigner par toutes sortes de précautions des occasions qui pourraient les y faire tomber. Les jeunes gens doivent faire tous leurs efforts pour se préserver de ce vice. Car cest surtout dans cet âge que les tentations sont plus vives et les dangers plus fréquents. Sils ont assez de force et de courage pour les surmonter, et sils ont le bonheur de passer ce temps critique de la jeunesse dans linnocence et la pureté, leur salut est pour ainsi dire assuré. Au lieu que sils se laissent une fois corrompre par le poison de cette passion brutale, leur salut est en très grand danger. Tant quune personne est engagée dans lhabitude de ce maudit péché, ou quelle ne veut point en éviter les occasions, elle est indigne de labsolution et de la communion. Elle doit néanmoins se confesser souvent, renouvelant chaque fois le ferme propos de se corriger, et prenant pour cela tous les moyens nécessaires.
Moyens de se préserver ou de se corriger de limpureté
Les moyens les plus efficaces pour se préserver ou pour se corriger de limpureté sont,
1° davoir une horreur extrême de ce vice infâme et un grand amour pour la chasteté, qui est une vertu si excellente quelle nous rend en quelque sorte semblable aux Anges, et si estimable que Dieu a pour elle une prédilection toute particulière, puisquil a été vierge, quil est né dune Vierge, quil a aimé particulièrement saint Jean parce quil était vierge, et quil accorde aux vierges une récompense spéciale dans le ciel ;
2° de demander souvent à Dieu par une fervente prière la grâce déviter limpureté et de conserver laimable vertu de la pureté ; car, comme nous portons cette vertu délicate dans nos corps comme dans des vases dargile, il nous faut une grâce extraordinaire pour la conserver dans son intégrité, dautant plus quun rien suffit pour laltérer, comme il ne faut quun souffle pour ternir léclat dune glace.
3° Le moyen le plus nécessaire pour se préserver de limpureté, cest den éviter les occasions. Cest surtout dans cette matière que cette maxime de lécriture se vérifie, Celui qui aime le péril y périra (Si 3, 27). Pour peu quon sexpose, on risque de faire les chutes les plus lourdes. Et cest encore par cette raison que les théologiens prouvent quil ny a point de péché léger dans ce genre, dès quil est volontaire, parce que tout y est plein décueil et de piège. Et pour peu quon se permette, on sexpose toujours à aller au-delà de ce quon se proposait dabord. Or, celui qui sexpose au danger de péché mortel pèche mortellement, quoiquil ne commette pas réellement le péché auquel il sest exposé. Donc, concluent les théologiens, quand bien même la chose que lon se permettrait serait peu considérable en elle-même, ce que plusieurs nient, soutenant, comme on la déjà dit, quil ny a point de légèreté de matière par rapport à limpureté, le péché serait toujours considérable à raison du danger. On doit donc éviter toutes les occasions de ce vice avec la même horreur que lon fuirait à la vue dun serpent, tanquam a facie colubris (Si 21, 2).
Occasions dimpureté, amitiés tendres et naturelles
Or, ces occasions sont :
1° les amitiés tendres et naturelles entre les personnes dun sexe différent : quelquinnocentes quelles paraissent dabord, elles sont toujours très dangereuses, et on ne doit jamais lier de semblables amitiés, pas même sous prétexte de dévotion, encore moins se permettre la moindre familiarité, comme il est dit au premier livre de lImitation, ch. 8. Ces sortes de liaisons obscurcissent les vues de lesprit, generant in corde obscuritates
[Le titre de Imitation I, ch. 8, De cavenda nimia familiaritate, cadre bien avec la citation, mais celle-ci ne figure pas dans ce bref chapitre ; Jean-Martin Moye citait souvent lImitation de mémoire, doù des erreurs occasionnelles] attachent le cur, et lui ôtent par conséquent sa liberté ; elles amollissent la vertu la plus solide, et sont la source de mille désordres, car les plus grands crimes qui se soient jamais commis en matière dimpureté ont presque toujours été une suite de ces amitiés et de ces familiarités, tant elles sont funestes à linnocence et à la pureté. Quand on se trouve dans le cas de ces sortes dattaches, le moyen le plus court de sen défaire, cest déviter la compagnie et même la vue et la rencontre de la personne qui en est lobjet ; autrement, quelque bonne volonté que lon ait, ou plutôt que lon croie avoir, darracher cette inclination de son cur, on nen viendra jamais à bout ; une seule entrevue suffira pour la faire renaître et pour rendre inutiles toutes les bonnes résolutions que lon avait prises de sen corriger.
Immodestie dans les regards et les habits
2° Une seconde source dimpureté, cest limmoralité dans ses regards, ses vêtements, et ses paroles. Un chrétien doit être dune extrême modestie dans ses regards. Il doit à lexemple de Job faire un pacte avec ses yeux pour ne rien voir qui puisse les scandaliser. " Si votre il droit vous scandalise, dit le Sauveur, arrachez-le et jetez-le loin de vous, etc. " (Mt 5, 29). " Si quelquun regarde une femme avec un mauvais désir, il a déjà commis ladultère dans son cur " (Mt 5, 28). Il ne doit chercher ni de voir, ni dêtre vu, ni encore moins de plaire et dêtre aimé. " Si je cherchais encore à plaire aux hommes ", dit saint Paul, " je ne serais pas un vrai serviteur de Jésus-Christ " (Ga 1, 10).
Cependant, combien de jeunes insensées qui, éprises de cette folle envie de plaire, ne soccupent pour ainsi dire dautres choses, et qui portent lindécence jusque dans nos églises, jusque dans les cérémonies les plus saintes, comme dans la quête qui se fait pour les pauvres, couvrant leur passion du voile dune charité apparente ! Mais les aumônes les plus abondantes ne compenseront jamais le scandale quelles causent en cette occasion. Dieu rejette avec abomination ces oblations qui sont mendiées et données dune manière aussi criminelle. Enfin, le dirai-je, on porte limmodestie jusquaux pieds des Autels, et ce qui fait horreur jusquà la Table du Seigneur. On laisse apercevoir, on affecte même de faire paraître par des ajustements artificieux ce que la pudeur devrait faire couvrir avec plus de précaution. Les personnes mêmes qui font profession de piété ne sont pas toujours entièrement exemptes de ces misères, tant la vanité est naturelle au sexe. Quelles fassent donc attention que Jésus-Christ seul doit régner dans les curs, et que cest lui faire injure que de vouloir occuper la place quil y doit tenir. Dailleurs quel compte à rendre, puisque nous répondrons devant Dieu de tous les péchés auxquels nous aurons donné occasion, surtout dune manière aussi volontaire ?
Immodestie dans les paroles
3° Que les murs des chrétiens sont changés à cet égard ! Dans la primitive Église les fidèles avaient une si grande horreur de limpureté quils ne prononçaient pas même le nom de ce vice, selon lavis de saint Paul : Nec nomen nominetur inter vos (Ep 5, 3). Aujourdhui on entend partout des chansons et des discours déshonnêtes ; on voit des libertins dont la langue et les livres distillent sans cesse par des paroles obscènes le poison de limpureté dont leur cur est rempli ; ils ne respectent ni âge ni sexe ni caractères, apprenant ainsi à des âmes innocentes le mal quelles devraient éternellement ignorer, scandalisant ces faibles dont il est dit dans lÉvangile : " Si quelquun scandalise un de ces petits, il vaudrait mieux pour lui quon lui attachât une pierre de moulin au col, et quon le jetât au fond de la mer " (Mt 18, 6) ! Quiconque profère une parole ou une chanson immodeste est coupable de toutes les mauvaises pensées quelle peut occasionner. Quand par charité et par devoir un confesseur interroge sur cette matière, on en est scandalisé, on sen plaint : quelle admirable délicatesse de conscience ! Mais entendez ces mêmes personnes dans une compagnie : il ny a pas dobscénités quelles ne vomiront ! Voilà linjustice et la déraison du monde. Dans le tribunal de la pénitence, où tout doit se déclarer sans le moindre déguisement, on affecte une délicatesse qui va jusquà se choquer de tout, et dans les conversations où lon devrait être dune extrême réserve, on se donne une licence qui ne rougit de rien !
Comédie
4° Le théâtre est lécole de limpureté. LÉglise le déteste, elle en excommunie les acteurs, et les lois civiles les déclarent infâmes. Les théologiens décident communément que lon ne peut assister à la comédie sans péché mortel, 1/ par rapport au danger auquel on sexpose, 2/ parce que lon coopère au péché de ceux qui la représentent, et que ce péché est évidemment mortel, 3/ parce quon autorise par son exemple les autres à y aller.
Mauvais livres
5° Un grand désordre de notre siècle, et qui précipite nombre dâmes dans le péché détestable dimpureté et dirréligion, cest la liberté que lon se donne de lire toutes sortes de livres. Les plus obscènes sont ceux quon recherche avec le plus dempressement. Il y a une quantité de bons livres sur toutes sortes de matières : on ne daigne pas les ouvrir. Mais paraît-il un roman infâme ou tout autre livre impie qui attaque la religion, on le dévore avec avidité ; tout le monde veut le lire ; tout le monde se fait gloire de le citer; et toutes les conversations roulent sur lauteur et sur son ouvrage. Que ne laisse-t-on pas de telles infamies dans un éternel oubli ! Mais on en parle, et même avec estime. On en ferait volontiers léloge, si la bienséance le permettait, et si on ne craignait de passer soi-même pour impie. Cette ardeur et cet empressement à lire ces sortes de livres fait bien voir que lon a déjà le cur gâté, et quon est tout disposé à avaler le poison quils renferment. Et la manière avantageuse dont on en parle, et lindifférence avec laquelle on en entend parler, prouvent que la passion a déjà presque tout à fait éteint les lumières de la foi. Car si lon avait encore un peu de religion, comment pourrait-on entendre des blasphèmes si horribles sans en frémir ? Malheur donc à ceux qui composent de tels livres ! Malheur à ceux qui les lisent ou qui les écoutent ! Une personne qui lit dans un mauvais livre, soit contre la religion ou les bonnes murs, se rend coupable de toutes les mauvaises pensées, de tous les désirs, et de tous les sentiments que cette lecture lui causera, à elle et aux autres en présence desquelles elle le lit. Grand Dieu ! Que de péchés ! Peut-être autant que de lignes, outre ceux dont elle sera encore suivie à cause des mauvaises impressions quelle laissera dans lesprit et dans le cur.
Tableaux indécents
6° Les tableaux indécents peuvent aussi donner occasion à des pensées et à des sentiments contraires à la pureté. On en voit cependant plusieurs dans bien des maisons. On doit les rectifier ou les brûler, de même que les mauvais livres, et non pas les vendre ni les donner ni les conserver.
Autres moyens de se préserver ou de se corriger de limpureté :
la fidélité à repousser la tentation dans son commencement, et la mortification
Si lon a quelque tentation, comme des pensées ou des affections contraires à la chasteté, on doit les rejeter dès le premier moment quon sen aperçoit sans sy arrêter un seul instant ; car pour peu quon sy arrête on se met dans un danger évident dy succomber. Dieu ne défend pas seulement de consentir à la tentation, mais il nous ordonne de lui résister positivement, en faisant un acte contraire, ou du moins en pensant à autre chose. Cest déjà se rendre coupable que de se tenir là-dessus dans lindifférence. Cela est également vrai des tentations intérieures et extérieures ! Il nest point defforts quune personne ne doive faire pour repousser les poursuites de quiconque voudrait attenter à sa pudeur. Saint Jérôme rapporte à ce sujet un trait dhistoire bien frappant : un jeune martyr livré à une femme impudique, après quon lui eût lié les pieds et les mains, et quon leût mis par là hors détat de défendre sa pureté contre les insultes de cette infâme, se coupa la langue et la lui cracha au visage. Cet exemple devrait bien confondre la lâcheté de tant de personnes qui excusent leurs fautes par le prétexte dune prétendue violence. Si elles avaient une horreur bien sincère du crime, elles trouveraient des moyens assez pour léviter ; et, fallut-il mourir, elles devraient y être disposées plutôt que de consentir à rien qui pût blesser cette précieuse et délicate vertu de chasteté.
Les mortifications corporelles et spirituelles, comme le travail, le jeûne, les macérations, loraison, lattention sur soi-même et sur tous ses sens, sont aussi dexcellents moyens pour nous garantir de ce vice, puisquil est dit dans lÉvangile quon ne chasse le démon de limpureté que par le jeûne et la prière. Les personnes qui se sont corrigées de cette infâme passion doivent avoir un très grand soin de ne plus sy rengager ; car si elles avaient ce malheur leur second état serait pire que le premier, ainsi que le Sauveur lui-même le déclare (Lc, 11). La rechute est toujours à craindre, mais elle lest surtout dans cette matière.
Prière pour demander la chasteté
Ô Dieu, qui êtes la pureté même, lauteur et le conservateur de toute sainteté, inspirez-moi une si vive horreur de limpureté et un si grand amour pour la chasteté, que je nai jamais le malheur de souiller mon corps par aucune action ni mon âme par aucune pensée impure.
Vierge sainte, Reine des Vierges, obtenez-moi de votre cher Fils cette parfaite pureté, dont vous êtes le plus beau et le plus excellent modèle. Obtenez-la de même à tous les chrétiens et surtout à la jeunesse.
SUR LA MÉDISANCE
La médisance est un vice si commun et si ordinaire quon ne peut presque se trouver dans une compagnie sans quon y entende parler mal du prochain. Il faut être bien attentif sur toutes ses paroles pour nen point proférer dont on nait lieu de se repentir. " Celui qui ne pèche point par la langue est un homme parfait ", dit lécriture (Jc 3, 2). Malgré tant dinstruction quon fait tous les jours en cette matière, il y a une infinité de personnes qui sont encore dans les plus grossières erreurs au sujet de la médisance, les uns simaginant que ce nest point médire que de raconter une chose qui est vraie : " Cest la vérité ", dit-on, " il est permis de dire la vérité ", dautres se persuadant que lon ne fait tort à la réputation du prochain quen disant des choses qui regardent le vol ou limpureté. Dans ces deux articles ils ont une grande attention à ne rien dire du prochain, parce que, disent-ils, ce serait lui ravir son honneur. Mais dans tout le reste ils ne se font aucun scrupule de dire tout ce quils en savent. Ils diront hardiment de celui-ci quil a bu avec excès, quil sest mis en colère, quil sest querellé, quil a dit telles injures et quil a proféré tels jurements, tels blasphèmes, dun autre quil fait gras un jour maigre, quil ne jeûne point le carême, ou seulement quil a rompu le jeûne un jour dobligation, quil a manqué dentendre la Messe un dimanche ou une fête, quil nassiste pas à sa paroisse, quil a joué et perdu considérablement au jeu, et cent mille autres choses qui sont très grièves en elles-mêmes et qui nuisent notablement à la réputation, car quelle idée aurai-je dun homme qui senivre, qui désobéit à lÉglise en transgressant les lois du jeûne et de labstinence ? Il arrive même quelquefois quon détruit la réputation du prochain en voulant faire son éloge, comme si on disait dun officier ou dun soldat quil est brave, quil sest battu en duel, et quil est toujours prêt à mettre lépée à la main, ou dun ecclésiastique quil fait bonne chère, quil traite magnifiquement, quil a des meubles somptueux, ou dun religieux ou dune religieuse quils ont des manières enjouées. Car la chose étant bien considérée prouve que cet officier est dans une très mauvaise disposition, et que lecclésiastique na point lesprit de son état ni le religieux celui de sa vocation. Les théologiens donnent une règle plus juste pour juger de la qualité et de la grièveté de la médisance : savoir, que toutes les fois que lon raconte un péché mortel, de quelque espèce quil puisse être, si la chose est cachée et quon la manifeste à ceux à qui il nest pas nécessaire de la découvrir, la médisance est mortelle.
Il y en a dautres qui pensent être disculpés de la médisance pourvu quils ne parlent quà des personnes sages et discrètes. Cest tout le contraire. On aime mieux être diffamé dans lesprit dun homme de rien que de perdre lestime dun homme de bien. Dautres croient quil est permis de souvrir à un ami à qui ils recommanderont le secret : autre abus ! Il suffit pour se rendre coupable de péché mortel de déclarer le mal à une seule personne. Il est vrai que si on le disait à plusieurs la médisance serait plus griève. On doit spécifier en saccusant dans le tribunal le nombre des personnes qui lont entendue, à qui elle est parvenue, ce que lon a dit, par quel motif, et quelles ont été les suites de la médisance, si elle a occasionné des haines, des disputes, des dissensions ou du tort au prochain.
On se rend coupable de la médisance en huit manières :
1° en imputant à quelquun une faute quil na point commise ou un défaut quil na pas : et cest proprement la calomnie, qui est plus ou moins grande selon la qualité de la chose que lon impute ;
2° en exagérant une faute ou un défaut du prochain, car dun rien on en fait souvent un crime atroce par la manière dont on lexpose ;
3° quand on fait connaître ce qui doit être caché à ceux qui nont pas droit de le savoir, car si la chose était publique ou connue de toutes les personnes devant qui on en a parlé, ce nest point médisance parce que la réputation était déjà flétrie ; ou si on ne la dit quau supérieurs pour remédier au mal et corriger le coupable, non seulement ce nest point péché, mais cest un devoir et une charité, pourvu cependant quon ne le dise quà ceux à qui il est nécessaire, car on pécherait si on faisait savoir à deux personnes ce quil suffit dapprendre à une ;
4° quand on interprète en mauvaise part les actions bonnes ou indifférentes du prochain ;
5° quand on nie le bien quil a fait, ou quon ne veut pas convenir des bonnes qualités quil a, ou quon tâche de les diminuer ;
6° quand on garde le silence dans des circonstances où on peut linterpréter au désavantage du prochain ;
7° quand on se sert en parlant de certaines expressions qui donnent lieu de soupçonner plus de mal quon en dit ;
8° quand on écoute la médisance sans lempêcher quand on le peut, et à plus forte raison quand on y applaudit et quon excite à médire, ou que par une curiosité ou des demandes indiscrètes on y donne occasion.
Il est aisé de conclure après cela combien il est facile de tomber dans la médisance, mais il nest pas si aisé de la réparer. Si on dit faux, on doit se rétracter clairement ; si on a dit vrai on doit tâcher dôter les mauvaises impressions que lon a données de son prochain par le bien quon peut en dire. Cette obligation est indispensable. Cependant il y en a peu qui sen acquittent. On entend bien des médisances, on ne voit guère de réparations.
Seigneur, mettez un frein à ma langue, et bouchez mes oreilles dépines, afin que je ne me rende désormais coupable de la médisance, ni en la proférant, ni en lécoutant.
SUR LINTEMPÉRANCE
Lintempérance est encore un vice qui est bien commun dans notre siècle et qui est la cause de la perte de bien des âmes. Elle consiste dans lexcès du boire et du manger. Lintempérance qui se commet dans le boire est plus ordinairement mortelle que celle qui se commet dans le manger. Livrognerie est un péché bien plus considérable que bien des gens ne se limaginent. Cest toujours un péché mortel, quand même il nen arriverait point de scandale. Pour se rendre coupable de ce péché il ne faut pas aller jusquà perdre la raison ; il suffit de boire une quantité notable de vin au-delà du nécessaire, puisquil est dit dans lécriture : " Malheur à vous qui avez assez de force pour boire beaucoup ! " (Is 5, 22). Il est aussi très à remarquer que ceux qui excitent les autres à boire, ou qui donnent ou qui vendent du vin à ceux qui ont trop bu ou qui sont en danger de trop boire, se rendent coupables de leurs péchés, puisquils y coopèrent. Plût à Dieu que les personnes qui débitent du vin ou qui en font débiter comprissent bien cette maxime ! On ne verrait plus tant de ces honteux excès qui font horreur à la ville et à la campagne. Mais lappas du gain, la crainte, le respect humain, lintérêt lemportent souvent sur le devoir et la religion.
Livrognerie est une passion très difficile à déraciner, car, loin de diminuer, elle augmente avec lâge, et on voit très peu divrognes qui se corrigent et qui se convertissent sincèrement. Il faudrait pour cela quils prissent bien des mesures auxquelles ils ne veulent point sastreindre. Il faudrait quils évitassent les compagnies qui leur sont une occasion de tomber dans la crapule. Il faudrait quils renonçassent au vin, ou du moins quils se réduisissent à nen prendre quune modique quantité mêlée avec de leau. Et comme tout cela leur paraît trop difficile, ils persistent dans cette malheureuse passion jusquau lit de la mort. Cest ce qui devrait faire prendre aux jeunes gens une ferme résolution de nen contracter jamais lhabitude.
On pèche par lintempérance dans le manger,
1° par lexcès, quand on prend plus de nourriture quil nen faut pour se soutenir et pour se mettre en état de remplir ses devoirs,
2° par laffection, quand on recherche dans la nourriture le goût et le plaisir qui flatte les sens, plutôt que la sustentation de la nature ; et cest ce quon appelle sensualité.
Pour éviter ces deux défauts, dans lesquels il est très ordinaire de tomber, et contre lesquels nous ne pouvons être assez en garde, voici les règles de tempérance que nous devons suivre avec exactitude :
1° de nuser des aliments quavec modération et sans excès, nous contentant du nécessaire et évitant tout superflu ;
2° de nen user que par nécessité et par besoin, sans y mettre notre affection, sans délicatesse, préférant les mets qui sont les plus utiles à la santé à ceux qui flattent plus notre goût ;
3° ne point manger hors des repas sans nécessité, et ny penser pas même hors le temps convenable ;
4° nous mortifier, soit en nous privant de ce que nous aimerions le plus, soit en mangeant avec plus de retenue et de modération ;
5° faire part aux pauvres des dons que la Providence nous distribue, retranchant pour cela de cette somptuosité, de cette profusion qui règne dans les tables et dans les maisons ; car jamais le luxe et la délicatesse nont été portés à un si haut point quils le sont aujourdhui. Chacun se pique de surpasser les autres en magnificence et en raffinement, et après cela on se plaint encore que les temps sont mauvais, et que lon ne peut point faire la charité comme on voudrait. Quon retranche ces repas somptueux, ces vêtements superbes et ces meubles précieux, et lon trouvera abondamment de quoi soulager les pauvres.
Mon Dieu, mettez fin à toutes les débauches et à toutes les intempérances qui se commettent dans toute la terre. Accordez-nous à tous la vertu de la sobriété. Faites, Seigneur, que nous gardions dans nos repas une exacte tempérance, ne buvant et ne mangeant que pour réparer nos forces afin dêtre en état de vous mieux servir, selon ces paroles de lApôtre : " Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire de Dieu " (1 Co 10, 31).
Partie III
Instructions pratiques