Causerie VII

 

ZÈLE SURNATUREL

 

Un bon prêtre doit mener une vie toute surnaturelle en réprimant les passions, en s’élevant au-dessus de la nature, et en suivant les mouvements de la grâce. Il doit conduire les âmes à cette vie chrétienne divine et surnaturelle. C’est là son devoir. Et il ne mènera pas les autres au surnaturel s’il ne s’applique continuellement à se vaincre lui-même, à réprimer sans cesse les mouvements de la nature pour suivre ceux de la grâce. S’il ne les distingue pas dans lui-même, comment les distinguera-t-il dans les autres ? Il prendra pour un sentiment divin ce qui n’est qu’un sentiment humain. Il regardera comme une vertu chrétienne ce qui n’est que l’effet du caractère et du tempérament. Il estimera comme excellents chrétiens des gens qui n’ont rien du vrai chrétien, ou dont le caractère sympathisera avec le sien.

Si le directeur s’aime lui-même charnellement, humainement, il n’aura pour ses paroissiens et ses pénitents qu’un amour et qu’un zèle charnel ; il leur donnera des conseils selon la chair et le sang, comme saint Pierre en donnait à Notre Seigneur en le détournant de la passion, lorsque ce divin Sauveur lui dit : Vade post me, Satana, non sapis quæ Dei sunt sed quæ hominum (Mt 16, 23).

Pour mener cette vie surnaturelle et y conduire les autres, il faut qu’un prêtre soit toujours en garde contre les mouvements et les inclinations de la nature, qu’il les réprime sans cesse dans lui-même et dans les autres. S’il suit les penchants de la nature, même ceux qui paraissent honnêtes aux yeux des gens du monde, il ira bien vite d’une vie naturelle à une vie sensuelle, et d’une vie sensuelle à une vie criminelle ; ou, demeurant dans une vie molle, il tombera dans la tiédeur, et bientôt Dieu le vomira de sa bouche, il perdra la charité, il sera mort aux yeux de Dieu quoiqu’il paraisse vivant aux yeux des hommes, et qu’il se justifie lui-même à ses propres yeux. Nomen habes quod vivas et mortuus es (Ap 3, 1). Il n’a plus l’amour souverain ; il a peu de l’amour de préférence; il préfère ses aises et ses commodités, son repos, sa sensualité, à Dieu. Que de prêtres sont dans cette disposition, quoiqu’ils paraissent mener une vie assez honnête et qu’ils ne tombent pas dans des crimes grossiers et infamant.

 

Comment on passe d’une vie fervente à une vie naturelle,

ensuite à une vie sensuelle, puis enfin à une vie criminelle :

Quand on laisse une passion secrète s’emparer de notre cœur, comme l’avarice de Judas, la haine de Saül, l’impureté de Salomon, l’ambition d’Absalom, la jalousie des pharisiens contre des confrères, l’insubordination et la révolte de Corée, Dattran, et Abiron contre les supérieurs, comme les murmures de la sœur de Moïse contre son frère. Mon Dieu, que les ecclésiastiques doivent veiller sur leur cœur pour ne pas le laisser corrompre par quelques passions cachées ! Car une seule passion ménagée suffit pour nous perdre et anéantir tout le bien que nous faisons. Un prêtre ordonné avec moi, qui avait mené une vie édifiante, s’est laissé dominer par une avarice cachée, et il est devenu un jureur [Ce mot désigne ici un prêtre qui a prêté le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé.] et schismatique. Qui peccat in uno factus est omnium reus. Bonum est [ex] omni parte, defectu ex uno (Jc 2, 10). Et non seulement une passion criminelle suffit pour nous perdre et rendre toutes nos bonnes œuvres inutiles pour le salut, mais une affection humaine et naturelle qui va à un excès considérable, qui domine et l’emporte sur l’amour souverain qu’on doit à Dieu, cette affection, cette attache excessive, étouffe la charité et fait perdre la grâce dès qu’elle surpasse le désir et l’affection qu’on doit avoir pour Dieu et pour son salut. Dès qu’on donne la préférence à la créature, on exclut de son cœur l’amour du Créateur.

 

Droiture d’intention et pureté de zèle

Dimisi eos secundum desideria cordis eorum (Ps 80, 13). Si un prêtre cherche à se faire un nom, une réputation de grand prédicateur, Dieu pour le punir permettra qu’on vienne à ses sermons, qu’on y applaudisse, qu’on l’infatue par des compliments flatteurs, mais voilà tout! Auditores prurientes auribus ! (2 Tm 4, 3). Si un confesseur aime à perdre son temps avec les personnes du sexe pour satisfaire une sensualité secrète qui comme un poison secret corrompt son cœur et amollit sa vertu, Dieu permettra que le démon lui amène des filles et des femmes qui iront sous prétexte de direction le visiter sans cesse et prolonger de longues conversations avec lui, soit au confessionnal soit ailleurs.

S’il veut la réputation de grand directeur, Dieu pour le punir permettra qu’un nombre de fausses dévotes viennent assiéger son confessionnal et lui fassent perdre un temps précieux qu’il devrait employer à la prière, à la méditation, à l’étude de l’Écriture et de la théologie, à travailler à se sanctifier lui-même, selon ces paroles de l’Imitation : Magna stultitia est cœteros curare, seipso neglecto. On voit des gens qui se livrent tout à un zèle extérieur sans voir leurs erreurs, leurs fautes; ils s’applaudissent de la multitude de leurs auditeurs, de leurs pénitents, mais Dieu sait ce qu’il en est souvent: in vanum laboraverunt (Ps 126, 1).

Mais si un prêtre est détaché de toute passion, s’il a une intention droite et un désir pur de procurer la gloire de Dieu, il priera sans cesse que Dieu lui envoie ceux qu’il lui destine pour sa gloire et le bien de leur âme, et qu’il détourne ceux qui ne viendraient que pour le tromper, que pour le corrompre, que pour le flatter, que pour lui faire perdre son temps ; et Dieu aura égard à la droiture de son intention et à la sincérité de son désir, et il exaucera sa prière. Il lui fera voir ses égarements pour les réparer et les éviter ; et il le préservera de bien des pièges que le démon et la malice des hommes et la mollesse et l’hypocrisie des femmes et des filles pourraient lui tendre.

Si un prêtre avait un zèle pur, au lieu de faire des sermons de parade pour s’attirer les fades compliments des mondains, qui louent ce qui est blâmable aux yeux de Dieu, il ferait de bons catéchismes et de solides constructions sur les mystères et sur le symbole, sur les vertus théologales. Au lieu de perdre son temps et de satisfaire l’inclination de la nature dans de longues conversations avec les personnes du sexe au confessionnal et ailleurs, il chercherait les pécheurs, il attirerait les hommes et les garçons, il rassemblerait les vieilles femmes, les pauvres, et les vieillards. Il les instruirait et leur ferait faire des confessions générales pour les préparer à la mort, au lieu de se répandre dans le monde en faisant des visites à des dames, à des dévotes, à des gens du monde. Il irait visiter les malades, les infirmes, les ouvriers, les enfants qui gardent les bestiaux dans les campagnes, pour les instruire, opportune, importune (2 Tm 4, 2).

Mais comme la nature ne trouve pas son compte à tout cela, elle trouve des prétextes pour se dispenser de faire ces bonnes œuvres ; et quand elle y est forcée, elle les abrège pour se livrer à celles qui lui plaisent et qui sont conformes à son goût, à son inclination, à ses passions.

 

Ordre

Une des peines les plus sensibles que j’ai eues dans les différents endroits où je suis allé dans ma vie, ça a été de voir le défaut d’ordre et les maux qui en résultent. Et un surcroît d’affliction était de voir que ceux qui devraient remédier à ces désordres ne s’en apercevaient pour ainsi dire pas, ou y étaient indifférents. Car toutes les fois que le démon opère des mystères d’iniquité, il a le secret d’aveugler ceux qui devraient les découvrir et y apporter remède.

J’ai vu des filles et des femmes assiéger un confessionnal, ou s’appuyer sur le confesseur, entendre la confession des autres, en parler et en faire des risées. J’ai entendu des confesseurs parler fort haut, faire apercevoir - par leur ton, leur air, leurs gestes - leur mécontentement. Ici, c’est une foule de monde, garçons, filles, hommes et femmes, qui sont les uns sur les autres, qui causent, qui rient, qui se pressent indécemment en attendant le moment d’approcher du Tribunal. Là, c’est une fille sortant de la Sainte Table, qui se jette parée sur un garçon qui va pour approcher de son Sauveur: pourquoi ne pas mettre de l’ordre ? Pourquoi ne pas faire approcher les hommes et les garçons d’abord, ensuite les femmes et les filles ? Le démon et la passion se mêlent partout. Ceux qui ont de l’expérience ne le savent que trop : si le pasteur n’y prend garde, les filles se placeront à portée de voir les garçons, et, au lieu de fixer les yeux sur l’autel et le crucifix, elles les jetteront sans cesse sur leurs amants : voilà des messes bien entendues et des prières bien dévotes ! On ne se confesse pas de cela, on va communier là-dessus : les filles, si le pasteur n’y met ordre, auront grand empressement pour entrer et sortir dans la presse, afin d’être foulées et pressées par les garçons et les hommes. Que de péchés ne résultent pas de tous ces désordres ! Et pourquoi ne pas y obvier ? Saint Paul mettait de l’ordre partout : cœtera cum venero disponam (1 Co 11, 34). Il louait les fidèles de l’ordre qui régnait parmi eux, videns ordinem (Col 2, 5). Il faut donc qu’à son exemple les pasteurs mettent l’ordre partout. Saint Chrysostome dit que les hommes étaient séparés des femmes à l’église. Il faut donc les séparer et placer les filles devant leurs mères, de sorte qu’elles ne puissent voir les garçons; séparer de même les deux sexes quand on se présente pour venir à confesse ; donner un temps pour les hommes et les garçons, e. g., le dimanche matin, ou du moins un côté libre pour le sexe masculin ; éloigner beaucoup les pénitents du confessionnal ; ne pas tenir les personnes du sexe longtemps au confessionnal ; empêcher les filles de sortir avec les garçons ; tâcher aussi autant qu’il est possible d’engager les maîtres et les parents de ne pas laisser aller les filles travailler avec les garçons, surtout seul à seul. Un maître chrétien peut et doit y faire attention. Il doit préférer le salut de ses domestiques et de ses enfants à ses intérêts temporels. S’il méprise ces devoirs de la prudence chrétienne, c’est marque qu’il n’a pas la charité, qu’il est indigne du nom de chrétien.

Un pasteur doit s’informer aussi si les mères mettent les frères et sœurs coucher dans le même lit, ce que je regarde comme un péché mortel. Je le sais par expérience : que de crimes sont commis à cette occasion ! Que la négligence des pères et mères est criminelle et leurs excuses frivoles ! Bien des gens seront damnés faute de suivre les règles de la prudence chrétienne. Que de crimes se commettent encore dans les veillées de l’hiver, où les garçons vont trouver les filles ! Que d’abominations dans ces courses, ces rendez-vous, ces tête à tête entre les personnes de différents sexes !

 

Zèle patient qui se fait à tout : Omnibus omnia factus sum (1 Co 9, 22)

Les jeunes prêtres se forment de belles idées, de beaux projets ; ils arrangent les choses dans leur imagination, se persuadant que tout doit se faire comme ils pensent. Mais quand ils ont un peu d’expérience, ils voient tout le contraire et ils éprouvent la vérité de ces paroles de l’Imitation : Semper erit aliquis defectus et qui adversetur (III, ch. 27, 10). Il faut donc ne pas vouloir accommoder les choses selon nos idées et selon notre volonté, mais nous accommoder nous-mêmes aux choses, aux dispositions de la Providence, aux temps, aux lieux, aux circonstances, selon ce beau passage de l’Imitation : Prout eveniunt, sic illis se accommodat (II, ch. 1, 37). C’est là ma grande maxime, et je m’en trouve admirablement bien. Les jeunes prêtres se promettent des succès brillants, et ils ne trouvent que des contradictions ; ils promettent beaucoup de fruits, et ils ne recueillent que des épines ; ils espéraient devoir être applaudis, et ils se voient méprisés; ils se proposaient de parler à un bel et nombreux auditoire, et il ne se trouve à leurs sermons que quelques pauvres paysans : quel dommage ! Ils avaient préparé un discours académique, croyant que tels ou tels messieurs, telles dames et demoiselles, telles et telles pénitentes, s’y trouveraient pour les admirer et les féliciter. Ils avaient préparé une belle exhortation pour telle et telle personne, et la personne ne vient pas, ou, si elle vient, le temps et les circonstances demandent tout autre chose que ce qu’ils avaient imaginé. Ils sont occupés à un sermon; et on vient les interrompre pour une bagatelle. Ils ont une foule de monde à confesser; et on vient les appeler pour un malade. Ils viennent à peine de se coucher ; et on vient les faire lever pour aller administrer un moribond par la pluie, la neige, la boue, les vents, et les froids les plus rigoureux. Ils sont à dîner ou prêts à se mettre à table ; et à l’instant voilà un accident subit qui les arrache à la sensualité. Ils aiment le repos ; et voilà des étrangers qui viennent les troubler. Ils ne prennent que leur dû ; et on leur suscite un procès ou de mauvaises querelles : on leur impute des intentions, des vues, et des fautes auxquelles ils n’ont jamais pensé. Ils entreprennent une bonne œuvre ; et sur le champ on s’y oppose et on les contredit. L’ennemi détruit et renverse ce qu’ils veulent édifier. Ils tâchent de réformer des abus criants ; et on fait l’impossible pour les faire subsister: on les accuse comme des novateurs, des imprudents, des indiscrets, des perturbateurs. Semper erit qui adversetur (III ch. 27, 10). Dans le temps qu’ils se promettaient des succès favorables, ils ont la douleur de voir leurs entreprises et tous leurs beaux projets renversés. Que faire dans ces circonstances fâcheuses, et dans mille autres qu’on ne peut prévoir ni exprimer ? Pratiquer cette maxime : Sicut res eveniunt, sic se illis accommodat (II, ch. 1, 37), se taire, s’humilier, adorer les desseins de Dieu, dont la Providence règle tout, faire des sacrifices, s’imputer à soi-même la cause de tous les maux, souffrir patiemment, remettre tout entre les mains de la Providence, bien convaincu de cette parole : Sine Dei providentia et sine causa nihil fit in terra (III, ch. 50, 15). Ainsi un bon prêtre, loin de se déconcerter, de s’aigrir, de s’irriter, de murmurer dans toutes ces contradictions, les envisagera comme des traits de Providence sur lui, comme des grâces et des faveurs du ciel, des occasions précieuses de pratiquer les vertus les plus éminentes, l’humilité, la patience, la charité, la douceur, l’amour de ses ennemis. Car Dieu permet qu’il y ait dans chaque paroisse des méchants pour exercer la patience, la charité, le zèle et la vertu des pasteurs. Et s’ils souffrent ainsi bien des persécutions, des reproches, des censures, des humiliations de la part des pécheurs, et même quelquefois de la part des bons, et qu’ils offrent tout cela à Dieu pour la conversion et la sanctification de ceux qui les suscitent, c’est le moyen d’attirer sur eux des grâces efficaces, des grâces triomphantes. Voilà comme les âmes se sanctifient, par la croix ! Voilà comme les pasteurs ramènent les brebis égarées, par les souffrances ! Comme Jésus-Christ nous a engendrés sur la Croix, les prêtres n’engendreront de même les âmes que par la croix. Un prêtre qui sait porter toutes sortes de contretemps avec paix et résignation est préférable à celui qui travaille avec applaudissement et succès. Plus placet mihi humilitas et patientia in adversis quam magna devotio in prosperis [III, ch. 57, 1]. Mais malheur ! Malheur à ceux qui sont applaudis, loués, caressés ! Ils ne sont pas dans la voie de Dieu. Ils ne sont pas conformes à Jésus-Christ. Ils se laisseront aveugler et infatuer. Le bien qu’ils font n’est qu’un bien apparent qui ne durera pas ; l’Écriture le compare au fruit précoce que le premier passant cueille et dévore.

J’ai vu un jeune vicaire qui sortait d’une paroisse. Toutes les jeunes filles se lamentaient sur son départ. Sans doute que ces démonstrations d’estime flattaient beaucoup son amour propre et lui persuadaient qu’il était bien estimé et aimé, et qu’il avait mérité ces regrets. Aveugle et insensé qu’il était ! S’il eût eu un peu de bon sens, il en eut rougi, car les personnes sensées croyaient bien et disaient hautement que ce n’étaient que des filles passionnées pour sa jeunesse et ses manières mondaines qui pleuraient son départ. C’était le plus grand nombre il est vrai, mais c’est le plus grand nombre qui marche dans la voie de la perdition ! Pauci electi (Mt 20, 16). Depuis le péché originel Dieu a semé partout des ronces et des épines. Cunctæ res difficiles (Qo 1, 8). Quand nous sentons de la répugnance et des difficultés pour une bonne œuvre, c’est bon signe ; il faut la faire. Mais quand la nature s’y sent portée d’inclination, il faut s’en défier. Et quand la bonne œuvre est pénible, difficile, humiliante, elle est d’autant plus méritoire. Mais quand elle ne coûte rien à la nature et qu’on y trouve sa satisfaction, c’est un indice qu’elle n’est pas surnaturelle, et qu’elle ne produira pas des effets réels et solides.

Voici des raisons qui, étant bien méditées, porteront un bon prêtre à conformer son zèle aux dispositions de la divine Providence, non seulement en général mais jusque dans le plus petit détail de toutes les contrariétés qui lui surviendront, tant de la part des hommes que de la part de mille événements opposés à ses volontés et à ses desseins :

1° Pour devenir semblable à Jésus-Christ, qui a été contrarié en tant dans sa doctrine, dans ses miracles, dans son corps, dans son âme, dans son Église, dans sa grâce, dans ses sacrements. Recogitate eum qui talem sustinuit peccatoribus adversus semeptisum contradictionem (He 12, 3).

2° Pour exercer la patience, l’humilité, la charité, le renoncement à sa volonté, et toutes les vertus. Exerceatur servus tuus in vita tua (Ps 118, 23).

3° C’est que souvent nos vues, quoique bonnes en apparence, ne sont pas conformes à celles de Dieu. Je l’ai vu cent fois en ma vie. J’avais des désirs ardents de faire quelques bonnes œuvres, quelque établissement, quelque pieuse entreprise, et cela ne réussissait pas. Avec le temps il paraissait évident que ces entreprises n’étaient pas selon les desseins de Dieu, que c’eût été un mal si les choses fussent arrivées comme je le souhaitais. C’est alors qu’on voit la vérité de ces belles paroles d’Isaïe : Non enim cogitationes meæ cogitationes vestræ, neque viæ vestraæ viaæ meaæ, dicit Dominus, quia sicut exaltantur coœli a terra, sic exaltatæ sunt viæ meæ a viis vestris et cogitationes meæ a cogitationibus vestris (Is 55, 8-9).

Ainsi il faut, comme dit l’Imitation, modérer ses désirs qui paraissent bons, les soumettre à la volonté de Dieu. Il faut attendre les dispositions de la divine Providence : Expecta ordinationem meam (III, ch. 39, 2). Car tout ce que nous faisons de nous-mêmes, si cela n’est pas conforme aux vues de Dieu, n’est rien et n’aboutit à rien : Peribit totum quod non est ex Deo ortum (III, ch. 32, 3). Qu’il est consolant de ne rien faire, rien entreprendre, de son propre mouvement, et de se laisser conduire, diriger, par la Providence au-dehors et par la grâce au-dedans.

4° Quand bien même nos desseins et nos entreprises seraient bonnes et conformes à la volonté de Dieu, il est bon que nous soyons contrariés dans leur exécution, pour modérer le trop grand empressement de notre zèle, et pour purifier ce qu’il y a d’humain. Les jeunes prêtres ont beaucoup d’amour propre et bien d’autres défauts. Il leur faut bien des humiliations et bien de contradictions pour servir d’antidote contre le poison de l’orgueil et de toutes les autres passions, et les préserver de bien des tentations, des chutes et des pièges du démon. In cruce salus et protectio ab hostibus (II, ch. 12, 7).

D’après toutes ces considérations, il s’ensuit qu’un bon prêtre doit avoir un zèle actif, mais soumis aux ordres de la divine Providence, patient pour attendre le moment de Dieu, content de tout, bénissant Dieu en tout, tirant avantage de tout, pratiquant la vertu en toute occasion. Si les choses réussissent, il en rend gloire à Dieu : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam (Ps 113, 1). Si elles ne réussissent pas, il dit avec Jésus-Christ: Non sicut ego volo, sed sicut tu (Mc 14, 36). S’il est humilié, il dit avec David : Bonum mihi quia humiliasti me (Ps 118, 71).

Quand on est loué et applaudi du bien qu’on fait, on a lieu de craindre que ce ne soit là toute notre récompense. Receperunt mercedem suam ! (Mt 6, 2). Et quand on est critiqué, cette critique sert à nous purifier des fautes que nous avons commises dans la bonne œuvre, et nous fait espérer une récompense dans le ciel. C’est ainsi qu’on tire avantage de tout. Omnia cooperantur in bonum (Rm 8,28).

Pour se faire tout à tous, comme saint Paul, il faut chercher non pas ses intérêts, non pas ses aises, son repos, ses commodités, mais en faire le sacrifice pour se conformer aux besoins, au temps, à la commodité, à la volonté des autres - impendam et superimpendar (2 Co 12, 15) - être prêt à sacrifier sa vie après avoir fait le sacrifice de tout le reste. Les âmes sont d’un grand prix; on ne peut les acheter trop cher.

Enfin, qu’un prêtre qui travaille dans le ministère au salut des âmes se persuade bien que le bien, c’est-à-dire le vrai bien, le bien surnaturel, ne se fait qu’à travers les peines, les humiliations et les contradictions, que les personnes qui nous ont causé plus de chagrin sont souvent celles qui à la fin nous donnent le plus de consolation, et que tout ce qui commence avec facilité, avec emphase, avec une belle apparence, avec les éloges et les applaudissements des hommes, ne porte pas le caractère des ouvrages de Dieu. On disait à saint Paul arrivant à Rome de notre religion: ubique ei contradicitur (Ac 28, 22). Quand on sait se faire tout à tous et tirer avantage de tout, on ne s’indigne point de voir peu de monde à son sermon, à sa messe, à son confessionnal. On s’en humilie, se regardant comme un serviteur inutile. Saint Ignace disait : " N’y eût-il qu’un enfant à mon catéchisme, cela me suffit ". Jésus-Christ a prêché à la Samaritaine et à Nicodème, qui étaient seuls. Quand on ne peut faire beaucoup, on fait peu, étant toujours content; et quand on ne peut faire de grandes choses, on en fait de petites. Quia super pauca fuisti fidelis, super multa, etc... (Mt 25, 21). Et quand on n’a rien à faire dans le ministère, on profite de ce temps de repos pour vaquer plus longtemps à la prière, à l’étude, ou pour faire une retraite, ou on fait une revue de soi-même, de l’état de son âme et de toute sa besogne, pour réformer tout ce qu’il y a de défectueux. Ô mon Dieu, que ces retraites spirituelles sans éclat dans l’obscurité et le silence, sont utiles et nécessaires aux ecclésiastiques !

J’ai vu des prêtres zélés, actifs, toujours occupés à des bonnes œuvres. Mais la nature trouve son compte dans ces œuvres extérieures ; elle s’en nourrit ; elle s’y soutient. Et voilà pourquoi elle les aime et ne craint rien tant que la mort et son néant. Qu’il serait donc utile d’être privé pour un temps de tout ce qui satisfait la nature, même des œuvres extérieures du ministère, pour apprendre à mourir à tout, à se priver de tout, à se détacher de tout, à souffrir un exil de cœur, comme Jésus-Christ au Jardin des Olives. Exilium cordis (II, ch. 9, 2) !

Voilà ce que le Sauveur nous a appris par son exemple. Quand il avait conversé avec les hommes pour les prêcher, pour les guérir et les édifier, il se retirait de la foule pour converser seul avec son Père, passant les nuits en prière. Oportet cum Jesu declinare a turba (I, ch. 20, 10).

Voilà comme faisaient les saints. Mais ceux qui ne sont occupés que des bonnes œuvres extérieures, sans jamais bien rentrer en eux-mêmes dans la retraite et l’oraison, ont bien à craindre cette sentence de l’Imitation : Sæpe aliquid ab intra latet vel etiam ab extra concurrit quod nos etiam pariter trahit : multi occulte se ipsos quaerunt in rebus quas agunt, et nesciunt (I, ch. 14, 5-6). On voit par ces passages de l’Imitation qu’il arrive souvent qu’on se recherche soi-même, son goût, sa satisfaction, un plaisir sensuel, une sympathie, surtout en exerçant le ministère auprès des personnes du sexe. Une preuve de cela, c’est que, dans la concurrence de plusieurs objets, on se porte toujours vers les plus attrayants, et qu’on recherche mille autres objets humains qui se glissent dans notre zèle extérieur. On désire la compagnie des personnes qui nous sont agréables plutôt que de celles qui nous répugnent. Quand les choses ou les personnes nous plaisent, nous prolongeons la besogne, nous restons plus longtemps. Mais dès que la nature ne trouve plus son compte, nous l’abrégeons. Combien d’absolutions mal données à des filles, quia dulcibus verbis et falsa pietate delusi (III, ch. 38, 5). On a encore souvent l’occasion de pratiquer cette maxime de saint Paul, Omnibus omnia (2 Co 9, 22), lorsqu’on se trouve avec des personnes qui pensent différemment de nous. Au lieu de vouloir les réduire à notre façon de penser, il vaut mieux pour le bien de la paix se conformer à la leur et faire ce qu’ils veulent plutôt que ce que nous voulons, à l’exemple du Sauveur, dont l’Apôtre dit : Non sibi placuit (Rm 15,3).

Jamais je ne suis si content ni si tranquille dans l’intérieur, que lorsque c’est la Providence qui désigne ce que je dois faire, et cela par l’organe des supérieurs ou par les circonstances. Mais quand il faut me déterminer par moi-même, je crains toujours de me tromper et de travailler en vain.

 

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