Causerie VI

 

DU BRÉVIAIRE

 

On voit bien des prêtres qui parlent avec une autorité étonnante sur les plus petits objets du monde, et quand il s’agit de prier et de réciter le bréviaire, à peine daignent-ils ouvrir la bouche ; ils ne prononcent les paroles qu’à demi et du bout des lèvres. Maledictus qui facit opus Dei negligenter seu fraudulenter (Jr 48, 10) ! L’écriture nous dit que ce que l’on fait pour Dieu il faut le faire ex toto corde, ex tota anima, ex totis visceribus (Dt 6, 5). Quand on veut prier ou réciter son bréviaire il faut faire ce que Jésus-Christ a dit, se retirer du tumulte des objets capables de nous distraire : Claude ostium tuum super te (Is 26, 20). In cubilibus vestris compungimini (Ps 4, 5). Bien des prêtres regardent le bréviaire comme une chose peu importante à laquelle ils ne donnent qu’une demie attention, car en le récitant ils causent avec leur servante, ils disposent du temporel, écument le pot, etc., ils contemplent les fleurs du jardin, ils écoutent ce qu’on dit et examinent ce qui se passe. Ce n’est pas là éloigner mais rechercher les distractions. C’est surtout à l’Église devant le Saint-Sacrement qu’il convient de dire son bréviaire, et à genoux, par respect.

C’est une excellente pratique de se recueillir avant la prière et de se former nombre de pieuses intentions, à peu près comme celles de la messe, celles de Jésus-Christ, de la sainte Vierge, des saints, et surtout des saints dont on fait la fête. On peut, en unissant son intention à celle de Jésus-Christ en disant, Domine, in unione divinæ [Prière traditionnelle recommandée avant de réciter le bréviaire] intentionis qua ipse in terris laudes Deo persolvisti [Citation de saint Augustin, In Ep. Johannis ad Parthos, livre VII, 8 (PL 35, 2033) : Semel ergo breve præceptum tibi præcipitur, Dilige, et quod vis fac... Radix sit intus dilectionis, non potest de isti radice nisi bonum existere], se proposer d’aimer Dieu par les ardeurs et les embrassements du Cœur de Jésus, le bénir par les louanges et les bénédictions de la bouche de Jésus, le remercier par les sentiments de gratitude et de reconnaissance du Cœur de Jésus, se dévouer à Dieu, et s’offrir par la dévotion du Cœur de Jésus.

Quand on sent peu de ferveur, offrir pour réparer notre tiédeur toute la ferveur du Cœur de Jésus, réunir tous les pieux sentiments que les saints et les âmes ferventes avaient dans leurs prières, et les présenter à Dieu pour suppléer au défaut des nôtres.

Une considération qui soutient beaucoup mon attention dans le bréviaire, c’est d’appliquer tout ou presque tout à Jésus-Christ. Quand il est question du cœur, honorer et offrir à Dieu le Cœur de Jésus. Quand il est parlé de l’âme, du corps, de la bouche, des larmes, des souffrances, de la vie, de la mort, des actions, de la joie, de la douleur, de la tristesse, des pensées, des désirs, appliquer tout cela à l’âme de Jésus, au corps de Jésus, aux pensées, paroles, affections de Jésus, etc., ayant intention de les honorer, bénir, louer, et de les offrir à Dieu pour sa gloire et tous les besoins de l’Église. Je goûte beaucoup cette pratique, et je trouve qu’elle produit bien de pieux sentiments.

Quand on s’aperçoit qu’on a été distrait ou qu’on a dit un psaume trop négligemment, c’est bien fait de le recommencer avec plus d’attention et de ferveur, mais non par scrupule, mais par amour, par charité. M. Jobal, mort en odeur de sainteté, n’avait point de plus douce consolation dans ses embarras, ses travaux, ses fatigues, que celle de dire son bréviaire ; c’était pour lui un saint délassement. Un bon prêtre doit comme Moïse toujours recourir au sanctuaire dans tous ses doutes, ses difficultés, et ses persécutions, et doit avant toutes choses se retirer devant le Saint-Sacrement, aller consulter l’oracle divin qui est Jésus-Christ, et il en sortira, comme dit l’Imitation, éclairé et instruit de Dieu sur bien des choses présentes et futures. Il est bon de remarquer avec saint François de Sales qu’il ne faut donner à chaque chose que l’attention qu’elle mérite, car si on donne trop d’attention à de petites choses on n’en aura pas assez pour les grandes. Pluribus intentus minor est ad singula sensus. Bien des prêtres tombent dans ce défaut, excolantes cuticem (Mt 23,24) ; ils s’épuisent pour ainsi dire pour des minuties, et lorsqu’il s’agit des choses importantes, comme de la célébration de la messe, de l’action de grâces, du bréviaire, du salut d’une âme, etc., ils languissent, ils sont sans force et sans vigueur, parce qu’ils ont épuisé leurs affections à ces choses qui n’en valent pas la peine. Il ne faut pas non plus trop délibérer, trop discuter pour savoir ce qu’on a à faire, ceci ou cela ; dès que les choses sont bonnes ou indifférentes, il faut faire pour le mieux, Et fac quod vis. [Citation de saint Augustin, In Ep. Johannis ad Parthos, livre VII, 8 (PL 35,2033) : Semel ergo breve præceptum tibi præcipitur, Dilige, et quod vis fac... Radix sit intus dilectionis, non potest de isti radice nisi bonum existere]. C’est bien fait alors de prendre le parti qui répugne à la nature.

Une bonne pensée pratique pour les prêtres, c’est de s’entretenir toute la journée avec le saint dont on fait la fête, pensant à ses vertus et à ses exemples, offrant continuellement à Dieu toute sa vie et ses mérites, demandant d’y avoir part, et vers la fin du jour se recommander à lui pour toute l’année, le priant de ne pas nous oublier quoique nous cessions de célébrer sa fête et de penser à lui. On peut encore ajouter au saint du jour les âmes qu’il a édifiées et sauvées par sa doctrine et ses exemples, car " un saint mène avec lui ordinairement bien des élus au ciel ". Ainsi on doit les honorer, les prier, les offrir à Dieu avec le saint qui les a convertis et perfectionnés.

Il faut qu’un bon prêtre soit réglé dans toute sa conduite, qu’il suive un règlement de vie à peu près comme on fait au séminaire, qu’il se lève de bonne heure et à une heure fixe, qu’il fasse sa méditation, sa lecture de l’Écriture, qu’il étudie sa théologie, qu’il fasse sa préparation et son action de grâces pour la messe, qu’il doit dire à la même heure, afin que le peuple s’y attende et se dispose à y assister ; il doit faire les après-midis une visite au Saint-Sacrement, avoir chaque semaine un jour de retraite, par exemple le vendredi, pour se recueillir tout à fait et s’absorber en Dieu, expier les fautes de la semaine, et se ranimer à une nouvelle ferveur, puiser aux pieds du crucifix de nouvelles lumières ; se confesser toutes les semaines si cela se peut, visiter les malades, rassembler les pauvres, les ignorants, les vieillards pour les instruire en particulier d’une manière proportionnée à leur capacité. Il faut qu’il dise son bréviaire à peu près au temps qui répond à chaque heure. Les prêtres qui ne font le bien que par caprice ou sans goût, sans ordre, et sans règle ne persévèrent pas.

Il faut qu’il soit un homme d’oraison et de prière. Quand il sort et qu’il voit les créatures, il convient de dire le psaume, Benedicite omnia opera Domini Domino (Da 3, 57), s’élever vers le Créateur par l’aspect des créatures. En voyant ou rencontrant quelqu’un, il doit selon les circonstances lui dire un mot d’édification ou prêcher du moins par son exemple, son maintien grave, modeste, recueilli, et composé.

Ses meubles doivent être simples, pauvres, ses repas frugaux ; il doit souvent jeûner, coucher sur la paille, et être ainsi la bonne odeur de Jésus-Christ, épargner et ménager pour faire des bonnes œuvres, enseigner les enfants, leur inspirer de bonnes mœurs pour les élever à la prêtrise. Sancti estote quia ego sanctus sum (1 P 1,16) ; in omni conversatione sancti sitis (1 P 1, 15).

Pour qu’un saint prêtre conserve habituellement l’esprit de prière, il doit vivre dans un saint recueillement et une union continuelle avec Dieu, portant son âme entre ses mains, Animam meam in manibus porto (Jb 13, 14), sans se livrer à la dissipation ni au plaisir ni à des mouvements excessifs de joie, de tristesse, d’inquiétude, de curiosité, ni au maniement du temporel, ni en parlant ni en pensant ni en travaillant ni en riant ni en s’affectant trop des choses humaines et naturelles. Mort à tout, il ne doit vivre que pour Dieu. Nemo sibi vivit, nemo sibi moritur ; sive vivimus sive morimur Domino sumus (Rm 14, 7). Sicut peregrinus super terram (II, ch. 1, 18). Sta sine electione et proprietate (III, ch. 37, 1), indifférent pour tout ce qui ne mène pas à Dieu et à sa fin : Dimitte vana vanis. Tu autem intende ad ea quæ præcepit tibi Dominus (I, ch. 20, 43).

C’est aussi dans l’oraison qu’un prêtre puise des lumières pour connaître ses défauts, ses erreurs, car, plein de défiance de lui-même et de toutes ses œuvres - Verebar omnia opera mea (Jb 9, 28) -, il doit de temps en temps en faire la revue pour examiner et corriger tout ce qu’il a de défectueux. Et s’il fait cette revue sincèrement il trouvera toujours à réformer ; mais les prêtres présomptueux et téméraires ne voient rien à corriger : Stultus transilit et confidit (Pr 14, 16).

M. Gleyo, qui était un saint et très exact dans l’exercice de son ministère, versait, les nuits, des torrents de larmes sur les fautes qu’il avait faites dans le ministère, et demandait à Dieu qu’il les réparât. Oui, c’est là une grâce qu’il faut demander sans cesse à Dieu, qu’il répare toutes nos fautes et qu’il supplée à tous nos défauts. Delicta suis intelligit ? Ab ocultis meis munda me et ab alienis parce servum tuum (Ps 18, 13). C’est encore une de mes intentions en disant la sainte messe.

 

Ce que doit faire un prêtre pour avoir et conserver l’esprit de prière et d’oraison

Il doit beaucoup estimer ce don et le demander sans cesse à Dieu. C’est une grâce que j’ai toujours demandée, dès ma jeunesse. Il doit se simplifier toujours de plus en plus. Mais on n’entend pas ce que veut dire cette expression, se simplifier. C’est se défaire, se débarrasser des pensées inutiles, des paroles inutiles, des visites inutiles, des occupations inutiles, des repas inutiles, des meubles inutiles, des animaux inutiles, de tout ce qui peut nous distraire de la prière et nous causer des distractions dans la prière. Pluribus intentus minor est ad singula sensus [Principe de logique aristotélicienne, que l’on peut formuler ainsi : l’extension et la compréhension d’un terme sont inversement proportionnelles].Les personnes qui se livrent à l’extérieur ont mille idées en tête qui s’impriment dans l’imagination , et mille affections dans le cœur qui les occupent, qui les divisent, qui se réveillent à chaque instant dans la prière. Toutes ces vanités, ces misères, absorbent l’attention de l’esprit et les sentiments du cœur, de manière que le cœur est partagé, divisé entre Dieu et le monde, entre la chair et l’esprit, entre la nature et la grâce. Ainsi on ne prie que du bout des lèvres : Labiis me honorant, cor autem eorum longe est a me ! (Mt 15, 8). On ne prie pas comme on devrait, ex toto corde, ex tota mente, ex totis viribus (Lc 10, 27).

Je connais des prêtres qui se simplifient et se débarrassent au point de n’avoir pas une montre, ni de fleurs, ni d’ornements dans leur maison. Pourquoi ? afin d’être libres d’esprit et de cœur, pouvant dire avec saint Paul, Psallam spiritu, psallam et mente (1 Co 14, 15). Et ces prêtres-là sont toujours en prières, parce qu’ils ont toujours l’esprit et le cœur débarrassés de tout ce qui peut les détourner de Dieu. C’est ce que l’Église demande dans plusieurs de ses oraisons : ut terrenis effectibus mitigatis facilius cœlestia capiamus... ; ut mentes nostras ad cœlestia desideria erigas... ; ut mente in cœlestibus habitemus... - Relinque curiosa... Si substraxeris a curiosis, a superfluis locutionibus, et otiosis circuitionibus, et rumoribus audiendis, invenies tempus sufficiens et aptum pro bonis meditationibus insistendis [I, ch. 20, 3-4].

Mais on a cependant des occupations nécessaires ! Oui ; et ces occupations nécessaires et utiles à la gloire de Dieu et au bien du prochain, il faut les remplir; mais alors c’est la charité qui les anime et les rapporte à leur fin, qui præest in sollicitudinibus (Rm 12, 8). Il faut aussi prendre soin du temporel, mettre ordre à tout ménage pour faire des bonnes œuvres, ne rien laisser perdre : Colligite fragmenta ne pereant (Jn 6, 12). Mais comment faut-il vaquer à ces soins ? L’Imitation nous l’apprend : per omnes curas quasi sine cura transire; non more torpentis sed proerogativa quadam liberæ mentis [III, ch. 26, 1]. Il faut des soins, de l’activité, mais point d’inquiétude, point d’attache. Sta sine electione et proprietate (III, ch. 37, 2). Si nihil aliud quam Dei beneplacitum et proximi utilitatem intendis, et quavis interna libertate perfrueris ; si rectum esset cor tuum, jam omnis creatura speculum vitæ et liber sanctæ doctrinæ esset (II, ch. 4, 5-6). Si esses intus bonus et purus, tunc omnia sine impedimento videres et bene caperes (II, ch. 4, 8). Il faut ne donner au maniement des choses temporelles que l’attention qu’elles méritent, les envisager de l’œil gauche, et les spirituelles de l’œil droit. Saint Paul ne voulait pas que les sages et les spirituels jugeassent des affaires temporelles, mais les plus abjects, contemptibiles (1 Co 6, 4), témoignant par là le peu de cas qu’il faut faire du temporel, réservant sa principale attention et ses plus grandes affections pour les choses spirituelles.

J’ai lu dans M. de Fénelon qu’il fallait mettre à profit les intervalles qui sont entre nos occupations, comme lorsqu’on attend une personne, ou autre chose, au lieu de s’ennuyer, de murmurer, il faut prier. Et plus on prie, plus on veut prier ; et moins on prie, moins on veut prier. Qui igitur intendit ad interiora et spiritualia pervenire, oportet eum cum Jesu a turba declinare (I, ch. 20, 10). Aimer la retraite, le silence : sicut peregrinus super terram ! (II, ch. 1, 18). Pour ne pas perdre le temps et prier sans cesse, je trouve que c’est une bonne pratique, quand on salue quelqu’un, de saluer son bon ange et de demander pour lui toutes les grâces du salut.

 

Étudier les explications des Psaumes

Pour exciter notre attention et notre dévotion il faut étudier le sens des Psaumes, non pas selon des auteurs qui veulent tout expliquer selon leurs idées, rapportant tout à un objet, à la captivité de Babylone, etc., mais selon les saints Pères, car le Saint-Esprit, comme dit un Père, passe souvent et rapidement d’un mystère à un autre, d’un temps à un autre. Il faut avoir une grande dévotion envers le saint roi David, et le prier de demander pour nous cet esprit de prière et ce saint désir de louer et bénir Dieu qui l’animait. Egregius psaltes (2 R 23, 1). Quand nous n’aurions d’autre preuve pour démontrer la révélation des psaumes, elle suffirait. Car comment est-il possible qu’un homme sans étude - quoniam litteras non cogitavi (Is 29, 12) - un berger, un roi toujours accablé de tribulations, fuyant dans les déserts au milieu des alarmes et des périls, ait pu, sans une lumière surnaturelle, parler si diligemment des mystères les plus profonds de la Trinité, de l’Incarnation, de la Rédemption, des perfections divines ? Lisez le psaume, Dixit Dominus Domino meo (Ps 109, 1), vous verrez la génération divine. Vous trouverez la science et l’immensité de Dieu dans le psaume, Domine, probasti me (Ps 131, 1), la divine Providence: Dominus tetigit me (Jb 19, 21) ; Verbo Dei cœli firmati sunt et spiritus oris ejus omnis virtus eorum (Ps 32, 6) ; la grâce prévenante: Misericordia ejus praeveniet me (Ps 58, 11) ; la prédestination : Beatus quem elegisti et assumpsisti, habitabit in tabernaculis tuis, gratiam et gloriam dabit Dominus (Ps 64, 5). De la justification et de la manière dont elle se fait par le pardon des péchés et le recouvrement de la grâce, l’infusion de l’Esprit, dans le Miserere (Ps 50) ; la nécessité de la grâce pour commencer: Deus in adjutorium meum intende (Ps 69, 2), de la nécessité de la grâce pour persévérer : nisi Dominus ædificaverit (Ps 126, 1), etc. ; Conserva me, Domine (Ps 15, 1) ; la nécessité de la grâce pour accomplir les commandements de Dieu : Beati immaculati in via (Ps 118,1 ) ; enfin tous les plus beaux sentiments de la plus tendre piété envers Dieu, foi, confiance : Credidi (Ps 115, 10) ; in te speravi (Ps 30, ) ; amour : Diligam te, Domine (Ps 17, 2) ; abandon à la Providence : in manibus tuis sortes meæ (Ps 30, 16) ; l’humilité : humiliatus sum nimis (Ps 37, 9) ; contrition : contritum cor (Ps 50, 19). Les théologiens consommés dans l’étude de la religion, les mystiques les plus spirituels savent-ils ce que savait David ? Non : super omnes docentes me intellexi, omnis consummationis vidi finem (Ps 118, 96). Et si les plus savants théologiens voulaient en matière de foi avancer quelque chose de leur propre génie, ils tomberaient bientôt dans l’erreur. Et David, sans étude, parle divinement de tous les mystères les plus profonds et des matières les plus difficiles, d’une manière si sublime, si certaine, et si lumineuse ! Digitus Dei est hic (Ex 8, 19). Donc il était inspiré de Dieu. Donc il y a une religion divine et surnaturelle.

Or, quand on fait attention à tout cela, quel respect, quelle dévotion, quels sentiments de piété n’a-t-on pas en récitant les psaumes ! Plus on les récite, plus ces sentiments de religion augmentent.

 

Tables des Marques de vocation

 

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