Causerie IV

 

PRATIQUE POUR LA CONFESSION

 

Quand on a un certain nombre de personnes à confesser, il serait à propos de leur dire un mot auparavant pour les exhorter à demander la grâce de faire une bonne confession ; leur parler un peu de la contrition ; leur dire de s’unir à Jésus-Christ dans le jardin des Olives pour haïr et détester leurs péchés par la haine et la douleur du Sacré Cœur de Jésus ; les porter à se confesser surnaturellement par humilité, par obéissance à Jésus-Christ qui a établi la confession, regardant le confesseur comme Jésus-Christ lui-même ; leur dire que, s’ils ont caché quelque péché, ils doivent le dire d’abord et espérer dans les mérites de Jésus-Christ le pardon et la rémission de leurs péchés ; séparer les deux sexes ; les éloigner du confessionnal de manière qu’on ne puisse entendre la confession ; faire passer les hommes et les garçons devant les femmes pour les attirer, si les circonstances le permettent; ne pas souffrir que les filles se tournent vers le confesseur, mais leur faire tourner la face vers le mur ; ne pas les tenir longtemps mal à propos : cela rend la confession humaine et naturelle, on épuise ses affections, on s’épanche en des discours inutiles, ensuite on n’a plus de sentiments pour produire la contrition.

Le confesseur doit se souvenir qu’il tient la place de Jésus-Christ, qu’il doit purifier les âmes et non pas les souiller lui-même. Il doit se tourner vers le Saint-Sacrement et invoquer Jésus-Christ, ou avoir un crucifix devant soi et en mettre un devant le pénitent ; avoir encore plus d’attention sur les bons sentiments de contrition, d’humilité, de sincérité, de détachement du péché, sur le changement de vie, sur les bonnes résolutions, sur la confiance en Dieu, en Jésus-Christ, que sur l’intégrité matérielle ; ne pas faire trop de questions prématurées aux filles ; après quelques-unes qui font voir qu’elles ne sont pas disposées ou qu’elles ont besoin de confessions générales, les renvoyer faire pénitence, se détacher des occasions. Et si elles font tout cela, alors on peut leur faire faire une confession générale. Et alors il est à propos qu’un jeune confesseur renvoie les jeunes filles à d’autres anciens, surtout quand il y a lieu de craindre qu’elles s’adressent à lui par curiosité, par légèreté et passion, attache, affection charnelle ; et ne pas parler longtemps d’impureté, mais interrompre cette matière pour élever, purifier l’âme par des vérités effrayantes et touchantes. Et, dans le doute si un plus long détail fera de mauvaises impressions, s’en dispenser, pourvu qu’on soit sûr que la personne est sincère, qu’elle veut tout dire, qu’elle ne cache rien, parce que le danger de scandale prévaut sur le précepte positif de l’intégrité matérielle, qui souffre des exceptions; insister beaucoup sur la fin touchant les bons propos, les bons sentiments... " Étes-vous prêt ", peut-on dire, " de mourir pour Dieu, de sacrifier cette attache, cette passion, de renoncer à tout pour l’amour de Dieu ? "

Après la confession, envoyer le pénitent devant un crucifix offrir pour première et essentielle pénitence les mérites infinis de Jésus-Christ, ses pensées pour expier nos mauvaises pensées, sa vie, sa mort et sa passion pour expier nos mauvais désirs, nos affections, et nos actions, notre vie criminelle. Comme il y a bien des personnes qui ne savent pas lire, il serait bien de faire lire tout haut les actes et les prières avant et après la confession et la communion par une personne capable de le bien faire. Quand un prêtre a de la prudence, il peut faire, non seulement par lui-même, mais par d’autres, bien des choses utiles et édifiantes selon que le temps, les lieux, et les circonstances le permettent. Et un prêtre, quoique zélé, sans prudence, se donne bien des mouvements et des agitations, souvent à pure perte, parce qu’il ne voit pas ce qu’il faut faire. Voilà pourquoi Notre Seigneur dit : Sint lumbi vestri præcincti (Lc 12, 35). Voilà le zèle, et un zèle actif, prêt à tout. Mais ces autres paroles - et lucernæ ardentes in manibus vestris - nous apprennent qu’il ne suffit pas d’avoir du zèle. Il faut qu’il soit éclairé par la science, et conduit et dirigé par la prudence. Il faut que la confession soit simple. Pour cela, retrancher tous les discours, questions, propos inutiles. Et il n’est pas à propos dans les confessions générales de laisser détailler les circonstances vénielles, afin qu’on ait plus de temps pour vaquer à l’essentiel.

La disposition la plus essentielle pour la confession, c’est la contrition souveraine. C’est à cela surtout que le confesseur doit faire le plus d’attention. Il doit inspirer à ses pénitents un amour de Dieu souverain et une contrition souveraine qui les mette dans la disposition de tout faire, de tout quitter, de tout souffrir pour Dieu et pour leur salut. C’est faute de cette disposition que la plupart des confessions sont nulles, car le plus grand nombre de ceux qui se confessent n’ont pas l’amour de Dieu de préférence. Un mondain est plus attaché au monde qu’à Dieu. Un voluptueux aime mieux les plaisirs que Dieu, voluptatum amatores magis quam Dei (2 Tm 3, 4). Un avare préfère ses biens à Dieu et à on salut. Un père charnel a plus d’affection pour ses enfants qu’il n’en a pour Dieu. Une fille a plus de soin de son corps, de sa parure, que de son âme. Or, tant que l’on est ainsi disposé, on est indigne de l’absolution.

Quoique les pénitents aient des passions violentes, cela ne doit pas décourager le confesseur, s’ils ont un fond de religion et si on voit en eux une rectitude de conscience. Et tant que la grâce les éclaire et agit sur leur cœur, il faut toujours espérer et travailler. Quoiqu’ils fassent des chutes, on peut leur accorder les sacrements quand on remarque que la grâce augmente, que les passions et les habitudes diminuent, en un mot que cela va toujours de mieux en mieux.

Il y a des chrétiens qui estiment, qui désirent, qui recherchent avec plus d’ardeur les biens temporels que les biens éternels, qui sont plus affligés de la perte de ces biens terrestres qu’ils ne le sont de la perte de la grâce et du ciel. Combien n’y en a-t-il pas qui craignent plus les peines de cette vie que les supplices de l’enfer, et qui sont habituellement disposés à sacrifier les intérêts de Dieu et de la religion en commettant un péché mortel d’action ou d’omission pour se procurer ou pour conserver un avantage temporel aux dépens de leur salut éternel ! Or, toutes ces personnes, dont le nombre est si grand, sont hors d’état de recevoir l’absolution, à moins qu’ils ne changent de sentiments. Et voilà surtout ce à quoi le confesseur doit faire le plus d’attention. C’est là-dessus qu’il faut insister le plus. Et si le confesseur peut, avec le secours du ciel, engager le pénitent à tout faire, à tout souffrir, à tout sacrifier pour Dieu et pour son salut, il a tout gagné. Mais il ne doit pas se contenter de ces belles paroles générales. Il doit entrer dans un détail relatif à son état, à ses passions, à ses occasions.

Un autre objet digne de l’attention du confesseur est de voir si la confession est surnaturelle, car elle n’est souvent qu’humaine et passionnée dans les filles et les femmes. Je le répète : les confesseurs doivent leur apprendre à se confesser le plus brièvement, le plus surnaturellement possible. Si on savait toutes les horreurs, les abominations, les crimes infâmes qui se commettent à l’occasion des confessions ! Je le dis à ma confusion : j’ai donné l’absolution et permis la communion à bien des personnes du sexe qui ne venaient au tribunal que pour contenter leur passion, et qui la contentaient en effet. Je l’ai vu quand j’en ai eu un peu plus d’expérience. Il est donc très dangereux de leur parler avec trop d’onction, trop longtemps, et de les laisser trop approcher de soi.

Je sais qu’il y en a qui commettent le crime avec plus de passion au confessionnal qu’elles ne le commettraient partout ailleurs avec un amant, parce que le démon fait tous ses efforts pour profaner ainsi les sacrements et tenter les confesseurs.

Qu’un confesseur tienne au confessionnal les pauvres, les vieillards, les garçons tant qu’il voudra : personne ne s’en scandalise. Mais à l’égard des filles et des jeunes femmes, sermo brevis et durus !

Quand un confesseur entend des grands crimes, il doit en concevoir une grande horreur et en faire amande honorable en offrant les mérites de Jésus-Christ pour les expier. Et quand il monte à l’autel il doit offrir le sacrifice en réparation de l’outrage qu’ils ont fait à la majesté divine.

Le confesseur doit souvent examiner les dispositions du pénitent, ses attaches et sa passion dominante, et aller toujours à l’essentiel, qui est de rompre les attaches, vaincre les passions, porter à l’amour de préférence pour Dieu et le salut, à mener une vie chrétienne en sanctifiant tout, en surnaturalisant les actions même ordinaires par des vues et des principes de religion. Il faut demander à Dieu la grâce de parvenir avec son secours à confesser les personnes du sexe avec autant d’indifférence que les hommes, et avec autant d’insensibilité que si c’était du bois ou des pierres. L’expérience de bien des prêtres prouve que cela est possible.

 

Indices des filles hypocrites qui abusent du sacrement de Pénitence

Quand elles paraissent, quand elles viennent à l’église parées avec un air dissipé, jetant les yeux çà et là, toussant avec affectation pour se faire entendre, se plaçant à portée d’être vues de leur confesseur; elles se confessent avec aisance, avec un air de contentement et de satisfaction ; elles s’approchent le plus près qu’elles peuvent, se tournant le visage vers le confesseur et jetant même des regards de complaisance sur lui, prolongeant la confession le plus qu’il leur est possible par des discours et des conversations, des détails inutiles mais gracieux pour elles, parce qu’elles sont très satisfaites de converser de tout près avec une personne d’un autre sexe qu’elles aiment, surtout s’il est jeune et agréable. Car ce sont ceux-là qu’elles choisissent par préférence, et à qui elles donnent leur confiance, mais une confiance sensuelle.

Un confesseur expérimenté voit la passion peinte sur le visage de ces filles, et il la remarque dans tout leur maintien. Et un jeune prêtre, flatté de la confiance qu’elles ont pour lui, ne voit rien de tout cela. Au contraire, il les prend pour des personnes de piété. Un confesseur éclairé s’aperçoit qu’elles ont une satisfaction sensuelle à parler et à rester longtemps avec le confesseur, et qu’elles sentent des impressions passionnées, sans parler des abominations qui se consomment même au confessionnal. Ces personnes, pour plaire à leur confesseur, veulent en apparence tout ce qu’il veut. Ce sont des Protées qui prennent toutes sortes de formes pour gagner l’estime et l’affection de celui qu’elles aiment. Mais, leurs confessions n’étant qu’humaines, naturelles, elles sont nulles et sacrilèges, tant à cause du défaut de sincérité, car si elles font bien des aveux, elles cachent presque toujours quelque chose, surtout ce qu’elles prévoient devoir déplaire à leur confesseur. La nature peut faire des choses aisées ; mais elle n’est pas assez forte pour faire confesser les choses les plus difficiles à découvrir ; ou, si elles disent tout, c’est toujours d’une manière humaine. C’est l’aveu d’une personne du sexe à son ami et non à Jésus-Christ. On les verra chercher souvent des occasions de parler à leur confesseur ; ou, si elles n’osent, comme les filles timides de village, elles chercheront au moins à le voir et à en être vues ; elles iront à l’église quand il y sera ; elles y resteront tant qu’il y restera ; elles en parleront avec d’autres. Leur confesseur et leur confession sera l’objet de leurs conversations ordinaires. Si leur confesseur est un dévot, elles prendront l’air et le dehors de la dévotion. Si c’est un mondain, elles prendront l’air et les manières du monde et du confesseur.

J’ai vu des filles qui allaient se confesser par des motifs humains à un confesseur mystique. Elles s’entretenaient des temps infinis avec lui à parler de mysticité. La nature y avait toujours son compte. Mais je les ai vues hors du confessionnal, et dans peu je remarquais en elles toutes sortes de passions. Que d’abus ! Quelles pitoyables dévotes ! Que de tromperies dans les sacrements à l’égard des filles !

Mais si elles viennent à l’église recueillies, renfermées sur elles-mêmes, les yeux fermés, ou ouverts seulement sur le crucifix, priant attentivement, sentant des répugnances, des peines, des remords de conscience, surmontant la crainte, faisant des aveux très coûteux à la nature par grâce et par religion, et surtout tirant des fruits de la fréquentation des sacrements, alors il y a à espérer. Car les filles passionnées, qui se confessent par attache à leur confesseur, après avoir bien confessé et communié, sont toujours les mêmes. Point de progrès réels ! Au contraire, elles sont semblables aux écrevisses qui reculent plutôt qu’elles n’avancent. Et quand le confesseur s’aperçoit que ces filles sont toujours les mêmes, il y a lieu de croire qu’il y a quelque défaut essentiel dans leur confession. De même aussi, quand, après avoir arraché l’aveu de quelques péchés considérables, elles n’en disent pas davantage, c’est qu’elles ne sont pas sincères. Cela arrive encore lorsqu’après une confession assez détaillée des personnes sujettes à des passions violentes ne vous disent plus rien ou presque rien : c’est marque qu’elles sont retombées dans leurs péchés et qu’elles les déguisent. Car, quand la confession est sincère, on voit des rechutes ou au moins des tentations, des combats, des progrès, des difficultés. On voit les opérations de la grâce, les oppositions de la nature, les attaques du démon. Et les filles qui ne disent rien de tout cela sont la plupart des hypocrites qui trompent le confesseur, à moins que ce ne soient des filles simples, sages, qui aient été à l’abri des tentations, et en qui on voit des marques de religion. Mais celles qui fréquentent les garçons et qui n’avouent rien sont des fourbes.

Il y a des livres qui disent qu’un confesseur qui, ayant demandé si on a de mauvaises pensées, ne doit pas faire des interrogations ultérieures dès qu’on lui a répondu que non. Mais les confesseurs expérimentés savent le contraire. On voit même des personnes qui ont commis des crimes, qui disent qu’elles n’ont point eu de mauvaises pensées. C’est par les occasions extérieures que le confesseur découvrira le fond des consciences, en leur demandant, " Avec qui allez-vous ? Vous trouvez-vous dans des compagnies, surtout de différents sexes ? Qu’entendez-vous ? Qu’y faites-vous ? " etc.

Encore un mot sur les filles passionnées. Il y en a qui vont à l’offrande pour se faire voir, et qui ont plus de dévotion pour toucher ou baiser la main ou les doigts du prêtre que la patène. La même chose arrive encore dans la communion, ce qui est abominable. Mon Dieu, que de sacrilèges de la part des filles ! Une fille aura été frappée de la physionomie agréable d’un jeune ecclésiastique. Elle conçoit pour lui une affection naturelle ; elle désire lui parler; elle n’en trouve guère d’occasion que celle du confessionnal ; elle va donc se confesser: quelle confession ! On en voit qui sont comme en extase aux pieds du confesseur, ne parlant qu’à demi mot : c’est qu’elles savourent le plaisir sensuel qu’elles ont d’être en sa présence ! Les jeunes confesseurs ne savent rien de tout cela. Que de fourberies dans le sexe ! On en voit qui s’accusent de péchés qu’elles n’ont pas commis ou qui font une confession générale pour avoir la satisfaction impure de parler de ces abominations-là. Il y en a qui vont communier pour avoir l’occasion de mettre leurs beaux habits, et qui au sortir de la table se jettent à la rencontre des garçons, ce qui est une pierre d’achoppement pour ces pauvres garçons qui vont communier sans avoir des vues aussi malignes que les filles.

Ainsi un prêtre doit, comme nous l’avons dit, mettre de l’ordre partout, surtout à la sainte table, séparer toujours les deux sexes, faire communier les hommes et les garçons avant les femmes et les filles, car le démon et la passion se fourrent partout, jusqu’au confessionnal et au pied des autels. Quelquefois il est bon, pour découvrir les consciences obscures, de lutter avec le pénitent, comme l’ange avec Jacob, pour voir si c’est la grâce ou la nature qui l’emportera, mais avec prudence. Non est mittendum vinum novum in utres veteres (Lc 5, 37). Il est encore bon d’avertir les jeunes confesseurs que les filles de tout bas étage sont surtout capables de toutes les hypocrisies, et que la profanation des sacrements ne leur coûte rien dès qu’elle peut contribuer à satisfaire quelque passion. J’ai vu une de ces femmes sans conscience qui conseillait à une autre de se faire donner les sacrements parce que cela lui procurerait des charités. Voilà comment ces sortes de gens font servir la religion à leurs intérêts: Servire me fecistis in peccatis vestris (Is 43, 24). Les pénitents qui répondent toujours, " Non, non ! " sont aussi des gens qui mentent et veulent tromper le confesseur.

 

Les jeunes confesseurs suivent trop leur imagination

Il y a bien des jeunes confesseurs qui suivent plus leurs idées, leurs imaginations, que la grâce et la raison. Car il y a bien de la différence entre ces deux choses : agir par grâce et agir par imagination, par scrupule, par une crainte vaine et mal fondée. Un jeune prêtre suivant son scrupule et son imagination tourmentera les bonnes consciences. Il verra partout des doutes. Et en conséquence il fera faire des confessions générales à tort et à travers. Il inquiétera ceux qu’il devait tranquilliser, et il annoncera la paix à ceux à qui il devait la guerre, parce que le jugement des jeunes prêtres n’est pas formé. Il vaut mieux qu’ils se règlent par le conseil et l’exemple des anciens et bons prêtres jusqu’à ce qu’ils soient en état de juger par eux-mêmes. Dans le doute, voici une règle importante à suivre, qui les décidera dans bien des occasions : décider le douteux par le certain. Dans le doute, juger en faveur de ceux que l’on connaît être bons chrétiens, décider contre ceux qui sont de mauvais chrétiens. Je reconnais que j’ai souvent agi par imagination ; j’ai inquiété de bonnes âmes mal à propos. Ainsi, quand un jeune confesseur aura des pénitents qui se sont confessés à de bons prêtres, il doit être tranquille, à moins qu’il ne voie évidemment l’erreur.

Il y a des jeunes prêtres qui tourmentent les malades en exigeant une confession trop exacte et trop détaillée. Une pauvre femme qui souffrait de douleurs aiguës, étant tombée entre les mains d’un de ces confesseurs scrupuleux, avoua à un autre prêtre prudent que, s’il l’eût tenue encore un peu plus longtemps, elle aurait expiré par les excès de la douleur qu’il lui causait. Selon les théologiens les plus exacts, le précepte de l’intégrité matérielle n’oblige pas dans le cas d’une extrême difficulté. Il vaut donc beaucoup mieux, quand on voit que le pénitent est sincère, qu’il veut tout dire, lui laisser son temps pour autre chose de plus essentiel, pour produire de bons sentiments, des actes de détachement, pour restituer, se réconcilier, que d’épuiser ses forces par un trop long détail.

C’est toujours à l’essentiel qu’il faut faire attention. Il faut surtout voir si le pénitent a de la religion; s’il a un désir sincère de faire son salut ; s’il fait de cette affaire son affaire capitale ; s’il a l’amour de Dieu de préférence ou s’il préfère le monde à Dieu ; s’il a une bonne conscience ou s’il s’est fait une fausse conscience, comme cela arrive trop souvent; en quoi il met sa fin dernière. Hélas ! Combien n’y a-t-il pas de mauvais chrétiens qui cherchent leur bonheur dans la créature. Car c’est là le grand devoir du confesseur, de sonder les consciences, de former de bonnes consciences et de mener les gens à une vie chrétienne et fervente. Car les âmes tièdes et négligentes courent grand risque de se damner. Mais pour mener à la perfection il y a des règle de prudence. Il faut d’abord purifier les âmes du péché et des passions mortelles, ensuite des affections dangereuses, et les conduire peu à peu selon la mesure des grâces à des vertus plus éminentes. Il faut voir ce que Dieu demande de chacun en particulier, quel est l’attrait par lequel Dieu attire une âme à lui, quels sont les sacrifices qu’il exige, quels sont les conseils évangéliques qu’il veut que telle ou telle âme pratique. Pour distinguer tout cela il faut être intérieur, homme d’oraison; il faut être éclairé et mortifié.

On trouve nombre de confesseurs et de pénitents qui sont scrupuleux pour les petites choses, ainsi que le Sauveur le reprochait aux juifs : Excolantes culicem camelum glutientes ; decimatis ruthram et menthram, graviora autem legis, charitatem et justitiam prœteritis (Mt 23, 24). On voit des prêtres aussi bien que des autres qui insistent sur les minuties et qui ont des choses essentielles à se reprocher, auxquelles ils ne font point attention. Un confesseur sage et prudent, pour porter un jugement sain, doit d’abord faire attention à l’essentiel : si on est instruit des principaux mystères, si on préfère Dieu et son salut à tout, si on met la fin dernière dans Dieu ou dans la créature, si on a l’amour de Dieu et du prochain, si on a une contrition souveraine et une résolution de plutôt tout perdre et tout souffrir que de commettre un péché mortel, si on agit par religion ou par habitude, si c’est la grâce qui opère ou l’imagination, si c’est la religion qui nous fait agir, qui est le principe de nos sentiments et de nos actions, si on vient se confesser par des motifs surnaturels ou par des motifs humains, etc. Voilà surtout à quoi le confesseur doit faire attention pour savoir si le pénitent est digne d’absolution ou non.

Il est bon qu’un confesseur sache aussi qu’il y a une certaine espèce de gens, surtout de filles, qui font profession de dévotion et qui n’y trouvent pas Dieu parce qu’elles ne le cherchent pas sincèrement, comme dit l’écriture (Ph 2, 21) et l’Imitation ; mais elles se recherchent surtout elles-mêmes. Elles font comme les mouches qui volent d’objet en objet, voulant tâter de tout. Ce sont des personnes curieuses et légères, inconstantes, superficielles, qui veulent tout voir, tout éprouver. Elles vont de dévotion en dévotion ; elles passent de livre en livre, de confesseur en confesseur, d’église en église, pour contenter leur curiosité, pour satisfaire l’inconstance de la nature qui cherche toujours de nouveaux objets pour y trouver son goût, son plaisir, son agrément. L’Imitation dit que ceux qui ne mettent leur dévotion que dans les choses extérieures ne feront guère de progrès, qu’il ne faut pas s’attacher à l’écorce, à la superficie, mais qu’il faut aller au solide, à l’essentiel, au cœur, pour en arracher les vices et les passions. C’est par le renoncement, par la privation, qu’on acquiert une vertu solide. C’est en mortifiant son goût, sa volonté, sa légèreté, et non pas en la satisfaisant, qu’on va à Dieu et à la perfection. Comme dit Bourdaloue, on voit encore assez de personnes qui se livrent aux exercices de piété extérieure, mais peu qui veulent sincèrement déraciner leurs vices et leurs passions, et par là acquérir la vraie pureté du cœur. Et cependant ces sortes de personnes aiment beaucoup à s’entretenir de piété, de confession, de direction, surtout avec des personnes de différent sexe. Elles veulent toujours avoir à leur côté un directeur qui ait des grâces, de la politesse. Elles le voient volontiers ; et sous le moindre prétexte elles veulent avoir des entretiens avec lui.

La dévotion sert de voile à leur passion. Encore une fois, ce n’est pas Dieu, ce n’est pas la perfection, ce n’est pas la dévotion qu’elles cherchent. C’est elles-mêmes, c’est leur satisfaction charnelle, c’est une sensualité, une impureté subtile et raffiné qu’elles cherchent sous l’apparence de piété. Et elles se trouveront donc elles-mêmes pour leur perte et leur malheur, après avoir fait bien des sacrilèges en abusant ainsi de la religion et des sacrements pour satisfaire la nature corrompue et leurs passions.

J’ai vu des bons prêtres qui affectaient un air austère et des manières, un extérieur négligé et presque malpropre lorsqu’ils devaient exercer le ministère avec les personnes du sexe, de peur d’être pour elles un sujet de scandale. Si on agit ainsi pour un saint motif, c’est prudence, charité, et mortification.

L’Imitation remarque qu’il y a bien des gens qui paraissent d’abord être conduits par le bon esprit, et avec le temps on découvre que c’est un mauvais esprit qui les inspire (III, ch. 15, 7). Un confesseur éclairé et qui a le don de discerner les esprits trouve bien des fausses dévotions.

 

Il est bon d’observer encore qu’un jeune confesseur ne doit pas croire aisément les filles ou femmes qui s’accusent d’avoir commis des péchés énormes avec des prêtres : ce sont souvent des calomnies ou des méprises. Une fille s’est confessée à moi tout simplement d’avoir commis le péché avec moi ; elle aurait pu en dire autant à un autre qui l’aurait cru. Quand une fille confesse des infamies sans que cela lui coûte, c’est une marque qu’elle a perdu toute pudeur. Et j’ai vu des filles qui confessaient des horreurs d’une manière obscène. Cet aveu ne venait pas de la grâce. Quelquefois c’est la passion, et quelquefois c’est l’envie de décharger son cœur qui leur fait faire cet aveu. Il est naturel aux personnes du sexe de dire à une amie, à un amant, et par conséquent à un confesseur, ce qu’elles ont sur le cœur. Ce n’est pas là une confession surnaturelle. Il y en a aussi qui confessent des péchés qu’elles n’ont pas commis ;

 

Pénitence

Jésus -Christ avant d’instituer le sacrement de pénitence a soufflé sur les apôtres pour leur donner le Saint-Esprit. En effet, le Saint-Esprit est bien nécessaire pour l’administration de ce sacrement, pour connaître les dispositions du pénitent, pour lui inspirer de la contrition et lui imposer des pénitences convenables, autant que la prudence et l’Esprit de Dieu le suggère, comme dit le Concile de Trente : quantum Spiritus et prudentia suggesserit [Session 14, Décret sur le sacrement de la pénitence, ch. 8 (25 novembre 1551) : COD. p. 685, ligne 20]

Il faut que le confesseur soit toujours uni à Dieu pendant la confession pour implorer ses lumières et ses inspirations, et pour ne pas agir ni parler par humeur ni par vivacité, ni par aucun mouvement de passion, pour ne pas tomber dans les pièges du démon en se laissant entraîner par une crainte vaine de déplaire à certaines personnes, d’être décrié, abandonné, s’il refuse l’absolution, ni l’accorder par une espèce de sympathie aux personnes qui nous plaisent, et par une secrète inclination et pente naturelle, que le démon inspire surtout pour les personnes du sexe, qui, comme des Protées, prennent toutes sortes de formes pour plaire au confesseur. Et le démon se mêle de tout cela. Il tend ses pièges au confessionnal et jusqu’au pied des autels. Il faut donc qu’un confesseur soit toujours attentif, sur Dieu pour en écouter les inspirations, et sur lui-même pour se contenir, pour discerner les différents mouvements qui s’élèvent dans son cœur, et réprimer les mauvais, suivre les bons, donner des avis salutaires et imposer des pénitences convenables.

Comme les pénitences doivent être médicinales et proportionnées au nombre et à la grandeur des péchés - crimine minor non sit - on pourrait donner :

- à un débauché, à un luxurieux, à un impudique, de se lever la nuit pour faire pénitence autant de fois au moins et autant de temps qu’il s’est levé pour servir le démon d’impureté et contenter ses passions ;

- à un libertin, de passer autant de temps à l’église qu’il a passé dans les cabarets ou ailleurs dans la débauche ;

- à une fille, de prier les bras en croix autant de fois qu’elle s’est laissé baiser et qu’elle a passé avec son galant, de baiser une tête ou un ossement de mort, au moins les pieds du crucifix, autant de fois qu’elle s’est laisser toucher ou embrasser des garçons, ou, pour la prémunir contre la rechute, qu’elle regarde le crucifix autant de fois qu’elle aura jeté les yeux sur eux, qu’elle passe autant de temps à contempler le crucifix qu’elle en aura passé à se regarder au miroir, qu’elle se prive de l’habit qu’elle aime le plus, car il faut attaquer la passion dominante ; or la passion dominante des filles, c’est la vanité et l’attachement aux garçons ;

- pour les femmes, de garder le silence deux ou trois fois par jour pour se recueillir, pour se rappeler la présence de Dieu, et renouveler leur intention ;

- pour les hommes, de lever les yeux au ciel une dizaine de fois par jour avec quelque prière jaculatoire, telles que celles-ci : " Gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit " ; " Tout pour la gloire de Dieu " ; " Au nom de Jésus-Christ " ; ces paroles conviennent surtout au commencement du travail ou de quelque action ;

- aux garçons, de rester aussi longtemps les bras en croix ou en prière qu’ils ont resté avec les filles; leur faire dire des messes pour celles qu’ils ont séduites et portées au péché de quelque manière que ce soit ; leur faire faire pénitence et prier pour elles jusqu’à ce qu’elles soient converties; se prosterner devant elles pour leur demander pardon du scandale qu’ils leur ont donné et les exhorter à se convertir, à moins que la prudence n’exige le contraire ; alors il faut les faire exhorter par d’autres ;

- aux garçons et aux filles, de passer autant de temps en prière et les bras en croix - non pas tout à la fois, mais successivement - qu’ils ont passé de temps à la danse ; demander pardon du scandale à ceux qui les ont vus danser ;

- aux jureurs, de se mordre la langue ou de baiser la terre toutes les fois qu’ils jureront, et de bénir le nom de Dieu ou de saluer les autres en disant, " Loué soit Jésus " [Ces trois lignes sont répétées plus bas] ; autant de fois qu’ils ont juré ;

- [à] ceux qui entendent des paroles déshonnêtes, de demander pardon à Dieu toutes les fois qu’on en proférera en leur présence, et d’offrir à Dieu pour les réparer les paroles de Jésus-Christ et de la sainte Vierge ; de même, pour réparer les jurements, offrir à Dieu les louanges de Jésus et de Marie, des anges et des saints ;

- aux impudiques, des mortifications corporelles, la discipline, la haire [c’est une ceinture armée de pointes de fer], ou à son défaut porter une ficelle bien serrée sur la chair, sur le ventre, coucher sur la dure ;

- à des emportés il est bon de donner pour pénitence de se réprimer au premier mouvement et d’invoquer le sacré Nom de Jésus en disant : " Ô Sacré- Cœur de Jésus, donnez-moi votre patience et votre douceur ". C’est aussi une pratique salutaire pour ceux qui sont tentés d’impureté de dire : " Ô Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, purifier mon cœur, mon âme, mon corps", d’approcher du feu, d’y appliquer la main en pensant au feu de l’enfer, de se pincer et de se faire souffrir, chassant ainsi le plaisir par la violence de la peine, protestant à Jésus-Christ qu’on aime mieux souffrir et mourir avec lui que de l’offenser par un infâme plaisir [Ici est inséré dans le MS le paragraphe signalé à la Causerie III] ;

- à des pécheurs endurcis il faut des pénitences extraordinaires, par exemple, de s’ensevelir avec un crucifix à la main comme si on était mort; prendre dans son lit ou dans sa chambre une tête de mort ; faire sa méditation au charnier devant les morts, ou d’autres semblables selon la prudence. Car il ne faut pas donner ces pénitences aux femmes, non plus que celles de prier les bras en croix, de peur qu’elles ne nuisent au fruit qu’elles portent ;

- aux jureurs, de se mordre la langue ou de baiser la terre chaque fois qu’ils jureront, de saluer ceux qu’ils rencontrent en disant, " Loué soit Jésus-Christ " [Voir plus haut] ; d’offrir à Dieu toutes les louanges de Jésus-Christ, des anges, des saints, autant de fois qu’ils entendront jurer ou blasphèmer ; d’offrir aussi à Dieu la pureté de Jésus et de Marie autant de fois qu’ils entendront des paroles déshonnêtes, et les mérites de Jésus-Christ à chaque péché qu’ils verront commettre.

Ces dernières pratiques conviennent à tout le monde : aux ivrognes de n’aller jamais au cabaret, de fuir les compagnies, de jeûner autant de fois qu’ils se sont enivrés, de s’abstenir de vin ou d’y mettre de l’eau et de se fixer une certaine quantité.

Il faut donner surtout des pénitences qui tendent à réformer le pécheur, à le conduire à une vie chrétienne par la pratique des vertus essentielles et contraires à la passion dominante ; faire de pieuses lectures, entendre la messe, ou, si on ne le peut, offrir chaque jour toutes les messes qui se disent dans le monde; l’après-midi, aller faire une visite au saint sacrement; se saluer disant, " Loué soit Jésus-Christ " ; établir ainsi de saintes pratiques qui raniment la piété dans la paroisse et qui en exterminent les vices qui y dominent. L’écriture dit : Curatio faciet cessare peccata maxima (Qo 10, 4) : passage consolant et animant pour un pasteur et un confesseur. Dieu lui promet de bénir son zèle s’il est pur et constant. Il empêchera bien des maux et opérera du bien à tous égards ; mais ce sera per patientiam boni operis (Ro 2, 7).

 

Suite de la Confession. Tentatus per omnia (He 4, 15) :

Comment le confesseur doit se comporter envers les personnes tentées.

Le démon vexe et tente surtout les bons, et il ne tente pas les pécheurs ; il les endort dans une dangereuse sécurité : Non tentat quos secure possidet (IV, ch. 18, 14). L’homme dans la tentation est humilié, purifié et instruit, dit l’Imitation : Homo humiliatur, purgatur, et eruditur (I, ch. 3, 5).

Saint Paul nous dit lui-même que l’ange de Satan lui fut donné pour le tenter par les aiguillons de la chair, de peur que la grandeur de ses révélations ne lui causât quelque sentiment d’orgueil, ne magnitudo revelationum extollat me (2 Co 12, 7) ; et quand ce grand apôtre demandait au Seigneur la délivrance de cette tentation, Dieu se contenta de répondre : Sufficit tibi gratia mea, nam virtus in infirmitate perficitur (2 Co 12, 9). Ainsi la tentation sert à montrer la nécessité et l’efficacité de la grâce et à exercer la vertu. Quand on n’est pas tenté, on vit dans une espèce d’inertie, de nonchalance; mais la tentation nous réveille, nous excite au bien. Elle nous porte à recourir à Dieu par de fréquentes prières, et à pratiquer bien d’autres actes de vertu que nous pratiquerions pas si nous n’étions pas tentés. [Dans le MS ce paragraphe est situé à la fin de la causerie (p.110 du MS), accompagné de la notation : " Observation à la page 97 – humiliatu r ". Nous le plaçons donc ici, après humiliatur.]

Il est humilié en voyant sa misère et sa corruption ; il est purifié en domptant ses passions, en combattant ses vices, en pratiquant les vertus opposées, au lieu que s’il ne sentait pas les passions que la tentation lui fait apercevoir, il les aurait, il les conserverait dans son cœur sans le savoir. Mais l’occasion [de] la tentation les manifeste ; elle fait voir ce qui est caché dans le cœur. Enfin, par la tentation on est instruit. Quid scit qui est tentatus ? (Si 34, 9). On apprend à se connaître, à se renoncer, se combattre, à vaincre, à prier, à pratiquer la vertu chrétienne. Car souvent, sans la tentation, on n’aurait que des vertus humaines.

Une personne furieusement tentée en matière d’impureté, levant les yeux au ciel, aperçut une poutre ; et la pensée lui vint : " Quel mérite a cette poutre de ne pas tomber dans l’impureté ? ". Aucun, sans doute ! Mais une personne tentée qui ressent, qui combat, qui renonce au plaisir, qui crucifie sa chair, a beaucoup de mérite et acquiert une pureté surnaturelle, au lieu que celle qui n’est pas tentée n’a souvent qu’une pureté naturelle et de tempérament. Dans les tentations on pratique mille actes de vertus : on s’humilie à la vue de sa corruption, on la confesse à Dieu, on recourt à la grâce, on prie, on se renonce, on fait le sacrifice du plaisir sensuel auquel la nature voudrait se livrer, on pratique des exercices de pénitence intérieure et extérieure, on approche plus souvent des sacrements pour y trouver des grâces et des forces victorieuses.

Ainsi, quand on se comporte comme il faut dans les tentations, elles nous deviennent utiles et salutaires, comme dit saint Paul : Faciet etiam cum tentatione provectum (1 Co 10, 13). Mais malheur à ceux qui, au lieu de résister fidèlement aux tentations, se laissent entraîner par le plaisir, intimider par les menaces, ou vaincre ou abattre par la peine. Car, comme dit l’Imitation, ceux qui n’ont pas pu porter la tentation ont été réprouvés: Qui tentationem sustinere nequiverunt reprobi facti sunt (I, ch. 13, 7). Le démon proportionne ses tentations à la force d’un chacun. Il tente les saints et les grandes âmes incomparablement plus que les faibles et les âmes communes. Quand le démon aperçoit une vraie conversion ou une bonne œuvre, un établissement qui doit avoir des suites avantageuses pour la gloire de Dieu et l’édification de l’Église, il ne manque pas de venir l’attaquer de toutes ses forces. Mais quand une conversion est fausse, quand une entreprise n’est qu’humaine et passionnée, il la laisse tranquille. Qu’un calviniste se fasse luthérien, personne n’y trouvera à redire ; cela est égal au démon ; mais s’il se fait catholique, et cela sincèrement, que d’efforts le démon ne fera-t-il pas pour empêcher cette conversion ! Et qu’un pécheur quitte une piété extérieure et fasse des bonnes œuvres humaines, pourvu qu’il conserve une passion dominante, le démon sera content; il le laissera faire ; mais s’il veut déraciner sa passion, arracher ses vices dominants, et faire des bonnes œuvres surnaturelles, que de combats ne le lui livrera-t-il pas ! Un quatrième avantage qui résulte des tentations pénibles et crucifiantes, c’est de détacher de tout et de soi-même, de faire mourir les affections sensuelles et naturelles. Quand on est ainsi peiné et crucifié dans l’intérieur, on n’a plus de goût à rien, on est comme dans une agonie mortelle. On meurt au monde et à soi-même. Et cette mort spirituelle est le germe et le principe d’une vie nouvelle, spirituelle, et divine. Ainsi les saints ont passé par bien des tentations. Et c’est par là qu’ils ont été purifiés, sanctifiés, et perfectionnés.

Ainsi un confesseur doit prendre un soin particulier des âmes tentées. Il doit les traiter avec bonté - Cum tentato noli durius agere (I, ch. 13, 15) -, cependant toujours avec précaution vis-à-vis des personnes du sexe. Car s’il les flattait, elles viendraient sans cesse l’assaillir sous prétexte de tentations, pour satisfaire leur inclination et chercher des consolations humaines, charnelles et sensuelles : Undique angustiæ ! (Da 13, 22).

Le confesseur doit beaucoup prier et faire prier pour les personnes tentées. C’est une de mes pratiques. Nos sœurs prient à chaque heure pour toutes les personnes qui seront tentées pendant cette heure. C’est là un grand acte de charité. Car si Dieu ne venait à notre secours dans la tentation, nous toucherions tous les crimes les plus affreux. C’est ce que Jésus-Christ disait à M. Gleyo : "Si je vous abandonnais, vous tomberiez dans les plus grands désordres, et vous demeureriez sans vous en repentir et sans désirer d’en sortir ".

Voici les règles et les maximes que le confesseur donnera aux personnes tentées : s’humilier, reconnaître et confesser devant Dieu sa corruption, résister promptement et totalement. Car il y a des personnes qui ne résistent qu’à demi et hypocritement, veulent résister et veulent goûter le plaisir de la tentation - vult et non vult -, elles veulent résister, elles résistent en partie pour se donner le témoignage qu’elles n’ont pas consenti. Mais elles ne résistent pas au point qu’il faudrait pour ne pas sentir ni goûter ni savourer le plaisir sensuel qu’elles aiment, et auquel elles ne renoncent que malgré elles. Au lieu qu’il faudrait qu’elles renoncent totalement, entièrement, parfaitement et promptement à la délectation par amour pour Dieu, pour la vertu, et par haine pour le péché. On renonce à la tentation en idée et non en réalité. On y renonce dans la tête et l’imagination, et non dans le cœur et la volonté. Il faut donc, quand la tentation se présente, se jeter aussitôt entre les bras de Dieu, implorer son secours, et dire : " Oui, mon Dieu, par le secours de votre grâce, je renonce totalement à cette tentation pour l’amour de vous ; je renonce à cet infâme plaisir, et j’aime mieux souffrir et mourir avec Jésus-Christ que de jouir d’une satisfaction criminelle qui lui déplaît ".

Il est encore bon de remarquer que Dieu permet que nous soyons tentés par le plaisir pour éprouver notre amour, pour voir si nous aimons Dieu plus que le plaisir, ou le plaisir plus que Dieu. Le confesseur fera donc comprendre aux âmes tentées, que, toutes les fois qu’elles le seront, en renonçant à la tentation elles donneront à Dieu un témoignage de leur fidélité et de leur amour, et faisant voir par ce renoncement qu’elles préfèrent Dieu au plaisir de la tentation, puisqu’elles la sacrifient par amour de lui, et pour preuve qu’elles aiment mieux souffrir avec Jésus-Christ que goûter ce plaisir sensuel. Elles feront bien de se faire souffrir en effet, en se pinçant ou en priant les bras en croix, en prenant la discipline, en se brûlant, ou pratiquant quelque autre mortification, comme faisaient les saints.

Les théologiens disent que, lorsque la tentation est forte, et qu’on ne peut la surmonter que par un acte d’amour de Dieu parfait, on est obligé sous peine de péché mortel de le faire.

Une excellente pratique quand on est tenté d’un vice, c’est :

1° de pratiquer à l’instant la vertu contraire. Est-on tenté de colère ? Pratiquer la douceur. Est-on tenté de haine ? Faire un acte d’amour du prochain. Est-on tenté de paresse ? Se faire violence, etc. ;

2° d’offrir à Dieu les vertus et les œuvres de Jésus et de Marie contraires aux vices sur lesquels nous sommes tentés. Par exemple, si on a de mauvaises pensées, des mauvais désirs, des affections criminelles, offrir en réparation toutes les saintes pensées, les saints désirs, et les pieuses affections de Jésus et de Marie ; si on est tenté d’impureté, offrir à Dieu en réparation la pureté de Jésus et de Marie; si on est tenté de colère et d’impatience, d’impureté, invoquer le Sacré-Cœur de Jésus en disant : " Ô Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, donnez-moi votre douceur, votre patience, votre pureté, et toutes vos vertus " ;

3° de prier pour les personnes tentées. Cet acte de charité attire la grâce et la miséricorde de Dieu sur la personne tentée ; prier Jésus-Christ de venir à notre secours avec sa croix, sa couronne d’épines et la sainte lance, et la sainte Vierge et les saints anges et tous les saints pour dissiper nos ennemis et les terrasser sous nos pieds ; les prier de venir combattre avec nous et nous donner la victoire, que cette victoire tourne à sa gloire. Il faut faire aussi cette prière quand on est tranquille, contre les tentations à venir ;

4° d’avoir une grande confiance en Dieu. Car j’ai vu des personnes furieusement tentées et prêtes de succomber remporter une victoire complète dans la minute, la tentation cessant tout à coup miraculeusement par un acte de confiance parfaite en Dieu. Et j’ai vu des personnes qui, après avoir combattu et résister une nuit entière sont tombées parce que le démon leur a persuadé qu’elles ne pouvaient s’empêcher de commettre ce péché, et que c’était en vain qu’elles faisaient tous ces efforts ; et dès l’instant elles se sont laissé aller à la tentation.

Il faut surtout dans les tentations retrancher l’objet et la cause de la tentation et ne donner pas la moindre prise au démon : Nolite locum dare diabolo (Ep 4, 27). Quand le démon est acharné à tenter une personne, il profite de la moindre occasion qu’on lui fournit : un regard, une parole, une rencontre, ou s’approcher de trop près d’une personne de différent sexe. Une parure pour les filles, un bel habit, une petite inclination, une tendresse naturelle ; le démon ne manquera pas de profiter de tout cela. Et il arrivera, comme dit saint Jacques, qu’une étincelle causera un grand embrasement, ou, comme remarque l’Imitation, qu’une tentation fort légère dans les commencements peut devenir considérable dans la suite si on n’y résiste pas d’abord comme il faut, ou si on n’en éloigne pas la cause.

Pour les jeunes gens qui ont des liaisons avec les personnes de différent sexe, il n’y a rien à faire avec elles à moins qu’elles n’y renoncent. Ainsi, qu’un confesseur ne perde pas son temps à confesser des filles qui sont dans ce cas-là. Il y a des âmes, qui ont bien de la religion, qui sont furieusement tentées par des pensées de blasphème contre Dieu, contre la sainte Vierge, contre le Saint-Sacrement, le crucifix, ou par des imaginations impures ou des pensées de désespoir. C’est le démon qui fait tout cela, quelquefois physiquement. Il se rend présent à leur imagination et agit sur leurs organes, sur leur corps, leur parle à l’oreille par des expressions aussi sensibles que si elles étaient organiques. C’est avec ces sortes de personnes que le confesseur doit user de bonté et de douceur, et leur inspirer beaucoup de courage, de confiance en Dieu, les avertissant de ne pas se troubler ni perdre courage dans les combats, mais d’avoir patience, de demeurer unies à Dieu par le cœur et la volonté, par l’amour et la confiance, quoi que le démon puisse faire pour les tenter.

Il y a des confesseurs qui rebutent ces pauvres âmes qui sont souvent des élus, tandis qu’ils flattent des réprouvés qui les trompent. C’est dans ces sortes de tentations qu’il faut se souvenir de ces paroles de l’Imitation : Paulatim et per patientiam cum longanimitate Deo juvante melius superabis quam cum duritia et importunitate propria (I, ch. 13, 14). C’est dire que ni le confesseur ni le pénitent ne doivent trop s’inquiéter ni s’agiter ni se troubler ni se dépiter, mais aller tout doucement, paulatim cum patientia.

Ils doivent penser que tout cela arrive par la permission de Dieu, qui a des desseins dans tout cela. C’est bien le démon qui agit, mais il en a obtenu le pouvoir de Dieu: Simon, Simon, Satinas expetivit vos ut cribraret sicut triticum (Lc 22, 31). Ainsi il faut adorer les desseins de Dieu en permettant ces tentations, demander qu’elles tournent à sa gloire et à notre avantage, qu’il soit toujours avec nous pour nous soutenir. Et plus le démon fera d’effort pour nous séparer de Dieu, plus nous nous unirons à lui. S’il nous suggère des pensées de blasphème, nous l’honorerons et nous l’adorerons, l’aimerons toujours de plus en plus ; et à chacune de ces pensées et de ces tentations abominables, nous offrirons à Dieu en réparation toutes les pensées, les paroles, les actions, les vertus, les sentiments de Jésus et de Marie, des anges et des saints. Ainsi au lieu d’offenser Dieu nous l’honorerons, nous l’aimerons, nous le bénirons toujours de plus en plus. Ainsi ces tentations tourneront à la gloire de Dieu, à la honte et à la confusion du tentateur.

On voit par tout cela combien il est nécessaire pour conduire les âmes d’avoir l’Esprit de Dieu. Le don de discernement est un don surnaturel et qui s’acquiert par la prière, l’humilité et la confiance en Dieu, la défiance de soi-même. Sans cela, sans ce don surnaturel, l’esprit le plus raffiné, le docteur le plus éclairé, se trompera continuellement dans l’application des principes. Il ne jugera que selon les apparences: Nolite judicare secundum faciem (Jn 7, 24). Voilà pourquoi Dieu permet souvent que les prêtres dont Dieu veut se servir pour la direction des âmes passent eux-mêmes par différents états, par des peines intérieures et des tentations de toutes espèces, afin qu’ils puissent diriger les autres dans les voies où ils ont passé eux-mêmes : In quo ipse passus et tentatus est iis qui tentantur potens est auxiliari (He 2, 18), comme dit saint Paul de Jésus-Christ, et encore, dans la même épître aux Hébreux : ut condolere possit iis qui ignorant et errant, quoniam ipse circumdatus est infirmitate (He 5, 2).

Mais un prêtre dissipé, livré à l’extérieur, quoiqu’il soit grand théologien, sera infailliblement trompé. Il estimera comme d’excellents sujets des gens qui n’ont qu’une vertu et une probité humaines. Il jugera comme un aveugle des couleurs. Dicunt malum bonum et bonum malum (Is 5, 20). Il rejettera des âmes qui auront des défauts naturels mais un grand fond de religion. J’ai vu des ecclésiastiques qui avaient un grand discernement pour connaître les caractères ; mais ce n’était que pour le naturel, car pour le surnaturel ils n’y entendaient rien.

Il faut qu’un jeune confesseur sache que les âmes que Dieu veut élever à un haut degré de lumière et de perfection, il les fait passer par bien des peines et des tentations intérieures. Ce qui m’a soutenu dans celles que j’ai souffertes pendant plusieurs années, c’est le souvenir de l’agonie de Jésus-Christ dans le jardin des Olives. Ainsi le Directeur représentera aux âmes peinées les souffrances intérieures de Jésus-Christ, et les portera à unir leurs peines intérieures à celles du Sauveur dans le jardin des Olives, à les sanctifier par cette union et à les souffrir patiemment à l’honneur et pour l’amour de celles que Jésus-Christ a endurées dans ce genre.

Il faut faire une grande différence entre les âmes qui sont peinées et tentées par le démon et celles qui le sont de leur faute parce qu’elles s’exposent à la tentation. Celles-là doivent être traitées avec bonté, douceur et charité, et celles-ci avec rigueur. Par exemple, avec les jeunes gens, les garçons et filles qui ont des entrevues, des rendez-vous, des amitiés sensuelles, il faut les couper, trancher sans miséricorde: sans cela, point de sacrements !

Il faut engager ceux qui sont destinés au mariage à se marier le plus tôt possible. Car s’ils continuent à se fréquenter pour faire l’amour, comme on dit, ils tomberont dans mille désordres. L’expérience le fait voir constamment. Il est bon de savoir aussi que les filles, en se confessant, attribuent toujours la faute aux garçons ; et cependant ce sont elles qui y donnent ordinairement occasion en mille manières, par leurs parures, par leurs regards, par leurs manières enjouées ; et elles recherchent la compagnie des garçons ; elles veulent se présenter à leur vue et à leur rencontre, même à l’église ; elles engagent les conversations. Celles qui ne s’accusent de rien ou qui disent qu’elles n’y prennent point le mal, qu’elles n’ont point de mauvaises pensées, sont les plus méchantes ; ce sont des consciences fausses ; elles avalent l’iniquité comme l’eau, et les sacrilèges ne leur coûtent rien. Il y a cependant des filles simples, innocentes, mais elles sont timides, réservées ; elles craignent la rencontre d’un garçon ; elles ont toujours été éloignées des occasions.

La fuite des occasions et la mortification des sens : voilà les moyens les plus propres à éviter les tentations. La mortification est la myrrhe qui conserve les corps dans la pureté. Il est moralement impossible de conserver la chasteté dans la jeunesse, avec une bonne santé et un tempérament vigoureux, sans les pratiques de pénitence et de mortification, telles que sont le jeûne, la discipline, et les instruments de pénitence comme le cilice, la haire. Au défaut de ces instruments on peut se serrer le corps avec une petite ficelle. [Ici se situe dans le MS le paragraphe signalé plus haut.]

 

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