Causerie I
MARQUES DE VOCATION À LÉTAT ECCLÉSIASTIQUE
Les marques les plus certaines dune bonne vocation à létat ecclésiastique sont :
1. lesprit sacerdotal, ingenium sacerdotale,
2. une intention pure,
3. une aptitude pour sacquitter des fonctions ecclésiastiques dune manière propre à édifier lÉglise,
4. une haute estime de son état,
5. un grand éloignement du monde et de lesprit du monde,
6. une gravité, une modestie propre à édifier les fidèles,
7. une grande pureté, une chasteté angélique, et un grand éloignement des personnes du sexe.
[Cette première causerie annonce sept marques, alors que le texte nen analyse que cinq, qui, de plus, ne suivent pas lordre annoncé :
1. Esprit sacerdotal
2. Estime de cet état
3. Intention pure
4. Aptitudes
5. Grande pureté
Note
de léditeur G.T.]
PREMIÈRE MARQUE : LESPRIT SACERDOTAL
Malheur à ceux qui singèrent dans létat ecclésiastique sans y être appelés : Nemo sumit sibi honorem nisi qui vocatur a Deo tanquam Aaron (He 5, 4). Or, il y a des marques de cette vocation. Et la première est lesprit sacerdotal. Les prêtres sont dune même nature que les autres. Lécriture les appelle non plus des hommes mais des anges. Angelus Domini est (Ml 3, 1-2), dit le prophète Malachie. Saint Paul les nomme de même : propter angelos (2 Co 11, 10). Il veut que les femmes soient voilées propter angelos. Ils sont pris dentre les hommes : ex hominibus assumptus (He 5, 1) ; mais ils doivent être bien supérieurs en vertu, en grâce, en qualités à tous les autres hommes ; ils doivent être dun genre extraordinaire, dune bonne trempe. Cet esprit sacerdotal consiste surtout dans un zèle ardent qui doit les animer pour procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes ; ce zèle doit les dévorer : Zelus domus tuae comedit me (Jn 2, 17). " Qui est scandalisé sans que je nen sente une vive douleur ? " disait lApôtre : Quis scandalizatur et ego non uror ? (2 Co 11, 29). Ils sèchent de douleur quand ils voient que Dieu est offensé : Vidi prævaricantes et tabescebam (Ps 118, 158). Ce zèle, cet amour de Dieu les presse, les anime, les porte à tout faire, à tout entreprendre, pour les intérêts de Jésus-Christ : Caritas Christi urget nos (2 Co 5, 14). Ils sont toujours disposés à tout sacrifier : leurs biens, leur fortune, leur repos, leur santé, leurs talents, leur vie même, pour la gloire de Dieu, pour lutilité de lÉglise, pour empêcher la profanation des sacrements, pour remplir dignement les fonctions de leur ministère: impendam et superimpendar (2 Co 12, 15), au lieu que les mercenaires tournent à tout vent, et préfèrent leur bien-être aux intérêts de Jésus-Christ, et donnent les sacrements aux indignes par des motifs humains.
On a remarqué dans bien des saints et dautres prêtres ce génie sacerdotal dès leur enfance. On voyait déjà dès lâge le plus tendre que Dieu les destinait au sacerdoce ; ils sentaient déjà en eux un attrait pour létat ecclésiastique ; on voyait bien, par un air de sainteté, de modestie et de douceur, de gravité, de dévotion, quils nétaient pas nés pour le monde, et que Dieu les destinait à létat ecclésiastique ; ils sentaient déjà en eux un doux penchant pour cet état et pour toutes ses fonctions : Prævenisti eum in benedictionibus dulcedinis (Ps 20, 4). On apercevait déjà dans plusieurs un germe de ce zèle pour procurer la gloire de Dieu, pour détourner leurs camarades du vice et les porter à la pratique du bien, à la prière, à la piété. Je connais un prêtre qui, dès son enfance, sentait un attrait pour la prédication ; il montait sur une table et prêchait les assistants. Ainsi on peut dire que Dieu donne déjà dans le baptême lhabitude de cet esprit sacerdotal, comme il donne lhabitude des dons du Saint-Esprit et des vertus théologales.
Cet esprit sacerdotal fait quun ecclésiastique ne cherche pas ses intérêts, mais les intérêts de Jésus-Christ et lutilité de lÉglise. Il ne cherche pas un bénéfice lucratif et honorable, mais celui où il pourra procurer la plus grande gloire de Dieu et sauver plus dâmes. Il ne borne pas son zèle à sa paroisse, mais il létend jusquau bout du monde, au moins par ses désirs, par ses prières, et par les secours quil donne quand il peut pour aider les autres à faire le bien, au lieu que les prêtres dont le zèle se borne à leur paroisse - angustiamini in vobis (2 Co 6, 12) - sont quelquefois jaloux dentendre lordre et la piété qui règnent dans les autres. Les vrais ecclésiastiques en sentent une vraie joie et un plaisir indicible, car nous devons être charmés de savoir que Dieu soit mieux servi et plus honoré des autres quil ne lest de nous. - Utinam omnes prophetent ! (Nb 11, 29) - Les prêtres oisifs lisent les gazettes pour samuser. Mais ceux-ci apprennent les nouvelles qui concernent la religion pour lintérêt quils prennent à tout ce qui la regarde, et pour prier pour toutes les nécessités de lÉglise : sollicitudinem omnium ecclesiarum (2 Co 11, 28). Le zèle pour la maison de Dieu les dévore. Ils voudraient en bannir tous les scandales et y apporter partout lordre, la sainteté, la perfection. Mais ce zèle est tranquille, quoiquactif ; il est réglé et prudent. Ils ont une grande ardeur pour la propreté des temples, des ornements, des vases sacrés, quils conservent dans une grande décence : Domine, dilexi decorem domus tuæ (Ps 25, 8), au lieu que les prêtres mondains sont dune propreté recherchée dans leurs maisons et dans leurs meubles ; mais léglise et les ornements sont dans une malpropreté indécente. Lécriture dit de Salomon, qui était la figure de Jésus-Christ, quil avait une latitude de cur qui sétendait aussi loin que les sables qui sont sur le bord de la mer, latitudinem cordis sicut arena quæ est in littore maris (4 R 4, 29). Voilà le caractère du zèle sacerdotal, un zèle aussi étendu que le monde : dilatamini et vos (2 Co 6, 13). Ils ont une sollicitude pour le salut des âmes partout où elles puissent être, une charité universelle qui sintéresse à tout, qui est sensible à tous les avantages et les maux de lÉglise.
Car un ecclésiastique quitte le monde, les biens du monde, ses parents, ses amis selon le monde ; et il prend Dieu pour son partage - Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei (Ps 15, 5) - et lÉglise pour épouse. Ainsi il renonce aux intérêts du monde et de sa famille, pour épouser les intérêts de Jésus-Christ et de son Église.
DEUXIÈME MARQUE : UNE HAUTE ESTIME DE CE SAINT ÉTAT
De cet esprit sacerdotal naît une haute estime pour létat ecclésiastique, qui fait quon le préfère à tous les états du monde, selon, les paroles de lImitation : vocationem suam omnibus anteponit (III, ch. 53, 5). Un bon prêtre ne quitterait pas son état pour tous les royaumes et tous les empires de lunivers, comme un bon religieux aime mieux son habit pauvre et grossier que le sceptre ou la tiare. Un bon ecclésiastique ne cesse de bénir et remercier Dieu de la grâce singulière quil lui a faite de lappeler à un si saint état, qui rend, comme dit lImitation, les hommes semblables aux anges : Sacer status religiosi famulatus, qui hominem reddit similem, æqualem angelis, Deo placabilem, dæmonibus terribilem, et cunctis fidelibus commendabilem (III, ch. 10, 27).Mais pour sentir tout le prix dune vocation si divine, et pour goûter lonction que lEsprit Saint répand dans les âmes qui se donnent tout à lui, il faut, comme dit lImitation, fouler aux pieds le monde et faire le sacrifice de tous les plaisirs sensuels : Invenient suavissimam Sancti Spiritus consolationem, qui pro amore tuo omnem carnalem abjecerint delectationem ; consequenter magnam libertatem mentis, qui arctam pro nomine tuo ingrediuntur viam, et omnem mundanam neglexerint curam (III, ch. 10, 24-25).
En conséquence de cette haute estime de létat ecclésiastique, un bon prêtre fait cas des plus petites choses qui y ont rapport : il aime lhabit ecclésiastique ; il le porte habituellement, même en voyage. Et ceux qui nont pas lesprit de leur état nen estiment pas lhabit non plus ; ils le quittent à toute occasion et reprennent lhabit séculier ; si ce nest pas totalement, cest du moins en partie. Comme ils aiment le monde et quils ont lesprit du monde, ils se rapprochent du monde le plus quil leur est possible : Illi de mundo sunt (Jn 4, 5).
TROISIÈME MARQUE : INTENTION PURE
Si un jeune homme qui veut embrasser létat ecclésiastique lenvisage par rapport à lintérêt, à lhonneur, aux dignités, et à tous les avantages temporels, cest une marque que sa vocation ne vient point du ciel ; elle est terrestre et charnelle. Sil se dit à soi-même : " Si jentre dans létat ecclésiastique, jaurai un bon bénéfice ; je vivrai plus à mon aise que dans le monde ; jaurai les moyens daider et davancer ma famille ; je prendrai ma sur, mes nièces avec moi ; nous mènerons ensemble une vie douce ; " - ou : " En entrant dans cet état, jaurai lieu de faire briller mes talents ; je prêcherai avec éloquence ; je me ferai un nom, une réputation ; je pourrai même parvenir à une dignité ou à quelque bénéfice dimportance ; je macquerrai la connaissance et la faveur des grands ; " - ou : " Jaurai loccasion dêtre le directeur de bien des personnes du sexe ; je lierai avec elles des amitiés et des sociétés agréables " : vocation mondaine !
Il y a aussi des gens qui sont flattés du ministère ecclésiastique, parce quil leur donne un ascendant sur les laïcs. Cest ce que saint Pierre reprenait dans les pasteurs : non dominantes in cleris (1 P 5, 3). Si donc on a cette vue dambition, de domination, par laquelle on se propose de dominer les autres, de commander aux autres, dêtre élevé au-dessus des autres, dexercer son empire sur les autres, cest encore une preuve que la vocation ne vient pas de Dieu, mais de lorgueil et de lambition.
En un mot, si un laïc qui délibère dentrer dans létat ecclésiastique envisage cet état du côté quil est honorable, commode, agréable, et avantageux à la nature et à la passion, il nest pas appelé de Dieu : cest la chair et le sang qui en est lâme et le principe. Sil a du zèle pour le salut des autres, et quil nen ait point ou peu pour sa sanctification, sa vocation est bien suspecte.
Mais sil envisage cet état du côté de Dieu et du salut, sil est bien pénétré de la grandeur du sacrifice de la messe et de toutes les autres fonctions du ministère, non pas par rapport aux hommes, mais pour le rapport quelles ont à Dieu ; sil pense que, par une messe quil célébrera, il procurera à Dieu une gloire infinie, quil réjouira le ciel, quil édifiera lÉglise et soulagera les âmes du purgatoire, et quil se rendra participant des mérites infinis de Jésus-Christ quil sappliquera à lui-même et aux autres ; si, au lieu de considérer le ministère du côté quil est agréable à la nature, il ne lenvisage que du côté des peines, des croix, des humiliations, des dangers quil présente à tous ceux qui veulent en remplir les devoirs comme il convient ; sil voit toute létendue des obligations quil renferme ; sil connaît le prix de la couronne quil promet ; sil est pénétré destime pour le salut des âmes quil aura à conduire, et quil doit mener au ciel par la voie des croix.
Si, envisageant le ministère du côté quil est glorieux à Dieu et utile à lÉglise et au salut des âmes, crucifiant pour la chair, et que, malgré les répugnances de la nature, il lembrasse avec ces vues pures, sans autre motif que celui de la gloire de Dieu, celui de sa perfection, et celui de la sanctification des âmes ; sil se dit à lui-même : Ad quid venisti ? (Mt 26, 50). Est-ce pour mener une vie aisée que je veux entrer dans le ministère ? Non, cest pour mener une vie austère et pénitente. Est-ce pour rechercher ma propre gloire ? Non, cest uniquement pour procurer la plus grande gloire de Dieu : Non quæro gloriam meam, sed ejus qui misit me (Jn 8, 50). Est-ce pour chercher mes intérêts ? Non, cest uniquement pour procurer les intérêts de Jésus-Christ. Sil se dit à soi-même : " Quand je serai prêtre, je mappliquerai surtout aux fonctions les plus pénibles et les plus humiliantes ; jexercerai le ministère à légard des pauvres, des malades, des paysans, des âmes abandonnées, des ignorants ; je méloignerai des filles et des dévotes, qui trouvent toujours des confesseurs assez ; je préférerai les pauvres aux riches, les malades à ceux qui sont en bonne santé, ceux qui sont dun caractère, dune humeur rebutante, à ceux qui sont honnêtes et polis, les hommes et les garçons aux personnes du sexe " : cette préférence est la marque dun zèle surnaturel et dune vocation divine.
Il faut quun jeune homme en embrassant létat ecclésiastique puisse dire, comme Jérémie : diem hominis non desideravi (Jr 17, 16). Benoît XIV, dans une exhortation aux missionnaires, leur cite cette parole de Jésus-Christ et de lImitation : Sicut dilexit me Pater, et ego dilexi vos (Jn 15, 9). Dixi discipulis meis quos utique non misi ad gaudia temporalia sed ad magna certamina, non ad honores sed ad despectiones, non ad otium, sed ad labores, non ad requiem sed ad ferendum fructum multum in patientia ; horum memento, fili, verborum (III, ch. 30, 34-35). En effet, si un jeune homme médite bien ces paroles, et quil ne se propose dautre vue en entrant dans létat ecclésiastique que celle dont parle lImitation : les combats, les mépris, les travaux, et les fruits qui en sont la récompense, ses intentions étant droites, il y a lieu de croire que sa vocation est divine et surnaturelle.
Comme il faut prendre les croix et les humiliations
Les jeunes gens sont presque tous dans une grande illusion. Ils simaginent quils auront partout des joies, des plaisirs, et des consolations. Mais lexpérience leur apprendra bientôt tout le contraire. Ils verront quil ny a partout que des peines, des croix, et des tribulations, comme dit lImitation (II, ch. 12, 35). La croix nous attend partout. Il faut donc aussi nous attendre, nous disposer à bien prendre et porter toutes les croix que nous aurons toute notre vie. Il faut souvent les accepter par avance et les unir à celles de Notre Seigneur. Mais il y a bien des gens qui ne savent pas les prendre comme il faut. Il y en a beaucoup qui les rejettent, qui les reçoivent en murmurant. Dautres sélèvent au-dessus par une force et une générosité naturelles, souvent même par un mépris et un dédain. Cest comme un malade qui rejetterait une médecine : elle ne lui servirait de rien. Mais pour quelle lui soit salutaire, il faut quil lavale, quelle passe dans son intérieur, et quelle pénètre jusquà ses entrailles. Ainsi il ne faut pas se rendre insensible aux croix et aux humiliations par un esprit de hauteur et de dédain, mais les accepter de la main de Dieu, comme Jésus-Christ a accepté le calice des mains de son Père, et il la bu tout entier jusquà la lie. Ainsi, à son exemple il faut recevoir les croix et les humiliations avec résignation, comme des remèdes que Dieu nous présente pour purifier notre âme de ses affections déréglées. Il faut en sentir lamertume afin quelles opèrent tout leffet que Dieu se propose en nous les envoyant. Si on nous fait souffrir, il faut reconnaître que nous avons mérité tout cela. " Comment pouvez-vous vous plaindre ? " dit lImitation, " Vous avez mérité que toutes les créatures se soulèvent contre vous ". Si lon nous humilie, il faut nous humilier encore plus profondément. Si on nous méprise, il faut nous mépriser encore davantage, au lieu quil y a bien des ecclésiastiques qui méprisent et dédaignent par un sentiment dorgueil et de dédain ceux qui les méprisent.
QUATRIÈME MARQUE : APTITUDES ET QUALITÈS
Il y a deux sortes daptitudes au ministère : une aptitude naturelle et une aptitude surnaturelle. Laptitude naturelle consiste dans les esprits, la science, lélocution, et tous les talents humains. Quand ces talents sont destitués de lesprit sacerdotal, de la grâce, de lesprit intérieur, de loraison, de la mortification, que produisent-ils ? Des philosophes, des orgueilleux, des mondains, des gens qui suivent leur propre tête, leur propre esprit, qui donnent dans des sentiments particuliers, dans des travaux, quelquefois dans des hérésies.
Que jai vu decclésiastiques, ornés de ces qualités humaines, commencer lexercice du ministère avec applaudissement, se faisant admirer et louer de tout le monde. Mais peu à peu ils sont tombés, les uns dans un abus, les autres dans un autre, ou au moins dans une inertie qui a rendu leurs talents inutiles. Pourquoi ? Parce que la nature nest pas stable. Elle ne produit en fait de sainteté que des fleurs de belles apparences, et point de fruits réels. Temporales sunt, radices non habent (cf Mc 4, 17). Une passion secrète se mêle avec ces belles qualités humaines ; et elle les empoisonne. Pour ce qui est des qualités corporelles, de la beauté, de la force, et dautres semblables, nous voyons dans lÉcriture les jugements que Dieu en porte lui-même : Ne respicias vultum ejus neque altitudinem staturæ ejus, quoniam abjeci eum, nec juxta intuitum hominis ego judico (1 R 16, 7).
Il y a donc une autre aptitude ; cest une aptitude surnaturelle. On a des talents naturels. Mais ils sont dominés par la grâce, la religion. Alors le zèle se soutient; il se fortifie de plus en plus ; il va toujours en croissant; il jette de profondes racines : in electis meis mitte radices (Si 24, 13).
Il y a des qualités propres à se faire aimer, de la politesse, de la douceur : elles sont équivoques ; elles servent au bien et au mal. Il y a des qualités propres à se faire respecter, comme de la modestie, de la gravité, un air sérieux, austère, majestueux, qui inspire de la piété et des sentiments de religion à ceux qui en sont les spectateurs. Voilà ce quil faut pour être élevé à la dignité du sacerdoce : des qualités surhumaines qui détournent les fidèles de la terre et les élèvent vers Dieu ; une modestie angélique dans son maintien et ses regards, un port grave, des gestes et une contenance réglés, une marche plus lente que précipitée, une onction divine sans affectation, un esprit droit, un bon jugement et un discernement capable de démêler le vrai du faux, lhypocrisie de la vraie vertu, les conversations sincères davec les fausses, la piété solide davec celle qui nen a que les apparences.
Un caractère mou et efféminé nest pas propre à létat ecclésiastique, parce quil dénote une âme sensible et portée à limpureté. Ces caractères sont dangereux pour les personnes du sexe, à qui ils sont un sujet de scandale.
Les qualités des évêques, des prêtres, des diacres sont rapportées dans saint Saint-Paul : Oportet episcopum irreprehensibilem esse,sobrium, prudentem, ornatum, pudicum, hospitalem, doctorem, non vinolentem, non percussorem, sed modestum, sobrium, justum, sanctum, continentem (1 Tm 3, 2-3). Ces paroles, non percussorem, sed modestum, sont bien dignes dattention : les jeunes gens qui sont hardis, effrontés, sont plus propres à être soldats et grenadiers quà devenir prêtres. Il faut à léglise des gens modestes, dun caractère naturellement modeste, réservé et timide. Je dis, naturellement, car la grâce, la religion et le devoir les rend forts et courageux dans loccasion. Cum infirmor, tunc potens sum (2 Co 12, 10).
Des grâces gratis datæ
Entre ces deux qualités surnaturelles et naturelles il y a un milieu. Il y a des sujets qui, sans être saints, et même sans être habituellement, dans létat de grâce qui convient si fort à un bon prêtre, et sans laquelle il fait des sacrilèges continuels, - il y a des sujets qui sont destinés à létat ecclésiastique par une vocation divine. Cest leur état. Dieu les a choisis pour cela, et leur a donné non seulement les qualités et les talents naturels pour cet état, mais même les dons surnaturels, comme le zèle pour le salut des âmes, lamour de lordre, et une ardeur pour les fonctions du ministère, une dextérité pour les exercer décemment, un zèle pour la décoration de léglise, pour bâtir des édifices, acheter des ornements, le don de la parole, une onction pour toucher les curs, de la clarté, de la méthode pour bien instruire.
Ces ecclésiastiques rendent des services importants à lÉglise, surtout pour lextérieur. Ils diront à la fin du monde à Jésus-Christ : Domine, nonne in nomine tuo prophetavimus et virtutes tuas fecimus (Mt 7, 22). Et Jésus-Christ répondra : Nescio vos ; discite a me, operarii iniquitatis (Mt 7, 23). Ils ont travaillé à la construction de larche comme les ouvriers dont Noë sétait servi, et ils nentreront point ; ils ont reçu leur récompense dans cette vie; ils nen ont point dautre à attendre ; ils étaient doués de belles qualités, même surnaturelles. Mais cétait plutôt pour le salut des élus que Dieu les leur accordait que pour leur propre sanctification, comme on donne à une nourrice une bonne nourriture plutôt par rapport à lenfant quelle allaite que pour elle-même : quand lenfant est sevré on nen a plus autant de soin. Ainsi Dieu accorde-t-il bien des dons à des ecclésiastiques en faveur des Élus quil a dans une paroisse, et quand les Élus sont sauvés, ou quand un prêtre a servi par ses dons et ses talents aux vues de Dieu et quil meurt en état de péché mortel, il est dépouillé de tous les dons que Dieu lui avait accordés pour lavantage des âmes qui lui étaient spécialement chères, et le pauvre misérable, mourant en réprouvé, abiit in locum suum (Ac 1, 25).
Ce malheur arrive à ceux qui nont pas la charité. Si linguis hominum loquar aut angelorum, charitatem autem non habeam, factus sum velut æs sonans aut cimbalum tiniens (1 Co 13, 1). La charité bien ordonnée dans le spirituel commence par soi-même, cæpit facere et docere (Ac 1, 1). Or, combien decclésiastiques qui ne travaillent que pour les autres ; ils nétudient, ne lisent, ne prêchent, ne confessent, ne disent la messe que pour les autres et presque jamais pour sédifier eux-mêmes : cura teipsum, zela teipsum (Lc 4, 23).
Enfin, dans le choix des bons ecclésiastiques il faut aussi faire attention aux parents dont ils tirent leur origine, si ce sont dhonnêtes gens, des gens de probité, des gens fermes et enracinés dans la vraie foi, des curs généreux.
CINQUIÈME MARQUE : GRANDE PURETÉ DE MURS ; CHASTETÉ ANGÉLIQUE
Saint Paul met au nombre des qualités requises pour le sacerdoce, la chasteté : continentem, pudicum (1 Tm 3, 2-3). Et il déclare que ceux qui ne peuvent moralement garder la continence doivent se marier, qui se non continent, nubant (1 Co 7, 36). Par conséquent, ils ne sont pas propres au sacerdoce, qui exige le célibat. Aussi les canons veulent quon nadmette aux ordres sacrés que des vierges ou des gens qui auront expié par une longue pénitence leur incontinence passée, les gens qui auront donné des preuves quils pourront vivre dans la chasteté et la pureté jusquà la mort. Car un prêtre impudique est un monstre, un sacrilège, un objet de scandale pour les fidèles, et il est la honte et lopprobre du sacerdoce. On ne peut assez lire à ce sujet le chapitre 5 du IVe livre de lImitation : Si haberes angelicam puritatem et sancti Joannis Baptistæ sanctitatem, non esses dignus hoc sacramentum accipere nec tradere (IV, ch. 5, 1).
Cum sacerdos factus es, non alleviasti onustum, sed arctiori jam alligatus es vinculo disciplinæ, et ad majorem teneris perfectionem sanctitatis. Sacerdos omnibus virtutibus debet esse ornatus, et aliis bonum vitæ exemplum præbere, ejus conversatio non cum popularibus et communibus hominum viis, sed cum angelis in clo aut cum perfectis viris in terra (IV, 5, 10-13).
Paroles qui doivent être bien méditées de la part de tant decclésiastiques qui aiment tant de se répandre dans le monde ; il est presque impossible de mener une vie pure et chaste en fréquentant le monde et surtout les personnes du sexe : Qui tangit piscem inquinabitur ab ea (Si 13, 1).
Quelle horreur de voir des ecclésiastiques dans les cercles du monde, dans les compagnies du monde, faire et recevoir des visites inutiles, dangereuses et scandaleuses dans le monde, lier et entretenir des liaisons, des parties de plaisir avec des jeunes personnes du sexe au grand scandale des fidèles qui en parlent, qui en gémissent !
Voici une réflexion dun prêtre pieux et judicieux : " Il y a ", disait-il, " des ecclésiastiques qui évitent à la vérité le grossier, lodieux de limpureté, mais qui en veulent goûter le délicat et le délicieux en se permettant à légard des personnes du sexe des regards, des liaisons, des amitiés, des tendresses prétendues honnêtes, mais qui renferment et qui inspirent au cur le poison subtil de limpureté qui corrompt le cur devant Dieu, quoiquon conserve certaines bienséances devant les hommes ". Ainsi les jeunes gens qui sont sujets à ces sortes de liaisons et de commerces avec les filles et les femmes doivent être exclus du ministère.
Méditons bien ces belles paroles de lImitation : Quam mundæ debent esse manus illæ ! quam purum os et quam sanctum corpus ! quam immaculatum cor erit sacerdotis ad quem toties ingreditur auctor puritatis ; ex ore sacerdotis nihil nisi sanctum, nihil nisi honestum, utile procedere debet verbum qui tam sæpe Christi suscipit sacramentum ! Oculi ejus simplices et pudici qui Christi corpus solent intueri ! Manus puræ et in clum elevatæ quæ creatorem cli et terræ solent contrectari ! Sacerdotibus specialiter in lege dicitur : Sancti estote, quoniam ego sanctus sum Dominus Deus vester (IV, ch. 11, 31-35).
Dieu, qui sonde les curs, sait combien il y a decclésiastiques qui mènent une vie édifiante en apparence, et qui donnent la préférence à la créature sur le Créateur, qui sont plus attachés à eux-mêmes, à leur repos, à leur bénéfice, à leurs intérêts, à leurs parents, à leurs nièces, à leurs commodités, à leur réputation, quils ne le sont à Dieu lui-même, et qui nont pas le courage, dans la concurrence de toutes ces choses et de bien dautres, de donner la préférence à Dieu et à leur salut, aimant mieux trahir leur ministère, donner les sacrements à des indignes, ou laisser commettre le crime, souffrir des désordres, etc., que de sexposer à souffrir des pertes temporelles, des disgrâces, des combats, des affronts, des humiliations, et surtout la privation de leur repos, de leurs satisfactions, de leurs commodités. Ces prêtres sont morts devant Dieu : Mortuus est (Mc 12, 20). Ils nont pas la charité : Si charitatem non habuero, nihil sum (1 Co 13, 2).
Il faut donc quun jeune prêtre, sil veut conserver la grâce et la charité, mène une vie surnaturelle, et quil prenne soin, non seulement de déraciner ses passions criminelles, mais quil soit attentif à connaître, à réprimer, et à mortifier les affections de la nature qui, comme des épines, étouffent peu à peu le germe de la grâce, parce quelles sélèvent au-dessus des affections et des sentiments surnaturels ; elles dominent sur la grâce, sur la charité ; elles occupent dans le cur la place que Dieu devrait occuper ; elles deviennent lidole des curs.
Il était défendu dans lancienne loi, sous peine de mort, de faire pour lusage des hommes les mêmes parfums quon brûlait devant larche pour lhonneur de Dieu, pour marquer, disent les interprètes, quon devait adorer et aimer Dieu dun culte et dun amour de préférence supérieur à celui quon doit à la créature, et que celui qui donne la préférence à la créature sur Dieu, ou qui égale quoi que ce soit à Dieu, perd la charité et est coupable de péché mortel.
Appliquons le principe : si un prêtre ne combat pas ses inclinations naturelles, elles croîtront et augmenteront ; elles sélèveront au-dessus des sentiments de la grâce et les étoufferont peu à peu sans quil sen aperçoive. Insensiblement, lattachement à une nièce, le désir denrichir ses parents, dominera sur le désir de procurer la gloire de Dieu et de procurer le salut des âmes. Peu à peu le désir de se procurer des aises, des commodités, des meubles et des habits superbes, des appartements magnifiques, des jardins voluptueux, des fleurs, des parterres, etc., occupera plus dattention et daffection que la prière, que létude, que la visite des malades, que linstruction, que les nécessités corporelles et spirituelles de ses paroissiens. Peu à peu le temporel intéressera plus que le spirituel, et lon se livrera avec plus dempressement à lextérieur quà la vie intérieure ; on donnera plus de temps au maniement des affaires du monde et à son ménage quaux exercices spirituels et à loraison.
On perdra un temps infini dans des conversations, des promenades, des visites inutiles, et on donnera des repas somptueux, voulant lemporter sur les autres ; et on trouvera le temps long dans laction de grâces après la messe et dans la visite au Saint-Sacrement. On voit même des prêtres qui nen font point du tout, et qui passent toute une après-midi dans la dissipation. On en voit qui à peine ont-ils célébré les divins mystères sortent de léglise avec précipitation, sans avoir rendu grâces à Dieu, comme Judas sortit du cénacle après la cène. Quelles sont donc les occupations intéressantes qui les appellent au logis ? Cultiver des fleurs, donner à manger à un oiseau, se promener dans un jardin, écumer le pot, converser avec une nièce ou avec une jeune servante quon garde contre les canons de lÉglise au grand scandale des fidèles et pour la perte des âmes, prendre le thé ou le café ou un autre déjeuner qui les attend et qui doit être tout prêt. Cela et cent autres objets plus frivoles encore : Voilà ce qui leur impose une nécessité pressante et insurmontable de sortir si vite de léglise pour se rendre à la maison ; voilà ce qui entre en parallèle avec Jésus-Christ; disons même ce qui lemporte sur lÊtre suprême, que lon abandonne précipitamment pour se livrer à la créature : Toto corde sequitur Absalom (2 R 15, 13). Il y a bien des paroisses où les gens qui ont communié sortent aussitôt sans action de grâces : comment les prêtres corrigeront-ils ce désordre, sils lautorisent par leur exemple ?
LImitation a bien raison de dire que la grâce est précieuse, quelle ne souffre pas de lange des choses extérieures et des consolations humaines : Gratia dei non miscetur terrena sapientibus : fili, pretiosa est grata mea ; non patitur misceri extraneis rebus nec consolationibus terrenis ; abjicere ergo oportet omnia impedimenta gratiæ si optas ejus infusionem suscipere (III, ch. 53, 1-2). Non poteris mihi vacare et in transitoriis pariter delectari ; a notis et charis oportet elongari et ab omni temporali solatio mentem tenere privatam (III, ch. 53, 6-7). Si vis esse spiritualis, oportet renuntiare tam remotis quam propinquis (III, ch. 53, 11).
Il serait à souhaiter que les prêtres fussent comme Melchisédech, sine patre, sine matre, sine genealogia (He 7, 3). Cest lavis que leur donne le concile de Trente : et ut omnem affectum carnalem erga propinquos deponant
[Décret sur la réforme générale, ch. 1 (Session XXV, 3-4 décembre 1563, Conciliorum cumenicrorum Decreta, Bâle : Herder, 1962, p. 760, lignes 41-42)].On voit par ces passages de lImitation quil faut, pour devenir spirituel et intérieur, réprimer la nature : quanto magis natura premitur, tanto major gratia infunditur (Imit. III, ch. 54, 32) ; quil faut contraindre la nature corrompue à faire et à souffrir ce quelle ne veut pas et lui refuser ce quelle désire, ce quelle aime, ce qui la flatte.
Si ad hunc apicem scandare gliscis, oportet viriliter incipere et securim ad radicem ponere, ut evellas et destruas occultam et inordinatam inclinationem ad teipsum et ad omne privatum et materiale bonum (III, ch. 53, 15). Voilà la raison pour laquelle il y a peu de prêtres intérieurs et spirituels : cest quils mènent une vie trop sensuelle, et quils suivent les inclinations de la nature au lieu de les mortifier : Sed quia pauci sibi ipsis perfecte mori laborant, propterea in se implicati remanent, nec supra se in spiritu elevari possunt ; qui autem mecum libere ambulare desiderat, necesse est ut omnes pravas et inordinatas affectiones suas mortificet atque nulli creaturæ privato amore concupiscenter inhæreat (III, ch. 53, 18-19).
Mais pour distinguer ce que cest quun sentiment divin et une vie surnaturelle, il faut lavoir éprouvé soi-même ; il faut en avoir fait lexpérience. Les prêtres qui mènent une vie sensuelle et qui vivent de la vie naturelle ne savent ce que cest [que] des sentiments purs, divins, spirituels, et ce que cest quune vie surnaturelle. Ils en donneront bien une définition spéculative, comme ils la voient dans les livres. Mais ils ne savent pas la distinguer dans la pratique, ni pour eux ni pour ceux qui sont sous leur direction.
Cependant les prêtres sont plus obligés que personne à tendre à la perfection et de devenir des hommes intérieurs. Une âme intérieure veille sans cesse sur elle-même. Elle porte son cur entre ses mains pour en examiner tous les mouvements, et renoncer, extirper, arracher ceux de la nature pour suivre les impressions de la grâce : étude digne de prêtres, science nécessaire aux prêtres, obligation indispensable pour les prêtres ! Mais quil en est peu qui sappliquent à cela, surtout constamment : ergo pauci salvantur ! (Lc 13, 23). Mais on peut être sauvé sans cette sublime perfection ? Oui, les laïcs ; mais, les prêtres, il faut quils soient des saints ou des réprouvés.
Tables des Marques de vocation