Septième lettre de Chine aux sœurs

 

Le 23 avril 1777

J. M. J.

 

Mes chères Sœurs,

Je ne manque pas de vous écrire tous les ans, pour tâcher de vous renouveler dans l'esprit de votre état, qui est un esprit de simplicité, de pauvreté, de détachement, d'abandon entier la Providence, de zèle pour le salut des âmes, et surtout pour les enfants qui vous sont confiés. Dieu vous préserve de la tentation ! car le démon voyant le bien, en est jaloux, tache de le détruire, ou au moins de l'affaiblir, de le diminuer, en vous mettant mille chimères en tête sur l'avenir, en vous disant que vous n'avez pas un état fixe. Quel état fixe y a-t-il ici-bas ? C'est notre exil ; le ciel est notre patrie. Voyez si saint Paul avait une demeure permanente. Souvenez-vous de moi, qui ne suis jamais quinze jours dans un même endroit. Ne sommes-nous pas des voyageurs ? Saint Pierre nous exhorte à être sur la terre comme des pèlerins. Malheur à ceux qui s'attachent au monde et aux choses du monde ! elles périssent toutes et les entraînent dans leur perte. Attachons-nous à Jésus-Christ ; il ne nous abandonnera ni à la vie ni à la mort ; si tout nous manque, lui seul nous suffit et supplée à tout.

Le démon vous tentera peut-être encore sur les besoins futurs ; il vous dira : tu perds ton temps, et la fleur de ta jeunesse passera sans que tu aies pourvu à l'avenir. À quoi je réponds qu'il est glorieux de consacrer à Dieu les plus belles années, et qu'il est honteux de ne lui donner que le reste d'une vie usée par les soins du monde. C'est pour cela que Jésus-Christ est mort à trente-trois ans, à la fleur de son âge, pour faire à son Père un plus grand sacrifice.

Notre-Seigneur demandait à ses disciples, aux approches de sa mort : lorsque je vous ai envoyés sans provisions, vous a-t-il manqué quelque chose ? Les disciples lui répondirent : Non, Seigneur, rien ne nous a manqué [Lc 22, 35]. Je vous fais maintenant la même demande. Depuis dix ans, plus ou moins, qu'on a envoyé des Sœurs sans fonds, en est-il qui soient mortes de faim ? Si quelquefois on manque de quelque chose, c'est Dieu qui l'ordonne pour nous éprouver, nous conformer à Jésus-Christ qui a vécu dans la disette de tout. Mais la Providence, après nous avoir éprouvés, vient bientôt à notre secours. Que de vaines pensées l'esprit malin ne nous suggère-t-il pas, pour nous distraire de nos devoirs, pour affaiblir nos résolutions ! Que cet établissement n'a pas assez de consistance, qu'il ne subsistera peut-être pas. Ce n'est pas à vous, ni à moi d'en décider ; cela est entre les mains de Dieu et non des hommes. Si Dieu veut le soutenir, il est tout-puissant ; personne ne pourra le détruire, et la Providence saura bien trouver des moyens pour le consolider. Si Dieu ne veut pas le conserver, nous ne le voulons pas non plus. Nous sommes entre ses mains, qu'il fasse de nous ce qu'il lui plaira ; qu'il nous conserve, qu'il nous détruise, qu'il nous anéantisse, que sa sainte volonté s'accomplisse ! Laissons l'avenir à la Providence et profitons du présent ; faisons tout ce qui dépend de nous, et Dieu prendra soin de ce qui nous concerne. Quoi qu'il arrive, tout tournera à la gloire de Dieu et à notre avantage.

Croyez-moi, il est tout avantageux à l'âme d'être ainsi sans appui entre les mains de Dieu, dépendant uniquement de lui, abandonnée à sa divine Providence ; car alors on a recours sans cesse à lui, on l'invoque, on lève les yeux au ciel, on ne regarde la terre que comme un exil. Au lieu que lorsqu'on a des fonds, des établissements, des revenus assurés, on perd Dieu de vue, on met sa confiance dans les créatures, on s'attache à ses biens ; que de maux ! Ah ! ouvrez les yeux de la foi, et votre sort vous paraîtra heureux, en cela surtout qu'il le paraît moins aux yeux d'un monde aveugle. Prenez donc pour règle, autant de fois qu'il vous viendra des inquiétudes à l'esprit, sur quoi que ce soit, de " jeter ", comme dit saint Pierre, " toutes ces inquiétudes dans le sein de Dieu, parce que c'est lui qui, comme un beau-père, prendra soin de vous ". Notre-Seigneur ne vous abandonnera pas ; vous êtes environnées de ses Anges, car les bons Anges des enfants que vous enseignez sont autour de vous pour vous protéger.

Je prie continuellement pour vous ; je dis souvent la messe pour vous ; je vous recommande sans cesse à Dieu, vous et vos enfants aussi.

Assurez toutes de mes respects les Pasteurs dans les paroisses desquels vous travaillez ; témoignez-leur ma reconnaissance pour la charité qu'ils ont envers vous. Je leur ai obligation de tout le bien qu'ils vous font, comme s'ils me le faisaient à moi-même. Je bénis Dieu de leur avoir donné le saint désir de vous faire venir dans leurs paroisses et vous recommande de prier tous les jours avec ferveur pour eux.

Du reste, appliquez-vous à votre devoir plus que jamais. Travaillez sans cesse à mortifier vos passions, à vaincre la nature, à mourir au monde et à vous-mêmes, renonçant à votre volonté en tout. Étudiez et suivez les mouvements de la grâce ; pratiquez toutes les vertus ; soyez partout par vos exemples la bonne odeur de Jésus-Christ. Ne vous mêlez point de ce qui ne concerne pas votre état. Levez sans cesse les yeux vers le ciel dans l'espérance d'une récompense prochaine. C'est là, c'est au ciel qu'est votre trésor, votre vraie félicité, votre vraie récompense ; n'en attendez point sur la terre. Tâchez d'agir toujours surnaturellement, unies à Dieu, par des vues et des motifs de religion, et jamais par passion.

 

Moye, Missionnaire apostolique

 

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