Douzième lettre de Chine aux sœurs

 

Du 29 mai 1781

J. M. J.

 

Mes chères Sœurs,

Je rends mille actions de grâces à Dieu et à la sainte Vierge de tous les bienfaits dont vous êtes comblées. Vous voyez ce que dit Notre-Seigneur, que le Père céleste connaît nos besoins et qu'il y pourvoit : nulle d'entre vous n'a encore manqué du nécessaire. Dieu vous bénit, la sainte Vierge vous protège ; vous voyez les marques visibles de la bonté de Dieu sur vous. Vous voyez comment la Providence gouverne tout, pourvoit tout, arrange tout, tourne tout au bien. Vous voyez comme Dieu a changé le cœur de bien des gens qui s'opposaient d'abord à notre projet, et qui maintenant l'approuvent et le secondent. Ils sont devenus nos protecteurs, nos bienfaiteurs, après avoir été en quelque sorte nos adversaires. Il faut remercier Dieu de tout, le bénir, le louer, l'adorer, l'aimer en tout et partout, car c'est lui seul qui fait tout. Mettons donc en lui seul toute notre confiance, d'autant plus qu'il " maudit " , dans l'Écriture, " celui qui se confie en l'homme, et qui se fait un bras de chair " [Jr 17, 5]. Dieu est immuable, l'homme change à tout moment.

Le lundi avant l'Ascension, j'ai béni une chapelle dédiée à l'Immaculée conception de la sainte Vierge ; et en dédiant cette chapelle, je vous ai aussi dédies et consacrées à N.-D. Auxiliatrice, c'est-à-dire à N.-D.-de-Bon-Secours, selon les intentions de M. Raulin. J'ai éprouvé, pendant toute cette cérémonie, une grande consolation intérieure et un témoignage de conscience que la très-sainte Vierge vous a aidées, et qu'elle vous aidera, puisqu’elle a dit elle-même à M. Gleyo, dans une vision, que votre établissement est son ouvrage. Aussi, lors de la défense qui me fut faite, d’envoyer davantage des Sœurs, je me suis démis de ce projet entre les mains de la Mère de Dieu, priant au pied de son autel, et elle m a exaucé. Elle vous a prises sous sa protection, et elle ne vous abandonnera pas, tant que vous serez fidèles à persévérer dans votre état et dans vos résolutions.

Je vous ai déjà écrit, l'an dernier, comment les écoles commençaient à s'établir heureusement en Chine. Il y a deux ou trois ans, au plus, qu'il me fut dit en songe, par une personne âgée : Ayez grand zèle pour l'éducation de la jeunesse. Bientôt après, la Providence m'a ouvert la voie pour enseigner les jeunes Vierges chinoises et établir des écoles ; la sainte Vierge a apparu à M. Gleyo qui répugnait à cette entreprise, pour lui assurer que c'était son œuvre. En conséquence, il a travaillé et travaille de tout son pouvoir à seconder cette bonne œuvre, et Dieu bénit ses efforts, car son district nous a déjà fourni bien des sujets, et il nous en fournira d'autres dans la suite.

Voici une chose très-singulière et très-vraie. Il y a environ trois ans, la sainte Vierge a apparu deux fois, en songe, à une jeune Vierge, la reprenant d'abord de sa sensibilité aux réprimandes de sa Mère, et lui disant ensuite : Vos parents se sont opposés à votre résolution de demeurer vierge, et ils s'y opposeront encore dans la suite. Il faut que vous alliez dans la province du Yun-nan (qui est à deux cents lieues de sa patrie). Elle répondit : Cela n'est pas possible. En effet, vu les mœurs de cette nation, il est moralement impossible qu'une aussi jeune fille fasse un aussi grand trajet, sans être accompagnée de ses parents. La sainte Vierge lui dit que cela se pourrait. En effet, cela s'est exécuté. Cette Vierge enseigne maintenant avec grand succès, dans cette province, et l'événement confirme bien la vérité de sa vision. Il y en a bien d'autres ici. Mgr notre évêque non-seulement approuve cet établissement, mais il y travaille lui-même dans les endroits qu'il administre lui-même, et il m'exhorte à y aller pour l'exécution de cette bonne œuvre. Rendons-en tous grâces à Dieu, et rapportons-lui uniquement la gloire de tout.

Souvenez-vous qu'une de vos vertus fondamentales, c’est la simplicité, et que la simplicité doit être pour vous une barrière et un mur d'airain contre l'esprit du monde qui gâte tout et tend à tout envahir. Car c'est vraiment la peste la plus contagieuse ; dès que ce malheureux esprit s'insinue dans un corps, ce corps dépérit, perd l'esprit de Dieu, et n'est bientôt plus qu'un cadavre. Ainsi, préservez-vous avec grand soin de l'esprit de ce monde ; c'est l'avis de saint Jacques.

Priez toujours de plus en plus pour moi, pour notre cher confrère M. Gleyo, et pour nos missions. Nos Sœurs de Chine vous sont unies de cœur et d'esprit ; elles savent ce qui regarde votre établissement.

M. Raulin m'a envoyé un abrégé des règles dont je leur ai fait part ; elles sont très-sages. C’est lui que Dieu a destiné pour être votre protecteur. Je le lui ai dit. Je l'ai espéré toujours contre toute espérance. Dieu me mettait déjà cette confiance dans le cœur, lorsque j’ai fait sa connaissance à Saint-Dié où j'avais été envoyé plutôt pour communiquer mon projet à M. Raulin, que pour diriger le séminaire de Mgr de Mareille ; car la Providence conduit tout à son but.

Je me sens intérieurement porté à prier pour vous, pour vos enfants, vos bienfaiteurs, et cela plus que jamais. Saint Jean, écrivant à une dame chrétienne, disait : " que sa plus grande joie était d'apprendre que ses enfants marchaient dans les sentiers de la vérité " [3 Jn 4]. Je vous dirai de même, que la plus grande consolation que vous puissiez me donner en ce monde, c'est de sentir que vous vivez saintement, d'une manière digne de votre vocation, entièrement abandonnées à la Providence, éloignées de l'esprit du monde, animées du zèle de la gloire de Dieu, pleines de charité pour le prochain et surtout pour vos chères enfants. Vous devez vous regarder comme leurs mères spirituelles et tâcher de les enfanter chaque jour davantage à Dieu, par vos soins, vos travaux, vos instructions et vos bons exemples.

N'oubliez pas une maxime que je vous ai souvent inculquée, que c'est à proportion des croix, des peines et des difficultés, peines intérieures et peines extérieures, qu'on fait du fruit solide et réel, et qu'on attire les bénédictions de Dieu sur soi et sur ses œuvres.

Adieu, mes chères enfants ; j'ai cinquante et un ans passés, je n'ai plus guère de temps à vivre. Priez Dieu qu'il me donne la grâce de faire une précieuse mort.

N'oubliez pas les exemples édifiants que notre Sœur Marie Morel, de Dieuze, vous a laissés ; imitez ses vertus afin de lui être un jour réunies dans le ciel.

Bénissons la Providence. Outre les différentes écoles répandues çà et là en Chine, nous avons ici, dans la province du Yun-nan, un séminaire de Vierges propres à devenir maîtresses ; Dieu me donne la commodité de les instruire tous les jours. Je leur ai prescrit hier de prier toujours pour vous. Elles diront désormais tous les jours une dizaine de chapelet, dont cinq Ave pour elles et cinq pour vous, avec cette finale, répétée dix fois pour elles et dix fois pour vous : " Béni soit Jésus, l'époux des vierges ! Bénie soit Marie, la Vierge des Vierges ! Nous prions Jésus et Marie de nous protéger, bénir et secourir, afin de nous faire augmenter tous les jours en piété et en vertu, et de persévérer jusqu'à la mort ". Quand c'est pour vous qu'elles prient, elles changent le mot nous, et disent : " Nous prions Jésus et Marie de protéger, bénir, etc., les Sœurs vierges d’Europe, etc. ". Tout cela est selon le style chinois.

Je leur ai expliqué nos quatre vertus fondamentales de simplicité, d'abandon à la Providence, de pauvreté et de charité, leur disant que c'étaient là les quatre colonnes sur lesquelles nous bâtissons notre édifice ; de sorte qu'avec ces vertus l'édifice subsistera, et que sans elles il tomberait en ruine.

Je suis en union des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie.

Votre, etc.

Moye

4 juillet

 

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