VI. AUTRE PREUVE DE SA PRUDENCE SURNATURELLE

Comme il est du devoir de la prudence de diversifier les moyens à la diversité des personnes auxquelles on a à faire, M. Jobal avait d’abord pour principe de ne donner aucun avis avant de connaître à fond les dispositions de ceux qui s’adressèrent à lui, parce qu’il avait remarqué l’abus du zèle indiscret qui, suivant son impétuosité de parler à tort et à travers, exhorte, presse, excite sans savoir l’état des âmes à qui de semblables exhortations peuvent faire beaucoup, les jetant quelquefois dans des troubles, les faisant sortir mal à propos d’une assiette tranquille qui leur était absolument nécessaire pour faire le bien avec pureté et ordre.

J’ai vu des âmes pieuses qui, sortant d’un sermon véhément, étaient toutes troublées et agitées, et qui ne sachant plus où elles en étaient, ne pouvaient s’acquitter de leurs devoirs, ayant pris pour elles ce que le prédicateur disait pour d’autres. Cela est pardonnable dans un sermon où on a égard au public et non au particulier. Mais dans le confessionnal ou ailleurs, avant de donner des avis, il faut examiner s’ils sont convenables aux personnes à qui l’on parle. Sans cela, si on suit un zèle empressé ou ses idées, son esprit propre,appliquant à tous toujours les mêmes exhortations et les mêmes pratiques, on s’expose à intimider ceux qu’on devrait rassurer, et exciter ceux qu’on devrait retenir. En un mot, on fera tout le contraire de ce que l’état des personnes exigera. Voilà ce que M. Jobal déplorait, se plaignant que certains confesseurs, suivant leur génie, gênaient, resséraient, et guindaient les consciences qu’ils eussent dû laisser au large, car, quand on voit une bonne conscience animée de l’Esprit de Dieu, on doit la laisser à la conduite de cet Esprit, et ne pas retenir dans sa voie pour la réduire à vivre selon son inspiration et son imagination.

Ce n’est point au confesseur à vouloir tracer et disposer des voies intérieures de ses pénitents ; mais c’est à Dieu et à la grâce. Et le devoir du confesseur est de suivre cette disposition de la grâce quand il a bien remarqué que c’est le bon esprit qui conduit une âme. Il doit l’encourager à la suivre, comme l’Écriture dit d’Élie : Ambulavit post spiritum domini, prenant seulement garde qu’elle ne s’en écarte ni à droite ni à gauche, et ôtant les obstacles qui peuvent l’empêcher de suivre son attrait. Ainsi, de cent personnes qu’un bon confesseur conduit, il n’en est peut-être pas deux auxquelles il doive donner le même avis ni garder les mêmes manières d’agir.

Un prêtre doit aussi une grande attention de donner non seulement de bons avis, mais de les donner à temps et à propos, prenant les moments et les circonstances propres pour les faire goûter, prévoyant le bon ou le mauvais usage qu’on en fera.

Je me souviens très bien que je reprochais à une jeune personne qu’on ne la voyait pas à la paroisse ni s’approcher des sacrements. Le lendemain je la vis communier à ma messe. Jugez quelle communion ! C’était une misérable. Un homme plus sage et plus prudent n’eût pas donné un tel avis sans prévenir l’abus qu’il aurait prévoir en résulter. J’ai vu souvent des prêtres, par des avis inconsidérés, donner lieu à bien des sacrilèges, et même faire avorter bien des conversions, parce que les gens qui commençaient à se mettre en bonnes dispositions, se voyant pressés de communier, précipitaient tout, et quittaient même le confesseur qui travaillait à les mener au point d’une vraie conversion, pour surprendre ailleurs une absolution, et contenter, par une communion sacrilège, l’empressement ou le soin trop inquiet d’un pasteur, ou d’un maître, ou d’une maîtresse, ou d’un père, ou d’une mère : inconsidéré, lorsqu’il s’agit surtout de la première communion des enfants !

Je me rappelle encore une histoire que M. Jobal avait racontée, et à laquelle il avait fait grande attention. Madame la bienheureuse de Chantal était tombée entre les mains d’un confesseur pieux, mais qui conduisait les gens selon ses idées, et non selon l’exigence des personnes. Il l’avait d’abord chargée de pratiquer des vœux, entre autres de ne pas le quitter, de sorte que cette pieuse dame se trouvait sans cesse dans des entraves, sans avoir de liberté pour suivre le mouvement de Dieu. Saint François de Sales, à qui elle s’adressa et s’en ouvrit, vit bien d’abord que ce n’était pas ainsi qu’elle devait être conduite, et qu’ayant le bon esprit on devait la laisser en suivre les impressions, sans l’astreindre à une multitude de pratiques qui la captivaient et resserraient tellement qu’elle n’avait plus la liberté de suivre le bon mouvement de la grâce, qui l’eût conduite par une autre voie que celle par laquelle marchait son confesseur. Cependant, ce grand saint, voulait, avant que de se décider, consulter Dieu et prendre des mesures. Après quoi il lui déclara avec un air de recueillement et d’union à Dieu, que ses vœux étaient nuls, n’étant pas d’un plus grand bien mais plutôt un obstacle à un plus grand bien. Cependant, comme rien n’arrive sans une Providence particulière qui veille sur ses élus et qui tourne tout à leur avantage, Dieu avait permis cette conduite envers cette sainte, pour exercer sa patience et la faire souffrir et mériter davantage.

VII. REMARQUE SUR SA FAÇON D’INSTRUIRE ET DE PRÊCHER

Qu’on n’abuse pas de ce que j’ai dit en passant, qu’il ne fallait pas beaucoup s’occuper à comparer de beaux sermons pour employer son temps à des choses inutiles, ou le consommer dans une paresse ou une indolence indigne de tout homme raisonnable et, à plus forte raison, d’un chrétien et d’un ecclésiastique. Mais je dis cela pour qu’on donne plus de temps aux exercices de piété et à d’autres choses plus essentielles, et qu’on ait l’esprit et le cœur libres pour s’y adonner comme il faut, et au lieu qu’il arrive très souvent - et cela m’est arrivé à moi-même - qu’ayant un sermon à faire ou à apprendre, on est si occupé, si affairé, qu’on néglige tout le reste, ou qu’on n’y donne ni l’attention ni l’application que la chose exigeait. Lecture, prières, méditation, visite du Très Saint Sacrement, le bréviaire même, visites des malades, tout est oublié.

Voilà l’abus des beaux sermons, outre que la manière tout humaine et souvent toute passionnée avec laquelle on les compose, rend devant Dieu le travail bien inutile et attire souvent la malédiction sur le sermon, qui n’apporte et ne cause que des effets aussi vains que le motif et le principe qui l’a produit, au lieu que si on demeurait toujours uni à Dieu en tout ce que l’on fait, agissant toujours d’une manière surnaturelle, et donnant à ses exercices de piété tout le temps convenable et ce qui resterait après la préparation d’un prône, le peu qu’on dirait après s’y être ainsi préparé par la prière, la mortification, la pureté d’intention, la fidélité à ses devoirs, profiterait incomparablement davantage parce que Dieu y répandrait sa bénédiction. Une seule lecture que l’on ferait de l’épître, de l’évangile, ou de quelque autre endroit de l’Écriture, avec quelques courtes réflexions, ferait plus de fruits que les sermons les plus fleuris.

Saint Grégoire le Grand remarque qu’en expliquant l’Écriture sainte à son peuple le Saint-Esprit lui faisait comprendre dans le moment ce qu’il n’avait pu comprendre dans son particulier avec toute son application, et pour se mettre en état ainsi aidé de Dieu il faut se disposer par la grâce, le recueillement, et se mettre au-dessus de toute crainte humaine. Car ce qui empêche bien des ecclésiastiques de suivre cette méthode, qui serait si utile pour les tenir ainsi unis à Dieu, c’est l’amour propre, le respect humain, la crainte des jugements du monde. Or on doit se mettre au-dessus de tout cela, n’envisager que Dieu et le bien de tout son peuple, car l’expérience apprend combien les instructions simples sont utiles au peuple.

Comme certaines personnes témoignaient à Bourdaloue qu’elles étaient surprises qu’on allât en foule au sermon d’un capucin qui prêchait dans ce goût-là, il leur répondait qu’on allait rendre aux prédications de ce religieux les bourses qu’on prenait aux siennes !

M. Jobal avait donc cette méthode, et il gémissait quand il composait un sermon ; il gémissait, dis-je, du temps qu’il employait à le composer, disant que c’était un temps perdu, protestant bien que la vraie manière de prêcher était de parler simplement, comme un père à ses enfants, et qu’il était bien résolu à en venir là. Je l’ai vu, quand je fus le voir à Metz, accablé d’une foule d’occupations qu’il n’a eu qu’environ une heure pour se disposer à prêcher. Et voilà encore l’avantage de cette méthode, c’est qu’on est toujours prêt à prêcher, on ne manque jamais d’instruire, au lieu que si l’on compose des sermons rangés, tantôt on n’a pas le temps de les faire ou de les apprendre. D’ailleurs ce que l’on dit n’est pas proportionné aux circonstances présentes, parce que lorsqu’on faisait le sermon on avait à faire à d’autres auditeurs.

Enfin la méthode de saint François de Sales, qui recommandait de se préparer la veille, afin qu’on n’employât pas le jour, qui doit être le temps de l’oraison. On voit toujours par là qu’on ne doit pas quitter les exercices de piété pour composer ou apprendre un sermon.

M. Jobal trouvait encore un inconvénient dans ces fameux prédicateurs : c’est qu’ils ne travaillent que sur des matières choisies où ils peuvent briller. Et les matières les plus importantes et les plus nécessaires, lesquelles ne leur paraissent pas susceptibles de leurs beaux tours, de leur embellissement, ils les laissent. Ainsi le peuple n’est pas instruit de ce qu’il devrait nécessairement savoir.

Qu’on examine les paroissiens ou les pénitents d’un de ces fameux prédicateurs, on trouve qu’ils ignorent les principaux mystères de la foi, les commandements de Dieu, les devoirs de leur état, qu’ils ne savent pas se confesser. Ne vaudrait-il pas mieux, au lieu de ces sermons de parade, expliquer au clair les mystères, le symbole ? Peut-être ne savent-ils pas leurs prières. Du moins ne les comprennent-ils pas pour la plupart. Il vaudrait donc beaucoup mieux s’attacher en chaire à leur expliquer le mystère de la Trinité, le Notre Père, les commandements de Dieu, les sacrements, que de leur faire et débiter de beaux sermons qu’ils ne comprennent pas.

Quoi ! Pour deux ou trois messieurs ou dames qu’un prêtre aura à sa paroisse, il négligera la multitude pour plaire à ce peu de personnes et s’attirer leurs éloges ! Quel abus ! Cependant, qu’on fasse si on veut de temps en temps quelques sermons pathétiques propres à toucher, après avoir bien instruit, mais toujours à la portée de tout le monde. Voilà ce que faisait M. Jobal. Son but était de bien instruire d’abord ce qui est absolument nécessaire de savoir des principaux mystères. Il les expliquait et en public et en particulier. Car voilà l’effet d’un bon zèle prudent et vigilant : on ne se contente pas de prêcher en public, mais on demande à chacun compte et raison de sa foi. Vocat eos nominatim (Jn 10, 3). Et s’il y a, comme cela arrive souvent, certains esprits plus grossiers ou plus tardifs, on les prend en particulier et on se proportionne à leur capacité, comme faisait M. Jobal, qui se chargeait toujours des sujets les plus pauvres, les plus abjects, et les plus propres à mortifier la nature. On ne saurait croire jusqu’où ses soins et son zèle le portaient pour l’instruction des enfants, des vieillards, des domestiques, et des pauvres. Aussi sa paroisse eût, sans contredit, été la mieux instruite, la mieux réglée, et cela sans sermon d’appareil.

Pour vous confirmer de plus en plus dans ces sentiments qui étaient ceux de M. Jobal, rappelons-nous ce que nous dit le Saint-Esprit à ce sujet, l’opposition qu’il met entre cette prudence charnelle et cette prudence surnaturelle. L’une est appelée la prudence du siècle, l’autre la sagesse de Dieu. Filii hujus sæculi prudentiores filiis lucis in suo genere sunt (Lc 16, 18). Celle-là engendre la sagesse terrestre, sapientiam quæ de terra est ; celle-ci la céleste. L’une donne la mort, et l’autre la vie. Prudentia carnis mors est, prudentia autem spiritus vita et pax, quoniam sapientia carnis inimica est Deo (Rm 8, 7)... Glorifica te, Pater cœli et terræ, quia abscondisti hæc sapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis (Lc 10, 21)...

Rappelons-nous avec quelles armes David a vaincu Goliath, et les réflexions que les saints Pères font sur cette fronde et sur le bâton dont il se servait, et sur l’armure de Saül qui l’embarrassait ! Considérons quels hommes Dieu a choisis pour les prédicateurs de son évangile ut confundat fortia (1 Co 1, 27), et comment la foi s’est établie par des moyens tout opposés à la prudence humaine. C’est toujours le même Dieu qui agit dans son Église. C’est toujours la même sagesse qui la gouverne, et par les mêmes voies, moins éclatantes, mais aussi réelles. Aussi il est du devoir du serviteur de se conformer à la volonté de son maître et de suivre la voie qu’il lui a tracée. Et il est très dangereux de se frayer une autre, dont on ne trouve nul exemple ni dans la sainte écriture ni dans les saints, puisque leur route lui est tout opposée.

Enfin, M. Jobal était persuadé que s’il échappait quelque faute de langage ou quelque chose de semblable à un prédicateur tel que nous venons de le dire, elles tourneront encore au bien, surtout au bien du prédicateur, et à ôter tout à fait de l’auditeur cette vaine estime et curiosité qui le porte à venir entendre un sermon - pruriens auribus, - pour ne s’appliquer qu’au solide et à ce qui peut lui être utile et salutaire.

VIII. L’EXPÉRIENCE DE M. JOBAL

La prudence s’acquiert et s’augmente par l’expérience, et l’expérience ne consiste pas de savoir beaucoup de choses, mais à les bien examiner. C’est pour cela que M. Jobal disait que les confesseurs qui confessent la foule n’avaient point ou peu d’expérience, parce qu’ils ne pensaient point et n’examinaient rien à fond, car ce que c’est que l’expérience ce n’est pas d’entendre beaucoup de péchés qu’elle dépend. Si cela était ainsi il suffirait de lire des histoires ou des examens de conscience où beaucoup de péchés sont rapportés. Mais l’expérience s’acquiert en réfléchissant sur ce que l’on voit, sur la manière dont les choses se passent. À force d’examiner les commencements et les progrès d’une conversion on apprend à la connaître. À force de sonder les consciences on apprend à les distinguer, on remarque comment parlent, pensent les bons, les méchants, et les hypocrites. Un qu’on découvrira vous apprendra à découvrir les autres qui tiennent le même langage et qui ont les mêmes sentiments.

À force de réfléchir sur soi-même et d’examiner ce qui se passe en vous vous verrez ce qui se passe dans les autres. Si une personne est bien éclairée sur elle-même et qu’elle se soit appliquée à bien discerner les mouvements de la nature et de la grâce, elle pourra faire les discernements à l’égard des autres. Après cela nous ne douterons pas que M. Jobal n’eût guère plus d’expérience à 29 ans que les autres n’en ont à 80. Or, son expérience lui avait appris qu’il y avait peu de bons chrétiens, conformément à cette sentence de l’évangile : ... " beaucoup d’appelés et peu d’élus "... - Multi sunt vocati, pauci electi (Mt 20, 16) ; qu’il y avait beaucoup de sacrilèges, peu de bonnes confessions et de bonnes communions ; et qu’ainsi un confesseur ne pouvait pas prendre trop de précautions à cet égard; que ceux qui niaient tout étaient les plus coupables. Les justes s’accusent et s’humilient : Justus est accusator sui in principio sermonis ; qu’on déguisait bien des péchés sur le sixième commandement ; qu’il y arrive bien des désordres dans les mariages, dont on ne s’accuse pas, et que les âmes droites et timorées donnent des marques de leur bonne conscience par leurs doutes et leurs réponses ; mais que lorsqu’on en donnait point de preuves, on doit la tenir pour suspecte et ne pas hasarder les sacrements ; en un mot, que lorsque la grâce est dans une âme elle opère, et qu’on voit les effets et son langage, comme aussi son sentiment surtout quand on est en place pour cela et qu’on a droit d’en exiger des preuves, comme dans le tribunal de la pénitence.

Son expérience lui avait appris qu’il y avait peu à gagner et tout à perdre avec les mondains. Ce sont ses paroles. De même avec les jeunes personnes du sexe, surtout quand elles suivent les modes, qu’elles sont adonnées à la vanité, qu’elles s’approchent des sacrements d’une manière aisée, sortant du tribunal contente du confesseur et d’elles-mêmes, qu’il y a mille misères à craindre de leur part, et mille précautions à prendre pour se mettre à l’abri de leur surprise.

Son expérience lui avait appris que les riches qui vivent à leur aise ne sont pas dans la voie du salut, qu’il faut des peines et des croix pour arriver au ciel, et qu’à moins qu’ils ne fassent un saint usage de leurs richesses, en les donnant abondamment aux pauvres, en s’en détachant, et en suppléant par des mortifications volontaires à ce qu’ils n’ont pas à souffrir dans leur état, ils risquent leur salut.

Son expérience lui avait appris qu’il y avait bien des dévotions fausses et abusives ; qu’il fallait bien éprouver l’intention, le motif, et le principe des actions et toute la conduite de ceux qui en font profession, surtout dans les personnes du sexe, à qui le fréquent usage des sacrements doit être retranché, puisqu’ils en abusent. C’est pour cela qu’il ne confessait guère de jeunes filles. Son expérience lui avait appris qu’il y a de ces sortes de personnes qui font à l’extérieur tout ce que le confesseur exige d’elles, et même davantage pour l’envie de lui plaire, d’en être estimées, vues, ou admises à la communion fréquente, ou par quelque autre vue humaine ou passionnée, sans en être meilleures, et qu’alors il faut des épreuves extraordinaires sur ceux des objets qui leur sont les plus sensibles, sur le sujet de leur attache.

Son expérience lui avait appris qu’il est dangereux de donner l’absolution contre son sentiment intérieur. Il m’écrit un jour qu’après avoir longtemps différé dans une semblable rencontre il l’avait cependant donnée, mais qu’il s’en est repenti bientôt après, l’événement justifiant que le pressentiment qu’il avait de l’indignité du sujet était juste. " Qu’on dise après cela ", ajoutait-il, " qu’on doit donner l’absolution contre son sentiment intérieur ! ". Il est vrai aussi que suivre son idée et son imagination, cela est dangereux, et surtout un faux préjugé qu’on aura pris contre une personne. Comment discerner tout cela ? Ars artium. Demeurer bien uni à Dieu, recourir à la prière, s’élever au-dessus de toute passion, discerner l’imagination de l’inspiration, le mouvement de la nature ou de la passion d’avec celui de la grâce. Une certaine crainte imaginaire - trepidaverunt ubi non est timor (Ps 13, 5) - dans une crainte réelle excitée par la grâce et l’expérience, après tout ce qu’il y ait aussi à craindre de suivre ce sentiment intérieur, il y a encore plus à craindre en ne le suivant pas. Il faut au moins l’examiner, s’il est selon le concile de Trente une règle de conduite pour le confesseur aussi bien que de la prudence : quantum spiritus et prudentia suggesserit. Mais il faut se mettre en état d’écouter et de discerner cette voix intérieure du Saint-Esprit par la pureté de ses mœurs et de ses affections, par le dégagement de toute passion, et par son union à Dieu.

L’expérience lui avait appris que les personnes que le confesseur force pour ainsi dire à déclarer quelque péché, grief dont il arrache l’aveu comme par surprise, cachent presque toujours d’autres péchés, et que ces confessions extorquées ne sont point la vraie matière du sacrement, parce que la confession doit être volontaire, et d’ailleurs qu’elles sont encore défectueuses. Supposons aussi le défaut de contrition. Qu’elles servent cependant à faire voir clairement au confesseur que le pénitent est coupable et indigne d’absolution, au lieu qu’il l’ignorait peut-être ou qu’il en doutait auparavant, mais que dans ces cas le confesseur au lieu de perdre son temps à vouloir rendre la confession entière par beaucoup d’interrogations faites à contretemps - ce à quoi il résistera puisqu’on ne lui dira que les choses à demi, - doit s’appliquer à autre chose, qui soit plus convenable et plus utile à la situation actuelle de ce pénitent, comme de l’instruire, de l’exhorter à rentrer en lui-même, de lui inspirer un vrai désir de son salut, de lui montrer que c’est une grande chose qu’une confession bien faite, qu’on ne peut se donner trop de peine et de soin pour en faire une qui nous fasse rentrer en grâce avec Dieu, lui faisant entrevoir que celles qu’il a faites jusqu’ici sont nulles, et d’autres exhortations et instructions selon qu’il y donne plus ou moins d’entente ; après cela le renvoyer réfléchir sur tout cela. Et, s’il y a pensé, on voit dans d’autres confessions le fruit qu’il en a retiré, et on va toujours en avant selon le progrès du pénitent, à qui on ne donne l’absolution que lorsqu’on voit des sentiments tout différents des premiers, en un mot, des preuves d’une sincère conversion. Elles paraissent d’ordinaire si clairement au confesseur éclairé et attentif à tout ce qui se passe dans l’intérieur de son pénitent qu’il ne lui en reste guère de doute que si la grâce n’agit pas dans cette personne. Si elle n’y répond pas il n’y a pas d’autre parti à prendre que celui d’attendre d’autres circonstances plus favorables.

Son expérience lui avait appris que ceux qui, après avoir fait l’aveu d’une habitude d’incontinence, ne parlent plus de rechute ni de tentation, ne sont point sincères, car ordinairement les conversions ne sont pas sans cela, que les conversions où il n’y a pas de combats, de répugnance, de difficultés, ne sont qu’humaines ou trompeuses ; que les personnes qui désirent l’absolution avec empressement, ou disputent pour l’avoir, en sont indignes ; que ceux qui changent aisément de confesseur et de toutes choses sont des esprits légers, avec lesquels il n’y a pas grand’chose à gagner ; que ceux qui quittent un bon sont bien suspectes, et ceux qui viennent d’un mauvais sont à examiner ; qu’il n’y avait pas beaucoup à gagner avec les personnes du sexe, à moins qu’elles n’eussent des peines, des humiliations, qui les préservent des curiosités, vanités, mondanités, recherches de plaire, et mille autres misères qui sont des obstacles à la grâce. Aussi m’écrit-il : " Je confesse peu de filles, et celles qui s’adressent à moi se retirent bientôt ". C’est qu’il agissait avec elles de façon à ne pas satisfaire la nature humaine. Elles le quittaient aussitôt.

Enfin, une chose qu’il avait très souvent remarquée, et qui, en effet, est très remarquable, c’est qu’il y a dans toutes les conditions un grand nombre de personnes qui sont d’honnêtes gens selon le monde, qui ont de très belles qualités naturelles, beaucoup de vertus morales, probité, compassion, amour, mais amour naturel du prochain et des pauvres, ne faisant de mal à personne, s’acquittant des devoirs de leur état, aimant même la piété et la religion, mais affectu potius humano quam divino, parce qu’elles ont été élevées ainsi, parce que des personnes qui leur sont chères le font paraître et estiment celles qui en ont, et par mille autres motifs naturels ; des personnes d’ailleurs exemptes de vices grossiers, et qui cependant dans la réalité n’ont point de vrais principes surnaturels de religion. Ce n’est que la chair et le sang qui les animent et les conduisent. Et ces personnes sont plus éloignées du salut, plus simples à la grâce que les plus grands pécheurs qui auraient quelque principe de grâce, quelques bons mouvements du Saint-Esprit qui les éclairent, les touchent, et les excitent.

Car, après tout, entre toutes les opérations de la grâce actuelle à la grâce habituelle et à la justification il y a quelque proportion ; il y a quelque relation. C’est un principe surnaturel qui agit, et du naturel au surnaturel il y a connexion, quoique le péché et les mauvaises habitudes soient de très grands obstacles. Mais dans les personnes où il n’y a que de l’humain et du naturel, quelques bonnes qu’elles soient aux yeux de la raison et de l’humanité, il n’y a nulle proportion entre le divin et le naturel, chose nécessaire et indispensablement nécessaire pour la foi, à moins qu’on ne dise avec les pélagiens qu’on peut se disposer à la grâce par les forces et les œuvres naturelles - ce qui est une hérésie.

Ainsi l’expérience fait bien voir combien ces sortes de gens sont difficiles à amener au point d’une vraie conversion surnaturelle. Cela est d’autant plus impossible que l’état dans lequel ils vivent leur paraît bon et honnête, et ils se croient dans la bonne voie. Il ne leur vient pas même en pensée d’en douter. Par conséquent, point de désir d’en sortir, point de volonté, point idée même d’une vie surnaturelle, point de prières pour obtenir les lumières et les secours nécessaires pour cela.

Jugez de la difficulté qu’il y a de ramener les âmes sans un prodige de la grâce, ce qui n’est point dans la voie ordinaire de la Providence, si ces personnes sont telles qu’on les suppose. Pour mieux se convaincre de cette vérité, qu’on envisage les païens, les Romains, par exemple, et encore plusieurs hérétiques de nos jours. Qu’on compare ensuite ces chrétiens dont nous parlons avec eux : on trouve une parfaite ressemblance. Ainsi, de même que toutes les bonnes qualités et les bonnes œuvres morales des infidèles n’avaient nulle proportion avec le salut éternel, qui est d’un ordre supérieur à la nature, de même ces chrétiens qui n’ont que des sentiments humains, quoique louables selon la nature et la raison, si la grâce n’agit pas, ou si par leurs affections tout humaines ils en rendent inutiles les opérations, il n’y a pas lieu d’espérer leur conversion.

Il y en a qui paraissent avoir quelque chose de plus qu’humain, et si l’on examine de près on trouvera que ce sont des grâces gratis datæ que Dieu leur donne pour le salut des autres, comme de leurs enfants, de leurs sujets. Mais eux sont foncièrement enfants du siècle, filii hujus sæculi. Tout cela prouve combien il est nécessaire qu’un prêtre qui travaille au salut des âmes ait beaucoup de lumière et un zèle surnaturel.

IX. ZÈLE SURNATUREL

Ce que M. Jobal ajoute dans l’endroit de sa lettre, " que ce qu’il voulait entreprendre il le voulait toujours " dépendamment de la grâce. Son zèle était donc surnaturel, qualité la plus essentielle au zèle ; autrement c’est zèle humain si le Saint-Esprit ne l’anime pas. Ce que je disais du zèle, qu’il doit être surnaturel, paraît d’abord revenir à sa première qualité, qu’il doit être subordonné à Dieu, ou à la troisième, qu’il doit être accompagné d’une prudence surnaturelle. Mais point du tout ! La subordination regarde l’objet du zèle, la chose qui fait matière du zèle, ce qu’on veut faire, et la prudence envisage les moyens pour l’exécuter et la manière d’y réussir, et il y est question, du principe qui anime le zèle, du mouvement qui l’excite et le porte vers son objet. Si ce mouvement vient de quelque passion, comme lorsqu’on se porte à quelque bonne œuvre par vanité, par ostentation, par intérêt, c’est un zèle passionné et tel que la passion qui l’anime, un zèle intéressé, ambitieux, vain. Et si c’est quelque affection humaine, comme lorsque l’on est porté à exercer soin ministère par rapport à certaines personnes pour qui on sent quelque inclination, c’est un zèle au moins naturel et peut-être charnel. Ou, quand bien même ce zèle serait général, comme il l’est dans quelques prêtres, s’il ne vient que du caractère et du tempérament, d’une bonté de cœur et d’une compassion naturelle, il n’est que naturel et humain, et ce zèle n’est propre de lui-même qu’à produire de semblables effets. De là on peut conclure de quelle importance il est de purifier son zèle de toute passion et de toute affection humaine, tant pour soi que pour les autres :

1° Pour soi, car outre qu’un tel zèle ne nous mérite rien devant Dieu, malgré les peines, les fatigues qu’il nous engage à supporter, il nous fait faire une foule de fautes et nous précipite dans les plus grands écarts. Luther avait du zèle, mais un zèle d’animosité et de jalousie qui l’a précipité dans l’erreur et dans l’hérésie. Ces confesseurs relâchés qui veulent sauver tout le monde, et qui élargissent pour cela le chemin du ciel, qui donnent les sacrements à tous, bons et mauvais, qui ne savent ce que c’est que de refuser l’absolution et différer un pénitent, et de lui donner une pénitence proportionnée à ses crimes, ont du zèle. Tout ce qu’ils font ils le font par bonté de cœur, par compassion pour les pauvres pécheurs. Zelum habent sed non secundum scientiam (Rm 10, 2). C’est, disent-ils, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes qu’ils se prêtent ainsi volontiers à tous les exercices du ministère, n’épargnant ni leur repos ni leurs peines. Mais, hélas, quel zèle ! Ils le verront à la fin du monde, là que Jésus-Christ en développant le principe qui les anime, leur dira : Nescio vos (Lc 13, 25), væ iis qui sequuntur suum spiritum (Is 13, 3).

Ces sortes de personnes suivant leurs idées, leurs mouvements naturels, ce n’est point Dieu, ce n’est point la grâce qui les anime. C’est leur propre génie qui les conduit. Et s’ils sont aveugles sur eux-mêmes, comment verront-ils dans l’intérieur des autres ? Ils ne savent discerner le mouvement de la grâce, auquel ils résistent d’avec le mouvement de la nature et de la passion qu’ils suivent : comment le distingueront-ils dans les autres ? Ce sont donc des aveugles qui conduisent d’autres aveugles. Qu’en arrivera-t-il ? qu’ils tomberont les uns et les autres dans le précipice.

Venons à quelque chose de moins criant, de moins odieux aux yeux des hommes, mais qui n’est pas moins criminel devant Dieu. Pourquoi des ecclésiastiques qui refusent les sacrements à des pécheurs visiblement engagés dans de mauvaises habitudes les donnent-ils à une infinité de personnes qui mènent une vie réglée en apparence, et qui dans la réalité n’ont pas même un fond de religion, qui ne se conduisent qu’humainement en tout, et qui ne sont chrétiens que par bienséance ? Mon Dieu, combien le nombre de ces gens est grand ! Combien M. Jobal le reconnaissait à chaque instant ! Or, nous avons déjà dit dans le dernier article du chapitre précédent, où, en faisant le caractère de ces âmes mondaines ou humaines, nous avons dit qu’elles étaient infiniment moins disposées à la réception des sacrements que les grands pécheurs en qui la grâce agirait. Pourquoi donc des ecclésiastiques les admettent-ils ? et souvent aux réceptions fréquentes ? Pourquoi en font-ils des éloges pompeux ? C’est qu’ils sont eux-mêmes de ce caractère. C’est que leur zèle n’est qu’un zèle humain, qui n’aime que l’humain, qui n’approuve que l’humain, qui ne discerne point le surnaturel et n’en connaît point le prix. Animalis homo non percipit ea quæ Dei sunt (1 Co 2, 14). Un zèle humain, encore une fois, n’est propre qu’à produire des effets humains, des conversions humaines, des dévotions humaines, des affections humaines, des sentiments humains, et rien de solide, rien de divin, rien de surnaturel, par conséquent rien d’utile au salut. Tout se termine à rien. C’est l’ouvrage de l’homme et non celui de Dieu. Nisi Dominus ædificaverit domum (Ps 126. 1).

Il faut donc, encore une fois, et c’est de toutes les qualités du zèle la plus essentielle, il faut que le zèle d’un ecclésiastique soit surnaturel pour lui et pour les autres, pour lui afin que dans tous les exercices de son ministère il ne suive point son propre esprit, mais l’Esprit de Dieu, le mouvement de la grâce, sans lequel il agit sans Dieu, il agit seul et ne peut rien faire de surnaturel, il se donne bien des peines, bien des mouvements à pure perte, in vanum. Voilà ce qui arrive à ces faux zélés qui vont et viennent, se tourmentent et sont dans un mouvement perpétuel qui les étourdit au point de ne vouloir rien voir de ce qui se passe dans leur intérieur. Leurs reins sont ceints ; ils sont toujours prêts d’entreprendre, mais point de lumière pour précéder et accompagner leurs actions. Lucernæ ardentes (Lc 12, 35).

Ils vont imprudemment se précipiter dans tous les écueils, et font des chutes d’autant plus lourdes qu’ils marchent avec plus de précipitation, échauffés par l’effervescence ce leur faux zèle ? Encore une fois, que peuvent bien faire de bien, je veux dire de bien solide et surnaturel, de tels ouvriers dans les vignes du Seigneur ? Ils gâtent bien de la besogne et la rendent pire que s’ils la laissaient intacte. Il faut donc qu’un prêtre, dans l’exercice de son ministère, après avoir examiné si la chose qu’il entreprend est conforme à la volonté de Dieu, comme nous l’avons dit en premier lieu, après avoir employé des moyens surnaturels et s’être proposé des vues saintes, ainsi que le dicte la prudence chrétienne, s’applique encore beaucoup plus à agir surnaturellement, ne faisant rien de son propre mouvement, mais recourant sans cesse à Dieu, se tenant en tout fortement uni à lui, discernant toujours par quel principe il se porte à ceci ou cela, réfléchissant sur tout ce qui se passe en lui pour voir si c’est la nature ou la grâce qui l’excite à faire ou à ne pas faire ce qu’il veut entreprendre. Et dès lors qu’il s’aperçoit de quelque mouvement de passion ou de quelque sentiment humain, il doit l’arracher aussitôt et y substituer les sentiments de la vertu opposée. S’il peut alors omettre ou différer l’action, il le doit jusqu’à ce que la passion soir retranchée et l’affection naturelle mortifiée. Et s’il faut agir, il doit désavouer radicalement et totalement tous les sentiments humains et passionnés, et s’unir à Dieu pour chercher dans le secours de sa grâce et le mouvement de son esprit le principe surnaturel de son action...

2° Il faut que le zèle soit surnaturel à l’égard des autres. Sans cela on ne discernera pas le principe qui agit dans eux ; on sera continuellement trompé par les apparences ; on regardera comme une dévotion véritable des affections toutes naturelles ; on fera une grande estime de certaines œuvres qui ne partent que d’un principe humain, et dont on pourrait dire ce que le Sauveur disait dans l’évangile en exhortant ses disciples à s’élever au-dessus de la nature pour agir surnaturellement, en faisant des choses qui lui sont opposées : " Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous à attendre ? Les païens en font autant. Mais aimez vos ennemis ". J’ai vu un ecclésiastique qui dirigeait différentes personnes qui m’étaient connues et dont les unes avaient beaucoup de bonnes qualités humaines, et rien de surnaturel, les autres beaucoup de surnaturel et moins de ces qualités humaines, et même plusieurs défauts naturels. Il élevait jusqu’au ciel celles en qui je ne voyais que de l’humain et faisait peu de cas des autres. Voilà comment il arrive souvent qu’on ne juge que selon les apparences, secundum visionem oculorum (Is 11, 3), selon la nature, et non selon la grâce, comme on est affecté soi-même.

Si un directeur n’a pas un zèle surnaturel pour les autres, il ne les conduira à rien de surnaturel ; il les laissera dans l’humain et les confirmera par son exemple et ses sentiments, et ne les aimant qu’humainement ; son zèle ne le portera qu’à leur procurer des avantages humains ; il prendra part à leurs maux temporels ; il liera avec elles des liaisons humaines, sources de mille désordres ; et toutes ces misères s’entretiendront, s’augmentant sous prétexte de zèle dans le commerce des communications spirituelles en apparence, mais en effet charnelles et criminelles. Voilà les effets funestes d’un zèle humain et naturel : l’aveuglement et les ténèbres, les attaches, les liaisons, les amitiés sensuelles, l’abus des sacrements, les scandales ; ou du moins, si l’état et les circonstances, l’âge et le tempérament ne donnent pas lieu à cela, c’est une perte de temps. On laisse ramper sur la terre des âmes qu’on devrait détacher d’elles-mêmes pour les unir à Dieu. On laisse des consciences pleines d’affections et de sentiments de la nature, au lieu de les purifier de tout ce qu’elles ont d’humain pour y faire entrer les sentiments de la grâce.

X. MARQUES D’UN ZÈLE SURNATUREL DANS UN PRÊTRE

Puisqu’il est si nécessaire de connaître si le zèle que nous avons est surnaturel, voici les marques qui serviront à le distinguer :

1° Si on est mortifié extérieurement et intérieurement, parce que la mortification fait mourir ce qu’il y a d’humain dans le zèle extérieur pur.

2° Si on est homme d’oraison, parce que c’est dans l’oraison que l’on puise les lumières et les sentiments surnaturels qui nous unissent immédiatement à Dieu.

3° Si on est sensible et attentif sur tous les mouvements de son cœur, car c’est le moyen de discerner ceux de la grâce et de la nature, et si une fois on les discerne bien en soi-même on pourra aussi les discerner dans les autres. Mais si on est dissipé, livré à l’extérieur, parlant, agissant sans retenue, restant hors de soi-même, se livrant à la joie, au divertissement, ou à ces occupations dissipantes, on ne pourra voir ni ce qui se passe dans soi-même, ni ce qui se passe dans les autres.

4° Si on exerce exactement et même de préférence les fonctions du ministère qui sont les plus contraires à son inclination naturelle, et envers les personnes pour lesquelles la nature sent d’elle-même de la répugnance, comme les pauvres mal habillés, mal éduqués, grossiers, les vieillards, les infirmes, les malades, les sourds, etc., comme faisait M. Jobal. Mais si on sent une inclination naturelle pour certaines fonctions ou certaines personnes qui auraient des qualités propres à satisfaire la nature, ce zèle est suspect, et on doit mortifier cette inclination.

5° S’il ne voit les personnes qu’il conduit que par une vraie nécessité ; s’il n’y pense que pour prier pour elle et les présenter à Dieu, comme faisait saint Paul à l’égard des fidèles qu’il avait convertis ; s’il ne s’inquiète à leur sujet que pour leur sanctification ; et s’il n’est sensible à leurs biens, à leurs maux qu’autant qu’ils ont rapport à leur salut éternel.

6° Si le zèle laisse le cœur bien libre, de sorte qu’on soit toujours prêt de quitter la conduite de ces âmes selon l’ordre de la Providence, et que l’attache qu’on a pour elles soit toute pure, toute spirituelle, élevant le conducteur et l’âme qu’il conduit vers Dieu, ne sentant rien qui ne porte à Dieu. Mais si on est attaché humainement de part et d’autre, le cœur est embarrassé et comme lié ; on est troublé lorsqu’il faut se séparer, on est affligé, peiné, on a des regrets, des désirs, des projets, des inquiétudes, marques d’un attachement humain, ou s’il y avait peut-être quelque chose de bon dans ce zèle, ce serait une preuve qu’il serait encore plus ou moins impur, imparfait, selon que ces affections sont plus ou moins fortes.

Mon Dieu ! quand le zèle est bien surnaturel et bien pur, la nature n’a guère de satisfaction dans la conduite des âmes ! Qu’elle a lieu d’être souvent crucifiée, et que les sentiments qu’on éprouve à leur égard sont élevés au-dessus des sens ! Si l’on ressent des consolations, comme il arrive à la conversion d’une âme, ou de son progrès dans la vertu, ou des grâces que Dieu lui fait, ces consolations sont toutes spirituelles ; elles portent à Dieu, animent la piété, et ne se font sentir que dans la partie supérieure de l’âme, la détachant toujours de plus en plus des affections terrestres.

Ces caractères du zèle surnaturel conviennent si parfaitement à celui de M. Jobal qu’ils le peignent au naturel. Sa principale attention depuis qu’il a été fait prêtre a été de purifier et de surnaturaliser son zèle, travaillant sans cesse à en retrancher tout ce qu’il pouvait y avoir d’humain et de naturel. Aussi était-il vraiment pur, spirituel, désintéressé, éclairé, mortifié, libre, et dégagé de toute attache à la créature, tendant uniquement vers Dieu. Il était consolé quand il remarquait ce zèle surnaturel dans quelque ecclésiastique. " J’admire ", m’écrivait-il, " la résolution qu’a prise C... de s’acquitter du ministère d’une manière surnaturelle ".

 

11. Marques du surnaturel dans les âmes

 

Tables de la Vie de M. Jobal

 

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