Tchang-Tcheou.

 

Je profitai de la commodité de quelques marchands pour aller en bateau à Tchang-Tcheou, ville de troisième ordre, distante à l’orient de Tchang-kin de deux journées de chemin, que l’on fait en une et quelquefois en moins, en descendant le fleuve. Cette ville m’a été bien chère, aussi je lui ai donné la Ste Vierge pour patronne, et sous sa protection je me venais ordinairement reposer, ou du moins respirer un peu après les combats que j’avais eu à souffrir sur les montagnes. Il y a bien eu des commencements de persécutions, mais, par la protection spéciale de la Ste Vierge, elles furent bientôt apaisées ; il y en eu une grande dans son district, mais la Providence a tellement disposé des choses, que la persécution du voisinage n’a pas entraîné les chrétiens de la ville, de sorte que le mandarin lui-même dit aux chrétiens : Votre Sainte Mère vous a protégés.

J’eus la consolation de voir en cette ville bien des femmes pieuses qui jeûnaient toute l’année, trois fois par semaine ; priaient sans cesse. Plusieurs sont mortes, il y en a encore une qui est la colonne de cette église, voici son histoire : Elle s’était d’abord mariée à un païen qui était mort quand je la vis la première fois ; je lui recommandai bien de ne plus faire une pareille alliance ; mais, après mon départ, un bon parti se présenta ; on la tente, on la persuade, non sans remords de conscience ; à peine eut-elle consenti, qu’elle fut frappée d’aveuglement, et son mari prétendu mourut avant d’avoir fait les noces ; sa mère, qui avait été le principal auteur de cette alliance, mourut aussi. Toute la famille fut épouvantée d’un châtiment si prompt et si sensible, et la première fois que je revins, son père me voyant, se mit à sangloter avec un visage convulsif, disant : C’est Dieu qui nous a punis, parce que nous n’avons pas obéi au prêtre. Dieu châtie ses élus dans ce monde pour ne pas les laisser damner avec le monde, dit St Paul. Ainsi, cette jeune femme fut si frappée de cet événement qu’elle se donna à lui sans réserve, et toute sa vie se passe maintenant dans les jeûnes, les prières ; et tout aveugle qu’elle est, c’est elle qui convertit les païens, instruit les néophytes, édifie les fidèles, ranime les tièdes, et soutient les fervents par son exemple, ses exhortations, ses avis charitables et ses conseils salutaires, pleins de prudence et d’équité.

J’ai baptisé dans cette ville plus de trois cents adultes, mais la famine et la peste en ont fait mourir un très grand nombre. Il y a aussi une école de filles chez le père et le frère de cette femme forte ; c’est elle qui la dirige, qui la soutient ; elle se fait porter en chaise, ou va en bateau dans les endroits voisins pour convertir les païens ou exhorter les chrétiens ; son père est un bon vieillard pieux ; son oncle encore plus dévot est mort de mon temps ; son père et sa belle-sœur sont tous des gens de bien qui m’ont toujours logé, nourri ; et Dieu les a bénis, aussi bien que mon hôte de Tchang-kin ; tous les chrétiens le voient et le disent hautement. La première fois que je vins dans cette ville, les chrétiens n’osaient prier en public ; du moins, je les ai vus effrayés renvoyer ceux qui faisaient quelques prières après la messe. Mais à présent, grâces à Dieu, on prie hautement en public, et dans les maisons particulières des chrétiens, de sorte que tous les païens du voisinage et les passants les entendent, connaissent les chrétiens et me connaissent moi-même. Il est arrivé plusieurs fois que les païens ont annoncé mon arrivée aux chrétiens ; il y a même des enfants de païens baptisés qui viennent à l’école chrétienne. Tout étant en alarme à l’occasion de la dernière persécution, on cessait les écoles ; mais j’ai écrit à Tchang-Tcheou qu’ils pouvaient la continuer, qu’il ne leur arriverait rien de fâcheux, et cela s’est trouvé vrai par la singulière protection de la Ste Vierge.

 

Conversions miraculeuses.

 

Table de la Grande Relation

 

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