Retour en la partie orientale.

 

Depuis le mois d’Avril où j’étais parti, je demeurai dans le district de Mr. Gleyo jusqu’au mois de Décembre où l’on vint me chercher ; c’était le temps que la Providence avait fixé pour mon départ, car elle conduit les missionnaires dans toutes leurs démarches comme par la main. Le dénouement des choses les plus importantes, comme la distribution des écoliers et des maîtresses d’école, venait de se faire. Je quittai donc ce cher confrère avec un grand regret, et je partis pour la partie orientale avec assez d’inquiétude, car alors il était encore question d’arrêter partout le reste des brigands dissipés. On cherchait surtout leur chef, on examinait les voyageurs. Mais à Soui-foù, le chrétien venu à Tchung-kin, marchand de soie, accoutumé au commerce, acheta du riz pour faciliter notre voyage. Sous ce prétexte, nous fûmes en effet examinés en deux endroits. On vint même sur la barque examiner les passagers ; mais quand on vit un marchand de Tchung kin, homme de commerce, et qui payait de sa personne, on nous laissa aller.

Je conduisis mes écoliers à Taô-pâ, à une journée et demie de la ville, du côté du midi, et je m’appliquai à leur formation, leur expliquant les livres chinois, le rituel, les rubriques, les Ps. en partie. Il y a un livre nommé Tchîn-kiau tze tchin (la vraie religion prouvée par elle-même), qui est très solide, très concis, mais d’un style très difficile. Nous l’avons fait réimprimer, je le leur ai expliqué, et parlé au long des preuves de notre religion.

À Pâques, je les ai laissés avec Mr. Tzian, nouveau prêtre chinois qui a passé la fête en cette chrétienté, tandis que j’étais dans la ville. C’était l’avant dernière fête de Pâques que j’ai passée en Chine. En 1782, le nombre des chrétiens qui avait été bien diminué par la peste, s’était beaucoup accru depuis quelques années.

Les chrétiens Lî, marchands de soie, avaient acheté une grande maison de mandarin, très propre à y rassembler les chrétiens. Ils y vinrent en foule, même des environs : Pour éviter la trop grande sensation, j’avais divisé la multitude ; les hommes étaient dans la maison Lî, et les femmes dans la maison Lô, où il n’y avait que des femmes, excepté le fils de la maison.

Cependant, nous célébrâmes la fête avec assez de pompe, les Lî, déployant leurs soieries pour parer la chapelle, et on passa trois nuits en prière. Des néophytes imprudents, enchantés de tels spectacles et des cérémonies de l’église, en parlèrent aux païens pour se vanter. Tout de suite, le bruit en courut par toute la ville et parvint jusqu’au prétoire. Mais un chef de quartier, dont la femme est une excellente chrétienne qui, se jetant aux pieds de son mari, lui disait : Je ne me lèverai pas que vous ne m’accordiez ma demande ; et sa demande était qu’il se fit chrétien. Cet homme nous avertit en ami, qu’il était question de nous au prétoire, qu’il fallait serrer nos effets ; et les porteurs de chaise, quand j’allais de la maison Lî à celle des Lô, pour bîner, croyant mieux me cacher dans une chaise pour éviter la vue des apostats qui me connaissaient dans cette ville, les porteurs de chaise me remarquèrent aussi, et dirent que je n’étais pas un homme du pays. Sur cette rumeur, je descendis à Tchang Keou pour visiter la chrétienté, pour arranger plusieurs affaires, dire à Mr. Sên prêtre où il devait aller, et ce qu’il devait faire ; soustraire une pieuse vierge aux tentations d’un fin chinois qui, excité par le démon jaloux de la piété de cette fille, faisait tous ses efforts pour la séduire sous le masque d’une fausse piété, et de diverses raisons plausibles en apparence que ce chinois prétextait pour avoir accès auprès d’elle.

Mais Dieu qui veille sur ses élus, vous découvrit les ruses de satan, et il fallut un coup hardi, mais nécessaire, pour arracher la brebis de la gueule du loup. Dieu bénit l’entreprise dont il était l’auteur. Échappée du naufrage, elle gémit, trembla à la vue du danger qu’elle avait couru ; et libre et dégagée des funestes chaînes dont on voulait la charger, elle rendit ailleurs des services importants, en enseignant et formant des filles à la piété. La veuve Lô, un an auparavant, avait établi une chrétienté nouvelle à six lieues de la ville, au Nord, où il n’y avait jamais eu de chrétiens ; ils venaient à la ville recevoir les sacrements, et comme ils avaient été formés par une si bonne main, ils nous donnèrent beaucoup de consolation.

Le fils d’une veuve païenne voulut aussi embrasser la religion ; la mère, irritée et furieuse, le fit mettre à genoux et le frappa très longtemps, en disant : Tu aimeras donc encore le Dieu des chrétiens ; ce jeune homme n’en eut que plus d’ardeur pour la religion ; il vint dans mon absence à la ville demander le baptême ; mais comme sa mère menaçait de le conduire au prétoire, les chrétiens lui dirent d’attendre encore ; il répondit : mais je ne sais pas si Dieu voudra bien m’attendre. J’eus aussi la consolation à Tchong kin de voir de ferventes néophytes passer des nuits en prières avec une dévotion bien édifiante, et elles travaillaient à la conversion de leurs parents et amis. Une, qui adorait autrefois certaines idoles, vit tout à coup arriver chez elle une dizaine de païennes, ses anciennes compagnes d’idolâtrie ; elle trembla à leur aspect, sachant bien leur dessein, et invoqua le St. Esprit pour qu’il lui inspirât des réponses convenables. Elles entrèrent en dispute, et elle lui dirent : Vous vous êtes égarée, nous venons vous ramener dans le bon chemin. Alors, elle leur parla avec tant de justesse sur la vanité des idoles et le culte du vrai Dieu, que ne sachant plus que répondre, elles se dirent entre-elles : Elle en sait plus que nous.

Une autre jeune femme d’esprit, convaincue de la ridiculité du paganisme, me demandait : Comment peut-il y avoir des païens ? Je lui en donnai trois raisons : l’orgueil du démon, les passions de l’homme qui ne veut pas adorer et aimer un Dieu saint, juste, infiniment bon, et la Justice divine qui le livre à un maître cruel, injuste et méchant. Cette jeune femme cependant, après deux ans de persévérance, car elle a souffert de son mari qui l’a persécutée tout un carême pour manger gras, et des païens qui s’attroupaient contre elle ; après tout cela, après des conversions qu’elle a faites d’autres personnes qui ont persévéré, et qu’elle a instruites et édifiées, elle est retournée au démon, au monde, à la comédie païenne. Elle sait bien la vérité, mais la passion l’emporte. Il y en a plusieurs de cette espèce, qui nous ont donné bien du chagrin.

Aux environs de Tchang-keou s’élevèrent aussi plusieurs chrétientés pour remplacer celles que la peste avait dissipées. Dieu y a de fidèles adorateurs, et en a déjà tiré des élus. Pour propager la foi, j’avais envoyé prêcher l’Évangile à différentes reprises dans toutes les villes et les gros lieux, depuis Tchong-kin jusqu’à l’extrémité orientale de la province. Partout, on a fait quelques prosélytes ; mais si on ne les cultive pas, ils se perdent. Il s’est converti aussi un homme près de Tchang-keou qui a souffert bien des persécutions de sa famille au prétoire où il a été emprisonné et battu, mais il a vaincu ; ses frères le laissent à présent en repos ; il a converti sa femme et ses enfants que j’ai baptisés.

Quelle foi, quelle piété dans ses enfants ! aussi il faudrait voir ce père vraiment pieux les instruire, les exhorter ; il travaille à faire des prosélytes et il en fera sûrement. Il n’y a guère d’hommes chinois qui lui ressemblent. Lorsque je baptisai sa femme, je luis disais : Ne retournez pas au culte des idoles, n’abandonnez pas la foi. Elle répondit : Quoi ! avant même de recevoir le baptême, j’ai confessé la foi devant les païens et les satellites, et je l’abandonnerais après avoir été baptisée !

En retournant de Tchang-keou à Taô-pà, où étaient nos écoliers, je passai à Moû tông, où j’avais exhorté plusieurs païens, parents de chrétiens, dans les premières années ; mais ils n’avaient pas persévéré ; cependant depuis un au ou deux, il s’était converti plusieurs familles, à la ville et à la campagne, que Mr. Sên avait instruites et baptisées en partie, et, à cette occasion, il s’était élevé une persécution.

On avait affiché un écrit où on accusait les chrétiens de faire des assemblées nocturnes pour commettre des indécences. Le mandarin en fit venir quelques-uns qui répondirent aux accusations et l’affaire n’eut pas grande suite. Il y eut là une maison assez riche qui fut réduite à la mendicité, et j’ai toujours cru que ce fut en punition d’un mariage incestueux qu’un enfant de cette famille tenta de contracter avec la femme de son frère mort. Il envoya la ravir par force contre ma défense ; cependant je parvins à les séparer ; mais la malédiction de Dieu tomba depuis visiblement sur toute la famille qui y avait coopéré. Ce lieu est à une journée de Tchung-kin et de Tchang-keou sur le fleuve. De là, je partis pour un autre endroit à six lieues de là nommé Kân làn tûng. Je fus reconnu en chemin, déclaré aux satellites qui avaient formé le projet de me prendre le lendemain. J’en fus averti, je partis la nuit, et je vins dans une autre maison chrétienne, à trois ou quatre lieues de là ; puis, je revins à Tao-pa trouver mes écoliers. Comme un d’entre eux me paraissait incertain, y trouvant du bon et du mauvais, je voulus en faire l’épreuve : je l’envoyai avec une femme âgée de Fou-tcheou que Monique Vên avait convertie, et qui a toujours marché dans la voie des croix, car elle en a eu de toutes sortes ; je l’ai, dis-je, envoyé prêcher à dix journées, dans la dernière ville de notre province, à l’orient, nommée Kouî-foû. Ils y firent des prosélytes ; mais lorsque ces néophytes étaient sur le point de venir adorer Dieu, on le dénonça au prétoire ; ils furent pris, interrogés, et comme ils affirmaient toujours qu’ils étaient chrétiens, ne voulant pas consentir à ce que le mandarin exigeait d’eux, qu’ils renonçassent au christianisme ou qu’ils se disent Pélin Kiao, il les fit frapper. La femme reçut cent coups sur la tête ; le sang coulait de toutes parts, elle souffrait cela avec constance et une force toute surnaturelle ; mais les satellites lui prirent son chapelet qu’elle avait pendu à son cou, alors elle ne put plus se contenir ; elle disputa avec le mandarin pour se faire rendre son chapelet ; les satellites lui dirent : Nous allons te couper la tête… Oui, coupez-la-moi tout de suite, leur dit-elle, avec un courage viril.

Enfin, ils furent renvoyés aux dépens de l’Empereur. On donna une chaise à la femme, et un satellite les accompagna ; ils firent dix journées de chemin, présentés, en passant par tous les prétoires avec leur sentence qui les annonçait pour chrétiens. À Tchang-keou, ils passèrent devant la maison où je loge ordinairement, et le fils de mon hôte, voyant mon écolier presque nu, lui donna vitement un habit, car il n’osait entrer, étant sous la puissance d’un satellite.

Étant arrivé à Fou-tcheou, la femme fut réclamée et reconnue par son mari, et l’écolier par des chrétiens, ils furent ainsi délivrés. Les satellites dirent : Vous autres chrétiens, vous aimez de courir le pays pour faire des prosélytes de votre religion. Cette généreuse femme m’écrivait que ce qu’elle venait de souffrir était bien peu de chose.

Quelques mois après, la persécution générale s ‘éleva ; elle fut citée au prétoire, où elle reçut encore cinquante coups. Cela ne l’empêcha pas d’aller partout à l’ordinaire exhorter les païens et faire des chrétiens à la ville, et davantage à la campagne ; elle les ranima par son exemple et convertit huit ou dix païens ou païennes.

Cette ville est une des dernières de la province, à l’orient, et la ville du premier ordre où elle avait reçu cent coups, est encore à deux journées et demie plus loin ; elle se nomme Koui-foù. Il y a une douane. Outre cela, il y a encore, en tirant plus au nord, une ville nommée Leâu xàn, où je suis allé, aussi bien qu’à Quên hien, faisant tout mon possible pour ranimer les chrétiens qui n’avaient point vu de prêtre depuis très longtemps. Au-delà de la ville, il y a encore Tâi Vìn Tûng hian, où il y a des chrétiens à la campagne ; je n’y suis jamais allé ; j’y ai envoyé seulement M. Sên ; et au-delà, jusqu’à la province de Kan-si ou Xên-si, il y a encore un terrain immense où la religion n’a jamais été prêchée ; c’est environ le tiers ou la moitié de la province. Dès qu’on est une fois en Chine, on peut aller partout, même passer d’une province à une autre. On examine les marchandises aux douanes ; et, à l’occasion de certains événements, on fouille les passants et on les interroge sur tout ; on inscrit leur nom. Mais le moyen d’établir la religion dans un endroit où elle n’a pas encore été, c’est d’y envoyer de fervents chrétiens disposés à tout pour ouvrir la carrière.

 

Persécution générale dans la partie orientale.

 

Table de la Grande Relation

 

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