Consolations de M. Gleyo.

 

Le Dieu qui console les humbles consola toujours M. Gleyo dans ses tribulations ; il eut toujours recours à Dieu dans ses afflictions. La prière, la confiance en Notre-Seigneur et sa sainte Mère, l’invocation des anges et des saints, voilà quelle fut toujours sa ressource, son refuge dans tous les temps fâcheux, dans ses embarras, dans ses doutes, ses incertitudes, ses craintes et ses alarmes. Or, il m’a assuré que Dieu lui donnait des consolations si sensibles, si douces, si fortes et si surnaturelles, qu’il était aisé de voir qu’elles ne pouvaient venir de la nature, ni des motifs humains ; que l’homme ne peut donner, ni sentir rien de semblable sans le secours divin ; et ces consolations lui étaient données, selon le besoin, dans ses plus grandes angoisses, surtout elles se faisaient sentir plus efficacement.

J’ai déjà dit que lorsqu’on a critiqué le bien qu’il faisait, il eut recours à Dieu pour connaître sa volonté, et pour examiner s’il y avait quelque chose à corriger dans sa conduite. Dieu le consola fortement en l’assurant que la Sainte Trinité l’aiderait.

À la veille d’une terrible persécution qu’on excitait à Soui-fou et qui menaçait toute la chrétienté, Notre-Seigneur lui dit : Je m’en vais à Soui-fou, sans doute pour secourir les chrétiens. En effet, et dans le moment que le mandarin irrité contre eux préparait un grand nombre de satellites pour aller les persécuter et les amener en prison, arrive de la ville capitale un mandarin supérieur qui blâme sa conduite, protège les chrétiens et dissipe la persécution.

Outre les consolations surnaturelles et divines que Dieu versait abondamment dans son cœur, dans l’oraison on le voyait le visage enflammé de l’amour divin, tout transporté hors de lui-même et s’abîmant dans Dieu. Il eut aussi bien des consolations extérieures, entre autres celle de revoir son cher disciple André Yang, et de le voir fait prêtre avec son cher Mr. Tcheou ; les écoles de filles prospérer ; plusieurs filles consacrer à Dieu leur virginité, et prendre ouvertement le parti de la piété ; le nombre des prosélytes prodigieusement augmenté ; bien des grands pécheurs se convertir ; une multitude d’enfants de païens baptisés, car il envoya aussi de tous côtés chercher les malades. Mais, comme la famine ne fut pas à beaucoup près si grande dans son district que dans le mien, on y baptisa beaucoup moins ; le nombre peut se monter à quelques milliers. Il envoya Mr. Tcheou qui n’était pas encore prêtre à Lôcheou ; ki kian, et dans plusieurs autres villes situées sur le fleuve, vers la partie orientale ; ce fut là que la famine et la peste se firent le plus sentir dans son district, et on y baptisa plus d’enfants.

La Monique Vèn et sa famille étaient venues vers lui avec Françoise Gên, et lui rendaient des services importants pour l’instruction et la formation des néophytes. Elle fit là comme elle avait fait chez-nous ; elle parcourait tous les lieux où il y avait du bien à faire ; il y eut bien des familles qui se convertirent à Soui-fou et aux environs. Mr. Gleyo ne craignait pas d’aller partout ; Dieu le protégeait. On l’accusa aussi à Soui-fou, il était des temps où la tempête semblait fondre sur lui et sur toute la chrétienté, puis, un peu après, tout était tranquille.

Cela arriva fort souvent, comme il me l’a écrit, et l’année d’avant mon départ, il y avait dans différents endroits de son district quelques centaines de prosélytes ; mais comme il arrive toujours, quand il y a des conversions de païens, les persécutions se sont allumées de tous côtés, et c’était à lui qu’on en voulait.

Trois mois avant mon départ arriva un chrétien de Soui-fou qui m’annonce que le mandarin a donné un édit terrible contre la religion chrétienne, et qu’il l’a fait afficher à toutes les portes de la ville, obligeant même les païens de dénoncer ceux qu’ils connaissaient. Quelque temps auparavant, un jeune homme s’étant converti, son père l’a livré au mandarin pour accomplir la parole du Sauveur : " Tradet pater filium, le père livrera le fils. " Et comme ce jeune homme, plein de foi, disait qu’il souffrirait volontiers, qu’il fallait perdre le corps pour sauver l’âme, on dit qu’il était devenu insensé, et on imputa sa prétendue folie à la religion : Cela excita une persécution, plusieurs chrétiens furent emprisonnés et maltraités ; un autre néophyte très fervent, ayant refusé de payer des contributions pour les idoles, celui qui les levait, le fit mettre en prison et le fit frapper avec sa femme, mais Dieu récompensa sa confiance ; car après la cause fut discutée, et le mandarin le délivra et ordonna de lui faire réparation ; ce chef des levées de contributions vint se prosterner à ses pieds et lui promettre que jamais il n’en exigerait plus de lui.

Voilà comme Dieu vient au secours des prosélytes qui lui demeurent fidèles dans la tentation. Mr. Gleyo, depuis sa sortie de prison, eut toujours de temps en temps des visions, moins fréquentes cependant, mais très certaines ; il voyait les objets qui lui étaient représentés, non avec les yeux du corps, mais peints et tracés dans l’imagination, aussi clairement et aussi distinctement que s’il les eût vus par les yeux corporels, et ces objets lui paraissaient hors de lui-même, à portée de la vue comme ce que nous voyons, et les objets présents à la vue naturelle, par exemple, un mur n’empêchait pas de voir les objets de la vision surnaturelle. Quelquefois, c’étaient des visions locales, fixées en un lieu, la lumière n’était pas toujours également forte, et il y avait du plus et du moins, mais il lui était aisé de la discerner quand elle était certaine. Il se vit un jour environné de brouillards, pour lui faire connaître les ténèbres spirituelles qui étaient en lui ; car les visions, au lieu de l’enorgueillir, tendaient toujours à l’humilier et à le corriger, sans découragement, et à lui montrer toujours une vie plus parfaite, ce qui est une marque de la réalité de ses visions ; car les visions fausses et trompeuses, qui viennent du démon, portent à l’orgueil, à la vanité, à la légèreté, à la curiosité, à la complaisance en soi-même.

Or, je puis rendre témoignage que les visions de M. Gleyo opéraient en lui des effets tout contraires. Je l’ai quelquefois vu, après en avoir reçu, et alors il paraissait plus humble, plus recueilli, plus tranquille, plus touché, plus intérieur, surtout plus détaché de tout, et plus élevé vers Dieu et vers les choses célestes, tout pénétré d’une sainte componction.

Les théologiens, qui ont traité à fond ces matières, disent que lorsqu’une personne a des visions, pour discerner si elles sont vraies ou fausses, la vie, la conduite de la personne contribue beaucoup à s’en assurer ou à les rejeter. Si la personne qui prétend avoir des visions est orgueilleuse, vaine, curieuse ; si elle manque de charité pour le prochain, elles doivent paraître suspectes ; mais quand la personne qui en est favorisée est véritablement humble, qu’elle a une piété solide et une vrai charité envers le prochain, qu’elle se défie d’elle-même, consulte, est prête d’obéir, c’est une preuve que les visions viennent d’un bon principe, surtout si elles opèrent en elle des effets surnaturels. Or, je puis dire que jamais je n’ai vu personne au monde qui ait plus de charité, plus de bonté, plus de tendresse, d’affection, de condescendance pour le prochain que Mr. Gleyo.

Encore une autre marque pour discerner le principe des dons divins : ce sont les effets qu’ils produisent aussi dans les autres, surtout quand ce sont des prêtres ou des personnes en place. Une des marques la plus certaine d’une vraie sainteté, dit le Cardinal Bona, c’est de faire des saints, de convertir véritablement des âmes, de les porter au bien surnaturel et à la perfection chrétienne. Or, M. Gleyo réussit parfaitement à cela. Il est bien difficile d’inspirer des sentiments de piété, de religion, de charité, d’humilité, de dévotion, si on ne les a pas soi-même ; voilà pourquoi nous voyons que nos prosélytes en Chine étant formés par des personnes pieuses, comme par une femme vertueuse dont j’ai parlé, et les enfants instruits et dirigés par les mains d’une vierge qui leur donne l’exemple des vertus chrétiennes, et leur en parle avec une onction qui vient de la grâce et d’un vrai fonds de piété, prennent peu à peu les sentiments, les mœurs de leurs maîtres, et deviennent comme eux de fervents chrétiens.

St. Vincent de Paul faisait la même réflexion aux prêtres de sa Congrégation. Je sais qu’il y a quelques exceptions à faire, mais la proposition, prise dans un sens moral, est vraie. Or, on n’a qu’à voir les chrétiens baptisés, instruits, formés par M. Gleyo, on verra qu’il a le don d’inspirer cette foi vive dont il est rempli, cette piété sincère qui l’anime ; voilà les preuves de la vérité de ses visions. On connaît l’arbre par ses fruits. Les peines, les tribulations, une prison de huit ans, tant de tourments endurés pour la foi en sont aussi un bon garant ; et la constance, la durée des visions, si c’était une illusion, elle paraîtrait par quelque trait ; tôt ou tard, on découvre l’erreur ; mais ici, plus on examine, plus on trouve de solidité. Notre-Seigneur lui apparut un jour, lui montrant ses plaies, en lui disant : Voyez mes plaies, elles sont ouvertes pour vous. Je rapporte cette vision, parce qu’elle lui est arrivée après sa sortie de prison ; car je ne parle pas de celles qu’il a eues étant dans les fers ; il les a écrites lui-même.

Quoique M. Gleyo traite ses pénitents avec une charité et une bonté vraiment paternelle, cependant il leur faisait aussi pratiquer des pénitences corporelles. La dévotion aisée est suspecte. Le seul extérieur de M. Gleyo, dans les fonctions de son ministère, suffit pour toucher les cœurs et inspirer la piété ; il est si pénétré de la grandeur des mystères qu’il célèbre ou des vérités qu’il prêche, qu’il en tremble d’effroi ; son visage est tout enflammé ; une voix touchante, un ton onctueux, tout parle, tout prêche dans son maintien et sa figure. Jamais je n’ai vu un prêtre dire la messe avec tant de dévotion, tant de respect et d’affection. Il est si absorbé en Dieu et si occupé des mystères redoutables qui s’opèrent sur l’autel, qu’il en est tout transporté et comme ravi hors de lui-même ; il m’a avoué qu’il avait des distractions dans le bréviaire, mais non à la messe. Un aussi St. prêtre peut bien avoir des visions, cela ne doit pas surprendre, surtout étant aussi humble qu’il l’est ; car quoiqu’il eût dans son district des apostats, des ivrognes, des usuriers, des scélérats, cependant il se mettait au-dessous de tous, assurant qu’il ne faisait que du mal, et il se regardait comme un monstre de corruption.

Un jour, ne trouvant point de consolation dans une chrétienté, il voulait aller ailleurs, et il eut une inspiration ou une révélation certaine qui lui dit d’y rester ; il répondit avec sa naïveté ordinaire, (car Dieu se plaît à converser familièrement avec ses saints) ; à cela ne tienne. Il y demeura encore quelque temps. À présent, cette chrétienté si désespérée lui donne des consolations ; plusieurs pécheurs s’y sont convertis, et il m’a dit que Dieu y avait aussi des âmes qui lui étaient chères.

Une fois, après qu’on eut tant blâmé son entreprise pour les Lôlò, qu’il n’avait faite que de l’agrément de Mgr., voyant tant de difficultés et si peu d’avantage jusqu’alors, il demandait à Dieu de lui faire connaître sa volonté à cet égard, et il vit en vision un terrain assez fertile pour nourrir la maison Vèn qui y est ; et cela tendait à lui faire connaître qu’il ne fallait pas quitter l’entreprise. Quelque temps après, il vint de ce pays des chrétiens auxquels il demandait comment était le terrain que la famille Vèn habitait ; ils lui en firent la description, et il vit qu’elle était conforme à celui qu’il avait vu en vision.

Dans ces dernières nouvelles, nous apprenons que Mr. Tcheou avait lié amitié avec un Lôlò, maître du terrain, qui écoutait ses avis sur bien des choses ; mais quand il lui a parlé ouvertement d’embrasser la religion chrétienne, il n’en a plus voulu rien entendre. La maison Vèn a cependant converti une famille chinoise, mais je ne sais si elle n’a pas transmigré ailleurs. Enfin, toutes les grandes œuvres souffrent des contradictions, des humiliations dans les commencements ; prions pour l’heureux succès de cette entreprise. Mr. Gleyo, dont le zèle s’étend aussi loin que le monde, veut envoyer à cette grande ville, située à l’extrémité occidentale de l’Yûn-nàn sur le bord d’un grand lac qui, à ce que je crois, communique par des rivières au Pègou, afin de tâcher d’y faire des chrétiens pour faciliter l’entrée des missionnaires de ce côté-là, cette ville se nomme Cên vé Tcheou.

 

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Table de la Grande Relation

 

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