Conversion dun mandarin.
Comme jexcitais tout le monde à travailler à la conversion des païens et dabord à celle des parents et amis, cette famille Dô convertit, en effet, plusieurs de ses proches, entre autres un mandarin avec tous ses enfants, quatre garçons, deux brus, une fille, une petite fille ; et la fille avec une éducation mandarine, avait des talents supérieurs, un esprit vif, une mémoire heureuse, une facilité de s énoncer admirable ; je lai nommée Thècle, et je présumai quelle rendrait de grands services à la religion, comme je lai écrit dabord dans une relation ; en effet, cest elle qui a converti ce couvent de Bonzesses et quantité dautres.
Une femme, encore parente de la famille Lô, mappelle ; elle avait deux fils ennemis déclarés de la religion, cétaient des lettrés qui aspiraient au mandarinat, et ils ont été sur le point dexciter la persécution contre nous ; rencontrant leur sur qui était maîtresse des lettres et fameuse disciple de Confucius convertie par Thècle, et venant en chaise à porteurs recevoir le baptême, ils la ramenèrent par force et avec indignation, empêchèrent les chrétiens dapprocher de leur mère malade et convertie aussi.
Mais elle na pu recevoir dautre baptême que celui de désir, et dun désir bien sincère et animé de la charité, car elle pria ses enfants de tourner leur fureur contre elle, et dépargner les chrétiens ; elle mourut dans ces sentiments. Le plus méchant de ses enfants porta bientôt la peine de sa malice, car il mourut peu après.
Mais revenons à la conversion de notre mandarin. Il eut tous les obstacles à souffrir ; sa famille entière se rassembla pour lui livrer tous des combats ; chacun lui faisait des représentations, lui disant quil se déshonorait ; sa fille, répondant à tout avec une éloquence admirable, leur démontrait la vérité de la religion et les confondait tous ; il avait pour lors son père mandarin à la ville, qui était furieux contre lui, et nous avions tout lieu de craindre quil nallumât la persécution, car il menaçait furieusement ; mais la Providence le fit placer ailleurs pour trois ans environ. De retour, sa colère apaisée, il nous laissa tranquilles. Comme tous les oncles et autres proches de ce mandarin chrétien le menaçaient, la fille, le père et la mère leur répondaient " tuez-nous ; nous sommes chrétiens, et nous le serons jusquau tombeau. "
Quand ils virent quils ne pouvaient rien gagner, ils demandèrent du moins une petite fille : cétait la fille de son fils aîné, tué à la guerre du Petit-Thibet par une flèche qui le perça entre les deux épaules. Ils voulaient avoir cette fille pour la marier à un mandarin païen ; ils leur dirent : " Faites-nous tous mourir, ensuite vous la prendrez ; elle est chrétienne, nous ne pouvons la donner à un païen, le péché retomberait sur nous. " Entre les parents de cette famille Lô qui se convertirent, je me rappelle une femme dune grande dévotion qui était attendrie jusquau larmes quand on parlait de la passion de N.S.. Elle a baptisé des milliers denfants, car elle savait les soulager, et elle disait avec simplicité aux païens que cétait pour sauver leurs âmes quelle les baptisait ; et ce qui était admirable, cest que bien des fois les païens, voyant leurs enfants à lextrémité, venaient la chercher pour les baptiser et sauver leurs âmes : ce quon doit rapporter à une providence spéciale, car cela est contre les murs de la nation qui ne permet à aucune personne étrangère dapprocher leurs enfants quand ils sont dangereusement malades.
Je regarde comme un vrai miracle de la protection divine sur cette chrétienté de Tchong-kin, et en particulier sur la famille Lô, si charitable que, tant de dangers si éminents, des menaces de la part des païens, tant de rumeurs, des persécutions déjà commencées et prêtes à sexécuter, Dieu cependant à toujours apaisé les tempêtes, rendu le calme et conservé cette maison, sans quaucun événement fâcheux lui soit arrivé ; ce qui doit bien animer à la confiance les personnes qui font des bonnes uvres au milieu des païens mêmes et des plus grands dangers, lorsquelles le font dans des intentions pures et avec la prudence convenable, selon que la nécessité ou la charité lexige. Le démon, pour empêcher le bien, avait toujours retenu les chrétiens par la crainte, ils nosaient rien entreprendre ; mais la charité a vaincu la crainte et a triomphé de tous les obstacles : Charitas mittis foras timorem
; cependant il faut agir avec prudence.Il faudrait quun missionnaire eût le zèle et lactivité de St Paul, et la patience de Job ; la simplicité de la colombe et la prudence du serpent ; priez pour eux.