Commencement des Ecoles

à l’Yùn-nàn.

 

Dans mon premier voyage au district de M. Gleyo, j’étais déjà allé dans la province de l’Yùn-nàn, et sur le point de partir en disant la messe, à la fraction de l’Hostie, la petite parcelle au lieu de tomber dans le calice voltigea en l’air, de sorte que j’étais effrayé, craignant qu’elle ne tombât hors du corporal ; cependant elle se reposa dessus, et cela sans qu’il y eût le moindre souffle de vent. Si on peut expliquer cela naturellement, j’en suis d’accord, mais la pensée qui me vint est que N. S. voulait aller à la province de l’Yùn-nàn, y opérer par sa grâce.

Y étant arrivé dans le deuxième voyage, je vis le beau séminaire bâti par M. Gleyo, bien distribué, avec une chapelle au fond ; et pour cacher son dessein, il y avait dans la salle un maître de la langue chinoise. Avec tout cela, ce bâtiment si évident, si grand, si magnifique, me parut une chose trop hardie et trop dangereuse dans les circonstances présentes, et je soutins toujours qu’il était impossible qu’on pût le conserver. Mr. Gleyo et Mr. Hamel soutenaient que si.

Mr. Gleyo avait reçu, disait-il, des assurances de la protection divine sur cette maison, je le croyais bien et vu les mœurs chinoises, c’était un miracle qu’on l’eût laissé bâtir et subsister déjà six ou neuf mois. Mais je répondis à M. Gleyo qu’il ne savait pas le sens et l’étendue de cette promesse, et qu’il fallait prendre ses précautions. J’avais en moi un pressentiment éclairé de certaines lumières que cela ne durerait pas ; je suis demeuré environ trois mois dans de grandes frayeurs, et pendant ce temps-là nous avons fait venir la vierge Françoise Gîn qui fut placée dans une maison chrétienne au bas de la montagne où était le séminaire, à un quart de lieue de distance. M. Gleyo y fit venir des filles de l’endroit et des environs ; nous commençâmes à y établir une école qui fut la mère et le modèle des autres ; car jusque-là, cette vierge n’avait enseigné qu’en particulier en différentes maisons ; j’allais tous les jours en cette maison dire la messe, et expliquer les livres chinois à l’école où se formaient plusieurs maîtresses, et où je réglai les exercices et les heures de la prière et des instructions.

Après quelque temps, Monseigneur me demanda de lui envoyer quelques filles formées pour établir aussi des écoles dans les districts qui sont vers la ville capitale ; je lui en envoyai une, et comme elle ne suffisait pas, il en redemanda d’autres ; il m’en envoya lui-même une pour la former. Après la dissolution de cette école par la persécution, la providence la rétablit à Lòn Kô Sên avec le même ordre et un nombre encore plus considérable ; on tremblait au commencement ; c’était un temps critique mais la Sainte Vierge la conserva sans accident. Mais auparavant, ayant passé environ quinze jours dans la ville de Laô làn Keôu, nous y établîmes aussi une école assez nombreuse, et après que la tranquillité fût un peu rendue, la 1ère de l’Yùn-nàn fut aussi établie.

À la fin, j’envoyai là Françoise Gîn à Monseigneur ; cette sainte fille y alla en faisant les plus héroïques sacrifices ; elle s’imaginait bien que c’étaient de nouvelles croix qui lui étaient préparées. Elle fut mal reçue, non pas de Monseigneur, à ce que je crois ; on la mit à enseigner de côté et d’autre dans les maisons, elle s’épuisa tellement qu’elle mourut en peu. M. de St. Martin m’a écrit que plusieurs filles, jusqu’alors fort déréglées, protestaient qu’elles voulaient se changer, imiter ses vertus, se consacrer tout à Dieu ; il ajoute qu’un homme eut une inspiration de la sainte Vierge qui lui disait… pourquoi n’allez-vous pas chercher cette maîtresse pour enseigner ?… il s’excusa en disant : nous n’avons point de viatique… la sainte Vierge lui répond : il y en aura et là-dessus il vient trouver Monseigneur, et lui raconte le fait.

Monseigneur envoya Françoise Gîn. M. de Saint-Martin dit qu’en chemin on vit la Sainte Vierge en l’air qui la précédait. Je doute de cela, ne connaissant pas les personnes qui l’ont vu et dit ; mais je puis assurer que cette vierge est une sainte fille et qu’elle a reçu des faveurs singulières de la Sainte Vierge ; mais ce que je sais et dont je puis rendre témoignage, c’est que naturellement fort sensible, accablée des reproches de sa mère, elle se mit à genoux en prière ; et comme elle prolongeait son oraison, elle s’endormit, et dans son sommeil il lui apparut une femme respectable vêtue d’un habit violet tirant sur le brun, qui la reprit de sa sensibilité et de son abattement, l’encouragea et lui dit que le prêtre viendrait bientôt ; ce qui arriva ; et, autant que je me rappelle, elle eut cette vision deux fois. Je ne sais pas tout ce qui lui fut dit ; ce que je sais, c’est que cette fille avait une conscience des plus éclairées et des plus délicates, et toutes les vertus qui forment une sincère piété : humilité, modestie, mortification continuelle, portant des instruments de pénitence, même dans ses infirmités, un talent extraordinaire pour instruire avec méthode et précision, et pour gouverner une école, tenir tout en ordre et en respect, à l’âge de dix-huit, vingt ou vingt-deux ans, marchant toujours dans la vie des croix, la première levée, la dernière couchée, car nos écoles, sous elle, étaient comme un petit monastère dont elle était la supérieure.

Elle faisait la consolation de M. Gleyo et l’édification de tous les chrétiens qui changèrent, avec le temps, le mépris qu’ils en avaient témoigné en estime et en respect ; enfin, épuisée de fatigues et de mortifications, elle mourut en 1783, comme une sainte, selon qu’elle avait vécu.

Après mon départ de chez M. Gleyo, on demandait encore des maîtresses pour la ville capitale ; ce cher confrère en envoya des jeunes avec des âgées, pour travailler avec elles, les soulager et les former ; cela donna occasion à la critique ; on commença à décrier ce projet des écoles et à en tracer les plus noires idées à Monseigneur qui fut tout déconcerté ; ne sachant plus quoi faire, il renvoya les plus jeunes, retint cependant les autres ; mais ce ne fut là qu’une épreuve passagère, comme il est arrivé en Europe au commencement de l’établissement. M. Gleyo eut bien d’autres mortifications à soutenir, et des contradictions dans tout le bien qu’il faisait. Il avait imposé des pénitences publiques aux apostats publics pour réparer le scandale et intimider les autres, prémunir contre la rechute ; on décria tout cela ; dans sa peine, il recourut à Dieu, et il eut pour réponse… : La Sainte Trinité vous aidera.

Il y a parmi les vierges de M. Gleyo une jeune fille qui n’avait que onze à douze ans, déjà en état de bien expliquer les livres et de faire l’école avec une personne qui eût contenu les enfants ; c’est un prodige d’esprit et de piété, une mémoire angélique. Elle fut malade tandis que j’étais chez son père, et très malade, en grand danger ; je lui donnai l’extrême-onction.

Le lendemain, sa mère la porta où je disais la messe pour recevoir le saint viatique ; elle souffrait des douleurs extrêmes ; elle fut guérie, et le soir elle fut en état de faire l’école. La même chose arriva à la fille de mon hôte de Tchang-Kin.

M. Gleyo a placé cette jeune fille qui, à présent, peut avoir seize à dix-sept ans, à la ville de Soui-foù, pour enseigner les prosélytes et faire l’école ; quand on a des gens sûrs et prudents chez qui on puisse placer de ces jeunes filles, il n’y a moralement rien à craindre, surtout en Chine où il y a une grande séparation et une grande réserve entre les deux sexes.

 

Écoliers du séminaire.

 

Table de la Grande Relation

 

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