Evénement fâcheux.

Persécution.

 

Après quatorze jours de marche, je suis arrivé à Soùi-foù, ville du premier ordre du district de M. Gleyo. En y arrivant, j’eus la consolation de voir bien des femmes prosélytes qui s’y étaient faites depuis quelques années que M. Gleyo était venu en ces endroits-là. Ils étaient avides de la parole de Dieu ; ils venaient assidûment aux exercices de piété. Quelquefois, dans de pareilles circonstances, on suit plutôt son affection que la prudence, et on ne prend plus les précautions qu’il faudrait ; je leur demandai s’il n’y avait rien à craindre, on me dit que non ; et cependant les païens remarquaient ces assemblées, nous examinaient, et comme la maison n’était pas bien fermée, ils m’aperçurent, avertirent les prétoriens qui vinrent aussitôt faire la visite. Heureusement, tout était fini, le monde retiré, et moi j’étais dans une chambre à côté de la salle avec deux écoliers que nous allions envoyer à Mgr. pour être ordonnés. M. Tcheou, le satellite dont j’ai parlé, et M. Tzian qui avait été en exil pour la foi ; tous deux du Koui-tcheou. Nous entendîmes les satellites faire des questions à un chrétien qu’ils trouvèrent dans la salle en prières, il dit qu’il était de la ville. Les satellites se retirèrent, et je saisis ce moment pour m’évader ; nous voyions bien que nous étions trahis ; je soupçonnai un néophyte de cette perfidie. À peine étais-je arrivé dans une autre maison que ce néophyte vint m’y trouver, ce qui augmentait encore ma frayeur. Je demandai d’aller dans une maison plus éloignée ; c’était une famille d’apostats qui, après avoir abandonné la religion depuis plus de vingt ou trente ans, avait paru revenir à résipiscence.

C’étaient des gens mous, timides à l’excès, et tout mondains ; je vais là, et à peine y suis-je arrivé que l’on m’y apporte les ornements et deux caisses de livres, ce qui était la plus grande étourderie du monde, car en cas que je fusse pris, cela eût servi de preuve contre moi. On ne peut dire combien de telles imprudences sont sensibles aux missionnaires dans de pareils événements ; je m’aperçois d’abord de l'état déplorable de mes hôtes, ce qui augmente mon inquiétude, aussi bien que d’avoir vu quelques chrétiens que je ne connaissais pas, qui m’étaient venus voir, et dont la physionomie et les discours ne pouvaient que me les rendre suspects et capables de m’aller dénoncer. Dans ces fâcheuses circonstances, où tout concourait à m’affliger, sans ressource et sans aucune consolation humaine, je prenais le crucifix entre les mains, et la vue des souffrances du Sauveur me soutenait sans ôter le sentiment des peines et des amertumes qui m’accablaient ; il faut avoir passé par de pareilles crises pour avoir quelque idée de ce qu’on ressent alors. Je restai presque tout le jour dans cette espèce d’agonie, et dont voici le comble : Tout à coup, j’entends des gens arriver ; on ouvre la grande porte, et je vois une chaise à porteurs : Cet appareil, dans ces circonstances ne pouvait me donner d’autre idée que celle du mandarin qui arrivait pour me saisir ; c’était le dernier sacrifice que Dieu voulait de moi, je m’attends donc à paraître devant son tribunal, et à toutes les fâcheuses suites de cet événement.

Cependant, examinant de nouveau et demandant ce que c’était, il se trouva que cette chaise était pour moi ; mais comme il n’y avait personne avec pour me conduire, il fallait toujours attendre, et on me demandait pour qui était cette chaise, ce qui pouvait donner de nouveaux soupçons. Enfin, vers le soir, le marchand de soie, mon compagnon de voyage, homme de tête et prudent, vint me chercher.

Quelle consolation de voir un bon chrétien dans nos afflictions ! Sans se servir de la chaise, il me conduit par des rues détournées jusqu’à la rivière qui monte vers l’Yùn-nân, où elle prend sa source. Je m’y embarquai, et je fis encore environ une lieue de chemin, craignant toujours la trahison et la poursuite des satellites.

Après mon départ, l’affaire, loin d’être finie, devenait tous les jours plus sérieuse par l’émotion et la haine des païens. Le mandarin, au milieu de la nuit, vint faire des visites dans la maison où j’avais logé ; on en avait ôté tous les effets ; cependant il y restait encore un missel ; la femme le prit adroitement et l’enveloppa promptement dans des linges en présence du mandarin qui lui demanda : Qu’avez-vous là ? Elle répondit : Ce sont des linges.

Le mandarin y vint plusieurs fois, et il reprocha aux femmes de ce qu’elles venaient dans les assemblées des hommes ; mais cela ne se peut autrement ; elles en sont séparées comme dans les paroisses bien réglées, et dès qu’une chose est nécessaire pour la religion, il faut l’abandonner à Dieu. On reprocha bien aussi aux martyrs de Foù-Kàn, l’article de la confession des femmes comme une chose intolérable. Les païens animés vinrent en bande insulter le néophyte, excellent chrétien, chez qui j’avais logé, et ils brisèrent les murs de sa maison. La persécution s’éleva, on prit les chrétiens, on les interrogea et on les frappa. Ce sont là les épreuves ordinaires des néophytes. Avant cette recherche du mandarin, je croyais être un peu en sûreté la nuit, et souvent je respirais après les ténèbres, craignant à chaque moment de la journée, que les païens ne vinssent me prendre, surtout quand nous avions été menacés et avertis des desseins qui se tramaient contre nous ; mais depuis cet événement, je vis qu’il n’y avait pas plus de sûreté la nuit que le jour. Jamais ces craintes d’une irruption des païens ne me furent plus sensibles qu’en célébrant le saint sacrifice de la messe, surtout depuis la consécration jusqu’à la communion. Quand pendant ce temps nous avions des alertes, quel coup de foudre pour moi ! et cependant la grâce et les lumières en ces moments ne font qu’augmenter. Je regarde comme un vrai miracle que tant de missionnaires disent tous les jours la messe au milieu des païens, des apostats, et souvent dans la salle d’entrée, où chacun peut venir à chaque moment ; cependant il n’est jamais arrivé qu’on soit venu saisir le prêtre ni les chrétiens pendant la sainte messe.

 

Commencement des Écoles à l’Yûn-nân.

 

Table de la Grande Relation

 

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