Ma seconde visite à M. Gleyo.

 

Je croyais avoir reçu une vocation de Dieu pour faire une seconde visite à M. Gleyo ; je vis en songe le curé de ma paroisse qui me disait de monter le fleuve pour visiter un saint prêtre et m’entretenir avec lui de l’esprit des croix, et on lui demanda combien j’y resterais ; il témoigna une certaine indignation à cette demande pour faire voir que je n’en devais pas revenir sitôt. Environ six mois après, je trouvai une occasion, un marchand de soie de Kian-si allait, pour acheter de la soie, à Kin tin-foù, ville du district de M. Gleyo. Je m’embarquai avec lui et avec ce nouveau prosélyte de la capitale du Koui-tcheou qu’il avait converti, et que j’avais baptisé le samedi-saint, qui allait faire le même commerce. Après quatorze jours de marche, nous arrivâmes à Soui-foù. Je fus bien édifié de voir la bonne conduite et les bonnes mœurs de ce bon chrétien. Nous eûmes en chemin une petite affaire ; j’apportais deux coffres de livres pour M. Gleyo, et à une certaine ville qui est sur le bord du fleuve, on fit la visite de nos marchandises ; on vit ces deux coffres, et les douaniers demandèrent ce que c’était ; le maître de la barque répondit : C’est à moi. Et on n’y regarda pas : c’eût été une grande affaire si on eût trouvé ces livres.

Je courus le même risque dans une autre douane, portant des livres sur les montagnes, et Dieu ne permit pas qu’on regarde la caisse qui les renfermait, quoiqu’on en eût bonne envie. Je vis aussi en passant un prosélyte dont voici l’histoire assez intéressante, et qui fait voir que Dieu protège la religion contre les efforts du démon et du siècle.

Cette ville est à cinq ou six journées de Tchang-Kin, à l’ouest ; elle se nomme Hô-Kioù. Cet homme avait d’abord été prétorien, il est lettré et d’une assez bonne conduite ; il est venu à Tchang-Kin, et ayant ouï parler de la religion chrétienne, il lut nos livres et se convertit avec une grande affection, témoignant bien du zèle pour la religion ; mais comme j’ai remarqué qu’il arrive presque toujours, que les prosélytes sont éprouvés par des persécutions ; celui-ci convertit d’abord ses compagnons de voyage, puis il retourne chez lui convertir sa femme, son fils et sa bru, dresse la tablette de religion et en fait une profession publique, priant hautement avec sa famille.

Le bruit s’en répandit dans toute la ville ; ses anciens amis prétoriens l’évitent comme un homme pestiféré ; on l’accuse au prétoire, et son accusateur meurt peu après, d’une manière qui marquait bien la vengeance divine ; c’est lui qui me l’a raconté. Le mandarin actuel avait ouï parler de la religion chrétienne, et il savait combien il est difficile de se tirer des affaires qu’on leur suscite : Prenez un chrétien, disait-il, interrogez-en un autre, il dit la même chose ; c’est une cause bien épineuse. Il n’osa l’attaquer directement, mais il prit le parti de lui suggérer d’aller habiter ailleurs. Les païens et les prétoriens surtout lui suscitèrent bien des querelles ; le maître de la maison le chassa de son logis.

Dans ces fâcheuses circonstances, il demanda à sa femme si elle se remontait de s’être faite chrétienne ; et elle, consolée par la grâce du Saint-Esprit, lui répondit que, loin de s’en affliger, elle en était charmée. Il vint alors me trouver ; j’étais à la campagne, à une journée de la vielle de Tchang-Kin, pour me mander mon avis sur ce qu’il devait faire à l’occasion de la persécution dont on le menaçait. Toute réflexion faite, me confiant en Dieu et en sa prudence, je crus qu’il était de l’honneur de la Religion de tenir ferme en cette occasion. Pour le fortifier, il reçut les sacrements avec son compagnon, et retourna chez lui.

À son arrivée, il fut assailli de toutes parts par les prétoriens et d’autres qui lui disaient : comment vous revenez encore ? Pourquoi ne reviendrais-je pas, répondit-il quel mal ai-je fait ? Suis-je un voleur ? Je suis chrétien, et la religion chrétienne est vraie. Et il lui était aisé de le prouver, et de convaincre les païens ; il persista à la prêcher, et on lui disait : C’est en vain que vous prêchez, on ne vous écoute pas.

Le démon, jaloux et furieux de ce qu’on prêchait l’Évangile dans un lieu où jamais on n’en avait entendu parler, faisait tous ses efforts pour l’en empêcher. Cependant il demeura ferme et convertit plusieurs personnes.

Au moins, ses prédications justifièrent la providence qui a envoyé à cette ville le flambeau de la foi pour les éclairer, malheur à eux s’ils n’en profitent pas ! Bien des mandarins ont été déconcertés par la réponse des chrétiens quand ils leur proposaient de renoncer à la foi, ils leur répondaient : Comment voulez-vous que je renonce à ma Religion ? et en prenant nos dix commandements, ils faisaient voir le ridicule qu’il y aurait de les transgresser : Ma religion m’ordonne d’adorer le vrai Dieu, puis-je refuser le culte qui lui est dû pour le rendre à des idoles muettes, faites de boue, de pierre, de bois, etc. ? Ma religion me défend de faire un faux serment, faut-il donc que je jure en vain ? Ma religion m’ordonne d’honorer mes père et mère, l’empereur, les mandarins, faut-il que je les déshonore ? Ma religion me défend de tuer, elle me défend l’impureté, le vol, la calomnie, si j’y renonce, il faut donc que je tue, que je vole, que je commette des adultères.

Voilà comme les chrétiens confondent leurs persécuteurs.

 

Événement fâcheux. Persécution.

 

Table de la Grande Relation

 

Home Page