Enterrements des Chinois.

 

Les Chinois enterrent leurs morts avec un grand appareil ; ils font de grandes lamentations, comme nous voyons que les anciens peuples le pratiquaient ; les païens ont des chants lugubres en vers, ou du moins en prose coupée et égale, et à la fin de chaque couplet, ils font des gémissements, de sorte qu’un entend tout de suite quand il y a un mort dans le voisinage.

Mon hôte avait ordonné qu’on ne l’enterrât pas d’abord, mais qu’on fît beaucoup de prières pour lui ; je célébrai la sainte messe en présence du cadavre, et fis les obsèques de grand matin, avant que les païens ne vinssent, car comme il était fort connu dans la ville et fort estimé, il avait même des lettres de noblesse, quantité de païens, voisins, parents, amis, vinrent y faire leur visite et leurs compliments de condoléances, et apportèrent, selon la coutume, chacun un présent pour aider aux frais d’enterrements. La somme se monta bien à soixante taëls, mais les dépenses allèrent peut-être jusqu’à trois cents.

À chaque visite, la femme, les filles, les brus, reçoivent les venants autour du cercueil, et après les civilités ordinaires de part et d’autres ; elles se lamentent, éclatent en pleurs et en gémissements. Pendant un quart d’heure, les femmes les accompagnent et s’attendrissent sur leur malheur, versent aussi des larmes, et tâchent aussi de les consoler ; mais les hommes, après leurs saluts, vont boire, jouer, se divertir. Les païens se prosternent devant le cercueil pour l’adorer, comme si le mort était divinisé ; mais l’Église a condamné toutes ces superstitions, et elles sont totalement abolies dans nos provinces ; les chrétiens, non seulement ne font pas cela à l’égard des païens, mais ils ne leur permettent pas même de le faire quand ils viennent les visiter à la mort de leurs parents. Les chrétiens s’assemblent en grand nombre pour prier, et les païens les écoutent et en sont édifiés.

Enfin l’enterrement se fit avec une grande pompe, il y avait un très grand cortège ; vingt ou trente chaises à porteurs pour le sexe, et il fut enterré avec les cérémonies chrétiennes, les chrétiens récitant les prières de la sépulture.

Les Chinois enterrent les morts avec tous les habits et les ornements les plus précieux ; ils portent aussi les bagues, les joyaux d’or ou de pierres précieuses ; c’est pour cela qu’ils font garder le sépulcre pendant environ un mois, de peur qu’on ne vienne voler ce qu’il y a de précieux, et c’est chez eux un cas très grief de voler un tombeau ou de couper un arbre qui croîtrait dessus ; cela est une fois arrivé à un chrétien par mégarde dans un terrain qu’il avait acheté ; on lui fit une grande affaire ; on voulut l’obliger à sacrifier sur ce tombeau pour apaiser l’âme du mort ; il s’accommoda par de l’argent.

Les païens font mille superstitions à leurs enterrements ; ils dressent la tablette de l’âme, qu’ils portent en pompe devant eux et le cercueil, puis la rapportent et la placent dans la maison ; cela prouve bien qu’ils croient l’immortalité de l’âme ; et ils font venir les Bonzes et les Taôzè pour prier ; mais ces prières ne consistent que dans des mots vides de sens, cela néanmoins vient de l’antiquité ; ils choisissent superstitieusement le lieu de la sépulture, ils s’imaginent qu’une terre composée d’une certaine manière est avantageuse, et que si on y enterre les morts, cela portera bonheur à ses héritiers.

Un marchand chrétien, avide de richesses et d’une prospérité temporelle, voyant que tous les moyens qu’il employait pour cela étaient inutiles, se mit dans l’idée que sa pauvreté et ses désastres venaient de ce que son père était mal inhumé, il le fit déterrer et transporter ailleurs ; mais la même année, au lieu de devenir riche, il fut réduit à aller travailler chez les païens comme un pauvre manœuvre, et il mourut misérablement. Ce fait public frappa tout le monde, et les chrétiens adorèrent en cela la justice divine.

Environ vers ce temps, trois ou quatre ans avant mon retour, mourut aussi une femme charitable, à deux journées de la ville à l’ouest. Sa maison était le refuge des chrétiens, des pèlerins et des pauvres païens. Elle a baptisé des milliers d’enfants ; les gens du voisinage venaient lui apporter leurs enfants pour être soulagés dans leurs maladies, et elle avait par là occasion de les baptiser. Elle alla aussi dans le temps de la peste partout où elle put. C’était une femme respectable aux païens mêmes. Son mari avait apostasié de parole dans la persécution de Lâo moèn tàn dont j’ai parlé ; je lui refusai les sacrements la première fois que je vins. On dit que son fils aîné, apprenant la réponse que son père avait faite au mandarin qui lui demandait : Pratiquerez-vous encore la religion chrétienne dans la suite ? Il répondit : Non. Et de retour, son fils lui demanda ce qu’il avait répondu, quand il ouït sa réponse, il lui dit : Vous avez mal répondu. Et on dit qu’il en mourut de chagrin.

Toute la famille était très pieuse, très attachée à la religion. Depuis il y eut plusieurs persécutions ; elle demeura ferme et inébranlable après la mort de son mari ; et j’ai ouï dire à cette vertueuse femme qu’elle était prête de mourir pour Dieu, et que ce serait un grand bonheur pour elle. Un païen voisin, qui venait les inquiéter au sujet de la religion, fut changé tout à coup, se convertit avec toute sa famille ; il est mort peu après, et je suis venu à temps pour l’administrer.

C’étaient les filles de cette charitable mère qui, pendant la famine, se privaient d’une partie de leur riz pour le donner aux pauvres, et elles mangeaient des glands ; j’eus la consolation d’administrer une de ses filles, mariée à la ville, laquelle se sentant près de mourir, vint dans la maison de sa mère, et, en effet, elle mourut en prédestinée.

Sa mère, après une vie sainte, pleine de bonnes œuvres, se sentant aussi près de la fin, vint me trouver à la ville, et ayant reçu les sacrements pour se disposer à la mort, elle revint chez elle, et mourut peu après.

Voilà comme la Providence veille à ce que les bons chrétiens reçoivent les sacrements à propos ; elle s’appelait Marthe et en faisait les fonctions ; la plus grande joie pour cette maison était quand le prêtre y arrivait. La dernière fois que j’y fus, une de ses filles était fort malade, elle se confessa et communia, et fut aussitôt guérie.

J’ai vu bien des fois de semblables guérisons. C’est le neveu du maître de cette maison qui, mécontent de son partage, s’en prit à moi, apostasia et voulut me prendre avec les ornements. Comme il savait à quelle heure je disais la messe, il vint avec les païens à la même heure, mais je m’étais évadé. Son frère avait apostasié aussi pour la même raison ; c’était un chrétien avare dont la conduite avait toujours peiné la bonne tante ; l’autre était un hypocrite qui ne s’était converti que par intérêt ; son frère cependant, voyant les fléaux de Dieu qui le frappaient, une fille morte d’une manière horrible, revint aussitôt à résipiscence, mais c’est une conversion excitée par une crainte purement servile.

 

Les Chinois vraiment chrétiens sont tels que les Européens.

 

Table de la Grande Relation

 

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