Ecoles dans le district

de M. Devault.

 

M. Devault avait été fort prévenu contre moi, car comme nous aimons naturellement de critiquer et qu’on croit plutôt le mal que le bien, il se tenait en garde contre moi, mes sentiments et mes pratiques ; mais ayant travaillé plusieurs années sans beaucoup de fruit, et voyant que Dieu répandait quelques bénédictions sur le champ que je cultivais ; après avoir vu M. Gleyo, dont la charité est très propre à réunir les esprits et les cœurs, il commença à penser différemment sur mon compte, et se plaignit de ce que je ne lui écrivais pas assez.

Dans cette circonstance, tout bien considéré, je crus qu’il était des intérêts de Dieu d’aller le voir dans son district, espérant lui être utile à quelque chose.

Comme il était pour lors disposé à recevoir mes avis, le premier que je lui donnai fut de travailler à l’éducation de la jeunesse, puisqu’il ne pouvait rien faire des gens âgés et endurcis dans le mal ; je lui proposai d’établir des écoles de filles, il y consentit ; mais le moyen d’avoir des maîtresses ? je lui proposai d’en envoyer chercher chez notre confrère M. Gleyo, quelques-unes que j’avais vues, une qui avait beaucoup de talents, et d’autres qu’il avait fait avancer dans la piété, et c’étaient les parentes des chrétiens de M. Devault. Il les envoya chercher sur-le-champ ; il y a sept jours de chemin, et j’attendis qu’elles fussent venues pour établir les écoles. Elles vinrent en effet, et on les reçut en murmurant par envie et par jalousie. En même temps que j’étais là, je voyais celles qui seraient propres à cet état ; et M. Devault, ayant renvoyé au bout de deux ans celles de M. Gleyo à Mgr. et M. de Saint-Martin qui les demandaient, il se servit des siennes, et il établit beaucoup de ces écoles.

Il avait plus de cent cinquante écolières, je ne me souviens plus exactement du nombre. Cet établissement faisait l’admiration des chrétiens ; les enfants apprenaient leur Religion, les prières et les pratiques de piété ; ils allaient dans leurs familles les réciter et les apprendre à leurs parents. Voilà la première consolation qu’eut M. Devault, le seconde fut de voir établir chez lui les pratiques qui étaient déjà en usage chez M. Gleyo et chez moi. Depuis cela, Mr. Devault prit en moi une entière confiance, et me consultait sur tout. Malgré la rigueur et la sévérité de mes avis, il s’y conformait ; mais c’est à M. Gleyo surtout, après Dieu, que nous en sommes redevables.

Cela n’empêche pas qu’il ne s’élève quelquefois entre les meilleurs amis des discussions : mais quand on sait que ce n’est pas par envie, ni jalousie, ni autre motif humain, mais par zèle et bonne intention, on demeure toujours unis en Dieu qui est le vrai fondement de l’amitié chrétienne ; je puis dire aussi que quand nous nous voyons, M. Gleyo, M. Devault et moi, au lieu de nous entretenir des défauts des autres, nous nous avertissons charitablement des nôtres ; ainsi nos visites et nos entretiens étaient toujours suivis de quelque avantage spirituel.

Ce fut dans ce séjour, d’un mois ou d’un mois et demi, que je fis chez M. Devault, en forme de prières, la vie de la sainte vierge avec des instructions et affections relatives à chaque article, et on récite tout cela en forme de chapelet ; je fis cela étant malade, ayant de grands vers dans les entrailles ; mais ce que l’on fait dans la peine est plus surnaturel. J’avais demandé auparavant avis à Mgr. qui non seulement me le permit, mais me l’ordonna, et ce petit livre a eu depuis beaucoup de cours dans la province.

Je fus surtout dans les premières années sujet à une singulière incommodité, une eau âcre sortait comme une fontaine de ma langue enflée, et cette humeur me piquait comme si on m’eût enfoncé des aiguilles ; ce qui me rendit la prédication, les instructions, les prières très onéreuses ; mais il faut qu’un missionnaire agisse, il n’a pas le temps de soulager ses maux, à moins qu’ils ne soient extrêmes ; je fis bien des maladies considérables, et les médecins chinois nous traitent tout autrement qu’il ne faudrait nous traiter ; quand on leur demande des rafraîchissements, ils donnent des remèdes qui échauffent. Je me souviens qu’à Tchang-Kéou, ayant une maladie très considérable au mois de mai, et voyant les chaleurs terribles qui commençaient à se faire sentir, je m’enfuis sur les montagnes à trois ou quatre jours de là ; j’avais une chaise à porteurs, il est vrai, mais les porteurs fatigués avaient peine à traîner la chaise vide ; en grimpant les montagnes, il me fallait donc marcher en l’état pitoyable où j’étais ; aussi j’en ai été longtemps malade, et très dangereusement sur les montagnes ; mais la fraîcheur me rétablit peu à peu, au lieu que les chaleurs m’eussent accablé dans la plaine. La famine et la peste n’avaient pas fait de si furieux ravages dans les districts de mes confrères voisins que dans les miens ; cependant M. Gleyo et après M. Devault envoyèrent aussi baptiser les enfants ; M. Gleyo en fit baptiser un assez grand nombre dans la partie voisine de la mienne.

Étant de retour chez moi, je commençai de même à établir des écoles de filles, et avec l’aide du Seigneur, elles se sont conservées et multipliées, et produisent un grand avantage ; tout y est réglé, il y a un crucifix, quelques images, et les écolières doivent y élever les yeux trente-trois fois par jour en faisant de pieuses aspirations ; les exercices de piété et les prières sont fixées à certaines heures comme dans une communauté religieuse ; on y explique tous les jours le catéchisme, le sens des prières et les livres qu’on y enseigne, qui sont tous des livres de piété et d’instruction.

Je recommande cet établissement aux prières des bonnes âmes ; qu’elles supplient la sainte Vierge qui l’a fait, de le conserver, le bénir et le multiplier, pour la gloire de son cher Fils et la sienne, et pour procurer à la jeunesse une sainte éducation. Ce fut pour moi, à mon départ, une douleur bien sensible de quitter ces enfants qui pleuraient et gémissaient des journées entières, lorsqu’ils ont vu que je retournais en Europe.

M. Devault, à qui j’ai confié cette bonne œuvre, était alors présent et ravi d’admiration, il disait : " Les enfants, ordinairement légers, ne pensent qu’à rire, et ceux-là pleurent et gémissent. "

 

Mort de mon hôte Lô.

 

Table de la Grande Relation

 

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