Retour en la partie orientale.
Après cinq mois employés à la langue du pays, Mgr me chargea de la partie orientale et de la province du Kouy-tchéou ; je fis, pour y venir, un voyage de cent lieues à pied ; et comme je ne savais pas encore faire usage des souliers ferrés qui sont très pesants en descendant les montagnes, je me fatiguai prodigieusement, je passai en chemin chez les chrétiens, quand il y en avait sur la route ; il fallait loger dans les auberges chinoises, et je faisais alors la meilleure contenance possible pour me cacher aux Chinois ; mais ce ne fut pas sans bien des frayeurs et bien des alarmes que jarrivai enfin à la partie orientale du Su-tchuen qui métait destinée. Ce fut là que je commençai à exercer doffice le ministère, faisant bien des fautes, parce que je ne connaissais pas encore assez le monde. Plusieurs chrétiens lâches, frappés de la nouveauté, venaient me surprendre et abuser du peu de connaissance que javais de cette nation, pour recevoir indignement les sacrements. Mais Dieu a des élus parmi les hypocrites ; quoi quil en soit, les chrétiens, qui navaient pas encore vu de prêtres depuis longtemps, me virent avec plaisir.
Après la visite de trois ou quatre chrétientés, jarrivai à une où il y avait eu déjà bien des apostats dont jai parlé ; je les mis en pénitence et les privai de lassistance au saint sacrifice ; ils venaient chacun faire laveu humiliant de leur chute. Cette cérémonie fut si touchante, que les chrétiens tièdes, qui navaient pas approché des sacrements depuis dix ans, allaient se placer avec eux, confessant hautement leur tiédeur et leur négligence, se reconnaissant indignes de la religion quils professaient.
On eût dit quil y eût tout à espérer en voyant une si belle apparence, mais une épreuve subite fit voir ce quil fallait en penser. On vit trois hommes qui descendaient dune montagne, du côté où la ville de Hian-tzin est située ; à cette vue le démon, qui les avait intimidés pour les faire apostasier, jette leffroi dans leurs curs ; ils se persuadent que ce sont les satellites, et ils viennent en tumulte me contraindre de fuir ; et presque toutes les fois que je visitais cette chrétienté, il arriva toujours des catastrophes, plusieurs fois ils vinrent la nuit me prier de partir sous lombre de craintes vaines qui les alarmaient, et ils déchiraient de nouveau, au plus petit bruit des persécutions, leurs tablettes de religion.
Il nest pas étonnant que le démon jette la terreur dans le cur terrestre quune foi vive ne soutient pas ; et il est encore plus surprenant quune nation aussi timide que la chinoise, quand la foi est la grâce la soutiennent, soit capable de résister aux menaces et aux tourments des satellites et des mandarins. Enfin, pour les humilier par après, je leur fis afficher dans leurs salles publiques ces paroles de lApocalypse : Que les pusillanimes nauraient point de part au royaume des Cieux.
Cependant jeus plusieurs années après la consolation de voir en cette chrétienté faible une jeunesse plus édifiante se former à la piété, malgré les mauvais exemples des pères et mères, et, à présent, il y a une école de filles que la Providence a établie et conservée, malgré les efforts que le démon fit pour la détruire ; car, à cette occasion, il excita ces apostats à vouloir labolir, disant quelle serait le sujet dune persécution, et il est arrivé le contraire, car depuis quelle y est, il nen est plus arrivé.
Voilà la ressource des prêtres qui exercent le ministère ; quand ils voient que les anciens endurcis sont incorrigibles, ils doivent faire une nouvelle chrétienté dans la jeunesse.
De là, je revins à la principale ville de la partie orientale où il y a environ un million dâmes ; un ancien prétorien me reçut chez lui, mais la Providence me rappela bientôt dans une meilleure maison à qui jai toutes les obligations possibles ; cest celle dun banquier, nommé Lô, où jai toujours été traité avec toute la bonté, la charité, la cordialité, quon trouve à peine chez les plus proches parents. Ils étaient deux frères, je les administrai à la mort, et les ai enterrés tous deux ; laîné surtout, après avoir reçu des grâces toutes spéciales pour se bien préparer à la mort, a expiré entre mes bras avec des sentiments de religion et de résignation admirable ; on peut dire quil est mort en prédestiné, environ huit ans après mon arrivée ; il avait toujours eu un grand fonds de religion, de droiture ; beaucoup de charité pour le prochain, qualité rare chez ces Chinois ; et Dieu lavait purifié par une longue maladie que je voyais lui être nécessaire pour le détacher. Son frère mourut cinq ou six ans avant lui, et je vis bien que Dieu avait permis cette mort pour donner à sa femme plus de liberté et de facilité pour se consacrer toute aux uvres de piété ; je lui déclarai les vues de Dieu sur elle, et elle y répondit admirablement bien, car depuis six ou huit ans, elle a baptisé des milliers denfants, converti des centaines de païens, instruit et édifié les fidèles, surtout les néophytes ; elle est allée deux fois en une province éloignée de plus de cent lieues pour travailler à établir la religion dans la capitale de cette province, et elle y réussit ! Elle a soutenu avec une force et un courage héroïques plusieurs persécutions ; elle a une prudence et une dextérité toute spéciale pour se comporter et se conduire, selon lexigence des circonstances. La femme de laîné, que jappelle mon hôtesse, ayant souvent demeuré chez elle, ma toujours traité avec plus de charité et daffection tendre et respectueuse que celle quune mère peut avoir pour son plus cher enfant.
Voilà comme saccomplit la parole du Sauveur : que celui qui abandonnera pour le saint Évangile père, mère, frère et sur, en trouvera cent fois plus en ce monde même, et la vie éternelle en lautre. Je les recommande aux prières des bonnes âmes, ces charitables bienfaiteurs, cest là que les néophytes venaient passer des huit jours, boire, manger, pour sinstruire et se former à la piété par leurs bons exemples et leurs instructions. Ils avaient une fille déjà promise en mariage, mais comme je vis que Dieu lappelait à la virginité pour être lexemple des fidèles, son père étant malade, de sorte que la nourriture ne pouvant passer, il courait risque de se voir bientôt à lextrémité ; je lui dis que je prierais Dieu pour le rétablissement de sa santé sil voulait consacrer sa fille au Seigneur ; il le fit et il guérit de sa maladie. Alors, il alla au pied des Autels offrir sa fille à Dieu ; elle y fit vu de chasteté en présence des fidèles ; elle a passé plusieurs années dans un jeûne continuel, sans manger de viande ni boire de vin, et elle est maintenant maîtresse décole ; elle a un don spécial pour former les enfants et toutes les personnes du sexe à la piété ; elle a des murs pleines de candeur et de douceur ; elle porte sur son visage les traits de toutes les vertus et des marques de prédestination. Cependant, pour la préserver dans la fleur de son âge Dieu, qui veilles sur ses élus, laffligea par des maladies continuelles qui ne lempêchent pas denseigner, non seulement à la ville, mais dans plusieurs endroits éloignés, où elle est déjà allée former des maîtresses et des écoles. Dieu verse une grande bénédiction sur ses entreprises ; toute cette maison a des vues et des intentions extrêmement droites et pures ; au lieu que les Chinois, à moins que la religion ne les réforme, sont presque toujours fourbes, obliques, trompeurs et hypocrites, recherchant presque en tout leurs intérêts et leur propre satisfaction.
Après cette petite digression, que la reconnaissance exige de ma part envers des bienfaiteurs si généreux et des gens qui ont rendu tant de services à la religion, je reviens à mon histoire. Quand jarrivai en cette ville pour la première fois, on ny comptait que soixante catholiques bien tièdes ; et, à présent, grâces à Dieu il y a deux ou trois cents adultes, et il en est mort à peu près autant du temps de la peste et la famine, et peut-être vingt ou trente mille enfants baptisés. La religion y fait tant de progrès que lan dernier, peu avant mon départ, outre plusieurs néophytes, il se convertit un couvent de Bonzesses, et vingt ou trente pauvres mandarins ; jai souffert de terribles frayeurs en cette ville, surtout dans les commencements et dans certaines circonstances critiques dans la suite. Au commencement, notre hôte, encore timide, simaginait quà loccasion des assemblées de chrétiens qui se faisaient chez lui, on avertirait le mandarin ; il croyait quil envoyait déjà des espions et quil serait bientôt saisi. Le démon, voyant quon venait lattaquer dans son empire, inspirait des terreurs ; mais Dieu dissipait tout ; la confiance et labandon à la Providence nous soutenaient ; ce cher hôte me disait : Saint Michel nous protégera. Jai donné ce saint pour patron à la ville.