Succès de M. Gleyo.

 

J’ai vu moi-même dans le district de Monsieur Gleyo combien tout était dans un état déplorable, surtout quand il s’est agi de casser les contras usuraires et de faire restituer ; cela me paraissait si difficile à l’égard des chrétiens intéressés qu’il avait à conduire, que tout autre que lui n’eût peut-être pas même oser le tenter. Cependant, un an après, j’ai appris de lui-même qu’il en était venu à bout, de même que pour tant de fiançailles faites sans le consentement des deux parties, qui sont nulles de droit naturel. Cependant elles se font comme cela en Chine ; les pères et mères promettent leurs enfants sans leur en parler, et donnent des arrhes. Mr. Gleyo obligea les pères et mères à lui rendre toutes ces arrhes et cela fut fait ; il rompit même des fiançailles faites avec des païens, et les chrétiens avec qui il avait affaire étaient pires que les païens mêmes ; ils menaçaient de l’accuser au tribunal du mandarin. Un jour, il en eut une grande frayeur ; mais il fut rassuré par un sentiment intime qu’il n’y avait rien de funeste ; enfin, il vint à bout de tout ce qu’il avait entrepris.

Quand son zèle l’anime, il fait trembler les plus déterminés ; rien de plus doux ni de plus patient, lorsqu’il ne s’agit que de ses propres intérêts. Un jour, j’étais chez lui, un ivrogne vint lui dire mille sottises, criant comme un damné ; il le reçut avec bonté, lui disant ce qu’il avait à lui dire ; ensuite, cet ivrogne étant sorti, on voyait que Mr. Gleyo n’était pas du tout choqué ni occupé de l’injure qu’il avait reçue, mais il gémissait sur le sort de ce malheureux qui allait à sa perdition, comme il me le dit. Une autre fois, comme il avait déclaré à un usurier qu’il fallait restituer, cet homme se fâcha furieusement et criait si haut, que nous l’entendions, quoiqu’il fût dans une autre maison. Mr. Gleyo dit : Si cet homme venait me frapper il aurait raison, je le mérite. Quoiqu’il y eût de grands pécheurs parmi les chrétiens, il priait pour eux et se mettait au-dessous de tous, se croyant, se disant plus méchant, plus misérable qu’eux tous.

Le nombre des chrétiens s’est prodigieusement accru depuis sept à huit ans qu’il a ce district ; à Soûi-fou, qui est une ville de premier ordre, de sa dépendance, il n’y avait qu’une ou deux familles de Kiansi, toutes tièdes qui donnaient des contributions pour les superstitions païennes. Ce fut dans cette famille qu’il logea au commencement, et il y eut un de ces chrétiens qui, au lieu de le consoler sur sa prison, lui faisait des reproches en disant : Sa prison lui a donné de la mauvaise humeur ; parce qu’il voulait les corriger sur certains points. Maintenant, il y a plus de deux cents chrétiens dont plusieurs sont très fervents ; il y en a qui ont beaucoup souffert dans les persécutions, et Dieu les a délivrés merveilleusement.

Une chose qui est bien admirable aussi, c’est que, quand Mr. Gleyo fut délivré de sa prison, les païens mêmes faisaient l’éloge de ses vertus, et lui ont envoyé quelques petits présents ; et plusieurs se sont convertis, touchés et attendris par le récit de ses souffrances et de sa constance.

J’ai été à Vin-Tchang pour les baptiser, et j’y ai dit la messe en actions de grâces de sa délivrance, j’ai étendu sa chaîne sur l’autel et ai offert avec le sacrifice de la messe celui de ses souffrances.

Parmi ces néophytes que j’ai vus souvent, il y en a de bons, et c’est un de ceux-là qui a tant fait de conversions à Soui-fou, et qui m’a secouru dans un terrible danger.

Mr. Gleyo a une vive foi et a le talent de l’inspirer à ceux qu’il convertit ; c’est là un miracle de grâces plus grand que les prodiges les plus signalés ; il ne se borne pas au Su-tchuen, il étend son zèle partout, jusque bien avant dans la province de l’Yûn-nân.

Comme il a reçu de Dieu une vocation pour aller travailler à la conversion des Lôló, qui est un peuple qui demeure dans la province de l’Yun-nân, et qui a des mœurs et une religion différentes de celles de la Chine, il y est allé et a parcouru le pays pendant plus d’un mois, souffrant les fatigues d’un si long voyage et les incommodités de la nourriture et du logement, outre les dangers auxquels il s’exposait ; son zèle lui fit dévorer tout cela, et ayant pris avec lui le satellite du Koui-tcheou dont j’ai parlé, il en a fait un saint, puis un prêtre ; ensuite l’a envoyé travailler à la conversion de ses peuples. Il a aussi envoyé en un autre endroit son premier disciple qui fut emprisonné avec lui, et qui est maintenant prêtre aussi. Jamais on n’a prêché l’Évangile dans cette région, et il y a fait des prosélytes ; c’est un fait de l’an dernier.

Entre le district de Mr. Gleyo et le mien, il y a dix journées de chemin sur le fleuve Kian, bordé de beaucoup de villes et où on n’avait pas encore prêché la religion. Nous les avons partagées entre nous deux ; je lui en ai cédé la plus grande partie, comme ayant plus de zèle que moi ; il y a envoyé prêcher l’Évangile partout, et il y a fait des prosélytes, surtout dans une ville de second ordre nommée Lò-Tcheôu, où il y a trois cent mille âmes. Le démon y exerce visiblement sa tyrannie ; il y est allé lui-même voir les prosélytes ; il m’a parlé de quelques-uns sur lesquels il a de grandes espérances.

Je le recommande, ce cher confrère et intime ami, avec toutes ses pieuses entreprises, aux prières de toutes les bonnes âmes.

 

Délivrance d’une possédée.

 

Table de la Grande Relation

 

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