Persécution à Tûng Leân
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À Tûng Leân Xià Xé, ville du troisième ordre, à une journée et demie de Tchung-Kin, au nord, il séleva une persécution. Dans la ville même, il ny a presque point de chrétiens ; encore le peu qui sy trouvent ne sont pas dignes den porter le nom ; mais à un quart de lieue, il y a plusieurs familles danciens chrétiens. Nous logions chez une veuve pleine de piété ; son mari était catéchiste ; elle avait aussi une fille toute jeune qui suivait ses traces ; elle fut mariée au fils de mon hôte, à Tchung-Kin, vécut peu de temps dune manière fervente, et mourut en prédestinée, après avoir reçu tous ses sacrements. Cette veuve fut accusée de recevoir chez elle le prêtre et les chrétiens ; le mandarin, qui était un jeune homme, se transporta dans sa maison avec les satellites et tout son appareil ; il fait prendre les chrétiens, interroge cette femme qui lui répondit avec tant de prudence et de force, quelle remporta sur lui une pleine victoire. Quand le mandarin lui demandait pourquoi elle recevait des étrangers, elle répondit que son mari avait beaucoup damis, et quils venaient le voir de tous côtés ; il en vient de tel et tel endroit, disait-elle, et ces anciens amis de mon mari, il est juste que je les reçoive ; je ne puis men dispenser. Il lui reprochait de ce quelle était chrétienne, et voulait lengager à quitter sa religion ; elle lui en fit léloge, et après, elle lui dit quelle ne pouvait quitter la vérité pour suivre lerreur. Le mandarin, pour navoir pas le démenti, fit battre les enfants et ses neveux, les fit mettre en prison et leur fit signer un billet dabjuration ; ils le signèrent sans le consentement de la mère, qui fit toujours profession publique de la religion chrétienne.
Le mandarin voulait encore aller dans une autre famille chrétienne fort nombreuse ; cette femme len détourna, disant quils nétaient pas au logis ; il envoya dans une autre chrétienté de sa dépendance un prétorien avec des satellites, les fit tourmenter, emprisonner et abjurer. Je nen fus pas surpris, cétait des chrétiens sensuels, qui navaient guère quun reste de foi et dattachement à la religion, mais dont les sentiments et la conduite étaient indignes du christianisme. Cependant ils voulaient que le prêtre allât chez eux pour sen glorifier devant les autres chrétiens.
À huit lieues, à lorient de Tûng leân, il y a une ville du deuxième ordre, nommée Ho tcheou. Tcheou, cest le nom que lon donne aux villes du deuxième ordre, Foû, cest celui des villes du premier ordre, et Kièn celui des villes du troisième ordre. Dans cette ville de Hô tcheou, qui est sur une rivière dont elle prend son nom, car Hô veut dire rivière, il y avait autrefois une nombreuse chrétienté, et cest la même où les Évêques avaient fait quelque séjour ; mais il ny a plus à présent que quelques restes de ces chrétiens qui sont dissipés, tombés dans la misère corporelle, après être tombés dans un pitoyable relâchement ; jai envoyé prêcher dans cette ville, toujours en vain : Si sal insulsum fuerit etc. (Mc 9, 50) Si le sel est devenu fade. Quelques-uns cependant sont venus me trouver à Tchung-kin ; tout est chez eux dans un état déplorable ; ils sont mariés à des païens sans dispense ; mais le grand avantage que nous avons tiré de cette ville, cest dy faire baptiser plusieurs milliers denfants malades, surtout au temps de la famine et de la peste qui a fait en cette ville de tristes ravages ; moralement parlant, ces enfants sont tous morts. Cette ville ne contient guère moins de deux cent mille âmes ; jai vu des chrétiens qui en sont sortis pour aller sétablir ailleurs, ou plutôt pour errer çà et là ; cest un sel infatué qui nest plus bon à rien. Un maître de langue enseigne à Dông moûen tan, (qui veut dire la cataracte de la porte du dragon), parce quen cet endroit il y a une grande chute deau, et quand il y a des pierres et des rochers qui interceptent le cours de leau dans son étendue, ils la renferment et la rendent rapide dans son écoulement, cest ce quon appelle Tân. Ce maître de langue sert les païens dans leurs superstitions, comme les chrétiens dans leur religion ; cest à qui plus. La chrétienté de Tûng leân est aussi prodigieusement délabrée, dissipée ; cest la juste punition de leur tiédeur. Cependant jai bu là une femme mariée à un païen, très fervente ; et sa fille aînée fut mariée à un chrétien ; cest un modèle de douceur et de patience, nous avons converti ses enfants et ses brus ; jai ouï dire quils avaient abandonné la religion.
Après la persécution, je suis allé administrer les sacrements de Pénitence et dExtrême-Onction à cette femme qui demeurait au milieu des païens, avec grande frayeur, mais beaucoup de précautions ; son mari, quoique païen, me donna de largent pour une messe. Les missionnaires ne doivent pas sexposer en allant chez les païens, à moins quils ne les connaissent bien. Le fils aîné de cette bonne veuve dont jai parlé fut marié en deuxièmes noces avec une païenne qui est comme un démon ; elle empêche son mais et ses enfants de prier et de faire les exercices de la religion. Voilà la juste punition de son apostasie et de la dérision quil faisait quelquefois de quelques pratiques de piété. Sa mère, avec son cadet et sa fille aînée veuve sont allés sétablir ailleurs. Ces particularités font mieux voir létat de la religion, et ce qui se passe en Chine, que des lieux communs où chacun dit plutôt ce quil a dans lidée que ce qui existe dans la réalité. On a trouvé chez les chrétiens errants de Ho tcheôu une parcelle de la vraie croix, renfermée dans un reliquaire bien authentiqué pet le témoignage de lÉvêque signé et scellé ; je lai mis dans la maison de Lô à Tchung.