Séjour à la campagne.

 

Je demeurai environ cinq mois à cette campagne, non sans inquiétude. Dans ce temps-là, les Chinois faisaient la guerre au petit Thibet, dont il sortit quelques brigands qui se répandirent dans la campagne, ayant dessein de mettre le feu partout où ils pourraient, et on prit dans le voisinage ces gens du Thibet, renfermés dans des cavernes et des montagnes ; ils lançaient des traits sur les Chinois, et en tuaient beaucoup ; enfin, après huit ou dix ans de guerre, ils furent accablés par la multitude des soldats chinois qui succédaient sans discontinuer à ceux qui périssaient, et maintenant, depuis six ou sept ans, ce pays est subjugué et appartient aux Chinois qui y ont une ville du 1er ordre, une du 2ème et une du 3ème ; et les habitants naturels du pays se retirent à mesure que les Chinois avancent ; on les laisse cependant s’ils veulent y habiter ; beaucoup de Chinois y sont déjà venus des autres provinces, et il y a déjà des chrétiens qui y ont fait des voyages ; je ne sais s’il y en a qui y sont fixés. Quoi qu’il en soit, la porte y est ouverte ; et il est facile aux missionnaires chinois d’y aller partout ; prions pour la conversion de cette contrée.

Les Chinois ont fait de même successivement la conquête de plusieurs autres provinces, comme celle d’Yùn-mân, du Kouy-tchéou, et les anciens habitants de ces provinces subsistent encore, et ont une religion et une langue différentes des Chinois, ainsi que des mœurs.

Au mois de mai, nous eûmes une alerte ; la nouvelle d’une persécution dans le voisinage engagea les chrétiens, chez qui j’étais, à me faire transmigrer ailleurs ; on me fit sortir de la maison et aller çà et là, ce qui n’était pas trop prudent ; mais on me fit passer à six ou sept lieues dans un autre district d’un mandarin. Comme l’inondation commençait, nous trouvions tantôt des ruisseaux, tantôt des rivières à passer ; il fallait fuir comme nous pouvions. Quelquefois mon compagnon me portait sur son dos, et une fois nous avons passé une petite rivière sur un buffle ; nous avons passé une nuit dans un moulin fait pour écosser le riz, car il ne le moulait pas pour en faire de la farine ; mais après minuit, les gens vinrent moudre leur riz, et nous disparûmes comme des voleurs ; nous passâmes le reste de la nuit par ci par là, comme nous pûmes, et il pleuvait.

Comme ces premières épreuves m’étaient nouvelles, elles m’étaient d’autant plus sensibles ; quoiqu’on s’abandonne tout à la divine Providence, et que l’âme dans la partie supérieure ait la paix intérieure et soit dans un calme spirituel, cela n’empêche pas la nature de souffrir des craintes et des frayeurs.

 

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Table de la Grande Relation

 

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