Épreuve des Prosélytes.

 

Il est ordinaire en Chine qu’il y ait une persécution quand il s’y fait quelque conversion dans un endroit ; les chrétiens le savent et le disent, Dieu le permet pour éprouver les néophytes. Ceux qui n’ont pas de solidité s’en vont comme la paille au vent ; les autres se purifient et s’affermissent davantage dans la religion. Notre-Seigneur avait prédit cela dans l’Évangile, dans la parabole du bon grain. Il dit positivement qu’il y en a qui écoutent l’Évangile avec joie ; mais qui n’ayant pas de solidité, la parole de Dieu ne peut prendre racine dans leur cœur, et la persécution et les tribulations qui s’excitent à cause de cette parole divine, fait qu’ils ne croient que pour un temps et qu’ils se retirent au temps de la tentation. Orta tribulatione et persecutione propter verbum, confestim scandalizantur. (Mc 4, 17) lorsqu’il survient quelque affliction et quelque persécution, à cause de la parole, ils sont aussitôt scandalisés. L’Imitation dit que ceux qui n’ont pu soutenir les tentations ont été réprouvés de Dieu : Qui tentationes sustinere nequiverunt, reprobati facti sunt.

Dans d’autres, ce sont les richesses et les sollicitudes de ce monde qui étouffent en eux le bon grain de la parole de Dieu ; or, c’est ce que nous avons vu cent fois en Chine ; ce que Notre-Seigneur a prédit arrivera jusqu’à la fin du monde. Dans un lieu appelé Hô kia te Hang, (c’est-à-dire marché de la famille Hô), ce marché avait donné son nom au voisinage, dans nos premières visites ; environ la deuxième année de mon arrivée, je tâchai de ranimer à la ferveur une famille chrétienne qui avait encore un fonds de religion. Cependant, la femme, voyant que je faisais restituer des usures à son mari, se mit en fureur contre moi, m’accablant d’injures ; elle ne me donnait pas ce que son marie achetait pour moi ; les deux brus n’étaient pas baptisées, ni même instruites. Comme le maître de la maison, homme lettré solide, prenait beaucoup de goût à nos exercices de piété, on instruisait ses brus, et elles furent baptisées. Un de ses plus grands fils était un avare comme sa mère ; les petits se tournaient au bien. Le reste des anciens chrétiens était dispersé et ne faisait plus aucun exercice de religion. Cependant nous les invitâmes ; il en vint quelques-uns, entre autres un vieillard qui avait apostasié ; il tremblait de peur ; le démon, qui l’avait vaincu, le tenait esclave de la crainte ; il portait un panier dans la maison afin de faire entendre aux païens qu’il venait pour toute autre chose que celle de la religion. Après quelques conversations, où on voyait une conscience qui avait quelques remords, mais trop faible pour s’élever au-dessus de la crainte mondaine, il se retira et ne revint plus ; les autres qui vinrent firent à peu près de même.

Cependant notre hôte, ranimé après notre départ, parla à plusieurs païens, et dans un deuxième visite, mon écolier et moi, avec la grâce, nous convertîmes deux ou trois familles ; et c’était sincèrement, et par des vues surnaturelles qu’ils se convertissaient. Le meilleur et l’unique qui fût, peut-être constamment bon, était un lettré, homme de bon sens, d’une conduite assez réglée ; il fit tant de progrès dans la science du salut, que je le laissai communier aussitôt ; sa mère et ses enfants furent baptisés ; sa mère mourut, et je fus l’administrer. Cet homme était fort zélé pour la religion, et travaillait à la conversion de ses frères ; ils avaient tous du bien et lui aussi ; mais dès qu’ils virent que leur mère nouvellement chrétienne était morte, ils en furent très scandalisés, et ils en imputèrent la cause à la religion qu’elle avait embrassée ; ils suscitèrent des querelles à leur frère, ils l’accusèrent autant que je me rappelle. Cet homme soutint tous ces assauts et mourut bientôt après ; il y a bien de l’apparence que c’est un élu.

Une autre famille se convertit aussi sincèrement ; le frère était aussi lettré, et voyant la folie du paganisme, il parlait des païens avec une sorte de mépris, de complaisance et d’applaudissement pour lui qui savait la vérité ; mais quand l’épreuve vint, il se trouva dans un combat d’autant plus faible, qu’il avait été d’abord présomptueux. Il apostasia, du moins à l’extérieur ; et ayant été exhorté depuis, il n’eut pas la force de se relever, ni de faire hautement profession de la religion ; ses enfants étaient d’assez bonnes gens, surtout l’aîné.

Le mandarin fit venir tous les chrétiens ; l’auteur des conversions fut frappé, emprisonné et peut-être les autres aussi ; mais je me rappelle qu’à cette occasion il y eut un vieillard qui nous trahit ; il en disait plus qu’on ne lui en demandait ; il accusait et dénonçait les chrétiens des autres endroits, de sorte que le mandarin même lui en fit des reproches en lui disant : Vous voulez encore entraîner les autres ?… Et il dit que ni lui, ni ses enfants ne professeraient jamais la religion chrétienne. Celui-là n’avait jamais rien valu ; l’épreuve le fit paraître tel qu’il était. Après cette persécution, la chrétienté fut dissipée ; l’ancien chrétien vint avec sa famille s’établir ailleurs avec les chrétiens ; il a une petite fille qui a de l’esprit comme un ange et beaucoup de piété ; je lui ai proposé de demeurer vierge. Il lui a pris envie d’aller dans la province de Xensi, où sa méchante femme a un parent prêtre ; mais après une longue course d’environ un mois de chemin, et bien des dépenses, il n’y a trouvé que du mal ; il cultive des montagnes où il fait un froid excessif.

 

Province de Xen Si.

 

Table de la Grande Relation

 

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