Chrétiens de la plaine.
Reprenons à présent lhistoire de la plaine que je navais fait québaucher. Voici encore un événement tragique qui est un de ceux qui mont été le plus sensible entre ceux qui me sont arrivés en Chine.
Je visitais une chrétienté sur les montagnes, mais elles ne sont pas aussi prodigieuses que celles dont je viens de parler ; elles sont dune demi-lieue ou dune lieue de hauteur. Voyant le lieu fort isolé, à ce quil me paraissait, je me délectais dans cette charmante solitude environnée de bocages ; je ne savais pas alors que les Chinois et les satellites surtout connaissaient tous les coins et recoins des endroits les plus reculés. Après mes fonctions, nous allâmes exhorter un voisin païen ; les satellites vinrent ensuite chez lui, il les prévint de mon séjour en cet endroit. Aussitôt ils viennent à la maison, qui est si petite quil ny eût pas eu moyen de ma cacher ; par bonheur, jen étais sorti, et jécrivai sur une colline la narration de ce qui se passait dans ma mission.
Aussitôt un garçon de la maison vint mavertir ; jécrivis encore quelques lignes pour raconter ce fait ; je cachai ensuite mes livres et papiers dans un buisson ; les satellites nétaient quà une portée de fusil de nous ; nous les voyons, et ils ne nous voyaient pas ; ils nous cherchaient partout jusquau soir, allant çà et là, et gardant toutes les avenues.
Ce petit garçon et moi, nous nous retirâmes en rampant sur nos mains et sur nos genoux, un peu plus loin que nous nétions, et les satellites venaient de temps à autre disputer avec le maître de la maison qui était un pauvre médecin ; ils trouvèrent du vin de messe, ils y mêlèrent de leau, cela se passa ainsi jusquà la nuit. Après une ou deux heures de nuit, les satellites voyant que je ne venais pas, quittèrent prise. Notre hôte leur fit tant de civilités et leur donna de si belles paroles, quils sen contentèrent, voyant quil ny avait rien à gagner.
Alors le jeune homme vint me retrouver caché dans des herbes, et tremblant sur les suites de cet événement ; il minvita à retourner à la maison ; je nen voulus rien faire ; jallai dans une autre, à une demi-lieue ; elle appartenait à de lâches chrétiens, ils me mirent dans une petite cellule, à côté de la maison. Javais un pressentiment si violent que les satellites viendraient là, que jen tremblais de peur et ne pus fermer lil. En effet, vers le milieu de la nuit, les voici qui arrivent ; je voulais menfuir ; un homme qui était avec moi me fit un peu attendre, jusquà ce que les satellites fussent entrés dans la salle, alors il me laissa aller avec ce garçon dont jai parlé ; nous revînmes à notre ancienne demeure, et pour prévenir les recherches du lendemain, je partis après avoir mangé un peu de maïs. Je fis un voyage bien fatigant dans les chaleurs du mois de juillet, toujours pénétré de la crainte de rencontrer les satellites qui me cherchaient ; cet endroit sappelait Pan Kia Keou (la colline de la famille Pan située au nord-ouest), à une journée et demie de Tchang-keou ; je ny eus que de la peine et point de fruit réel et permanent, non plus quà Touàn Kin pin, distant de six lieues de là.
La nouveauté dun missionnaire arrivé, lappareil des exercices, les instructions avaient touché bien des âmes dans le commencement ; les tièdes semblaient revenir à la ferveur : Initia fervent, les commencements sont à la ferveur. Dans ces temps heureux, nous exhortâmes le maître du terrain ; il se convertit sincèrement avec toute sa famille, et une autre maison ; mais la persécution venant quelques années après, il abjura, préférant le temporel au spirituel, et les fervents se ralentirent.
Le défaut essentiel de cette chrétienté, qui se montait presque à cent, en comptant les enfants, était lattachement aux biens terrestres. Jamais nous navons pu obtenir deux de garder les fêtes et les dimanches. La famine survenant quelques années après, ils moururent en grande partie de faim ; celui qui avait encore le plus de religion, vint mourir à la ville de Tchung-hin, où il reçut les sacrements.