Secours de Dieu en nécessités.

 

Dieu qui punissait souvent les coupables d’une manière visible, secourait aussi visiblement ceux qui recouraient à lui avec confiance en leurs nécessités. Je me rappelle qu’après une longue sécheresse qui menaçait les campagnes de stérilité, les chrétiens firent des prières publiques pour avoir de la pluie, et me prièrent de dire la messe à cette intention ; je le fis, il n’y avait pas plus d’apparence de pluie qu’à l’ordinaire ; cependant il plut abondamment le même jour. Cela est arrivé à Jàn Kià Tzào ; et ayant animé la confiance des chrétiens à Moû kou tùng, il y plut aussi ; et étant aussi à Xé Kou Xan, vers l’Assomption, où la stérilité se faisait déjà sentir vivement, je voyais que les chrétiens, chez qui j’étais, étaient en peine de nourrir ceux du voisinage, qui viendraient pour s’approcher des sacrements ; je dissipai leurs craintes et leur promis que, s’ils donnaient l’hospitalité aux fidèles qui viendraient, assurément, Dieu les aiderait ; qu’ils missent hardiment leur confiance en lui ; la pluie, en effet, tomba abondamment le jour de l’Assomption. L’année suivante, où la famine commença, on ne vit aucun de ces chrétiens charitables, qui avaient secouru les autres selon leurs facultés modiques, mourir de faim ; il est vrai qu’ils faisaient comme les autres, ils vivaient de racines de fougères ; il y en avait même qui mangeaient du limon de la terre dont ils faisaient une espèce de gâteau, comme fit la maison de Vên, mais c’était pour faire plus de bien aux autres. Une maison charitable faisait à peu près la même chose dans la plaine ; les enfants mangeaient des glands moulus avec de l’eau et réduits en bouillie pour pouvoir donner au moins la moitié de leur riz aux pauvres. La charité se trouve partout où est la vraie Religion ; mais il y a peu chez les païens mêmes de charité humaine et naturelle ; chacun voyait mourir ses voisins sans leur prêter grand secours.

J’ai mangé de ces glands moulus ; ils ne conservent aucune amertume, et j’ai goûté de ces racines de fougères, elles sont très nourrissantes. Si les Chinois avaient la moitié des ressources qu’on a en Europe, ils ne mourraient pas de faim, car ils savent tirer parti de tout.

Si Dieu a secouru les fidèles dans leurs nécessités corporelles, il les a aussi délivrés cent fois des dangers et des persécutions que les païens leur suscitaient, surtout quand ils ne recouraient pas à des moyens illicites, et qu’ils se disposaient à tout perdre et à tout souffrir plutôt que de rien faire contre la religion et leur conscience. Souvent des faux frères, de concert avec les païens, leur tendaient des pièges ou leur proposaient ou de faire un sacrifice sur des tombeaux, ou de donner de l’argent pour des idoles. Les chrétiens, se confiant en Dieu, refusaient constamment de le faire, et quand les choses étaient le plus désespérées, la Providence tournait les cœurs ou du mandarin, ou des prétoriens et des païens mêmes, de manière que les affaires se terminaient à l’avantage des chrétiens et à la confusion de leurs accusateurs.

On croira que j’exagère ; et moi je sais que je n’en dis pas la centième partie de ce qu’il y en a. À la fin surtout, comme j’étais plus connu, partout poursuivi, on m’attendait sur les chemins ; partout j’étais menacé et recherché, et il est arrivé plusieurs fois que je tombais entre les mains de mes ennemis ; mais alors la protection divine nous conservait ; une main invisible arrêtait nos ennemis, nos bons anges nous gardaient et nous défendaient.

Voilà un abrégé de l’histoire de la religion sur les montagnes, suivant l’ordre des lieux et des choses, plutôt que celui des temps, depuis environ 1773 jusqu’en 79 ou 80. J’ai déjà dit combien on vit pauvrement et sobrement sur ces montagnes ; les pauvres gens n’ont guère qu’une tunique de coton qui leur sert de chemise et de tout habit avec des caleçons, souvent nu-pieds ; et beaucoup d’entre eux ne portent autre chose l’hiver même et durant les neiges et les glaces. Ils ne mangent autre chose que du blé de Turquie concassé et cuit à l’eau, avec quelques herbes salées pour assaisonner, car ce blé de Turquie ou le riz leur tient lieu de toutes sortes de mets : heureux qui en a pour se rassasier ; ils ont des petits bancs larges comme la main ; ils couchent sur des nattes malpropres, ou sur des tiges de blé de Turquie, souvent à terre ; là, ils boivent de l’eau ; c’est un grand cadeau à faire à une personne que de lui présenter une tasse de thé du plus commun ; il n’est presque aucun meuble dans leurs cabanes. Une seule marmite suffit pour cuire le riz, les herbes et tout le reste, la viande quand il y en a : voilà pourquoi les Chinois mangent tout à demi cuit ; dans la plaine aussi bien, on cuit tout dans le même vase, après le riz. Comme les Chinois aiment beaucoup l’eau chaude au lieu du thé, ils y mettent une petite graine extrêmement piquante qui a quelque analogie avec notre poivre ; cette graine vient sur un petit arbrisseau de la hauteur de sept pieds qui a des piquants comme des ronces. Voyant la mollesse des chrétiens de la plaine, je les excitais à aller sur les montagnes ; il y en a qui l’ont fait avec fruit.

 

Chrétiens de la plaine.

 

Table de la Grande Relation

 

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