Abolition de l’usure.

 

Ce fut encore sur les montagnes que je commençai à abolir les contrats usuraires, et surtout celui d’oppignoration, si commun en Chine et si contraire au droit naturel et divin, si opposé à la justice et à la charité. [Soucieux de la vraie doctrine morale, Jean-Martin Moye se préoccupa de l’influence du monde des affaires de la société chinoise sur la vie des chrétiens. Il fut amené à désavouer d’autres missionnaires devant certains contrats jugés usuraires. Ces contrats, dits "d’oppignoration" (du latin, pignero, "donner en gage") consistaient à accorder à un créancier, en échange d’une somme d’argent prêtée, l’usufruit d’une propriété, dont les obligations légales (taxes...) demeuraient à charge de l’emprunteur, le créancier en devenant propriétaire au cas où l’emprunteur ne pouvait rembourser en temps voulu la totalité de l’emprunt, ordinairement augmenté d’un taux élevé d’intérêt. La plupart des missionnaires n’exigeaient pas la restitution des biens ainsi acquis par de nouveaux chrétiens avant leur baptême. Après y avoir longtemps réfléchi, Jean-Martin au contraire exigea la restitution, qu’il réussit, comme il le raconte, à faire accepter dans son territoire. Note de l'éditeur] Je prévoyais toutes les difficultés que j’aurais à surmonter ; mais, voyant que la chose était nécessaire, la question hors de doute ayant été décidée par les décrets des souverains Pontifes, suivant le sentiment unanime des théologiens, m’élevant au-dessus des craintes humaines, je mis ma confiance en Dieu, me rappelant souvent que l’Église que J. C. a acquise et lavée par son sang, doit être pure et sans tache, non habens maculam aut rugam. (Ep 5, 27) n’ayant ni tache ni ride, je mis la main à l’œuvre et j’abolis ces contrats ; je fis restituer les usures. Les chrétiens avaient peine à se soumettre à une décision d’autant plus difficile, qu’elle touchait le temporel auquel ils sont si attachés. Cependant, comme ils avaient de la religion, ils n’osaient y contredire. Dans ce temps, il arriva que trois maisons de ceux qui avaient fait ce contrat d’oppignoration, furent brûlées, et cela dans trois endroits différents ; et jamais, pendant dix ans que j’ai été en Chine, aucune autre maison ne brûla à la campagne, sinon une fois que le feu prit encore à une, dont le maître travaillait le jour du dimanche ; mais il fut bientôt éteint, au lieu que ces trois maisons des oppignorateurs furent consumées. Cela fit faire des réflexions aux chrétiens, et acheva de les déterminer à suivre la doctrine de l’Église. Depuis ce temps, ceux qui ont refusé de m’obéir, au sujet de l’usure surtout, ont été punis visiblement, dans la plaine aussi bien que sur les montagnes, et ils ont avoué eux-mêmes que Dieu les punissait à cause de leur désobéissance.

Une femme, refusant d’obéir, vint le lendemain se jeter à mes pieds, ayant une paralysie sur la bouche et ne pouvant presque parler, me dit, comme elle put, que Dieu l’avait punie et qu’elle se soumettait à restituer, et elle fut guérie.

Un oppignorateur, qui disputait contre cette décision et voulait éluder la restitution, fut attaqué d’un mal de gorge qui l’empêchait aussi de parler, et toute sa famille reconnut que c’était une punition divine ; il se soumit aussi, cassa son contrat et restitua.

Un autre refusa impertinemment de faire ce qui était prescrit, en disant qu’il renoncerait plutôt à la religion ; c’était un avare, il mourut peu après misérablement. Le dernier, qui est bon chinois, pour me tromper, cassa son contrat pour en faire un autre de même nature ; il demeura dans son opiniâtreté, eut la douleur de voir tous ses enfants mourir dans peu, et les chrétiens dirent que c’était une punition de sa mauvaise foi.

Il y a encore bien d’autres faits, qu’il serait trop long de rapporter. Les chrétiens, étonnés de voir la main de Dieu visiblement frapper les usuriers, se soumirent et restituèrent. Ces restitutions selon la prudence humaine, auraient dû mettre obstacle au progrès de l’Évangile, à la conversion des païens ; car, quand ils se présentaient pour embrasser le christianisme, il fallait qu’ils cassassent aussi leurs contrats, et qu’ils restituassent leurs usures ; mais Dieu, qui réprouve la prudence des sages du siècle, pour faire voir que notre religion, établie sans aucun secours humain, par la force et la sagesse divine infiniment élevée au-dessus des vues de la sagesse des hommes, fit voir tout le contraire ; il tourna cet obstacle en preuves et en moyens ; car les païens, voyant les chrétiens restituer ainsi des dettes, des usures, en étaient ravis d’admiration, et étaient forcés de convenir que notre religion était juste, bonne et sainte ; et les néophytes, voyant qu’au lieu de prendre ces restitutions pour nous, dépouillant nos ouailles pour enrichir nos ennemis, n’avaient plus de doutes sur la religion qu’ils embrassaient ; ainsi, ces restitutions furent très glorieuses à la religion.

Un païen, étonné de ce qu’un chrétien, pour décharger sa conscience, avait fait un voyage d’une journée par la pluie et le mauvais temps, en fut si touché, qu’il ne voulut pas recevoir la somme qu’il lui apporta.

Mgr. notre Évêque voulut encore consulter Rome sur ces contrats, afin de fermer la bouche à ceux qui trouvaient à redire à notre conduite. Rome, qui ne varie pas dans ces décisions, réprouva le contrat, et réfuta tous les prétextes qu’on opposait pour éluder la restitution, en laissant cependant la détermination à la prudence des prêtres pour les cas particuliers ; car, en effet, il y a bien de la différence dans les circonstances de ces contrats ; car il y en a qui reçoivent plus que d’autres.

 

Secours de Dieu en nécessités.

 

Table de la Grande Relation

 

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