Histoire de la Chrétienté

de Houan-Tzaô.

 

Le père de Monique et de Lucie Vên acheta un terrain dans des montagnes vers le Kouy-tcheou, où était son cousin chrétien d’origine, mais qui était tombé dans une tiédeur si grande, qu’il ne faisait plus aucun acte de religion, et toute sa famille était païenne ; il l’exhorta, et sa fille aînée Monique y étant venue, elle convertit grand nombre de ses cousins, cousines, voisins, amis, fermiers, etc. ; de sorte qu’il s’y forma, dans l’espace d’un an ou deux, une chrétienté d’environ soixante adultes, parmi lesquels il y en avait de très fervents. Dans les commencements, tout prospérait ; mais peu d’années après, les païens turbulents s’associèrent pour vexer quiconque avait de l’argent ou du bien, et ils vinrent à bout peu à peu de dévaster cette chrétienté qui s’est dispersée de côté et d’autre.

Voici quelques événements des plus remarquables. Une bonne épouse d’un neveu de Vên convertit son père qui était un ivrogne, mais qui avait une certaine probité rare parmi les Chinois ; cet homme fut dans la suite un modèle de vertus ; il professait hautement la religion au milieu des païens ; il avait des ennemis mortels qui le persécutaient, et il en parlait avec charité, priait pour eux ; il fut patient, humble, sobre, mortifié et homme d’oraison, je crois qu’il est mort. Sa fille était très pieuse ; le fils aîné du cousin de Vên avait été baptisé ; ayant ouï toutes les instructions de son oncle et de ses cousines, il en était si touché, qu’à mon arrivée, il vint se prosterner à mes pieds, demandant s’il y avait encore espérance pour lui, et parlait des peines de l‘enfer qu’il redoutait. Après une année ou deux d’une vie passable, il retomba dans la tiédeur ; on le choisit pour être officier rural, nous nous en glorifions ; peu après, il s’est perverti au point qu’il a épousé une seconde femme, et est devenu notre ennemi juré. Il venait faire le désastre dans la maison de son oncle, menaçant de perdre toute la chrétienté et moi surtout ; de sorte que je n’osais plus visiter cette chrétienté qu’en cachette et avec bien des précautions.

Une fois, marchant par une voie détournée pour le fuir, je suis tombé entre ses mains ; enfin il est mort. Sa femme, qui était du Kouy-tcheou, fut convertie et demeura inébranlable ; elle avait été vendue du vivant de son mari, ce qui était un cas difficile à décider ; il est sûr que son mariage du vivant de son mari était d’abord invalide ; mais s’étant faite chrétienne, il devint valide. Il est vrai que, dans ce cas, il en faut prévenir son second mari et lui demander s’il veut se faire chrétien, ou du moins habiter pacifiquement ; s’il refuse, elle est en droit de se marier à un chrétien ; mais son mari absent dans une autre province, est-ce une raison qui dispense de cette monition ? Des auteurs très judicieux le prétendent ; mais le sentiment le plus sûr que suit la Sacré Congrégation, c’est que le pape dispense de cette invitation, et il l’a donnée à notre mission, il y a environ cinq à six ans ; ainsi le mariage de cette pieuse femme fut réhabilité ; je crois qu’elle est encore là.

Une autre nièce se convertit malgré les oppositions de son mari qui la frappait horriblement, et menaçait sérieusement de la tuer ; mais ses cousins l’encouragèrent par l’espérance de la couronne du martyre ; elle fit baptiser tous ses enfants, et après, son mari touché se convertit aussi.

Voici un fait qui paraît incroyable et qui pourtant est très vrai, je le place environ en 1778. Une femme prosélyte que j’ai baptisée, tomba malade et après un certain espace de temps, sa maladie augmenta, au point qu’on croyait qu’elle allait mourir ; elle ne pouvait plus ni boire, ni manger, ni parler. Elle avait une tumeur à la gorge aussi grosse que sa tête ; enfin on vit chercher les chrétiens pour faire les prières de l’agonie ; dans ce moment son enflure disparut tout à coup, elle fut guérie ; elle se leva en rendant grâce à Dieu et exhortant son mari et ses enfants à servir le Seigneur dévotement, et à sanctifier les fêtes et les dimanches ; elle racontait qu’elle avait vu la Sainte Vierge environnée d’une multitude qui venait à sa rencontre pour la ramener à la vie ; que la Sainte Vierge lui dit qu’il fallait encore qu’elle mangeât et qu’elle s’habillât (c’est une phrase chinoise qui signifie qu’elle avait encore du temps à être sur la terre), que la Sainte Vierge toucha son enflure qui disparut sur le champ ; qu’elle fit sur elle le signe de la croix en disant ces paroles : Per signum crucis de inimicis nostris, libera nos Deus noster. Par le signe de la croix, Seigneur notre Dieu, délivrez-nous de nos ennemis, qu’elle prononça en chinois. Cette femme ne les avait jamais entendues, elle les retint et les répéta aux chrétiens qui ne lui en avaient jamais parlé ; elle me répéta tout cela de même ; il est vrai qu’elle disait qu’on lui avait dit qu’elle avait encore trois ans à vivre, et elle a vécu au-delà. Je ne sais si elle s’est trompée dans cette circonstance, ou si je l’ai mal entendue ; mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que son mari et son fils aîné n’ayant pas suivi ses avis, furent punis comme elle les en avait menacés ; son mari mourut, et son fils, n’observant pas les fêtes et les dimanches, étant sorti un matin, jour de dimanche, pour aller au travail, fut mordu d’un serpent et demeura quatre mois sur son lit. C’est un fait certain et même public ; il m’en a fait lui-même l’aveu, et M. Sên a visité ce jeune homme dans cette maladie. Mgr. m’a raconté une pareille histoire d’un chrétien qui, un jour de dimanche, allait au marché, il fut mordu d’un serpent dont la blessure est mortelle ; il tua ce serpent, ensuite s’attendant à mourir sur le champ, il se repentait de ses péchés ; il promit à Dieu que s’il guérissait, il observerait le dimanche et le ferait observer à ses enfants. Dieu touché de son repentir lui conserva la vie.

Ce fut aussi en ce lieu que les païens enlevèrent la croix des chrétiens ; et celui qui fut l’auteur de ce sacrilège enfla prodigieusement et mourut quelques jours après. J’eus en cet endroit de terribles frayeurs parmi bien des consolations ; car cette chrétienté, formée par des âmes ferventes, le fut aussi.

Un jour, le lendemain de mon arrivée, on en avertit les païens, et les satellites vinrent me chercher dans la maison ; heureusement la messe était finie, et après un certain temps, je m’étais retiré contre mon ordinaire, et les chrétiens priaient ; les satellites entrèrent et demandèrent après moi ; on les amusa, et ils se retirèrent. J’eus plusieurs autres alarmes assez fondées, et un jour, sortant de là pour aller au Kouy-tcheou, les gens d’une maison ennemie vinrent à ma rencontre dans le dessein de saisir mes effets ; pour le faire plus sûrement, ils m’accompagnaient jusqu’à une autre maison païenne, comptant y trouver du secours ; mais ceux-ci n’acquiescèrent point à leur volonté et nous échappâmes ainsi. Ce lieu était, par sa situation, si tranquille, que je pensais y établir un séminaire ; la rivière et le Kouy-tcheou le bornaient d’un côté, et des montagnes d’une longueur extraordinaire le couvraient d’un autre ; mais il n’y a point d’endroit si caché que les Chinois ne découvrent, quand ils ont espérance d’y trouver de quoi satisfaire leur avidité. Ces malheureux firent tant de vexations aux chrétiens pour en extorquer de l’argent, que les principaux furent obligés d’abandonner le terrain ; mais la religion n’y a pas été prêchée en vain, car Dieu y a bien des élus et des adorateurs en esprit et en vérité ; c’est là mon plus grand désir de voir des vrais chrétiens ; un bon chrétien me console plus que cent tièdes.

 

Chrétienté de Pélan Tzin.

 

Table de la Grande Relation

 

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