Délivrance de la prison.

 

Le Seigneur, après avoir accompli les desseins qu’il avait dans notre emprisonnement, la manifestation de sa gloire, la confession de la foi, la conversion de ce satellite qu’il appelait au sacerdoce, et pour la conversion des âmes et l’édification des fidèles, Dieu qui voulait nous délivrer lui seul, sans aucun secours humain, changea le cœur du mandarin et des prétoriens ; ils ne savaient que faire de nous ; ils voyaient assez par notre conduite que nous étions irréprochables ; ils n’osaient nous tuer ; ils n’osaient non plus nous renvoyer de peur d’être ensuite recherchés ; ils voulaient me faire passer pour un chinois qui venait de Canton.

Un prétorien vint dans la prison me dire qu’il fallait m’annoncer pour un Cantonnais ; je répondis que notre religion, étant la vraie, me défendait le mensonge, que je ne pouvais mentir, que j’étais Européen. Cela le fâcha, et les satellites me reprochaient avec étonnement : Comment, on veut vous délivrer, et vous ne voulez pas faire ce qu’on vous commande ?… Le chef des satellites qui était fort humain, raisonnable, convaincu de la vérité de notre religion, travaillait beaucoup à notre délivrance, nous témoignait beaucoup de bonté ; aussi lui en ai-je témoigné ma reconnaissance ; il se serait volontiers fait chrétien, si sa charge ne l’en eût empêché. Enfin la délibération faite et la résolution de nous délivrer étant prise, on nous fit venir devant le tribunal, et le mandarin nous annonça qu’il nous renverrait sans nous frapper, par ce que nous avions du chemin à faire ; mais notre hôte fut très fortement frappé. On alla chercher le satellite qui avait la clef de ma chaîne pour la défaire, et on ne le trouva pas ; on nous l’ôta néanmoins en prison.

Nous voilà élargis le vendredi avant la Pentecôte ; nous avions fait en prison dix jours de retraite, pour recevoir le St. Esprit.

Je ne puis exprimer la joie que je ressentis de nous voir ainsi délivrés d’une manière si avantageuse à la religion ; j’en sentais une consolation indicible, car ceux qui ne se trouvent pas dans de pareilles rencontres ne peuvent comprendre ce qu’on ressent alors au dedans de soi ; je disais dans mon transport de joie : Dirupisti. Domine, vincula mea, tibi sacrificabo hostiam laudis. (Ps 115, 17) Vous avez rompu mes liens ; c’est pour quoi je vous sacrifierai une hostie de louanges.

Cependant nous avions un satellite pour nous conduire ; mais loin de nous empêcher de prêcher partout où nous passions, dans les marchés, il nous y invitait lui-même quelquefois, et nous prêchions hautement ; le monde s’assemblait pour nous voir et chacun parlait de la religion chrétienne, selon qu’il en avait ouï du bien ou du mal. Nous passâmes chez les chrétiens ; ce fut le sujet d’une joie nouvelle, nous récitâmes nos prières en présence du satellite qui les approuva. Je lui dis en badinant : puis donc que notre religion est bonne, comme vous voyez, qu’il ne vous arrive plus de persécuter les chrétiens… En effet, depuis ce temps-là, les chrétiens du Kouy-tcheou, au lieu de vexer les chrétiens, les ont toujours soutenus contre les vexations des païens, et quand on les a accusés, le mandarin a rejeté les accusations.

Enfin nous disons adieu aux chrétiens, et partons pour le Su-tchuen avec le satellite qui changeait d’habits avec moi quand il voyait que les miens étaient meilleurs que les siens ; je portais aussi son paquet.

Cependant en chemin je n’étais pas sans crainte ; je pensais que le satellite avait ordre de nous conduire au prétoire du Kouy-tcheou, et c’eût été de Pilate aller à Hérode. Cependant cela n’arriva pas ; le satellite, après nous avoir conduits aux extrémités de la province, nous salua poliment et nous laissa aller.

Mais par tout le chemin, on était déjà instruit de notre avènement, on en parlait, on nous montrait du doigt, de sorte que les aubergistes craignaient de nous loger ; mais après un gîte ou deux, nous arrivâmes bien avant dans la nuit chez les chrétiens de Lòn qùi hò, si fatigués et si épuisés de la marche, des chaleurs, de la faim et de la soif surtout, que nous mangions d’une espèce de roseaux, pour un peu nous rafraîchir.

 

Visite de la partie occidentale du Koui-tcheou.

 

Table de la Grande Relation

 

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