Interrogatoire.
La plus grande peine que jeus à souffrir alors, cétait la crainte des interrogatoires ; jen subis trois ou quatre. Jy allais comme au supplice, et lannonce dun interrogatoire que nous devions subir le lendemain ou dans quelques jours, métait plus terrible que si lon meût annoncé larrêt de ma mort. Je priais beaucoup auparavant ; je dirigeais mon intention. En y allant, je me munissais du signe de la croix pour marmer et manimer au combat.
On me faisait mettre à genoux, chapeau bas devant le tribunal du mandarin, environné des satellites, des prétoriens, et au bas les païens venaient être les spectateurs et les auditeurs de la scène. Le mandarin me faisait mille interrogations, pendant des heures entières, et il fallait une prudence bien éclairée pour répondre sans trahir les affaires de la religion.
Mon Dieu, que jétais peiné dans ces circonstances critiques ! cependant Dieu maidait à répondre le vrai, cachant sans mentir ce quil nétait pas à propos de développer. Il me demanda qui jétais ; je lui répondis que jétais européen ; cette réponse le surprit Ce que je venais faire en Chine ; je lui dis que je venais exhorter les peuples à adorer le vrai Dieu. Il me demanda pourquoi je ne faisais pas cela dans ma patrie ; je lui répondis que là tout le monde le connaissait. Il me demanda, comme par mégarde, si notre religion était vraie. Je crois que Dieu permettait cette demande pour me donner occasion de confesser ma foi. Je lui répondis sans hésiter quelle était vraie. Là-dessus, il me fit frapper sur la joue par un satellite qui était tout prêt à cela, se servant pour cela dun cuir plombé.
Le mandarin fixe le nombre des coups, et le satellite en frappant compte chaque coup jusquà ce quil en ait rempli le nombre. Je ne sentais aucune douleur de ces coups. Les peines intérieures, la crainte, linquiétude étaient si grandes, quelles en absorbaient le sentiment ; ou peut-être était-ce la grâce qui me confortait ; ces coups ranimaient mon courage et me rendaient plus hardi. Quand mes réponses ne lui plaisaient point, il ordonnait de nouveau de me frapper. Il me demanda comment jétais venu en Chine, disant quon ne pouvait y entrer. Depuis combien de temps jy étais, si nous étions plusieurs. À cela, je répondis que nous étions venus deux, et que mon compagnon était demeuré à Macao ; par là, je lui cachai lexistence des autres missionnaires en Chine. Il me demanda mon nom, celui de mon père ; il se trouva que mon nom est chinois, et il prit de là occasion, quand il eut changé de disposition, par un trait de providence divine, de dire que jétais chinois afin de se tirer lui-même dembarras, en cas quil fût recherché à loccasion de ma délivrance. Il me demanda si javais de largent, des habits pour changer, et où nous mettions nos provisions. Je répondis que javais encore quatre cents sapiques ou deniers, et que je les avais donnés à mon hôte pour les distribuer aux pauvres, cela était vrai ; que javais un habit dhiver, que je lavais donné à un pauvre, cela était aussi, et par ces réponses, jéludais ses questions ; il ne sut pas ce quil voulait savoir.
Pour mieux sassurer si jétais européen, il me fit écrire en lettres européennes les noms de mon royaume, de ma province, de la ville capitale de la province et de celle du ressort de laquelle jétais. Il me fit mille autres questions : sil y avait un roi, des juges, et cétait aussi pour voir si je nétais pas de la secte des Pélin-Kia-ô qui sont des rebelles à lempereur. Comme je métendais sur labondance, la magnificence de notre royaume, il me coupa la parole, disant quil nétait pas question de cela. Il fit apporter une grammaire étrangère, et me demandant comment on appelait le soleil, et, il regardait si cela avait du rapport au langage quil voyait en ce livre, et il ne sen trouvait aucun.