Scène tragique.

 

Prévenu un instant auparavant, je me retirai dans une autre maison plus à l’écart. Les chrétiens disaient qu’ils ne reviendraient pas là ; je n’y étais pas cependant tranquille ; je sortis et me tins caché dans quelque endroit derrière la maison. Aussitôt vint une femme chrétienne en alarme, disant : les voici qui viennent ! et elle eut la présence d’esprit et la prudence de prendre les ornements empaquetés et de les transporter d’abord dans le blé de Turquie déjà fort haut : ensuite, elle les plaça ailleurs, et elle eut raison, car s’ils fussent restés là, ils eussent été trouvés ; et moi je me sauvai plus loin sur un rocher couvert de broussailles ; il y avait deux bancs de pierre de marbre que le courant de l’eau avait minés en forme de sillons. Après m’être placé dans le premier, je me retirai pour plus grande précaution dans le second. À peine y étais-je, qu’ils vinrent droit à moi, comme si on les y avait conduits ; apparemment qu’ils suivaient les traces de mes pas ; arrivés dans la première issue et ne m’y trouvant pas, ils crurent que j’étais sorti ; ils s’en retournaient déjà, mais un d’entre eux, regardant çà et là, et venant dans la seconde, il me vit ; je me préparai à tout événement, ils approchent et l’un d’eux lève un gros bois près à me donner un grand coup ; mais aussitôt il s’arrête la main en l’air, comme si un ange avait retenu son bras. Ils ne me frappent point, mais ils me saisissent, m’emmènent comme un prisonnier, m’environnent de tous côtés, et délibérant ce qu’ils feront de moi, plusieurs concluent qu’il faut me tuer ; et, en passant, ils voient comme un gouffre désert, entre des montagnes, ils veulent m’y conduire pour m’assassiner. Cependant la femme de l’exilé à perpétuité, respectable par son âge et sa conduite, s’avançant à quelque distance de nous pour pouvoir être entendue, leur crie : Pò cà xin (on ne tue pas les gens comme cela), comme si elle eût su leur dessein. La maison des chrétiens où j’étais étant sur notre chemin, nous y passons, et nous arrêtant vis-à-vis, ils demandent nos ornements ; je dis que je ne savais pas où ils étaient, et cela était vrai. Ils les cherchent de toux côtés sans les trouver, me menacent veulent me battre si je ne les leur livre. Moi, faisant réflexion qu’on ne pouvait pas leur livrer des choses simples, je me sentais par la grâce disposé à tout souffrir et à mourir plutôt que de le faire.

Après des recherches et des menaces inutiles, ils me conduisent à l’assemblée païenne où on faisait le festin. Il y avait encore bien une demi-lieue de chemin, il fallait descendre une montagne. À notre approche, ils jettent de grands cris, comme on ferait en amenant un ennemi capital en triomphe. On m’introduisit dans la salle de festin, et je voyais sur la table les instruments de mon supplice, entre autres un marteau de fer qui avait une tête ronde en son total, mais divisée en plusieurs carrés propres à briser les corps les plus durs ; cela me faisait horreur, mais la grâce me fortifiait et me disposait à tout. Les païens s’attroupaient à l’entour de moi, m’accablaient de reproches et de menaces, disant que nous voulions forcer les gens à se faire chrétiens, que nous étions la cause de l’exil de leur frère ou cousin, car en Chine, c’est le même terme comme autrefois chez les Hébreux, dont les mœurs sont très analogues à celles des Chinois, quant au civil.

Je répondais à tous comme je pouvais, et je commençais même à leur prouver l’existence d’un Dieu souverain, maître du ciel et de la terre, et la fausseté du culte des idoles, et ils en convenaient. Il y en avait de plus furieux que les autres ; la jeunesse surtout était en fureur contre moi, on criait : il faut lui couper la tête. On prépara aussi une espèce de chevalet pour m’y attacher et me frapper ; les hommes qui devaient faire cette opération étaient déjà tout prêts et étaient les plus déterminés ; je m’attendais à ce supplice. Cependant, parmi ces méchants, il y en avait un plus raisonnable et plus modéré que les autres, il les contenait un peu. On voulait pour conclusion me faire faire une promesse par écrit que je ne viendrais jamais plus prêcher l’Évangile en cet endroit ; ma conscience ne me le permit pas ; je répondis nettement que je ne le ferais pas, alors ils levaient la main pour me frapper, et je persistai dans mon refus.

J’étais seul au milieu d’une troupe d’idolâtres comme un agneau au milieu des loups, et après plusieurs heures de contestations, de menaces, de préparations de supplices, la nuit s’approchant, cet homme plus raisonnable voulait me laisser aller contre l’avis des plus emportés, qui faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour me tuer, disant : que risquons-nous de tuer un homme comme cela, un étranger ? Ils savaient que j’étais Européen.

Enfin, cet homme prudent me dit de m’en aller. J’étais à un demi-quart d’heure de distance, montant une hauteur fort escarpée ; là, je rencontre les plus cruels de mes ennemis qui m’attendaient au passage ; et qui mirent la main sur moi, me frappant, etc. Je m’échappe de leurs mains, et n’ai point d’autre ressource que de venir chercher un asile au milieu de mes ennemis mêmes et des païens. Je descends donc de la montagne de marbre fort glissante avec grande précipitation ; je tombe, en roulant, je ne sais combien de fois ; je me suis donné un coup si rude, que je m’en suis ressenti plusieurs mois.

Enfin, j’arrive encore dans la maison où on voulait m’immoler d’abord. Je raconte mon aventure. Cet homme prudent fit sagement descendre les furieux qui m’attendaient, et, après cela, il me dit : Vous pouvez maintenant aller. Je m’en fus toujours en grande frayeur, ne sachant ce qui m’arriverait en chemin. Grâces à Dieu, rien de funeste ne m’arriva. Je vins la nuit fermante ches les chrétiens, ils m’avaient abandonné dans mon combat, mais ils eurent leur tour. Les satellites arrivant quelques jours après, les païens eurent l’imprudence de m’accuser, disant que j’étais venu les insulter, mettre le désordre d-chez eux. Là-dessus, on en porte des plaintes au prétoire ; on saisit les chrétiens qui furent emprisonnés ; moi, le lendemain, je m’enfuis avec grande peur et grand danger. Au lieu de passer la rivière sur la barque de non ennemis, je monte plus haut et comme notre scène était publique, tout le monde des environs en était instruit ; je courais grand risque, cependant je m’échappai.

 

Suite avantageuse de cette persécution.

 

Table de la Grande Relation

 

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