Autres conversions sur les montagnes.

 

Outre les chrétientés dont j’ai parlé, il s’en forma encore plusieurs autres, en tirant vers le midi ; en la province du Kouy tcheou, il se convertit un lettré qui avait été autrefois prétorien ; il a fait paraître, dans les persécutions et les vexations des païens, une force et un courage inébranlables, lors même que les autres prosélytes étaient ébranlés ; il était sur un grand chemin, il affectait de prier à très haute voix pour manifester la religion ; les passants, l’entendant, venaient l’écouter de plus près, et ils disaient : Il n’y a rien que de bon là-dedans. Il a exhorté et confirmé bien du monde.

Une femme âgée, sœur du chef des chrétiens dont j’ai déjà dit quelque chose, ayant été instruite par son frère, fut baptisée, et j’allai la visiter chez ses enfants encore tous païens ; mais je n’avais rien à craindre ; il y faisait très froid, la terre était couverte de neige ; ils me reçurent très bien ; je couchai chez eux, je les exhortai ; ils différent encore, mais quelques années après, j’eus le bonheur de les baptiser. Le père de famille était maître de langue ; sa femme me dit alors : Quoique nous ne soyons pas encore chrétiens, nous adorons déjà Dieu dans le cœur.

On vit bien pauvrement sur ces montagnes. Je mangeais avec eux du blé de Turquie écrasé et cuit à l’eau, avec quelques légumes ou herbes salées ; mais la satisfaction de voir ces bonnes gens embrasser la religion chrétienne, était un mets plus délicieux pour moi que les chairs les plus exquises : Optimum est enim gratia stabilire cor non escis (He 13, 9) Car il est bon d’affermir son cœur par la grâce, au lieu de s’appuyer sur les observances des viandes.

Je vais encore raconter quelque chose de la conversion d’une famille, située au bas de cette montagne au nord : Elle était alliée au frère de Monique et de Lucie, il est allé l’exhorter. Ils étaient trois frères qui demeuraient près les uns des autres ; il les persuada, et j’envoyai mon disciple Sên pour les préparer au baptême ; un d’eux était Kaozé, c’est une espèce de gens qu’on appelle aux enterrements avec les Bonzes pour marmotter ou chanter des prières vides de sens. Ce sont des gens très superstitieux et difficiles à convertir ; car l’intérêt et le démon dont ils sont les serviteurs et les esclaves, les retiennent fortement attachés à ce genre de vie ; celui-ci brûla ses livres et renonça à cet état avec grande peine ; et après plusieurs années, il retourna à son vomissement. Sa femme, qui avait donné les plus belles espérances, et que j’ai toujours regrettée, n’eut pas le courage de professer la religion malgré son mari ; je ne sais ce qu’elle deviendra. La maison de l’aîné se laissa aussi déconcerter ; il n’y eut que le deuxième qui, pour professer la religion chrétienne, nous donna le terrain et se retira avec les chrétiens. Sa femme, qui promettait le moins, se changea en bien, et au-delà de mes espérances ; avec le temps et les moyens, et surtout la grâce, on peut beaucoup ; et l’on ne doit prononcer un jugement fixe des prosélytes, qu’après les avoir cultivés et instruits. Les persécutions surtout divisent la paille d’avec le bon grain. Il y en a bien qui reçoivent la parole de Dieu avec joie, et qui se retirent en arrière au temps de la tentation, comme N.S. l’a prédit.

Pendant que j’étais chez un prosélyte que j’ai baptisé avec ses enfants, travaillant à les former et vivant pauvrement comme eux et à leur table, arrive leur oncle qui était un homme méchant, formidable, querelleur. Ayant appris leur conversion, il vint en fureur s’y opposer, les menaçant ; je n’eus que le temps de me retirer à part ; mon disciple demeura avec eux, il voulait le battre ; pour éviter de plus funestes événements, on me fit sauver avec un enfant pour me conduire ; je m’en fus donc dans de grandes alarmes et montai ces hauteurs prodigieuses, par la pluie et la boue, en glissant sur les pierres de marbre ; je suis tombé plusieurs fois, et ne suis arrivé que la nuit chez les chrétiens.

Cependant le père et la mère de cette famille, déjà fort âgés, se sont convertis par les soins du fils qui a persévéré, et les exhortations de ce Xin qui m’a tiré des mains des païens. Les desseins de Dieu sont impénétrables, sa Providence sur ses élus est admirable ; il permet que la religion s’établisse dans les endroits où elle ne se conservera pas, afin d’en tirer quelques élus, et, après cela, il abandonne le reste qui ne ferait peut-être qu’abuser de ses dons. On pourrait peut-être faire la même conjecture d’une chrétienté dans un lieu de deux ou trois journées, au sud-ouest, où une famille née de parents chrétiens est allée s’établir ; ils faisaient l’office de satellites sans en avoir la qualité ; ils étaient à craindre dans tout le voisinage ; mon disciple, qui leur était un peu parent, y passa, les exhorta ; la foi parut s’animer en eux et surtout leur attachement pour la religion.

Étant à Xè kiâ tùng, un satellite vint chez le chrétiens et leur dit que leur chef de religion, nommé Moÿe, était chez eux, et qu’il venait le prendre ; on me laissa dire la messe et ensuite on me dit la nouvelle. L’administration faite, je pris le parti d’aller à Mor-hau-tung. Jamais je n’eus de chaleurs si brûlantes à souffrir qu’en allant sur une montagne, vers le midi, au mois de juillet, sans pouvoir trouver une goutte d’eau. Après bien des fatigues, j’arrivai enfin chez nos prosélytes ; à peine y fus-je entré, que des satellites y entrent portant des chaînes ; j’en fuis un, j’en rencontre deux autres ; cela m’est arrivé bien d’autres fois ; mais ce n’était pas moi qu’ils cherchaient, cependant leur présence ne m’était pas gracieuse ; ils ne laissaient pas que de m’inquiéter.

Cette frayeur dissipée, j’administrai la chrétienté qui commençait à se former, car l’aîné de cette famille, quoique méchant homme, exhortait les païens vivement à se convertir ; je ne sais combien j’en ai baptisé. Là, Lucie y était venue pour former les personnes du sexe ; mais, avec le temps, cette chrétienté fut bientôt dissipée. Je ne puis compter que sur la femme de l’aîné qui a toujours donné en tout des preuves d’une vraie sollicitude et d’une solide piété ; c’était apparemment pour le salut de ses élus et de plusieurs centaines d’enfants qu’on a baptisés, que cette chrétienté s’est rétablie, aussi pour rendre les païens des environs inexcusables.

J’ai déjà remarqué que toutes les fois que nous mettions notre confiance dans les hommes et les moyens humains, nous en avons reçu plus de détriment que d’avantage ; cela est arrivé encore à cette occasion ; nous comptions que ces trois frères qui géraient les affaires du prétoire, se mêlant de tout, et qu’on craignait partout, nous aideraient beaucoup ; ils nous ont beaucoup nui. J’en ai engagé un à venir s’établir dans une nouvelle chrétienté où des païens hargneux et violents les vexaient, pensant qu’il les soutiendrait contre les vexations injustes ; il y est venu, mais il avait peut-être d’autres motifs que l’événement a manifestés ; au lieu d’aider les chrétiens, il est entré en société avec les païens, et accompagné de certains faux frères, il levait des contributions sur les chrétiens qui le regardent à présent comme un loup dans un bercail.

Il se fit encore divers établissements de chrétiens, comme Ketao-Lòng qùi hò, et plusieurs autres endroits que je me rappelle, pais les noms m’échappent. Je suis allé par tous ces endroits-là, j’y ai célébré, et nous avons travaillé partout à la conversion des païens, et partout il s’en est converti plus ou moins. Je vais rapporter les événements de chaque endroit.

À Lòng qùi hò, j’eus la scène la plus tragique. Il fallait passer une rivière dont les chrétiens étaient fort proches ; ces gens qui passaient les voyageurs étaient parents des chrétiens, et avaient été punis de ne les avoir pas déclarés. Un chrétien, qui était condamné à un exil perpétuel, était le frère de ce païen, et le fils aîné de l’exilé à perpétuité était son neveu. Mon arrivée les inquiéta ; cependant comme je passais rapidement pour aller au Kouy-tcheou, où je souffris une persécution que je raconterai quand il sera question de cette province, car je suis plutôt l’ordre des événements et des lieux que l’ordre du temps où ils sont arrivés.

À ma première visite et à la seconde, ils ne firent rien ; d’ailleurs, Dieu nous distribue les croix avec poids et mesure ; je venais d’avoir une persécution, Dieu, ménageant ma faiblesse, me donna un peu le temps de respirer. Je consolai les pauvres femmes des exilés le mieux qu’il me fut possible ; et partagées entre la joie de voir un prêtre et la désolation de l’absence de leurs maris, elles joignaient les larmes à la consolation qu’elles ressentaient : Miscentes gaudia fletibus. Goûtant la joie au milieu des larmes. Ces chrétiens avaient été furieusement vexés par les satellites dans la dernière persécution, et ils étaient venus chez eux en grand nombre avec un terrible appareil, et ils leur disaient : Où est ton homme de cuivre ? c’est le Crucifix. Mais à la deuxième ou troisième visite, l’intérêt, c’est-à-dire la crainte de quelques nouvelles persécutions où ils pourraient être enveloppés avec la perte de quelque argent, joint à quelque mécontentement de ce qu’étant venus à la maison où j’étais, je ne les avais point reçus ni parlé avec eux, ce qui eût été dangereux aussi, excepté dans quelques circonstances où on connaît les gens ; enfin, dans un festin qu’ils célébraient pour lors, échauffés par le vin, les jeunes gens vinrent me chercher.

 

Scène tragique.

 

Table de la Grande Relation

 

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