Détails édifiants.

 

Il y avait sur ces montagnes bien de bons chrétiens parmi les hommes ; mais il faut avouer que les femmes les surpassaient en esprit, en talent, en piété, en érudition et en prudence. C’étaient les femmes qui faisaient le plus de conversions ; celle que je préfère à toutes les autres en genre de sainteté, était une femme d’environ soixante ans qui avait une foi si vive et si ardente, qu’aussitôt qu’elle voyait le prêtre monter à l’autel, elle était si touchée, si pénétrée de sentiments de piété et de religion que les larmes lui coulaient des yeux, et malgré tous les efforts qu’elle faisait pour se contenir, elle ne pouvait s’empêcher d’éclater en soupirs, en gémissements. Je puis dire en vérité que, malgré mes examens, je ne lui ai jamais ouï proférer une parole déplacée, ce que je regarde comme un prodige ; elle passait la plus grande partie de la journée en prière ; elle communiait presque tous les jours, et ne finissait ses actions de grâces que bien tard, lorsque les devoirs de son état l’appelaient pour régler sa famille et son ménage, où tout était toujours en ordre ; les chrétiens se disaient avec admiration qu’il était étonnant de voir que malgré tant de temps employé à la prière et consommé dans les exercices de piété, cependant son ouvrage et son ménage se faisaient aussi bien et mieux que celui des autres. Elle était si humble, que c’était lui donner un coup de poignard que de dire en sa présence un mot à sa louange ; elle jeûnait très souvent et priait très longuement les mains étendues en croix. Ce n’est pas une pratique singulière en ces lieux-là ; je l’ai vue une fois malade à la mort ; je lui avais donné l’extrême-onction ; toute tremblante de faiblesse, elle voulait encore prier les bras en croix, disant qu’elle ne sentait pas la même affection lorsqu’elle priait plus commodément, et qu’elle voulait encore jeûner ; cependant, malgré tant de mortifications, elle vit encore pour l’édification de l’Église. Elle est d’un jugement exquis et très prudent dans ses conseils, mais elle n’en donne que lorsqu’on les lui demande, ou que la nécessité l’exige.

Comme la chrétienté où elle demeurait était la plus fervente et la plus forte, elle fut attaquée le plus vivement. Le démon jaloux lui livra les plus furieux assauts ; les tentations à tous égards étaient si délicates, les circonstances si critiques, le trouble et la commotion si violents, que je vis les âmes les plus ferventes dans le danger le plus éminent ; cela m’était d’autant plus sensible qu’elles m’étaient plus chères ; c’était environ cinq ou six ans après mon arrivée en Chine.

Je vis alors en songe un serpent plein de venin au milieu des chrétiens saisis de crainte à la vue du danger ; je saisis une espèce de pincettes pour prendre ce serpent tout violet de venin, et cette sainte femme se joignit à moi et m’aida à le brûler. Ce songe me consolait, en me montrant quelle serait la fin de ce trouble. Dieu sait ce que j’ai souffert intérieurement en cette rencontre ; il fallait une grande prudence pour corriger le mal sans aigrir les esprits troublés et agités par les secousses violentes que leur donnait le tentateur. Or, dans ces circonstances fâcheuses, je ne vis que cette pieuse femme qui se comportât d’une manière irrépréhensible ; par ses prières et sa prudence, elle contribua efficacement à terrasser la fureur du démon. Je pris les conseils qu’elle me donnait avec tant de réserve qu’elle ne parlait que par monosyllabes, et je pouvais m’en tenir à son témoignage. Tous les autres eurent de quoi s’humilier et quelque chose à se reprocher dans cette épreuve, elle seule fut irréprochable, et dans sa conduite et dans ses paroles. Enfin, cette fâcheuse scène se termina à la gloire de Dieu et à la confusion du démon ; et ceux qui m’avaient causé le plus de peine dans ce temps de troubles, me donnaient la consolation de les voir prosternés dans l’assemblée des fidèles, faire, les larmes aux yeux, une réparation publique des fautes qui leur étaient échappées dans ces circonstances.

Sur la fin que je visitai ces chrétientés, je logeai chez cette sainte femme ; elle eut la douleur de me voir tirer et arracher de sa maison par le maître du terrain, et battre en sa présence et sous ses yeux, sans pouvoir me secourir que par ses prières et la part qu’elle prenait à ma peine.

L’année d’avant mon départ de la Chine, M. Sen, prêtre chinois, son neveu, lui ordonna d’aller voir un païen malade ; elle le convertit et il fut baptisé. Cette pieuse femme avait la prééminence sur toutes les autres quant à la pureté de ses mœurs, à la régularité irréprochable de toute sa conduite et la retenue dans son parler ; mais il y en avait d’autres qui l’égalaient et la surpassaient même par leur zèle pour la propagation de la foi, et les travaux et les démarches qu’elles entreprenaient pour la conversion des Gentils et l’édification des chrétiens ; celle-là était pour la vie intérieure, contemplative et affective, pour la vie d’oraison, de mortification. Les autres menaient une vie plus active, sans négliger la prière qui est l’âme de la vie chrétienne. Elles étaient plus entreprenantes pour le salut des âmes, pour l’instruction des fidèles et la conversion des païens. Chacun a son don différent ; il y a des âmes qui ont des imperfections qui les humilient, et qui, succombant dans les petites tentations, ont plus de charité que d’autres, plus pures et plus réglées dans leurs mœurs ; et, après avoir expié leurs fautes et s’être corrigées de leurs défauts par bien des sacrifices dans le monde ou par les flammes du purgatoire en l’autre, elles auront dans le ciel un plus haut degré de gloire que d’autres qui auront eu une conduite plus régulière et moins défectueuse sur la terre.

 

Femmes fortes.

 

Table de la Grande Relation

 

Home Page