Exilés pour la religion.

 

Les prédictions de N.-S. se sont accomplies et s’accompliront jusqu’à la fin du monde. Il avait annoncé à ses disciples qu’ils seraient persécutés, expulsés, flagellés et odieux à toutes les nations, et tout cela leur est arrivé, et arrive presque toutes les fois que notre sainte religion s’établit dans quelque endroit.

Quelques années avant mon arrivée, il y eut une grande persécution. Les chrétiens, en assez grand nombre, furent pris, emprisonnés et frappés, et il y en eut, autant que je me le rappelle, six d’exilés à perpétuité, et dix ou quinze d’exilés pour trois ou quatre ans au moins.

Quand je suis revenu dans ces quartiers du Fou-tcheou, ceux de la province du Kouy-tcheou n’étaient pas encore de retour. J’ai ouï dire qu’un bon vieillard, immédiatement avant la persécution, avait eu un songe. Il vit deux hommes, un blanc et un noir ; le blanc dit au noir : Si tu es Dieu, ébranle et transporte les cieux. Il fit un effort et ne put y réussir ; alors le blanc les prit et les transporta, et aussitôt la persécution arriva. Ce sont les chrétiens et le fils de ce bon vieillard de Kouy-tcheou, de Siaô xâ pèn, qui me racontèrent cela ; je n’ose l’assurer, mais s’il y a du surnaturel en ce songe, selon mon interprétation en voici le sens : Cet homme noir qui est le démon, voulait dissiper les cieux, c’est-à-dire les chrétiens : Cœli enarrant gloriam Dei. (Ps 18, 2) Les cieux racontent la gloire de Dieu. Il ne le put sans la permission divine ; et le blanc les transporta, c’est-à-dire que ce fut par un ordre de Dieu que les chrétiens furent envoyés en exil, pour manifester la religion en toutes sortes d’endroits fort éloignés où ils furent dispersés.

Je vis un des ces exilés du Kouy-tcheou qui m’édifia beaucoup. Il travaillait pour gagner sa vie ; je voulais le consoler, et il me répondit, se prosternant à terre, que ce qu’il souffrait n’était pas encore assez, pô keôu ; il donnait toutes les marques de piété possible. Cependant, revenu de son exil, et ayant des consolations humaines, il est tombé dans le relâchement, et est mort dans une grande négligence. Il faut persévérer jusqu’à la fin ; et les croix, les peines, les tribulations nous soutiennent, nous élèvent, au lieu que les joies, les plaisirs nous énervent et nous corrompent.

J’ai ouï raconter un trait semblable d’un capitaine de la Cochinchine. Il était prêt à mourir pour la religion ; il eut sa grâce. De retour chez lui, l’amour naturel, les affections humaines et charnelles amollissent sa vertu qui tomba à rien. Mais j’ai eu la consolation de voir plusieurs autres exilés à perpétuité, (ils sont maintenant presque tous morts,) qu’on voulait les forcer à balayer le temple des idoles ; car ils sont dans les prétoires où il y a presque toujours des idoles ; il le refusa constamment, et quoiqu’on le menaçât d’abord, Dieu le protégea, et ses ennemis voyant sa probité, le respectèrent, prirent confiance en lui, de sorte que la femme du mandarin lui faisait faire ses commissions ; et après avoir eu sur la religion plusieurs entretiens avec les prétoriens, il les a convaincus des vanités et des faussetés du culte des idoles.

Quand il écrit à sa famille, il la console, et dit qu’il est très content de son sort. Il y en a un que sa femme et ses enfants ont suivi ; c’est une imprudence ; j’ai travaillé plusieurs fois à les rappeler ; et je n’ai pu y réussir jusqu’ici. Parmi les exilés pour un temps, était un nommé Tzian qui, de retour de son exil, est venu avec moi après plusieurs années d’instances que je lui fais pour cela ; et il est actuellement prêtre, a bien du zèle et du talent pour bien instruire. Dieu répand des bénédictions sur ceux qui souffrent pour sa gloire.

J’ai vu revenir les exilés de Kouy-tcheou triomphants, consolés, et ils ont donné leur libelle au prétoire, protestants qu’ils étaient chrétiens et qu’ils persévéraient à l’être. Ils ont tous eu le bonheur de s’approcher des sacrements après leur retour, et ils l’ont fait avec de grands sentiments de piété. Une grande partie avaient été exilés à la province du Su-tchuen, et ceux du Su-tchuen, dans la province de Kiansi, distante de deux à trois mois de chemin. Dieu avait permis cette dispersion pour manifester davantage la religion chrétienne, de même que les persécutions ; car, quand les chrétiens sont conduits au prétoire, emprisonnés et punis, tout le monde le sait, et alors on s’informe plus exactement de cette religion. N.-S. l’avait prédit, que ses disciples seraient menés devant les tribunaux en témoignage pour les juifs et les Gentils :In testimonium illis et gentibus. (Mt 10, 18)

J’ai pu écrire aux exilés à perpétuité pour les consoler, et ai tâché de consoler les femmes et les enfants des exilés pour un temps, jusqu’à leur retour qui arriva deux ou trois ans après mon arrivée en Chine ; je ne me souviens plus exactement de la date du temps, je la marque à peu près.

Je viens de dire que les exilés, de retour en leur patrie, avaient fait une protestation qu’ils étaient chrétiens, et qu’ils le seraient toujours. Je me rappelle que les prétoriens, pour ne pas avoir le dessous, y ont inséré un mot qui m’a fait peine : que désormais nous ne professerions point de fausse religion. Ce mot désormais, Frai pô, était déplacé. Quoi qu’il en soit, les exilés firent profession haute et publique de leur religion ; et les païens en étaient si étonnés qu’ils leur demandaient : Mais vous autres chrétiens, qu’attendez-vous de votre religion ? On vous punit, on vous exile, et à présent vous êtes encore plus fervents à la pratiquer. Les chrétiens répondaient : C’est pour sauver notre âme, c’est pour gagner le ciel. Les païens, quoiqu’ils parlent du ciel et de l’enfer, car ils en ont conservé la tradition aussi bien que celle de la création, du déluge, de la fin du monde et des points fondamentaux de la religion, cependant ils n’en ont pas une juste idée, non plus que les chrétiens charnels et terrestres. Ils n’estiment que les biens temporels ; et on ne saurait dire quelle haute estime ils en ont, et combien ils y sont attachés. Ils répondaient donc aux chrétiens : Non ; c’est que vous espérez quelque chose de mieux. Ils voulaient dire de l’argent, des richesses.

Un des trois exilés étant de retour, isolé et éloigné dans autres chrétiens, faisait publiquement les prières à haute voix avec sa famille. Le démon en fut si jaloux, qu’il excita les païens à venir briser sa maison. Je ne me souviens plus s’ils l’ont battu ; mais il leur répondit, comme il avait fait au prétoire, qu’il ferait toujours profession de la religion chrétienne, dût-il lui en coûter la vie. Cet homme me plaisait bien, il avait une candeur et une franchise rare chez les Chinois : c’était la religion qui la lui inspirait.

 

Suite des courses, visites des Chrétiens.

 

Table de la Grande Relation

 

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