Travaux infructueux.

 

On vint me chercher à Tchang-Tcheou pour aller voir un malade à la campagne ; je visitai les chrétientés voisines tombées dans une tiédeur et un délabrement affreux. Je fis plusieurs années tous mes efforts pour les ramener à la ferveur, jusqu’à aller dans presque toutes les maisons particulières, mais le tout fut inutile. Je baptisai des prosélytes, et plusieurs brus païennes mariées à des chrétiens sans dispense ; je m’en repentis après ; car ces prosélytes, suivant l’exemple des mauvais chrétiens, se perdirent avec eux, aussi bien que quelques âmes qui paraissaient encore avoir un peu de religion. C’est l’attachement aux biens de la terre qui était la source de leur tiédeur, d’une indolence mortelle et d’un dégoût, pour ne pas dire une horreur pour les exercices de la religion, ce n’étaient plus que des chrétiens de nom.

J’y ai baptisé plusieurs enfants de païens, parents des chrétiens qui promettaient de les élever dans la religion ; ils sont tous morts, par bonheur ; la Sacrée Congrégation a déclaré par après qu’on ne doit pas, hors du péril de mort, baptiser les enfants des païens ; la grand mère de ces enfants était chrétienne, mais cela n’eût pas encore suffi dans la rigueur, dès qu’on les laissait entre les mains des pères et mères païens.

Enfin, voyant l’état déplorable de ces malheureuses chrétientés, qui retombaient toujours dans leur indifférence pour le salut, tout bien considéré, je leur ai prédit qu’ils iraient dans peu d’années adorer les idoles. On en riait alors, mais deux ou trois ans après, une persécution s’est élevée chez eux, non à cause des bonnes œuvres qu’ils faisaient, car ils ne faisaient presque aucun exercice de religion, sinon quelques assemblées où, après quelques prières mal dites, on passait le temps à s’amuser, à boire, à causer ; et lors même que le prêtre était dans les environs, au lieu de venir à la messe, ils allaient à leurs assemblées. La persécution arrivée, on les saisit, on les mène à Tchong-Tcheou ; ils accusent les autres chrétiens de la ville ; mais la Providence ne permit pas qu’ils fussent enveloppés dans cette tempête. Enfin, après plusieurs mois de prison, ils apostasièrent tous, et ensuite plusieurs d’entre eux allèrent avec les païens brûler de l’encens, sur les montagnes, aux pieds des idoles. Alors ils se sont souvenus de ce que je leur avais dit à ce sujet ; et ils vivent toujours comme des païens. Il y a près de mille chrétiens dans cet état là, ce qui fait voir que, s’il y en a qui retournent à Dieu ou qui se conservent, cela vient de la grâce, et que tous nos efforts sont vains si Dieu ne les seconde : Neque qui plantat est aliquid, neque qui rigat ; sed qui incrementum dat Deus. (1 Co 3, 7) Ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose ; mais celui qui donne la croissance, Dieu. J’ai voulu y établir des écoles, rien n’a pu y réussir ; ils marient sans scrupule leurs filles aux païens, et elles en sont bien aises.

M. Hamel y a été après moi ; il a fait ce qu’il a pu, tout a été inutile. Avis aux missionnaires de ne pas baptiser facilement les adultes dans les chrétientés délabrées. J’ai vu dans ces quartiers-là une bru que j’avais moi-même baptisée, mais trop tôt, se manifester ensuite pour une ennemie déclarée de la religion, entrer en fureur voyant son mari venir à la prière, et menacer de se couper la gorge, parce que cela lui prenait du temps sur son travail. Cette malheureuse a péri misérablement dans le temps de la famine ; car Dieu punit souvent des avares qui préfèrent le temporel au spirituel par la perte du temporel même ; n’ayant plus rien du tout, elle est sortie comme une désespérée de sa maison, et on ne l’a plus revue.

Ailleurs, dans les chrétientés tièdes que je n’ai pu ramener à la piété, au moins j’y ai formé la jeunesse, mais ici je n’ai pu réussir à rien. Quand je disais à des pères et mères qui avaient livré leurs filles aux païens, qu’ils étaient obligés de les appeler pour venir entendre les instructions, et qu’ils devaient exhorter leurs gendres et à avoir soin du salut de leurs petits-enfants, ils me riaient au nez. Dans plusieurs chrétientés de cette espèce, je ne puis guère compter que sur une pauvre aveugle que j’ai baptisée ; elle s’était mariée à un chrétien. Celle-là n’a pas suivi le torrent ; elle marche par la voie de la Croix ; elle a une vraie piété, et elle a toujours persévéré. Le plus grand avantage que j’ai tiré des autres, c’est de leur faire baptiser des enfants païens qui sont morts. Cependant je me rappelle qu’arrivant dans une de ces chrétientés, tout était plein de monde ; mais ce n’était que la nouveauté et la curiosité qui y attiraient de toutes parts. Nous avons prêché, moi et mon disciple tous les jours deux ou trois fois, outre les exhortations particulières ; dans les commencements, comme je ne les connaissais pas bien, et qu’ils me promettaient tout, on n’a confessé et communié que trop malheureusement ; mais à la fin, quand je les ai connus, j’ai vu avec douleur que ce n’étaient que des sacrilèges. Sint lumbi vestri præcincti et lucernæ ardentes in manibus vestris, (Lc 12, 35)Fiat lux (Gn 1, 3) qui in tenebris ambulat impigit (Jn 12, 35) Que vos reins soient ceints et tenez en vos mains des lampes ardentes… Que la lumière vous éclaire car celui qui marche dans les ténèbres s’égare. Il faut d’abord bien examiner l’état des âmes ; ensuite agir en conséquence.

J’ai fait venir de la ville une fille vertueuse, qui est leur parente, pour y établir une école ; les enfants sont si accoutumés à la dissipation, à aller çà et là, qu’on n’a pu les fixer à rien.

 

Courses.

 

Table de la Grande Relation

 

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