Fermeté des chrétiens.
On neut jamais nulle part ailleurs tant de combats à soutenir contre les contributions que lon exige pour les idoles ; cette ville est très superstitieuse. Dernièrement, un satellite fit un songe que, dans un certain lieu, il y avait un Dieu qui se prêtait favorablement aux demandes quon lui faisait. Sur ce rapport, un mandarin fit bâtir un temple dans cet endroit ; il ordonna des contributions pour le construire, et chaque idole a ses adorateurs qui vont faire des quêtes pour bâtir ou réparer leurs temples, et jouer des comédies à leur honneur. Ils ne manquent pas de venir chez les chrétiens, qui les refusent ; alors ils se fâchent, ils les chargent dinjures et leur prennent leurs meubles, les menacent et veulent les battre, les conduire au prétoire ; et ils sont quelquefois des demi-journées à se démener en pleine rue, devant les maisons des chrétiens ; et, dans ces circonstances, cest la maison de Heào, mon hôte, qui a été toujours la plus attaquée, parce quils sont marchands, mais elle a montré dans toutes ces épreuves une fermeté invincible. Ce bon vieillard, à tous les reproches et à toutes les invectives, répondait toujours : " Faites ce que vous voudrez, je suis chrétien, je ne donnerai pas un denier pour vos idoles ; maudissez, battez, tuez-moi, accusez-moi, il nen sera ni plus ni moins. " Son fils, se mettant à genoux devant tout le monde, montrait son col, disant aux païens : " Coupez-moi la tête, je ne vous donnerai rien. " Ces scènes se sont souvent passées lorsque jétais en leur maison.
Un jour, on les accusa, et le mandarin reçut laccusation. Il alla au prétoire, et cétait un dimanche ou une fête ; les chrétiens étaient en prière chez eux. Les païens sétaient assemblés au prétoire dans lattente et le désir de voir les chrétiens bien punis, car il arrive ce que Notre-Seigneur a dit : " Vous serez haïs de toutes les nations. " Le mandarin interrogea les chrétiens, et leur demanda pourquoi ils ne voulaient pas contribuer pour les idoles : ils répondirent " Nous sommes chrétiens " et pourquoi ils observaient cette religion ; ils répondirent : " Pour sauver notre âme, pour mériter le ciel et éviter lenfer. " Quoi ! répliqua le mandarin, cest donc à dire que moi et tous les gens de mon prétoire, nous irons en enfer, si nous ne sommes pas chrétiens ? Les chrétiens répondirent : " Dieu est juste, il récompense les bons et punit les méchants. "
Alors, le mandarin prononça leur sentence en disant : " Hé bien ! puisque vous ne voulez pas donner quatre cents sapèques pour les idoles, vous en donnerez deux mille pour raccommoder les portes de la ville. "
Les chrétiens furent bien contents de la sentence, et les païens confus. Les païens affichèrent aussi sur leur théâtre ces mots en gros caractères : Défense aux chrétiens de venir à la comédie, puisquils ne veulent point fournir à la dépense. Cette dépense me fit bien plaisir ; je la vis écrite en gros caractères de la maison où jétais.
Je dois dire encore à la louange de la maison Heào, qui avait la charité de my loger et dy recevoir les chrétiens, que dans mille circonstances où on avait à craindre des événements fâcheux, comme des persécutions, on avait toujours recours à Dieu avec confiance, à la prière, au saint sacrifice de la messe, quils promettaient de faire dire pour dissiper lorage qui les menaçait, comme il disait en chinois : siaòmie, qui veut dire anéantir et éteindre. Une fois, leur deuxième fille, qui a beaucoup de religion aussi, était depuis plusieurs jours dans les travaux de lenfantement sans pouvoir être délivrée, eut recours à Dieu avec confiance ; elle menvoya chercher la nuit, jétais déjà couché, pour me porter de largent, afin de lui dire une messe, et la même nuit, elle accoucha heureusement.
Je puis dire avec vérité que jai vu cent fois en Chine que les chrétiens qui mettent leur confiance en Dieu, faisaient le bien, surmontaient la crainte des persécutions et des dangers ; Dieu les préservait des maux qui les menaçaient, ou si ces maux arrivaient, il les en délivrait avec avantage pour la religion et pour eux-mêmes ; au lieu que les lâches et les pusillanimes, qui nosaient entreprendre ni faire le bien par la crainte des païens et de la perte des biens temporels, tombaient dans les malheurs quils voulaient éviter par leur prudence humaine ; le démon et les païens les subjuguaient comme des esclaves, devenant tous les jours plus timides ; ils étaient obligés de sacrifier plutôt que de rien faire contre la religion ou leur conscience, conservaient tout par une protection visible de Dieu, qui les a toujours soutenus dans les dangers auxquels ils se sont exposés pour sa gloire et pour le salut des âmes. Comme dans les démarches et les voyages que tant de pieuses femmes ont faits pour baptiser les enfants au milieu des païens, des pestiférés, des voleurs ; elles ont eu des événements critiques, mais Dieu les a délivrées de tous les accidents fâcheux, sans quaucune pérît. Il en a été de même pour les chrétiens charitables qui mont logé constamment et ont reçu les chrétiens chez eux ; cétait une chose très dangereuse, cependant Dieu les a tellement protégés quil ne leur est rien arrivé de fâcheux. On a aussi remarqué avec une sorte détonnement et dadmiration que Dieu avait récompensé leur charité, en répandant sa bénédiction même sur leur temporel.