ÉLÉVATIONS À DIEU
Introduction
de léditeurCet ouvrage de 48 pages in-12 est une réimpression dun petit écrit de Bérulle, dans lequel Jean-Martin Moye a inséré des explications de son cru. Il fut imprimé par Moye en 1764, et de nouveau en 1786. Seules donc les Explications sont de Jean-Martin Moye. Lensemble du texte comporte deux parties, respectivement consacrées à Jésus-Christ et à la Sainte Vierge. Dans la partie christologique les explications, dordinaire courtes, sont réparties à travers le texte bérullien. Dans la partie mariale il ny a quune seule longue explication, qui fait suite aux lignes de Bérulle. Le texte donné ici est celui de la publication de 1786 (Archives de Portieux, a-2). Dans ce volume de Portieux la page blanche qui fait face au titre porte la note suivante écrite à la main : " La formule qui suit avait été imprimée par M. Moye, comme il le déclare dans la Vie de Jobal, n. 60. Elle fut donc déjà imprimée et commentée avant la mort de M. Jobal en novembre 1766. Mais plus tard M. Moye la fit imprimer de nouveau, comme il le déclare à la fin des Élévations. Le texte est suivi des litanies du Saint-Enfant Jésus attribuées à Bérulle, qui sétaient largement répandues sous linfluence de la Carmélite de Beaune, Marguerite du Saint-Sacrement (1619-1648). Ces litanies servirent de modèle aux diverses litanies que Jean-Martin Moye composa plus tard en Chine.
G.T.
ÉLÉVATIONS À DIEU SUR LE MYSTÈRE DE LINCARNATION
Pour soffrir à Jésus-Christ à lhonneur de lunion personnelle de la divinité avec lhumanité, et ensuite à la Sainte Vierge, en mémoire de la part quelle a eue à ce Mystère.
Ces élévations ont été composées par le Cardinal de Bérulle, mort en odeur de sainteté ; on y a ajouté des explications pour léclairer dans des endroits difficiles.
UTILITÉ DE CET OUVRAGE
Le premier avantage que lon peut tirer de cette formule de prière, cest une connaissance exacte du mystère de lIncarnation, qui y est très bien développé. Le second, cest une haute idée de ce mystère, dont la grandeur et lexcellence y sont parfaitement exposées. Le troisième, cest une tendre dévotion envers ce mystère. Ce grand Cardinal en était vivement touché et pénétré. Cétait là son attrait. Et on ne peut lire ses ouvrages sans sentir naître dans son cur du moins quelques étincelles de lamour de Jésus incarné, dont son âme était toute remplie. Enfin, le quatrième avantage que lon doit retirer de cette prière, cest une étroite union avec Jésus-Christ et sa sainte Mère, qui sera pour nous une source abondante de toutes sortes de grâces, et une dépendance totale de son bon plaisir, et une soumission entière à ses volontés, puisquon se consacre à lui sans réserve pour lui appartenir à jamais en qualité de serviteur et desclave, de même quà sa sainte Mère. Cet ouvrage a été approuvé par un très grand nombre dÉvêques et de Docteurs, qui sont cités à la fin du livre de lauteur qui a pour titre, Les Grandeurs de Jésus.
FORMULE DE PRIÈRE POUR SE CONSACRER À JESUS INCARNÉ
À LHONNEUR de la Très Sainte Trinité et du très adorable et très profond et très impénétrable et très sacré Conseil quelle a formé, dunir la nature humaine à sa divine essence.
Explication
1. Quoique le mystère de lIncarnation nait été accompli que dans le temps, environ 4000 ans après la création du monde, cependant le décret de ce mystère a été présent à Dieu de toute éternité. Cest ce que saint Paul nous apprend lorsquil nous dit que " ce mystère a été caché en Dieu dans tous les siècles " (Ep 2, 9).
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À LHONNEUR du Père éternel, donnant son Fils unique à cette humanité formée de la Vierge, et de lamour ineffable par lequel il lui a donné dune manière si admirable, si entière, et si absolue, la personne de son Fils, et en lui sa propre essence.
Explication
2. " Cest ainsi que Dieu a aimé le monde ", dit saint Jean, " jusquà donner son propre Fils " pour le sauver (Jn 3, 16), et en lui sa propre essence, parce que la Personne du Fils étant inséparable de la nature et de lessence divine, en même temps que la Personne du Fils sest incarnée lessence divine qui lui est unie a été communiquée à lhumanité quelle a prise.
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À LHONNEUR de ce même Fils unique, et de lamour et de lanéantissement par lequel il sest joint à cette humanité dans les entrailles de la Vierge.
Explication
3. Si nous sommes redevables au Père de nous avoir donné son Fils, nous le sommes également au Fils de ce quil a bien voulu se donner à nous dans ce mystère.
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À LHONNEUR du Saint-Esprit et de son opération admirable, par laquelle a été accomplie lIncarnation du Verbe, et la déification de cette nature humaine, demeurant humaine dans létat de cette union divine, et recevant la grâce incréée et infinie dans un être créé, fini, et semblable au nôtre.
Explication
4. Quoique les trois Personnes de la Sainte Trinité aient également concouru à former lhumanité de Jésus-Christ dans le sein de la Vierge, on lattribue au Saint-Esprit, selon ces paroles du Symbole, " qui a été conçu du Saint-Esprit ", pour faire entendre que tout a été saint dans cette conception, et quil ny a rien eu dhumain et de charnel. La déification de la nature humaine : ce nest pas à dire que la nature humaine que le Fils de Dieu a prise a été changée en Dieu ; elle est demeurée humaine, conservant les qualités de son humanité ; elle a été déifiée en tant quelle a été unie à la Personne divine en qui elle subsistait.
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À LHONNEUR de cette même nature humaine, formée de la substance de la Vierge, et unie personnellement au Verbe éternel, et de létat admirable et divin dans lequel elle est entrée par cette union hypostatique.
Explication
5. Après les trois Personnes divines il ny a rien dans la religion de plus sacré que lhumanité sainte de Jésus-Christ, puisquétant unie à Dieu même dune union hypostatique, cest-à-dire personnelle, puisque cest dans la Personne du Fils de Dieu quelle sest faite cette union, elle entre dans un état tout divin, puisquelle subsiste dans une personne divine qui la conduit et la gouverne comme une nature qui lui est propre.
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À LHONNEUR des communications intimes et secrètes des perfections divines, singulièrement communiquées à cette nature subsistant en la divinité.
Explication
6. Comme les deux natures divine et humaine sont unies dans Jésus-Christ, puisquelles subsistent également lune et lautre dans sa personne, quoiquelles conservent chacune leurs propriétés essentielles, cependant il y a une communication bien intime de sentiments et de perfections. La plénitude de la divinité habitant corporellement (Col 2, 9) dans lhumanité du Sauveur lui communiquait pleinement et sans mesure tous les trésors de grâces et de mérites ; et cest en vertu de cette communication de grâces et de mérites que la nature humaine recevait de la divine, que toutes les actions, les sentiments et les souffrances de lhumanité du Sauveur étaient dun prix et dune valeur infinie, de sorte que la moindre eût été suffisante pour sauver lunivers entier.
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ET À LHONNEUR de la très sainte Vierge, en qui cette union divine a été accomplie et consommée.
Explication
7. Comme cest la sainte Vierge qui a eu le plus de part au mystère de lIncarnation, après Dieu, il est juste de lui en faire honneur en premier lieu après lui.
JE MOFFRE et me soumets, je me voue et me consacre à Jésus-Christ comme son sujet, son serviteur, et son esclave. Je moffre à lui et à son humanité déifiée, et à sa divinité humanisée, par une résolution aussi sincère, aussi ferme, constante, et inviolable quil me soit possible par sa grâce.
Explication
8. Humanité divinisée, et divinité humanisée. On a déjà remarqué que ces expressions ne signifiaient pas que la nature divine eût été changée en la nature humaine, ni lhumaine en divine, puisquelles subsistent sans mélange et sans confusion, mais que la nature divine est humanisée, en ce quelle est unie à la nature humaine, et la nature humaine divinisée, en ce quelle est unie à la divine.
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À LHONNEUR de lunion du Fils avec le Père et le Saint-Esprit, et de lunion de ce même Fils avec la nature humaine quil a unie et jointe à sa propre personne, junis mon être à Jésus et à son humanité déifiée par le lien dune servitude perpétuelle. Et je forme cette union et cette liaison de ma part de tout mon pouvoir, et je le supplie de me donner la force de munir à lui par une liaison plus grande et plus étroite encore, à lhonneur des liaisons saintes quil veut avoir avec nous en la terre et au ciel, dans la vie de la grâce et de la gloire.
Explication
9. Le comble de la perfection, cest dêtre uni à Dieu, à Jésus-Christ et à lÉglise par la charité, comme les trois Personnes divines sont unies entre elles par essence et par nature. Jésus-Christ lui-même nous propose lunion des personnes divines comme le modèle de la nôtre, " afin quils soient uns comme nous " (Jn 17, 22). Et après lunion des trois Personnes qui ne sont quun Dieu, il ny a point dunion plus forte et plus intime que celle du Fils de Dieu avec la nature humaine quil a prise dans le sein de la Vierge, car il se lest tellement appropriée quelle subsiste en lui, et quelle nen sera jamais séparée. À sa mort même, lorsque son âme sest séparée de son corps, sa personne divine est toujours demeurée unie à lâme, et au corps, et au sang, en sorte quon eût pu les adorer. Les liaisons que Jésus-Christ a contractées avec nous par son humanité consistent surtout en ce quil est notre chef, et nous ses membres, en ce quil est lépoux de nos âmes ; il est même notre frère et notre ami, comme il le dit lui-même : " Allez dire à mes frères, etc. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous ordonne ". Combien de puissants motifs pour nous unir à lui par lunion la plus forte et la plus intime !
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JHONORE et jadore la vie et lanéantissement de la divinité en cette humanité, et la vie, la subsistance, et la déification de cette humanité en la divinité, et toutes les actions humainement divines et divinement humaines qui ont procédé de cette vie nouvelle et mutuelle de lHomme-Dieu en sa double essence éternelle et temporelle, divine et humaine. Je lui consacre ma vie et mes actions de nature et de grâce, comme étant la vie et les actions dun de ses esclaves pour jamais.
Explication
10. Comme Jésus-Christ était Dieu et Homme tout ensemble, il y avait en lui deux sortes dopérations, suivant les deux natures qui subsistaient en lui. Les opérations qui procèdaient de la nature divine étaient divines ; celles qui procédaient de la nature humaine étaient humaines. Mais comme ces deux natures étaient unies dans une même personne, on peut appeler les actions qui venaient de la nature divine humainement divines, parce que Jésus-Christ les faisait dans la nature humaine et quil se servait même de la nature humaine pour les faire, comme lorsquil commandait au vent et à la tempête, ou quil faisait dautres miracles. Et les actions qui procédaient de la nature humaine peuvent se nommer divinement humaines, parce quelles sattribuent à la personne de Jésus-Christ, qui est divine, et que cest de cette personne quelles tirent leur valeur et leur mérite. Il y a dans nous deux sortes dactions et de sentiments, naturels et surnaturels, selon les deux principes qui nous font agir, savoir, la grâce et la nature.
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JHONORE le dénuement par lequel lhumanité de Jésus a été privée de sa subsistance propre et ordinaire, pour être revêtue dune autre subsistance étrangère et extraordinaire à sa nature, doù vient que sa vie, son état, ses mouvements, et ses actions ne sont plus delle ni à elle à proprement parler, mais sont de celui qui la soutient ainsi, dénuée de sa propre subsistance. À lhonneur de tous ces mystères je renonce à toute la puissance, autorité, propriété, et liberté que jai de disposer de moi, de mon être, de mes actions, et de tout ce qui mappartient, pour men démettre entièrement entre les mains de Jésus et de humanité sacrée, à son honneur et gloire, pour laccomplissement de toutes ses volontés et pouvoirs sur moi.
Explication
11. Lhumanité de Jésus-Christ a été privée de sa subsistance, parce quune nature humaine exige naturellement de subsister dans une personne humaine ; et cependant, dans le mystère de lIncarnation, la nature humaine de Jésus-Christ ne subsiste que dans la personne divine, qui lui tient lieu de subsistance humaine, et qui en fait parfaitement, éminemment, les fonctions, et infiniment mieux que ne pourrait le faire une personne humaine. Ainsi, si nous nous dépouillons de notre volonté, de tous les droits que nous avons sur nous, pour nous laisser conduire en tout par lEsprit de Jésus-Christ, son Esprit divin nous conduira infiniment mieux que nous ne ferions nous-mêmes ; ainsi en donnant peu, nous gagnerons tout, comme la nature humaine privée de sa personne a subsisté dans Dieu même.
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JE VOUS FAIS, ô Jésus mon Sauveur, et à votre humanité déifiée, une oblation et une donation entière, absolue, et irrévocable de tout ce que je suis en lêtre et en lordre de la nature, en celui de la grâce et de tout ce qui en dépend, de toutes les actions naturelles, indifférentes, et bonnes que je ferai à jamais, rapportant tout ce que je suis et tout ce qui est en moi à lhommage et à lhonneur de votre humanité sacrée, due je prends et regarde désormais comme le premier objet auquel après Dieu je consacre mon âme et ma vie intérieure et extérieure, et généralement tout ce qui est en moi et à moi.
Explication
12. Pour que cette offrande de nous-mêmes à Jésus-Christ et à son humanité sacrée lui soit agréable, il faut quelle soit sincère et pour toujours : sincère, car ce serait peu, ce ne serait rien, si, tandis que nous disons de bouche que nous nous donnons tout entiers et sans réserve à Dieu, nous demeurions néanmoins attachés à nos passions et à nous-mêmes. Pour se donner sincèrement tout à Dieu, il faut renoncer sincèrement à tout ; et il faut que cette donation que nous lui faisons de nous-mêmes soit durable et constante, cest-à-dire que nous ne devons jamais regretter ni révoquer le sacrifice que nous avons fait, comme il arrive à bien des personnes, qui, après sêtre données à Dieu dans un moment de ferveur, retournent vers le monde et retombent dans le péché, dans le temps de lépreuve et de la tentation.
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Ô GRAND et admirable Jésus, je me rends pour jamais votre esclave et celui de votre humanité sacrée, en mémoire et à lhonneur de létat et de la forme de serviteur que vous avez prise en deux manières : premièrement, en abaissant lÊtre suprême et infini de votre divinité jusquau néant de notre humanité ; secondement, en abaissant cette humanité ainsi unie à votre personne adorable, et élevée par conséquent jusquau trône de la divinité, jusquà la réduire à un état de vie humble et servile, et enfin jusquà lopprobre de la Croix.
Explication
13. Cest de ces deux profondes humiliations que parle saint Paul, lorsquil dit " que Jésus-Christ étant dans la forme de Dieu, égal à Dieu, a bien voulu sanéantir jusquà prendre la forme de lesclave, portant lobéissance jusquà la mort, et la mort de la Croix " (Ph 2, 6-7). Le Fils de Dieu sest donc humilié jusquà la condition de serviteur en se faisant homme, et cest en cette qualité quil est appelé dans lécriture " le serviteur de Dieu " ; bien plus, ce divin Sauveur sest anéanti jusquà vouloir être le serviteur des hommes même, jusquà rendre à ses créatures les services les plus vils et les plus humiliants, puisquil a lavé les pieds de ses Apôtres, et quil a exercé jusquà lâge de trente ans, dans la boutique de saint Joseph, le métier de charpentier, travaillant pour le service du public et des particuliers. Quel sujet de réflexion, dadmiration, et de confusion pour nous ! Un Dieu sert ses créatures, et ses créatures refusent de lui obéir et de le servir lui-même. Oh, que la condition de serviteur et de servante est consolante pour une âme qui aime dimiter Jésus-Christ et de lui ressembler en tout !
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À LHONNEUR de cette double forme de serviteur à laquelle il vous a plu de réduire votre grandeur suprême, je moffre et me présente à vous, ô Jésus ! Je me rends votre esclave, et doublement votre esclave, lesclave de votre amour et de votre grandeur ; et je mets mon âme et ma vie dans un état de servitude et de dépendance à votre égard, et à légard de votre humanité déifiée et ainsi humiliée tout à la fois ; et je veux que ma vie de nature et de grâce et mes actions soient toutes à elle et pour elle, comme lui étant entièrement dues en vertu de cet état de servitude que je lui voue présentement.
Explication
14. Un serviteur, et surtout un esclave appartenant totalement à son maître, qui a sur lui un domaine universel et sur tout ce qui lui appartient, il lui doit tous ses services et tous ses soins, et il doit employer tout ce quil a de force et de talent pour lutilité et la volonté de son maître. Ainsi, étant à Jésus-Christ, à qui nous appartenons déjà dailleurs par tant de titres, et surtout parce quil nous a rachetés au prix de son Sang, comme parle lApôtre : " Vous nêtes plus à vous, car vous avez été rachetés à un grand prix " (1 Co 6, 9-20), il est juste que nous soyons tout à ce divin Sauveur, et que nous ne vivions plus pour nous ", continue le même Apôtre, " mais uniquement pour lui " (cf. 2 Co 5, 15). Or, pour rendre cette obligation où nous sommes dêtre à Jésus-Christ et de vivre pour lui, plus volontaire et plus méritoire, nous nous engageons ici à faire par choix et par dévotion ce à quoi nous sommes engagés par devoir et par obligation.
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AINSI, Ô DIVIN JÉSUS, je rapporte toute ma vie et mes actions à lhommage et à lhonneur de votre humanité sacrée, comme lui étant dues par la plus étroite et la plus humble de toutes les obligations, qui est celle de serviteur et desclave. Je les lui apporte aussi comme étant dues à la grandeur de létat auquel elle a été élevée par lunion hypostatique, à lexcès de son amour, et à labaissement volontaire auquel elle a bien voulu se soumettre pour mon salut et ma gloire.
Explication
15. Voilà les deux raisons principales, les deux titres essentiels qui exigent de notre part envers la sainte humanité de Jésus-Christ toutes sortes de respect, dhommages, de dépendance, damour, de dévouement, de service et dattachement. Cest premièrement la qualité suprême de cette humanité sacrée, puisquelle a été élevée au-dessus des Anges, des Archanges, des Trônes et des Dominations, au-dessus de toutes les créatures, et jusquà la divinité même à laquelle elle a été unie : voilà le premier titre de notre soumission et de notre dépendance envers lhumanité du Fils de Dieu. Le second, cest que ce divin Sauveur a bien voulu, par lexcès de son amour, humilier et anéantir cette humanité, ainsi élevée par lunion quelle avait contractée avec sa personne divine. Il a voulu, dis-je, labaisser jusquà souffrir tous les opprobres de sa passion et de sa mort. Or, tous ces opprobres et ces ignominies auxquelles Jésus-Christ a voulu livrer son corps et son âme au temps de sa vie et de sa passion, lui ont mérité un nouveau titre de gloire et dhommage de la part de toutes les créatures, selon que saint Paul nous lapprend : " Il sest humilié jusquà la mort ", nous dit ce grand Apôtre, " cest pour cela que Dieu la exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tous les noms, afin quau nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre, et dans les enfers " (Ph 2, 8-11). Ainsi Jésus-Christ na pas seulement un domaine absolu et universel sur nous comme Dieu, mais il la aussi comme Homme, puisquil sest acquis par les souffrances et les humiliations de sa passion un souverain empire et un droit suprême sur toutes les créatures, et quil a mérité par sa mort la qualité de Seigneur, de Maître, de Roi, de Juge de lunivers entier. Voilà pourquoi il disait lui-même à ses disciples après sa résurrection, " Toute puissance ma été donnée au ciel et sur la terre " (Mt 28, 18).
Cest pour cela quil est encore dit dans lApocalypse que les quatre animaux qui sont près du Trône de la Majesté de Dieu et les quatre-vingt vieillards se prosternèrent devant lAgneau pour ladorer, mettant leurs couronnes à ses pieds, et disant avec des millions dAnges, " LAgneau qui a été mis à mort est digne de recevoir la puissance, la divinité, la sagesse, la force, lhonneur, la gloire, et la bénédiction ; et toutes les créatures qui sont au ciel, sur la terre, sous la terre, dans la mer et dans toute son étendue, disaient : " Bénédiction, honneur, gloire et puissance soient pour toujours à celui qui est assis sur le Trône, et à lAgneau " (Ap 5, 12-13).
Puisque les Anges même et toutes les puissances des cieux se dévouent toutes à la sainte humanité de Jésus-Christ qui est assis à la droite de Dieu, et qui tient la première place après lui, nest-il pas bien juste que des faibles et misérables créatures comme nous, nous nous consacrions à lui comme ses serviteurs et ses esclaves ?
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JE VOUS OFFRE aussi ma vie et mes actions à lhonneur de la vie cachée de votre divinité dans votre humanité, et de votre humanité dans votre divinité, et de toutes les actions dépendantes de ces deux vies inconnues aux Anges même et à toute la nature créée, excepté dans la manifestation de la gloire.
Explication
16. Cest-à-dire que le mystère de lIncarnation, et tout ce qui le concerne, comme cette vie de la divinité dans lhumanité, et toutes les actions et communications de lune à lautre, tout cela est si grand, si sublime, si incompréhensible, si admirable, quil surpasse de beaucoup la portée de lesprit humain et même lintelligence des Anges, de sorte quil ny a que Dieu seul et Jésus-Christ qui comprenne parfaitement toute létendue et la profondeur de cet adorable mystère.
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JHONORE et jadore cette humanité comme le temple sacré de la divinité, qui repose dans cette nature humaine plus saintement, plus divinement, et plus admirablement que dans lordre et létat de la gloire. Jhonore donc cette humanité comme la chose la plus sainte, la plus digne, et la plus élevée après Dieu, et que Dieu même puisse produire par sa puissance, toute infinie quelle soit, en tant quelle est sainte par la divinité même et non par une sainteté accidentelle, et en tant quelle est élevée au Trône même de la divinité par lunion personnelle, union si sublime quelle est incompréhensible à toute la nature créée.
Explication
17. Lhumanité de Jésus-Christ est le temple de la divinité, puisquelle y habite, non pas seulement par la grâce comme dans les justes, mais substantiellement, essentiellement, " corporellement ", comme dit lApôtre. Et cette demeure de la divinité dans lhumanité du Sauveur est plus sainte, plus divine, plus admirable et plus glorieuse, dans un sens, quelle ne lest dans le ciel, parce que les perfections divines, qui semblent être obscurcies et anéanties dans ce mystère, y éclatent plus que dans tout autre, quand on lenvisage avec les yeux de la foi et quon le médite sérieusement. La toute-puissance de Dieu paraît dans ce mystère, en ce que les deux natures, la nature divine et la nature humaine, qui sont éloignées par une distance infinie, sont néanmoins rapprochées lune de lautre par lunion la plus étroite, qui est lunion hypostatique ou personnelle par laquelle ces deux natures subsistent dans une même personne. La bonté infinie de Dieu éclate dans ce mystère, en ce que Dieu nous donne son Fils unique, son Fils bien-aimé, et par lui sa nature avec la plénitude de ses dons. La miséricorde infinie de Dieu se découvre en ce mystère, puisque cest par là que Dieu se réconcilie lhomme pécheur, quil lui pardonne, et le fait rentrer en grâce avec lui. La justice de Dieu sy trouve, en ce quelle exige et reçoit de Jésus-Christ une satisfaction infinie, et par conséquent proportionnée à la grandeur de loutrage que le péché lui avait causé. La sagesse de Dieu se montre encore dans ce mystère, en ce quelle a trouvé un moyen si admirable de sauver lhomme sans préjudice des droits de Dieu, accordant ainsi merveilleusement sa miséricorde avec sa justice. Il fallait un Sauveur qui fût Dieu et homme tout à la fois, homme pour souffrir pour lexpiation des péchés, et Dieu pour donner des mérites infinis à ses souffrances, afin quelles fussent capables de réparer loutrage que les péchés avaient fait à la Majesté divine.
Quoi de plus admirable ! Quelle consolation pour une âme chrétienne qui comprend et qui médite les augustes mystères de sa religion ! Que de sujet dédification pour elle ! Et quoi de plus admirable encore que tant dautres mystères qui sont renfermés dans celui-là ! Un Dieu homme, un Dieu enfant, une Vierge mère, et Mère de Dieu, un Dieu pauvre, un Dieu souffrant et glorieux tout à la fois, le Créateur soumis à la créature, le souverain Juge de lunivers jugé lui-même et condamné de ses sujets, le Saint des Saints chargé de tous les péchés du monde, etc. ! Que de prodiges et de merveilles dans tout cela, sans ceux qui nous sont inconnus ! Il est donc bien vrai de dire que la divinité habite dans lhumanité de Jésus-Christ dune manière qui est en quelque sorte plus glorieuse quelle nest dans le sein de la gloire même.
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JHONORE et jadore la filiation non adoptive, mais propre et naturelle, de Jésus-Christ.
Explication
18. Cest une erreur condamnée par lÉglise de dire que Jésus-Christ soit Fils adoptif de Dieu. Il est le Fils naturel du Père, parce que la filiation tombe sur la personne, et non sur la nature. Or, il ny a dans Jésus-Christ quune seule personne, qui est divine. Et on a déjà remarqué quil ny avait point de personne humaine. Ainsi on ne peut pas dire que Jésus-Christ, même comme homme, soit le Fils adoptif de Dieu. Il est donc son Fils propre et naturel, étant engendré de sa substance de toute éternité. Et il est son Fils unique, parce quil est seul engendré de la substance du Père par voie dentendement, cest-à-dire que le Père, se connaissant éternellement, produit dans son esprit une pensée, une image semblable à lui, qui est son Fils, à qui il communique toute sa nature et ses perfections. Nous sommes les enfants adoptifs de Dieu, parce quil a bien voulu nous prendre pour ses enfants par adoption et par grâce dans le baptême, mais non par nature, puisque nous ne venons point, comme le Fils de Dieu, de la substance de Dieu même, ayant été créés de rien par sa toute-puissance.
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JHONORE avec la plus profonde vénération toutes les communications secrètes et intimes des perfections divines faites à cette sainte humanité en conséquence de la subsistance divine qui lui est ainsi communiquée ; et jhonore de même toutes les grandeurs révélées et non révélées qui en résultent, la souveraineté suprême et incommunicable à lordre des créatures. Me dédiant et me consacrant à cette humanité déifiée, je veux quelle ait une puissance spéciale sur moi, sur mon âme et sur mon corps, sur ma vie, sur tous mes sentiments et mes actions, comme sur une chose qui lui appartient par un droit nouveau et particulier, en vertu de lintention et de la résolution présente que jai de dépendre entièrement et absolument de sa filiation divine à laquelle elle a été élevée, et du droit de souveraineté quelle lui a acquis sur toutes les créatures.
Explication
19. On a déjà remarqué que la Personne divine subsistant dans la nature humaine de Jésus-Christ lui communiquait ses droits et ses perfections. Et comme ces communications ne nous sont pas toutes connues, nous devons honorer non seulement celles qui nous sont révélées dans lécriture et par lÉglise, mais celles qui nous sont encore cachées, et que nous ne connaîtrons parfaitement que dans le ciel, où nous verrons toutes les grandeurs et les beautés de ce mystère à découvert. La souveraineté suprême que cette nature possède par le droit de filiation divine. La personne du Fils de Dieu communique ses droits à la nature humaine qui lui est propre, et qui participe à ses prérogatives, autant quil est possible, en demeurant toujours dans la condition de nature humaine. Or, un des droits essentiels de Jésus-Christ comme Fils de Dieu, cest une souveraineté suprême, surtout sur les cieux et sur la terre, parce quil est de droit naturel que le Fils ait lhéritage de son Père. Puis donc que tout appartient au Père, tout doit appartenir au Fils, et par une conséquence ultérieure, tout doit appartenir à lhumanité de Jésus-Christ, qui entre dans les droits de sa personne.
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TELLE EST, ô mon divin Jésus, loblation et la donation entière et sans réserve, absolue, constante, et perpétuelle, que je fais de moi-même à votre humanité sainte et sacrée par votre divinité même, qui est substantiellement et personnellement résidente et unie à elle, donation que je fais vu de ne jamais révoquer, du moins par un acte formel de désaveu.
Explication
20. Comme il faut une intention expresse pour faire un vu, on ne fait celui qui est exprimé dans cette formule que lorsquon en a une volonté réfléchie. Dailleurs il est prudent, car la transgression nen est pas ordinaire, puisquil faudrait, pour pécher contre ce vu, dire formellement : " Je ne veux plus être à Jésus-Christ ; je renonce à la donation que je lui ai faite de moi-même ", ou dautres choses semblables qui exprimeraient un désaveu formel de la résolution présente.
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JE VOUS SUPPLIE, ô âme sainte et déifiée de Jésus, de daigner prendre par vous-même une pleine et entière possession sur moi, plus absolue que je ne puis vous la donner moi-même, afin que vous me rendiez votre esclave de la manière la plus parfait que vous savez et que vous voulez ; et quoique je ne le fasse pas moi-même, et que vous me fassiez être à vous et vous servir non seulement par mes actions, mais encore par létat et la condition de mon être et de ma vie intérieure et extérieure ; et je vous supplie de me regarder et de me traiter sur la terre comme votre esclave, qui sabandonne entièrement à vous et à toutes vos volontés, et qui se livre sans réserve à votre autorité et à tous les droits et les pouvoirs de votre grandeur et de votre souveraineté sur moi et sur toutes les créatures.
Je supplie aussi la très sainte Mère de Jésus de me tenir et de me considérer désormais comme lesclave de son Fils, et en cette qualité de prendre un soin tout particulier de moi, comme dun sujet qui lui appartient en qualité desclave et de serviteur de son Fils, et de mobtenir par son intercession ses grâces et ses miséricordes éternelles. Ainsi soit-il.
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