INSTRUCTION SUR LA MANIÈRE

DE BIEN FAIRE SES ACTIONS

 

C’est une chose déplorable de voir comment la plupart des chrétiens font leurs actions ; elles sont ordinairement faites sans règles, sans principes ; on agit précipitamment, passionnément, suivant son humeur et son caprice, sans examiner si ce que l’on va faire ou dire est conforme à la loi de Dieu, à la raison, à la prudence, et sans peser les motifs et les intentions qui nous animent. On écoute et on croit légèrement tout ce qu’on nous dit. De là il arrive qu’on fait mille actions criminelles, passionnées, imprudentes, dangereuses ou scandaleuses ; et les bonnes œuvres mêmes, on les fait souvent mal, on les fait à contretemps et sans avoir les intentions, ni les sentiments qui devraient les sanctifier, de sorte qu’elles ne sont que des bonnes œuvres apparentes, souvent viciées et corrompues par des vues et des affections passionnées, charnelles, sensuelles, qui vicient l’action dont elles sont le principe ; car dès que la source est corrompue, ce qui en sort l’est de même. Il est donc de la dernière importance de bien apprendre à faire saintement ses actions les plus ordinaires car si on avait les faire d’une manière surnaturelle, on amasserait tous les jours des trésors de mérite pour le Ciel.

 

QUALITÉS DES BONNES ŒUVRES

 

Pour qu’une action soit agréable à Dieu et méritoire pour la vie éternelle, il faut,

1° qu’elle soit bonne dans son objet,

2° dans son principe, et,

3° dans sa fin,

4° qu’elle soit rapportée et offerte à Dieu,

5° qu’elle soit faite avec une bonne intention et une bonne affection,

6° qu’elle soit faite dans l’état de grâce habituelle et par le mouvement de la grâce actuelle,

7° qu’elle soit unie à Jésus-Christ,

8° qu’elle soit libre et volontaire,

9° enfin, qu’elle soit faite dans le temps, le lieu et les circonstances convenables selon les règles de la prudence chrétienne.

 

1. OBJET DE L’ACTION

1° Il faut qu’une action soit bonne en elle-même et dans son objet, c’est-à-dire que cette action soit conforme à la loi naturelle ou positive, à la conscience et à son état ; comme la loi naturelle est invariable puisque la loi naturelle est la raison même, il n’est jamais permis de faire ce qu’elle défend, dans quelque circonstance que ce puisse être, fallût-il mourir ; il n’est pas permis d’agir contre la droite raison, ni contre sa conscience, parce que les choses qui sont défendues par la loi naturelle sont mauvaises en elles-mêmes, comme le parjure, la superstition, et tous les péchés qui sont contre Dieu et contre le prochain : les sept péchés capitaux, l’impureté, l’ivrognerie, etc. Or, ce qui est mauvais en soi-même ne peut jamais être permis dans aucune circonstance, au lieu que ce qui n’est pas mauvais en soi-même n’étant défendu ou ordonné que par une loi positive divine ou humaine, comme le travail, l’usage de la viande qui sont permis en cas de nécessité. Et les lois de l’Église même, qui obligent d’entendre la Messe, de jeûner, n’obligent pas dans le cas d’une impossibilité morale, et c’est dans ce cas que l’on peut dire que la nécessité n’a point de loi : c’est quand il s’agit d’une loi positive, mais jamais quand il est question de la loi naturelle. Car alors il faut plutôt mourir que de la transgresser ; il faut plutôt tout perdre et tout souffrir que de faire un péché d’impureté, un faux serment, une calomnie, etc.

2° On ne doit jamais rien faire contre sa conscience, car ce qu’on fait contre sa conscience est péché, dit saint Saint-Paul ; et quand on est dans le doute on doit consulter et former sa conscience avant d’agir ; car une personne qui, doutant si une chose est bonne ou mauvaise, la fait dans le doute, pèche toujours, et si elle doute de ce qu’elle fait est un péché mortel, et qu’elle la fasse dans cette incertitude, elle pèche mortellement, parce qu’elle veut le péché mortel, en s’exposant à pécher mortellement, surtout quand c’est la passion qui l’excite : cela arrive à bien des gens, qui voulant contenter leurs désirs à quelque prix que ce soit, font ce qu’ils aiment de faire sans s’inquiéter si cela est permis ou défendu, si c’est un péché mortel ou véniel.

3° Il faut que l’action soit convenable à son état ; car chacun doit " demeurer dans son état ", comme dit saint Paul (1 Co 7, 20), et en remplir les devoirs sans s’ingérer dans les affaires ou les domaines d’autrui ; c’est une présomption de mettre la main à l’encensoir sans avoir le caractère du sacerdoce ; c’est une témérité de juger, de décider, de punir, sans en avoir l’autorité et la puissance. Dieu ne donne pas des grâces pour faire ce qu’il défend, or il défend de s’élever au-dessus de l’état où il nous a placés ; et il ne nous donne des grâces que pour remplir les devoirs de notre état et non ceux d’un autre. C’est donc une présomption de vouloir faire ce que Dieu ne demande pas de nous, puisqu’on n’a pas de grâces pour cela. Ainsi pour faire une bonne œuvre, il faut voir d’abord si elle est conforme à la volonté de Dieu. Il ne suffit donc pas d’avoir une bonne intention, mais il faut examiner avant d’agir si ce qu’on va faire ou dire est conforme à la loi de Dieu ; sans cela on agit imprudemment, et alors l’intention ne nous excuse pas. Pilate avait bonne intention en flagellant Jésus-Christ pour le délivrer ; cependant il a commis en cela un crime exécrable.

L’objet d’une action peut être bon en soi-même, comme de prier, jeûner, confesser, communier ; ou mauvais en soi-même, comme l’homicide, le vol, l’impureté, etc. Il peut être indifférent, comme de boire, manger, parler, marcher. Les actions bonnes en elles-mêmes peuvent devenir mauvaises et criminelles par une intention mauvaise et criminelle ; les actions indifférentes peuvent devenir bonnes et surnaturelles quand elles sont élevées par un principe divin et une fin surnaturelle. Ainsi, ce n’est pas assez qu’une action soit bonne dans son objet ; il faut encore qu’elle soit bonne dans son principe et dans sa fin.

 

2. PRINCIPE DE L’ACTION

L’objet extérieur de l’action n’en est que le corps, et l’esprit intérieur en est l’âme. Une action à l’extérieur, si elle est destituée du sentiment intérieur, n’est qu’un corps sans âme. Il y a beaucoup de gens qui agissent beaucoup au-dehors et peu au-dedans d’eux-mêmes. Ils ont beaucoup d’activité extérieure, et leur intérieur est dans l’inaction, sans vigueur, sans sentiments. C’est le mouvement intérieur qui est le principe de nos actions. Si ce mouvement vient de Dieu, du Saint-Esprit, de la grâce, il rend nos actions surnaturelles. Si ce n’est qu’un mouvement naturel qui nous fait agir et faire le bien, nos actions ne sont qu’humains et naturelles, et si le mouvement qui nous excite est passionné et criminel, nos actions partant d’un principe passionné et criminel deviennent aussi passionnées et criminelles comme le mouvement qui les produit.

Les hommes considèrent, louent, et admirent l’extérieur, et Dieu envisage l’intérieur. " Toute la beauté de la fille de Sion ", c’est-à-dire de l’âme fidèle, " lui vient son fonds ", de son intérieur, dit l’écriture (Ps 44, 14). Le cœur est le principe de nos affections et de nos sentiments. Quand nous avons un cœur et une conscience purs, nos affections et nos actions sont saintes et pures. Et quand notre cœur est impur et notre conscience corrompue nos actions et nos sentiments sont aussi pour l’ordinaire viciés et corrompus, parce que la passion et la corruption qui sont dans nos cœurs s’insèrent dans nos affections et dans nos actions.

Ainsi pour faire des bonnes œuvres il faut avoir grand soin de purifier son cœur, en mortifiant ses passions et la nature.

 

3. FIN DE L’ACTION

Il faut aussi que Dieu soit la fin principale de nos actions, comme il doit en être le principe. Dieu a tout fait pour sa gloire. Ainsi, étant créés pour Dieu, Dieu étant notre premier principe et notre dernière fin, nous devons tout faire pour Dieu, pour la gloire de Dieu et pour notre salut. La première, la principale fin qu’un chrétien doit se proposer dans ses actions, c’est la gloire de Dieu ; la seconde, c’est son salut.

Aussi saint Paul nous dit, " Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire de Dieu " (1 Co 10, 31). Dieu ne récompensera pas des actions qui n’auront pas été faites pour lui. Tout doit tendre à sa fin ; tout doit être rapporté à Dieu. C’est un péché mortel de mettre sa fin dernière, son bonheur, sa félicité dans la créature, quelle qu’elle soit. C’est un péché véniel de s’arrêter en quelque sorte à une chose qui n’est qu’un moyen, sans la rapporter à sa fin. C’est un péché véniel de ne pas rapporter à Dieu, du moins en général, les actions que l’on fait d’une manière délibérée. Nous ne devons envisager tout ce que nous voyons ici-bas que comme des moyens pour parvenir à notre fin, qui est la gloire de Dieu et notre salut, puisque c’est toujours un péché mortel de mettre sa fin dernière dans la créature ; et cela arrive quand on a une affection déréglée pour une chose, non seulement quand cette chose est criminelle, mais même quand elle est légère ou permise, si l’affection que l’on a pour cette chose ou pour une personne, pour une épouse, pour un enfant, pour un bien, pour un plaisir, va jusqu’à l’égaler ou la préférer à Dieu dans son estime ou dans son attache, de sorte qu’on l’aime autant ou plus que Dieu, et qu’on serait disposé à offenser Dieu mortellement plutôt que de la perdre ou d’y renoncer. Hélas ! qu’il y a de personnes dans cette funeste disposition ! Lisez le chapitre 9 du IIIe livre de l’Imitation, qui porte pour sous-titre que " nous devons tout rapporter à Dieu comme à notre dernière fin " :

Mon fils, je dois être votre fin suprême si vous voulez être heureux. C’est par cette vue que vous purifierez votre affection, qui se porte souvent vers soi-même et vers la créature ; car si vous vous recherchez en quelque chose, vous tombez dans une défaillance spirituelle ; il faut donc que vous rapportiez tout à moi, parce que c’est moi qui vous ai tout donné.

Le démon, au lieu de mettre sa fin dernière en Dieu, la mit en lui-même. Et l’homme, au lieu de mettre sa fin dernière en Dieu, de chercher son bonheur et sa félicité dans Dieu, qui est le bien souverain, met sa félicité dans les faux biens et les vains plaisirs du monde. Voilà ce qui faisait verser des larmes à un Prophète, qui s’écriait en gémissant sur les malheurs de Jérusalem, " Hélas ! elle a oublié sa fin ", oblita est finis sui (Rm 1, 9).

Mais aussi Dieu, à son tour, pour punir les démons et les hommes de l’avoir abandonné pour s’attacher à eux-mêmes ou à la créature, les abandonnera pendant toute l’éternité. Les malheureux qui ont quitté Dieu pour suivre leur passion seront privés de la vue de Dieu et brûleront à jamais dans les enfers. Malheur donc à ceux qui, au lieu de faire tout pour Dieu, font tout pour eux-mêmes ou pour le monde ! Malheur à ceux qui se recherchent eux-mêmes en tout au lieu de chercher Dieu !

 

4. OFFRANDE DE L’ACTION

Il faut offrir ses actions à Dieu. Mais suffit-il de les offrir le matin et de diriger son intention pour toute la journée ? Cela suffirait si l’on conservait cette intuition et cette volonté du matin. Mais elle se perd,

1° par une intention contraire : le matin on veut tout faire pour Dieu, mais bientôt la passion et la nature rétractent cette pieuse volonté. 2° Elle se perd par un péché mortel. 3° Elle s’attiédit et s’affaiblit par un péché véniel. Comment cette bonne intention se conserverait-elle ? La passion et la nature s’insinuent si facilement dans nos vues, dans nos démarches, dans nos entreprises, que bientôt elle vicient presque toutes nos actions. On disait le matin que l’on ferait tout pour Dieu, et dans le cours de la journée on fait presque tout pour soi et pour le monde ; on fait tout pour son plaisir et pour son intérêt ; souvent même on commence une action par religion et on la finit par la passion ; on commence par l’esprit et on la finit par la chair. D’ailleurs la nature est si portée vers le relâchement, elle tombe d’elle-même comme de son propre poids ; ainsi il arrive que les bons sentiments du matin s’évanouissent bientôt et se dissipent comme la rosée au lever du soleil. Il faut donc souvent les renouveler en disant souvent et avec affection, " Tout pour Dieu, tout pour la plus grande gloire de Dieu, tout pour l’amour de Dieu, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ".

C’est une pieuse pratique en entrant dans une fonction, en commençant une bonne œuvre, de l’offrir à Dieu, de la rapporter à la plus grande gloire de Dieu, et de demander les grâces nécessaires pour la bien faire, et d’accepter par avance les peines qu’on aura à souffrir en faisant le bien qu’on se propose de faire. Et après l’avoir fait il faut aussi l’offrir à Dieu, demandant qu’il répare les fautes et les défauts qui s’y sont glissés.

 

5. INTENTION ET AFFECTION DE L’ACTION

Il faut pour une bonne œuvre qu’elle soit faite avec une bonne intention et une bonne affection. " C’est par ces deux ailes ", dit l’Imitation (II, ch. 4, 1), " que l’homme s’élève de la terre vers le Ciel ". La simplicité doit être dans l’intention et la pureté dans l’affection. Il y a bien de la différence entre ces deux choses, quoiqu’on les confonde souvent mal à propos : l’intention, c’est la fin que l’on se propose, le but où l’on tend, la vue et le motif que l’on a en entreprenant, en commençant une action ; et l’affection, c’est le mouvement intérieur qui nous anime en la faisant. L’intention est dans l’esprit, l’affection est dans le cœur ; l’intention cherche Dieu, l’affection le goûte. On se propose une intention bonne ou mauvaise avant d’agir, et on sent l’affection en agissant. Il est plus aisé de se proposer une bonne intention que de produire et de conserver une bonne affection. Bien des gens ont une bonne intention et une mauvaise affection. On se propose le bien, on veut le bien, on l’entreprend pour la gloire de Dieu et le salut du prochain : voilà une bonne intention ; mais en la faisant la passion, l’orgueil, la vanité, l’amour-propre, la sensualité, la recherche de soi-même et de sa propre satisfaction, l’humeur, le dépit, l’empressement, telles et mille autres affections humaines, charnelles et sensuelles se mêlent dans les bonnes actions, que nous faisons même avec une bonne intention. Ainsi l’intention peut être bonne et l’affection mauvaise : ma conscience me rend témoignage que mes intentions sont droites, ne cherchant que Dieu dans mes entreprises et mes démarches ; mais mes affections ne sont pas également pures. Il ne suffit donc pas de faire le bien pour Dieu, il faut encore le faire en Dieu, avec les sentiments des vertus chrétiennes, avec humilité, avec bonté, charité, douceur, patience, avec la paix du cœur, par le mouvement du Saint-Esprit. Voilà ce que l’écriture appelle faire ses actions en Dieu : In Deo facta sunt (Jn 3, 21).

Il est très difficile de discerner quel est l’esprit qui nous fait agir, si c’est l’esprit de Dieu ou l’esprit du monde ou notre propre esprit, ainsi que l’Imitation en fait la remarque (III, ch. 15, 16). Nous croyons quelquefois que c’est le zèle qui nous anime, et c’est la passion qui nous inspire ; nous nous persuadons que c’est la charité qui nous enflamme, et c’est la chair et le sang, c’est la nature corrompue. Tout cela est tiré de l’Imitation: Videtur caritas, et est carnalitas (I, ch. 15, 9). Ainsi, pour faire le bien avec une affection pure il faut souvent renoncer à ses passions, s’élever au-dessus de la nature. Voilà ce qui concerne surtout l’affection.

Pour ce qui est de l’intention, Jésus-Christ nous dit dans l’évangile que si notre œil est simple tout le corps sera lumineux, que si notre œil est ténébreux tout notre corps sera dans les ténèbres : c’est-à-dire que si notre intention est droite, notre affection sera bonne, pourvu qu’elle ait les autres qualités nécessaires. Mais si notre intention principale est criminelle, toute notre action sera criminelle, parce que l’intention principale et essentielle influe dans le corps de l’action pour lui communiquer sa bonté ou sa malice. Si l’affection est vicieuse jusqu’au mortel, la bonne œuvre perd tout son mérite. Si elle n’est que vénielle, elle la vicie mais elle n’en ôte pas tout le mérite, parce qu’elle n’influe pas dans toute l’action. Il y a trois sortes d’intentions et d’affections : une, criminelle et passionnée, et c’est celle que la passion inspire ; une, naturelle qui vient de la nature ou de la seule raison sans que la religion y ait part ; et une, surnaturelle qui vient de la grâce et de la religion.

Les intentions et les affections purement humaines et naturelles ne peuvent produire que des actions humaines : " Ce qui est né de la chair est chair " (Jn 3, 6). Ainsi l’amour des parents, des amis, du travail, une conduite honnête inspirée seulement par la nature et par la raison ne sont que des affections, des actions, et des vertus humaines qui n’ont aucun mérite devant Dieu. Mais si la foi, la religion, la grâce les sanctifient, si on aime ses parents et ses amis pour Dieu, si on mène une vie réglée par des motifs de religion, étant aidé de la grâce, cet amour des parents, cette vie réglée devient surnaturelle et méritoire. L’intention est simple, pure, et droite, 1° quand on cherche la gloire de Dieu et non sa propre gloire, comme disait le Sauveur : " Je ne cherche pas ma gloire, mais la gloire de celui qui m’a envoyé " (Jn 5, 30) ; 2° quand on veut faire la volonté de Dieu et non la sienne : " Je suis descendu du Ciel ", dit Jésus-Christ, " non pour faire ma volonté, mais celle de mon Père " (Jn 6, 38) ; 3° quand on cherche le bon plaisir de Dieu et non son bon plaisir, dit saint Paul : Non sibi placuit (Rm 15, 3) ; mais il a été rassasié d’opprobres et il a porté la croix ; sa vie a été un martyre continuel ; 4° quand on ne cherche pas ses intérêts mais les intérêts de Jésus-Christ et ceux du prochain. Mais, hélas ! , comme l’Imitation le remarque, dès qu’il est question de faire ou d’entreprendre quelque chose, la nature porte d’abord ses vues sur ses intérêts (III, ch. 54, 21) ; on envisage aussitôt la chose par rapport à soi-même ; on considère si on aura du plaisir ou quelque avantage temporel, car l’intérêt et le plaisir sont les deux grands mobiles qui animent les actions des hommes : " Tous cherchent leur intérêt, " disait saint Paul, " et non pas ceux de Jésus-Christ " (Ph 2, 21) ; 5° quand on veut plaire à Dieu et qu’on ne cherche pas à plaire aux hommes : " Si je cherchais encore à plaire aux hommes je ne serais pas un vrai serviteur de Jésus-Christ ", dit l’Apôtre (Ga 1, 10).

Ainsi, ne cherchons que Dieu et notre salut. Voilà les deux intentions générales qui doivent nous faire agir, mais on peut s’en proposer encore de plus particulières, comme d’honorer les mystères de la Trinité, de l’Incarnation, et de la Rédemption. On peut faire ses actions pour honorer la naissance, la vie, et la passion de Notre-Seigneur, pour honorer toutes ses actions, pour honorer la Sainte Vierge, les Anges, et les Saints, pour obtenir quelques grâces particulières, comme la victoire de nos passions dominantes et les vertus qui nous sont plus nécessaires. On peut aussi chaque jour unir son intention à celle de Jésus et de Marie et à celle du saint du jour. Puisqu’on peut se proposer tant de saintes vues, malheur à ceux qui vivent et agissent comme des animaux sans vue, sans intention, faisant tout par nécessité, par coutume, et par routine. Plus on se propose de bonnes intentions, plus l’action est méritoire.

 

6. LA BONNE ŒUVRE DOIT ÊTRE FAITE DANS LA GRÂCE ET PAR LA GRÂCE

Pour qu’une bonne œuvre soit méritoire de la vie éternelle il faut qu’elle soit faite dans la grâce habituelle et par le mouvement de la grâce actuelle. " Si nous vivons par l’esprit ", dit saint Paul, " agissons par l’esprit " (Ga 5, 25). Agir par l’esprit : voilà la grâce actuelle qui nous est donnée pour nous aider à faire chaque action. Sans la grâce habituelle on ne peut mériter pour le Ciel, parce que l’âme étant morte aux yeux de Dieu, elle ne peut produire des œuvres dignes de la vie éternelle, mais cependant on peut et on doit avec la grâce actuelle prier, jeûner, se repentir, se confesser, faire pénitence, accomplir les commandements de Dieu et de l’Église, et remplir les devoirs de son état. Et ces bonnes œuvres, dès qu’elles procèdent d’un principe surnaturel, qui est la grâce actuelle donnée par le Saint-Esprit, qui n’habite pas à la vérité encore dans le cœur du pécheur, puisque le démon y est toujours, mais qui agit déjà sur lui, nos bonnes œuvres sont vraiment surnaturelles, et disposent le pécheur à rentrer en grâce avec Dieu et à recouvrer la grâce habituelle et sanctifiante qu’il a perdue par le péché mortel. Selon ces principes, il y a trois sortes d’actions, comme il y a trois sortes d’affections, ainsi que nous l’avons déjà dit. Une action passionnée, c’est celle que la passion produit ; une action naturelle, c’est celle qui vient de la nature quand on agit suivant sa volonté, son goût, son inclination, ou suivant la raison, sans motif de religion. Et une action est surnaturelle quand on résiste à la passion, qu’on s’élève au-dessus de la nature pour suivre le mouvement de la grâce et de la religion.

De là il s’ensuit qu’il faut sans cesse demander la grâce, car sans la grâce on ne peut faire aucune bonne œuvre, ainsi que l’Église nous le fait connaître par cette prière : " Que votre grâce, Seigneur, nous prévienne et nous suive partout, et qu’elle nous porte incessamment à faire de bonnes œuvres ". Il faut aussi une grande attention pour discerner les instigations et les mouvements de la grâce, et une grande fidélité à les suivre en coopérant à la grâce. Il y a bien des personnes qui, au lieu de suivre les mouvements du Saint-Esprit, suivent leur propre mouvement et font leurs actions, même les bonnes, par caprice, par fantaisie, parce que cela leur plaît, et qu’ils s’y portent par une inclination naturelle et humaine, uniquement pour se satisfaire.

 

7. NOS ACTIONS DOIVENT ÊTRE UNIES À JÉSUS-CHRIST

Il faut que nos actions soient unies à celles de Jésus-Christ. Le Sauveur nous enseigne lui-même cette vérité, lorsqu’il nous dit dans l’évangile : " Demeurez en moi et moi en vous... Je suis la vigne et vous êtes les branches " (Jn 15, 4-5). Comme le sarment tire son suc de la vigne, nous tirons toute notre force et notre vigueur surnaturelle de Jésus-Christ. Comme un sarment séparé du cep se dessèche et n’est propre qu’à être jeté au feu, une âme séparée de Jésus-Christ par le péché mortel est destinée au feu éternel. " Sans moi vous ne pouvez rien faire " (Jn 15, 5), dit encore ce divin Sauveur. Il est notre chef, nous sommes ses membres. Un membre séparé du corps et du chef est sans vie et sans action. Ainsi nous ne pouvons vivre et agir surnaturellement qu’autant que nous sommes unis à Jésus-Christ. Chaque membre uni au corps vit de l’esprit qui anime tout le corps. Ainsi chaque fidèle ne peut vivre et agir que par l’esprit de Jésus-Christ, son chef ; et il ne peut participer à son esprit pour en être vivifié qu’autant qu’il demeure uni à lui par la grâce habituelle, et il ne peut agir par l’esprit de Jésus-Christ qu’autant qu’il en suit les mouvements en coopérant à la grâce actuelle. Mais si, au lieu de suivre les mouvements et les inspirations du Saint-Esprit, on suit sa passion et son propre esprit, on n’agit plus avec Jésus-Christ. Et " celui qui n’amasse pas avec moi ", dit le Sauveur, " disperse " (Lc 11, 23) et travaille en vain. Ce sont les actions de Jésus-Christ qui sanctifient les nôtres en leur communiquant ses mérites. Il faut donc toujours nous unir à Jésus-Christ dans tout ce que nous faisons. Il faut tout faire en lui, par lui, et avec lui. Il faut unir nos intentions aux intentions de Jésus-Christ, nos affections de Jésus-Christ, nos actions aux actions de Jésus-Christ, nos prières aux prières de Jésus-Christ. En un mot il faut vivre et agir, souffrir et mourir avec Jésus-Christ.

 

8. CIRCONSTANCES CONVENABLES

Il faut qu’une bonne œuvre soit faite dans le temps, le lieu, et les circonstances convenables. Il arrive souvent que des personnes poussées par un zèle déréglé, qui vient plutôt de la nature, de l’humeur, du tempérament, de la présomption, de l’orgueil, ou de quelque autre passion, sous prétexte de vouloir faire le bien, parlent et agissent à tort à travers, sans prudence et sans discernement. Elles parlent quand elles devraient se taire, on reprend le prochain dans un temps peu convenable et avec des paroles aigres qui ne font ou qu’irriter ou intimider ceux qu’on devrait rassurer, et on rassure ceux qu’on devrait intimider. En cela et en bien d’autres chose on suit son humeur et sa passion plutôt que la prudence et la raison. " Chaque chose a son temps ", dit l’écriture (Qo 3, 1). On fait aussi bien des actions précipitamment. Voilà pourquoi l’Imitation a un chapitre intitulé, De la prudence avec laquelle il faut faire ses actions (I, ch. 4). L’écriture dit aussi : " Je craignais avant toutes mes actions " ; c’est-à-dire qu’il faut prendre des précautions pour les bien faire et pour éviter les défauts qui peuvent les vicier.

 

9. L’ACTION DOIT ÊTRE LIBRE ET VOLONTAIRE

Il faut qu’une bonne action soit libre et volontaire. Car si elle est absolument forcée par la contrainte ou qu’on la fasse à contre-cœur, en murmurant, elle n’est pas méritoire. Mais si on se fait violence en surmontant les répugnances que la nature a pour tout bien naturel, l’action est plus pure et plus surnaturelle, puisque la nature y a moins de part, car c’est alors la grâce et la religion qui nous font agir.

Concluons de tout cela qu’il est de la dernière importance de s’instruire soigneusement de la manière de faire chrétiennement et saintement ses actions ; qu’il est une infinité de personnes qui, après avoir fait beaucoup d’actions bonnes aux yeux des hommes, paraîtront les mains vides devant Dieu.

 

PRIÈRE POUR DEMANDER LA GRÂCE DE BIEN FAIRE SES ACTIONS

Mon Dieu, je tremble quand je considère le peu de bonnes actions que j’ai faites jusqu’ici et le nombre innombrable de mauvaises actions que j’ai commises. Prosterné humblement devant vous, Seigneur, je vous demande pardon et miséricorde pour toutes les actions criminelles, passionnées, et corrompues que j’ai faites dans toute ma vie. Je vous demande aussi pardon pour toutes les bonnes œuvres que j’ai omises ou mal faites. Réparez, Seigneur, tout le mal que j’ai fait et suppléez au bien que j’ai omis. Je vous offre à cette intention, c’est-à-dire pour expier mes actions criminelles et réparer les défauts qui ont vicié et altéré mes bonnes œuvres. Je vous offre toutes les actions et la vie de Jésus et de Marie. Je vous offre de même toutes les affections et leurs intentions pour réparer la perversité de mes intentions et la corruption de mes affections. Je vous offre toutes les actions que je ferai le reste de ma vie. Je vous demande la grâce de les faire saintement et prudemment d’une manière surnaturelle, avec une intention droite, pour votre gloire et mon salut avec une affection pure, agissant par le mouvement du Saint-Esprit et par le sentiment des vertus chrétiennes, dans la grâce habituelle et avec la grâce actuelle, en union des actions que Jésus et Marie ont faites sur la terre. Ne permettez pas, Seigneur, que je fasse aucune de mes actions par passion ; mais aidez-moi à les faire en vous et pour vous. Soyez seul le principe et la fin, le motif et la règle de tout ce que je ferai, dirai, penserai, et souffrirai en ce monde, afin que vous en soyez la récompense dans l’autre. Ainsi soit-il.

 

Présentation des Instructions

 

Home Page