PROJET DES ÉCOLES DE FILLES

 

Introduction de l’éditeur

Ce texte figure dans le Directoire sous le titre, " Projet des écoles de filles dites de la Providence pour la campagne " (p.69-75). Il ne fait qu’un avec des " Règles et instructions pour la conduite des Sœurs " (p.76-111). Mais celles-ci doivent en être séparées puisqu’elles sont écrites à la deuxième personne. Nous reproduisons d’abord le Projet des écoles.

G.T.

 

On avait pensé d’abord à envoyer à Toul quelques filles pour y être formées dans le séminaire qu’un vénérable chanoine a fondé, dans l’intention d’en faire des maîtresses d’école ; mais comme toutes les filles qui sortent de cette maison doivent être rentées, j’y ai trouvé deux inconvénients pour nous.

L’un est que les fondations étant difficiles à faire, cette nécessité d’en avoir pour établir les maîtresses d’école rendrait celles-ci fort rares, et mettrait bien des endroits, et surtout les endroits pauvres, où elles sont le plus nécessaires, dans l’impossibilité d’en avoir, faute de pouvoir faire une fondation. En outre, la pension que l’on exige à Toul ôterait encore à des filles pauvres, qui seraient d’ailleurs en état d’enseigner, le moyen de pouvoir être admises dans notre société.

L’autre inconvénient est que, ces filles ayant un revenu fixe, il serait très à craindre que plusieurs n’embrassassent cet état par intérêt, afin d’avoir un établissement et de quoi vivre pour le reste de leurs jours, plutôt que par zèle et le désir sincère de procurer la gloire de Dieu et la sanctification des enfants qui leur seraient confiés, ce qui renverserait l’ouvrage de Dieu au lieu de l’établir.

Il valait donc mieux envoyer ces filles partout où on les demanderait, sans autres fonds que le Providence, dans la persuasion qu’elle ne manque jamais à ceux qui s’abandonnent à elle avec confiance.

On a proposé ces raisons aux supérieurs, qui les ont approuvées.

Voilà le projet. S’il est selon la volonté de DIEU, il réussira ; s’il n’y est pas conforme, je demande moi-même qu’il soit détruit et anéanti.

J’ai cependant déjà plusieurs raisons qui me donnent lieu de croire qu’il vient de Dieu. Et l’une de ces raisons, c’est que plusieurs bonnes âmes s’y intéressent et prient pour qu’il réussisse. Je conjure toutes celles qui en auront connaissance de faire de même, et de demander, 1° que mes péchés et les fautes que je pourrais commettre en travaillant à l’exécution de ce projet ne mettent point d’obstacles aux vues et aux desseins de la bonté et de la miséricorde de Dieu ; 2° que la Providence conduise tout dans cette affaire, qu’elle éloigne ou qu’elle surmonte les obstacles que la malice des hommes ou la fureur des démons pourrait susciter pour en arrêter le succès ; qu’elle arrange tout pour le faire réussir ; qu’elle mène tout à une heureuse fin ; en un mot, que la Providence fasse tout, par telle voie qu’il lui plaira ; que tout arrive selon les vues de Dieu ; que Dieu lui-même commence l’ouvrage, qu’il l’achève, qu’il le perfectionne. Sans cela tous nos efforts seraient vains et inutiles, selon ces paroles du Psalmiste : Nisi Dominus aedificaverit domum, etc. ; " Si le Seigneur ne bâtit lui-même la maison ; c’est en vain que travaillent ceux qui la construisent. Si le Seigneur ne garde la ville, c’est en vain que veille celui qui la garde " (Ps 106, 1-2).

 

Qualités nécessaires aux filles qui se destinent à cet état

 

Puisque les filles qui voudront entrer dans cet établissement n’ont aucun avantage temporel à espérer, mais qu’elles doivent plutôt s’attendre à toutes sortes de peines et de disgrâces, il fait qu’elles soient disposées et toutes prêtes à endurer la faim, la soif, quand la Providence, pour les éprouver, permettra qu’elles manquent du nécessaire ; - prêtes à être renvoyées et disgraciées si elles déplaisent à ceux chez qui elles iront ; - prêtes à souffrir toutes sortes de grossièretés de la part des enfants, d’ingratitudes et de critiques de la part des parents, des réprimandes sévères des curés et des vicaires, et quantité d’autres sujets d’affliction qu’on ne peut prévoir. Elles doivent être aussi dans la disposition de quitter tout ce qu’il y a dans la ville de consolant pour elles, les dévotions qu’on y pratique, les solennités qui s’y célèbrent avec pompe, les confesseurs qu’elles y trouvent à leur choix, pour prendre presque nécessairement celui que la Providence leur donnera. La plupart des gens du monde les regarderont comme des folles et des insensées. Il faut qu’elles prennent la résolution de se séparer de la société, de la conversation de leurs plus chères amies, pour ne plus vivre désormais qu’avec des gens grossiers et stupides.

Nous avons formé, le 25 janvier 1764, le projet d’un établissement dans un hameau où les bêtes couchent dans le même endroit que les hommes, où le plus riche du village est obligé d’aller mendier, et où des vieillards de soixante à quatre-vingts ans ignorent totalement les principaux mystères de la Religion, et savent à peine qu’il y a un Dieu. On peut juger par là à quoi doivent s’attendre celles qui se proposent d’entrer dans ce projet.

Cependant, malgré cela, je crains que quelques filles, à qui tous les projets plaisent parce qu’ils sont nouveaux et extraordinaires, ne se présentent pour cela dans le premier mouvement d’un empressement purement humain, et excitées par un zèle imaginaire et présomptueux. Dieu veuille éloigner de tels sujets ! Et comme c’est de sa Providence que je les attends, j’espère qu’il voudra bien nous en envoyer qui aient les qualités nécessaires pour remplir les vues de sa miséricorde sur cette pauvre jeunesse abandonnée et croupissante dans les ténèbres de l’ignorance.

Il faut donc, pour le projet que je viens d’exposer,

1° des filles qui ne cherchent que la plus grande gloire de Dieu, sans aucun motif d’intérêt, puisque, bien loin de pouvoir prétendre à des pensions ou revenus fixes, elles devront consacrer ce qu’elles auront par devers elles, argent, meubles, à cette bonne œuvre, en vue d’extirper toute avarice et recherche de soi-même, à l’exemple de saint Paul qui prêchait à ses dépens ;

2° des filles zélées, ayant à cœur le salut des pauvres enfants qui leur seront confiés, de sorte qu’elles soient disposées à essuyer toute sorte de travaux pour le leur procurer ;

3° des filles sobres et mortifiées, capables de se contenter d’une chétive nourriture, telle qu’on peut la trouver à la campagne ;

4° des filles détachées de tout, prêtes à renoncer à tout, à quitter tout ce qui pourrait les retenir à la ville pour demeurer dans un village, privées de toute consolation humaine, sans en avoir d’autre que de faire la volonté de Dieu ;

5° des filles d’une vertu éprouvée, et non pas de celles qui sont dans un premier mouvement de ferveur, parce que cette première ferveur est souvent sujette à se démentir, quand les douceurs et les consolations qu’elles trouvent d’abord dans la piété commencent à ne plus se faire sentir, et qu’elles se changent même en détresse, en aridités. C’est alors que ces sortes de personnes retournent vers le monde qu’elles avaient quitté, pour y chercher de quoi se dédommager de ce qu’elles ne trouvent plus dans le service de Dieu. D’ailleurs, les personnes qui sont encore dans ce premier feu peuvent aisément se porter à des excès et des imprudences, et y engager les autres qui sont sous sa direction. Ainsi il faut des personnes rassises, mûres, prudentes, qui ne se portent à rien qu’après un examen sérieux. Il faut des personnes qui aient passé par toute sorte d’états de dévotion et de sécheresse, des personnes qui sachent supporter la privation de toute consolation divine et humaine, des personnes d’expérience, pour signaler aux autres les fautes qu’elles ont commises [Le reste de cette phrase montre que les fautes en question sont celles de la personne qui parle, et non des personnes à qui elle parle. Note de l’éditeur], les prémunir contre les dangers qu’elles ont courus, et leur faire éviter les abus et les égarements dans lesquelles elles sont tombées elles-mêmes.

Voilà, à peu près, les qualités que ces filles doivent avoir. Du moins elles doivent être dans la disposition de les acquérir, et en avoir déjà dans le cœur le germe et le principe. Je prie le Seigneur de nous en envoyer de pareilles. Qu’il les forme lui-même par sa grâce, et qu’il proportionne leur talent et leur capacité aux lieux où il les destine !

 

Ce qu’elles doivent savoir pour remplir une telle vocation

 

1° Elles doivent être parfaitement instruites de toute la religion, et surtout des principaux mystères. Elles doivent entendre et pouvoir expliquer chaque mot du symbole, de l’oraison dominicale, et de tout le catéchisme. Pour acquérir cette science elles doivent assister au catéchisme et lire assidûment les livres d’instruction chrétienne, comme l’Histoire de la Bible, le Catéchisme du Concile de Trente, celui de Fleury, le Devoir du chrétien, la Théologie du cœur.

2° Elles doivent savoir bien lire, et aussi écrire de manière à pourvoir donner des exemples aux autres.

3° Elles doivent savoir travailler, pour apprendre à coudre, filer, tricoter, etc.

4° Il serait à souhaiter qu’elles sussent saigner, apprêter et donner des médecines, et qu’elles s’entendissent un peu à soulager les malades, pour les aider dans le besoin.

5° Il est à désirer encore qu’elles sachent chanter les cantiques.

 

Instructions pour les Maîtresses d’école

 

L’Évangile remarque que Jésus-Christ " commença à agir et à instruire " (Ac 1, 1), c’est-à-dire qu’il commença par prêcher d’exemple, puis de parole ; il commença par pratiquer lui-même ce qu’il enseignait aux autres.

Ainsi les personnes qui pensent à instruire la jeunesse doivent, avant toute chose, se sanctifier elles-mêmes. Avant que de travailler à sanctifier les autres elles doivent se remplir des vérités de la religion pour les communiquer aux autres, car si on enseigne ces vérités sans en être pénétré soi-même, elles ne font point d’impression sur le cœur de ceux à qui l’on parle. Pour inspirer la piété et la vertu il faut en avoir soi-même.

 

Extraits du Directoire des sœurs

 

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