Questions
sur le contrat doppignoration appelé en Chine
Tân-tiêñ.
21 juillet 1779.
Jai écrit en toute simplicité à Monseigneur, notre évêque dAgathopolis, que je ne pouvais souscrire, au moins sur certains points, à la consultation quil a donnée dans laffaire du contrat doppignoration. Il ma répondu quil sétait enquis de lopinion de trois autres évêques, et quil pensait que je me conformerais au jugement revêtu de lautorité de plusieurs. Je nai rien répondu par respect pour son auguste personne et pour éviter des contestations. Sans doute, notre Seigneur Évêque sest adressé aux autres Vicaires Apostoliques avec une entière bonne foi et une excellente intention ; mais je reste dans la conviction quil nappartient pas aux évêques de définir une question déjà résolue par le Souverain Pontife, ce qui est dailleurs lenseignement de tous les théologiens. Il existe, en effet, plusieurs décrets du Souverain Pontife qui réprouvent le contrat doppignoration, et ordonnent de rendre au propriétaire des domaines donnés en gage, les fruits perçus par le créancier. Ainsi donc, lors même que les provicaires des missions de la Chine auraient décidé, ce quà Dieu ne plaise, que le contrat doppignoration est licite et quil ny a pas dobligation de restituer, je ne pourrais, en conscience, suivre leurs sentiments, parce que lautorité des Évêques ne peut rien contre une décision du Souverain Pontife, surtout quand cette décision est reçue et enseignée dans toute lÉglise : principe incontesté et absolu pour tous les catholiques. Je viens donc supplier la S. Congrégation de nous envoyer ici quelque décision relative à cette matière, afin de nous épargner des scandales.
Lorsque je suis arrivé en Chine, il y a cinq ans, jai trouvé ce contrat Tâu-tiên pratiqué partout : mais décidé à combattre cette usure intolérable, me confiant en Dieu, jai fait tous mes efforts pour le faire disparaître dans cette partie orientale qui ma été confiée. Au commencement, la chose était difficile ; mais Dieu ma singulièrement aidé en punissant dune manière exemplaire les récalcitrants, et maintenant presque tous les chrétiens dans cette partie renoncent à ce contrat. Monseigneur notre Évêque navait pris aucune mesure sur ce point. Monsieur de St Martin, qui réside avec sa Grandeur, était aussi lui-même convaincu de liniquité de ce contrat, et il voulait introduire à sa place un contrat de rente perpétuelle. Je nai pu accepter cette combinaison, parce que le changement de nom laisse en réalité subsister linjustice de cette convention. Pour quun contrat soit juste, il doit y avoir égalité entre le prix reçu et la chose donnée ; or, ici il ny a aucune proportion. Un Chinois, poussé par la nécessité fait un emprunt par exemple de cent écus, et, pour gage, il donne des champs et des terres qui, au prix commun, se vendraient deux cents ou au moins cent cinquante écus, toujours certainement plus quil na reçu. Si la somme empruntée était portée à la valeur vénale, je conviens quon pourrait faire un contrat de rente perpétuelle ; mais il nen est pas ainsi ! la somme prêtée est toujours inférieure à la valeur du gage, et cette transformation du contrat doppignoration en contrat de rente perpétuelle ne ma jamais paru licite. Il serait en outre, je crois dangereux dintroduire ici une nouvelle espèce de contrat. Javais obtenu déjà que ce contrat fût regardé parmi les chrétiens comme illicite, et jimposais lobligation de la restitution, ainsi que je lai écrit à la S. Congrégation. Monseigneur notre Évêque, sentendant avec Monsieur de St Martin, avait aussi commencé, dans la partie occidentale, à prohiber ce contrat ou à en faire la commutation susdite ; mais il nimposait pas lobligation de la restitution. Il alla même jusquà défendre à quelques prêtres, mais pas à moi, grâces à Dieu, dimposer cette obligation. Enfin, il y a deux ans, les choses étant telles, jallai trouver Monseigneur, et nous eûmes, en sa présence une conférence sur la question avec dautres prêtres. Messieurs Gleyo, Hamel, et Dufresse finirent par adopter mon sentiment, cest-à-dire, que ce contrat doit être interdit, et que la restitution doit se faire au propriétaire du gage.
Mr de St Martin prétendait toujours quon nétait pas tenu de restituer ; mais il avouait lui-même que ses raisons nétaient guère concluantes ; aussi, ébranlé par mon argumentation, il restait indécis. Monsieur Devaut nous étant arrivé sur ces entrefaites, nous fit connaître que Monseigneur dAdran, autrefois Supérieur du Collège de Pondichéry, avait examiné ce contrat et lavait condamné, et lui-même, adoptant cet avis, voulait quon le condamnât et quon obligeât à restitution, lors même que les fruits perçus dans la bonne foi auraient été consommés sans enrichir le créancier. Ceci me paraissait un peu sévère ; maintenant M. Devaut est indécis et hésitant. Après ces déclarations, Monseigneur notre Évêque fut très anxieux. Quelquefois il penchait vers mon sentiment et voulait quon restituât ; dautres fois, il agissait autrement. Ce qui lui paraît embrouiller davantage la question, cest que les Chinois affirment que ces contrats ne les ont jamais enrichis. Moi je prétends quil ne faut pas sen rapporter à leur dire, mais quil faut établir un jugement conforme à la vérité, en examinant laffaire plus à fond. Lorsquon fait une location de terres, le fermier donne au propriétaire la moitié de la récolte, et il trouve encore les frais de nourriture et dentretien ; et comment alors ceux qui prennent toute la récolte, qui ne donnent absolument rien au propriétaire, peuvent-ils prétendre quils nont pas fait de bénéfice ? doù je conclus quil faudrait, dans la pratique, bien déterminer le prix de location des champs ou des domaines, pour savoir ce quil faut restituer au propriétaire, et, dautre part, examiner devant Dieu ce que doit donner de rentes une somme dargent en raison du lucrum cessans, ou du damnum emergens ; cette évaluation faite, on observera les règles établies par les théologiens. Si on nous demande ce que les anciens évêques et missionnaires ont décidé sur ce point pour ces provinces, il nest pas facile de répondre, parce que quand il sagit daffaires temporelles, les Chinois ne savent dire que des mensonges. Mr de St Martin nous dit avoir appris dun sexagénaire que lÉvêque de Munster navait jamais permis ce contrat, mais lavait toujours condamné.
Jécris ces choses pour servir la vérité et pour que la S. Congrégation en juge.
Jean-Martin Moÿe, Vicaire Général
Portieux, volume a 24, XLII