MAXIMES DE PAIX

 

Introduction de l’éditeur

Arrivant de Chine, Moye débarquait à Lorient le 20 mai 1784. Il était à Paris quelques jours plus tard, et il retournait en Lorraine dans le courant du mois d’août. Le texte suivant, daté du 22 juillet 1784, a été composé soit pendant son voyage de retour, soit durant son séjour au séminaire des Missions étrangères, rue du Bac. La Société des Missions étrangères n’avait pas de Supérieur général. Sous l’autorité de l’évêque de Paris les directeurs du séminaire où étaient formés les missionnaires exerçaient une direction collective sur l’ensemble de la Société. Mais il y avait des tensions entre les directeurs et certains missionnaires. En partageant les réflexions qui suivent Moye espérait contribuer à l’harmonie de la Société, mais il n’avait pas l’intention de demeurer à Paris comme directeur, comme plusieurs de ses collègues de Chine semblent l’avoir souhaité. Le titre est de Moye lui-même. La signature - Moye, miss. apos. (missionnaire apostolique) - indique son intention de se dévouer à l’apostolat des missions paroissiales. Le texte autographe est conservé aux Archives des Missions étrangères de Paris.

G.T.

 

 

MAXIMES DE PAIX

Méditant aux pieds des autels sur les moyens les plus propres à réunir les esprits et les cœurs et à procurer une paix solide dans notre Société, voici ce qui m’est venu en pensée.

  1. Ôter de nos cœurs tout sentiment d’aigreur et de division selon les paroles de l’Imitation, Aufer a nobis omnem iram, indignationem, disceptationem, et quiquid potest charitatem lædere vel fraternam dilectionem (IV, ch. 9, 15) ; prier sincèrement pour ses adversaires comme Notre-Seigneur a prié pour les siens ; les aimer cordialement comme il a aimé les siens ; leur vouloir et leur procurer du bien comme Notre-Seigneur en a voulu et procuré aux siens.
  2. Agir en tout avec une grande droiture et simplicité, - Qui ambulat simpliciter ambulat confidenter (Pr 10, 9) -, nous proposant toujours Dieu et des motifs surnaturels pour guides de toutes nos actions et nos démarches, sans chercher à plaire aux hommes et sans crainte de leur déplaire quand il le faut ; se conduire en tout par des vues droites et des affections pures, sans intrigue ni duplicité, et sans les soupçonner dans les autres, car, ainsi que le remarque l’Imitation, male contentus facile de aliis suspicatur (II, ch. 3, 5). Noli esse curiosus nec vanas gerere sollicitudines. Quid hoc vel illud ad te ? (III, ch. 24, 1-2). Ces vains soupçons et ces inquiétudes déplacées sur le compte du prochain et sur ses démarches, outre qu’elles sont contraires à la charité, ne sont propres qu’à troubler la paix du cœur. Il faut donc faire ce que l’Imitation conseille, Servate in pace, dimitte agitantem se agitare. Veniet super eum quiquid fecerit vel dixerit (III, ch. 24, 7-8). Si Jesus fuerit tecum nullus poterit tibi nocere inimicus (II, ch. 8, 11). Non magni pendas qui pro te vel contra te sit sed hoc agere cura ut Deus tecum sit in omni re quam facis (II, ch. 2, 1).
  3. Ne pas beaucoup s’inquiéter qui sera pour nous ou contre nous pourvu que Dieu soit pour nous et avec nous. Si Deus pro nobis, quis contra nos (Rm 8, 31) ? Or Dieu sera pour nous si dans tout nous le cherchons véritablement sans nous rechercher nous-mêmes ni nos intérêts ni ce qui nous flatte. Non magnificandus sed maledictus qui confidet in homine (Jr 17, 5). Vanus est qui spem suam ponit in homine (I, ch. 7, 1).
  4. Veiller continuellement sur notre cœur pour que la passion n’y entre point, car dès que la passion s’est emparée de nous elle se mêle partout, elle gâte et corrompt tout, elle nous inspire et nous meut lors même que nous croyons que c’est le zèle qui nous meut. Zelum putamus et patienter movemur. Elle entre dans toutes nos délibérations et nos conseils. Elle pervertit nos affections, nos sentiments, et nos actions. En un mot dès que la passion s’en mêle il n’y a rien de si saint qu’elle ne vicie. Elle attire la malédiction de Dieu sur nos entreprises, elle en empêche le succès, elle éloigne Dieu de nous et donne accès au démon et lui donne une sorte de droit sur tout ce qui est corrompu par la passion.
  5. Ainsi il faut souvent examiner son cœur pour voir si quelque passion secrète d’envie, de jalousie, d’animosité, de ressentiment, de recherche de soi-même ne s’est pas insinué comme imperceptiblement dans notre intérieur, et l’en bannir aussitôt sans ménagement, en arracher jusqu’à la dernière racine et remettre son cœur dans une situation de paix, de douceur, de charité, d’humilité, etc.
  6. Après avoir banni de son cœur tout sentiment passionné, tout esprit particulier, il faut aussi tâcher de le bannir du cœur de ses confrères, de ses amis, et employer pour cela tous les moyens possibles, la prière, des avis charitables, insinuant partout, dans les conversations, dans les assemblées, dans les délibérations, cet esprit de paix et de charité, de sorte que si dans les conversations et les ouvertures de cœur qu’on se fait réciproquement, on s’aperçoit que nos amis les plus intimes ont un esprit tant soit peu contraire à cette union cordiale, ou qu’ils voudraient peut-être nous l’inspirer, il faut repousser fidèlement la tentation et la vaincre par la vertu contraire, c’est-à-dire par la charité, et une charité vraiment surnaturelle qui nous porte à corriger notre ami, à guérir sa maladie spirituelle en y apportant un onguent probant et efficace. Si peccaverit frater tuus, vade, corripe eum,... et lucraberis fratrem tuum (Mt 18, 15). À plus forte raison faut-il bien se garder d’inspirer aux autres un esprit de partialité et de division.
  7. Voici un avis très essentiel et que tout le monde sait et auquel on ne fait pas assez d’attention dans la pratique : c’est qu’il faut aimer ses amis, ses confrères, et tout le monde d’une amitié vraiment surnaturelle, car si nous n’aimons une personne que parce qu’elle pense comme nous, qu’elle est de notre parti, qu’elle entre dans nos vues, ce n’est qu’un amour humain, un amour de partialité, un amour passionné qui est plus propre à détruire la charité qu’à l’établir, et l’expérience fait voir combien ces sortes d’amitiés partielles sont inconstantes, puisque, n’étant appuyées que sur l’homme fragile et inconstant, elles varient sans cesse et sont sujettes à toutes les vicissitudes des hommes : Hodie qui est pro te cras erit contra te, nam homines sicut aura mutantur (II, ch. 1, 15). Si ponis pacem tuam cum aliqua persona propter tuum sentire et convivere instabilis eris et impecatus (III, ch. 42, 1). Dieu qui connaît le fond de mon cœur sait que je désire d'aimer mes amis et mes confrères de cet amour surnaturel qui me porte à vouloir sincèrement leur sanctification et leur perfection.
  8. Ne rien dire ni vouloir entendre de désavantageux sur le compte du prochain. Ainsi ne pas s’entretenir de ce que font, disent, et pensent ceux qui sont d’un sentiment contraire au nôtre, encore bien moins se réjouir de leur humiliation, ou de quelque disgrâce qui leur puisse arriver, au contraire il faut y compatir. Si patitur unum membrum, compatiuntur omnia membra (1 Co 12, 26).
  9. Si quelqu’un nous offense ou parle mal de nous, loin de s’en venger en quelque sorte que ce puisse être, il faut pardonner de bon cœur, ne pas se plaindre ni laisser échapper aucune parole de mécontentement, offrir aussitôt à Dieu la peine qu’il nous fait, pour sa sanctification ; parler avantageusement de lui, et lui rendre quelque service sans qu’il le sache.
  10. Prendre le parti des absents, et ne pas croire légèrement le mal qu’on dit des autres. Qui cito credit levis est corde (Si 19, 4).
  11. Il ne faut pas opposer la passion à la passion, l’intrigue à l’intrigue, les disputes aux disputes, les contentions aux contentions, invicem provocantes (Ga 5, 26). Ce serait combattre le démon par ses propres armes ; ce serait se laisser vaincre par le mal. Il faut au contraire vaincre le mal par la bonté, la duplicité par la simplicité, les iniquités par la franchise, la passion par les vertus opposées. Plus on nous fait de mal plus il faut faire de bien.
  12. Céder aux autres autant que l’on peut sans blesser sa conscience, non quærentes quæ sua sunt sed quæ aliorum (1 Co 13, 5) ; agir de concert.
  13. Il faut souvent s’adresser au Sacré Cœur de Jésus comme au centre de la charité et de l’union, pour obtenir pour nous et pour les autres cette vraie paix du cœur et cette charité fraternelle et surnaturelle.

Je prends Dieu à témoin que j’écris ceci dans des vues droites pour le bien de la paix et par un amour surnaturel que j’ai pour tous nos confrères, et que je pense comme je parle, et que je désire sincèrement agir conformément aux maximes que je viens de détailler dans cet écrit.

 

Moye miss. apost. à Paris, le 2 juillet 1784

 

 

 

Home Page