ADDITIONS SUR LA VIE DE M. JOBAL

 

Introduction de l’éditeur

Sur le navire qui l’emmenait vers la Chine Jean-Martin Moye lut les lettres de saint François Xavier. Il découvrit que ce grand missionnaire était beaucoup moins strict au sacrement de pénitence que Jobal ne l’avait été et qu’il ne l’était lui-même. Son ministère auprès des chrétiens chinois lui confirma par la suite qu’une certaine modération pastorale était nécessaire. Il décida alors de corriger ce qui lui semblait désormais excessif dans ce qu’il avait écrit sur l’abbé Jobal de Pagny. Les Additions sur la vie de M. Jobal furent vraisemblablement commencées en Chine et terminées soit au cours du voyage de retour, soit peu après l’arrivée de Moye en France.

 

ADDITIONS

sur la Vie de M. Jobal, par l’auteur,

qui expliquent ses vrais sentiments

sur l’exercice du ministère

et l’administration des sacrements

 

On ne doit pas abuser de ce qui est dit dans cette vie de l’exactitude qu’il faut apporter dans les fonctions du ministère pour tomber dans le rigorisme. Il arrive assez souvent qu’en voulant combattre un défaut on donne lieu à l’excès opposé. J’ai toujours craint que ce que j’ai dit du soin extrême que l’on doit prendre pour administrer saintement les sacrements et pour en éviter la profanation ne donne lieu à quelqu’un de pousser les choses trop loin, de demander une certitude trop grande, tandis qu’une morale suffit. J’ai déjà corrigé et mitigé quelques propositions, mais pour un plus grand éclaircissement à bout d’ouvrage, voici mes réflexions, et mes sentiments sur l’exercice du saint ministère.

1° Je n’ai aucun sentiment particulier différent de ceux de l’Église, des théologiens et des prêtres éclairés et pieux, et je donne pour règle de conduite la plus sûre la pratique et l’exemple des confesseurs zélés, studieux, et timorés qui tiennent le juste milieu, n’étant ni trop rigides ni trop relâchés.

2° Comme il est très difficile de tenir ce juste milieu sans donner tant soit peu dans l’excès ou le défaut - non declinans neque ad dexteram neque ad sinistram (Jos 1, 7), - je pense qu’il vaudrait encore mieux, dans l’incertitude de ce qu’on a à faire, donner dans un excès de bonté et de miséricorde quand il y a espérance de gagner les âmes à Dieu, que de donner dans un excès de rigueur quand il y a lieu de craindre de les éloigner et les rebuter. Mais il faut que ce soit véritablement la charité, et une vraie charité, qui nous fasse incliner dans le parti de la miséricorde et non de la lâcheté, le respect humain, la vaine complaisance, l’envie de se débarrasser, ou d’autres motifs passionnés qui influent souvent dans l’administration des sacrements. Et il faut également craindre que l’humeur, le ressentiment, l’animosité, le scrupule, une crainte imaginaire et excessive, ne nous porte aussi à les refuser mal à propos.

3° Dans les choses morales on ne peut pas donner des règles invariables. Les dispositions des personnes sont si différentes, les circonstances si variées, que ce qui est vrai pour un pénitent se trouve faux pour un autre : alius sic, alius vero sic (1 Co 7, 7). Ainsi il y a des cas où ce qui est dit dans la Vie de M. Jobal convient très bien, et d’autres où il faudrait tenir une conduite opposée. Par exemple, je dis qu’en précipitant les choses et en donnant l’absolution trop tôt il est à craindre qu’on ne fasse avorter les conversions. Cela est vrai à l’égard de plusieurs. Mais il faut convenir aussi qu’en traînant trop en longueur il est également à craindre de rebuter et de dégoûter les pécheurs, ce qui est vrai à l’égard de plusieurs autres. Voilà pourquoi il faut prendre les choses énoncées dans un bon sens, dans le sens convenable aux lieux, aux circonstances, aux dispositions supposées par l’auteur, qui n’a jamais voulu s’écarter du sentiment commun. Comme lorsque je parle du refus des sacrements à la vie ou à la mort, je suppose toujours qu’il doit se faire suivant les règles prescrites par l’Église et les théologiens, selon lesquelles on doit donner les sacrements aux pécheurs occultes quand on les demande publiquement, et les refuser toujours aux pécheurs publics dont les crimes sont incontestablement notoires, qu’à la mort on doit les donner à tout pécheur qui donne des marques de pénitence, même douteuses, et les refuser à ceux qui meurent dans le péché sans le vouloir quitter. J’ai donné moi-même l’absolution et l’extrême onction à un soldat qui venait de se battre en duel, parce que j’ai fait réflexion que ce soldat avait peut-être de la religion, et qu’une malheureuse occasion pouvait l’avoir engagé et précipité dans le crime. Il me donnait des marques équivoques. Mais un mois après, ayant été guéri, il est venu achever sa confession. Mais je me repens d’avoir donner les sacrements à un mondain, un sensuel, qui avait mené une vie animale, et qui à la mort ne voulait pas entendre parler de confession, mais seulement de jeux et de divertissements. Je lui ai fait faire quelques aveux par subtilité. On m’a beaucoup applaudi dans le monde. Et moi, je me suis fortement reproché la profanation des sacrements que je lui ai administrés, parce que j’étais bien sûr des mauvaises dispositions où il était. Mais quand le les refusais je n’agissais point par passion.

4° Quand les choses ne sont pas claires et évidentes on peut agir différemment, l’un d’une façon ou l’autre d’une autre, chacun selon ses lumières et sa conscience. Et il peut se faire que chacun ait raison et fasse bien, surtout si ce n’est pas la passion mais de bons motifs qui excitent à agir différemment. Et la même personne agit elle-même différemment. Tantôt elle est plus touchée d’une raison, et tantôt plus frappée de la raison opposée. On tente, on éprouve, on cherche le moyen qui réussira le mieux pour procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes. Voilà pourquoi on ne doit pas trouver mauvais que d’autres pensent et agissent différemment que nous dans les choses qui ne sont pas décidées par l’Église. Le Souverain Pontife Benoît XIV veut qu’on laisse à chacun la liberté de suivre son sentiment ; il ne veut pas même que les évêques astreignent leurs sujets à un sentiment plutôt qu’à un autre, de peur d’occasionner une difformité dans l’Église.

5° Le parti le plus rigide n’est pas toujours le plus convenable ni même le plus sûr. Si on voulait toujours pousser les choses à la rigueur, on jetterait quelquefois des âmes dans le désespoir ; on les réduirait à de fâcheuses extrémités. C’est en cela que j’ai admiré la prudence des décisions de l’Église romaine. Nous en avons reçu plusieurs en Chine. Quand le parti le plus rigide n’était pas le plus commun, elle ne voulait pas qu’on y contraignît les fidèles ; elle voulait que l’on se contentât de la leur proposer, leur laissant toute liberté de le suivre ou de ne pas le suivre. En effet, l’expérience m’a appris que les confesseurs jeunes et scrupuleux gênent et inquiètent souvent des consciences mal à propos. Il faut communément laisser à elles-mêmes les consciences pieuses et timorées : le Saint-Esprit les conduit et les inspire.

En voici un exemple arrivé en Chine. Une de nos femmes fortes ayant, au temps de la peste, baptisé l’enfant d’un prétorien, qui était malade, après le baptême la maladie de l’enfant augmenta. Le prétorien en fut furieux. Il envoie chercher notre zélatrice sous prétexte de baptiser encore des enfants malades. Elle arrive. Il rassemble une troupe de païens alentour d’elle. On l’accable d’injures, on menace de la lier, de la mener au prétoire ? Elle demeure intrépide et répond à tout avec une prudence qui les confond. Le prétorien est près d’exciter la persécution contre les chrétiens. Il exige de notre héroïne de donner un billet par lequel elle réponde de la vie de l’enfant. Elle répond que la vie et la mort ne dépendent pas de nous mais de Dieu. Cependant, pour éviter la persécution, elle expose sa vie, elle répond de la vie de l’enfant pour deux mois. Chose admirable ; les autres enfants meurent, et celui-là survit. Je voulais inquiéter là-dessus cette femme. Mais, tout bien examiné, elle avait très bien fait ; elle avait fait un acte de charité héroïque en s’exposant pour le bien public. Et elle avait suffisamment paré au scandale en déclarant que la vie de l’homme dépendait uniquement de Dieu.

Je me rappelle avoir souvent gêné et inquiété de bonnes âmes mal à propos. Mais Dieu, pour me punir et me faire sentir mon tort, a permis que je tombasse entre les mains de certains confesseurs qui me tenaient trois quarts d’heure au confessionnal pour des défauts chimériques qui étaient plus dans leur imagination que dans ma conscience, et qui ne voulaient rien entendre de mes fautes réelles. Ainsi il faut bien se donner de garde de rendre la confession odieuse et onéreuse, surtout aux bonnes âmes, ni même aux pécheurs qu’il faut tenter d’attirer par des paroles douces et engageantes, à moins que ce ne soient des personnes du sexe, avec lesquelles il faut quelquefois, selon la prudence, mettre en pratique l’avis de saint Jérôme : sermo brevis et durus.

6° Il y a des confesseurs qui, au lieu de tirer d’embarras les pénitents, les embarrassent encore davantage en leur cherchant des chicanes mal à propos, comme si une personne touchée dans un précipice ou plongée dans la fange vous demandait au secours, et qu’au lieu de lui tendre une main secourable, vous la plongiez encore plus avant dans le bourbier ou dans le précipice.

M. Gleyo, missionnaire de la Chine, voyant un malade dont les affaires temporelles étaient aussi en désordre que celles de sa conscience se rebutait d’abord de l’état du malade. Comme c’est un saint à qui Dieu avait promis en prison qu’après sa délivrance il serait employé dans le ministère, et qu’il lui communiquerait les vues qu’il avait sur les âmes, il se sentit repris intérieurement de son indignation contre le malade. L’Esprit de Dieu lui disait : " Il ne faut pas ainsi s’indigner contre les pécheurs, mais espérer qu’il y aura des moyens de venir à bout de tout... ". En effet, M. Gleyo, aidé du secours divin, mit ordre à la conscience et aux affaires du pauvre malade, qui mourut en prédestiné.

Il m’est arrivé aussi en Chine de voir en songe deux femmes, enfouies dans un bourbier jusqu’aux épaules, témoignant vouloir en sortir et me demandant la voie pour parvenir en un lieu ferme. Je la leur indiquai : une arrivée au port. On pensera ce qu’on voudra de ce songe, mais il se trouva véritablement deux femmes qui sortirent d’un état déplorable, et il y en eut une qui mourut saintement dans la visite de la chrétienté où j’eus le songe.

On dira : voilà des choses bien extraordinaires, et contraires à ce que j’écris, dans la Vie de M. Jobal, qu’il ne faut pas perdre son temps à l’égard des pécheurs incorrigibles. Point du tout : je parle dans le Vie de M. Jobal des mondains, les enfants du siècle qui, sciemment et de propos délibéré, mettent habituellement et constamment leur fin dernière dans la créature, et qui préfèrent volontairement leur fortune à leur salut, la terre au ciel, le temps à l’éternité, et qui ne pratiquent la religion que politiquement et autant qu’elle peut servir à leur intérêt. Je ne dis pas encore que leur conversion était impossible à Dieu, mais qu’elle l’est moralement et selon le cours ordinaire des choses, qu’il me semble, salvo meliori judicio, qu’il vaudrait mieux tourner son zèle vers d’autres personnes qui n’ont pas encore été instruites ni exhortées, et qui donneront peut-être entrée à la grâce, au lieu que Jésus-Christ dit des mondains : non pro mundo rogo (Jn 17, 9). Dans la Vie de M. Jobal je parle des gens qui ne veulent pas profiter des moyens de salut et qui en abusent. Et ici je parle de ceux qui, malgré leur état déplorable, ont quelque désir de revenir à Dieu, ou de ceux dont on ne connaît pas encore les dispositions. Sans doute qu’il faut les instruire et les exhorter. Que si on dit qu’on n’a pas assez de discernement pour connaître les mondains que Jésus-Christ exclut de sa prière, je répondrai qu’alors il faut prendre le parti le plus sûr, qui est de faire tout ce que l’on peut pour leur conversion. Cependant il sera toujours vrai de dire qu’il est de la prudence d’un pasteur éclairé qui ne peut pas tout faire à la fois, de voir par où il doit commencer et ce qu’il dit préférer. Il y a des fruits mûrs qu’il faut cueillir ; il y en a d’autres qu’il faut laisser mûrir. Omnia tempus habent (Qo 3, 1). Il faut commencer par abolir les scandales et les désordres, qui entraînent la perte de beaucoup d’âmes, et établir des moyens propres à ranimer la piété.

À l’occasion des visions et des songes, je puis dire en passant que ce sont des choses bien rares, dont il faut se défier. Je n’ai vu de vraies visions que celles de M. Gleyo. On m’en a raconté en Europe, mais j’ai vu que c’étaient des illusions, parce que le Saint-Esprit n’opérait rien dans l’intérieur des âmes qui les voyaient, au lieu que dans les visions surnaturelles Dieu agit beaucoup plus dans l’intérieur en y répandant avec paix des lumières, des consolations, qui tendent à nous faire voir notre corruption et à nous humilier, ou des sentiments de confiance, d’amour, de saints désirs, un détachement du monde et de soi-même qu’il opère à l’extérieur par la représentation des objets qu’il expose à la vue de la personne qu’il favorise d’une vision.

7° J’ai dit dans la Vie de M. Jobal qu’il n’a pas beaucoup à gagner avec les filles mondaines tout occupées de leur figure et de leur parure : on perd beaucoup de temps à leur parler et à les diriger ; je crois qu’il serait mieux employé à l’égard des hommes et des garçons. L’expérience n’apprend que trop combien les filles font de confessions sacrilèges, surtout au village. Ce n’est souvent qu’après plusieurs années de mariage qu’elles font l’aveu sincère des péchés de leur jeunesse. On doit laisser au sexe une grande liberté pour la confession. Il y en a qui ne peuvent prendre sur elles de confesser certains péchés à leur pasteur. Plusieurs font l’aveu de si grands péchés qu’on dirait qu’elles sont sincères, et cependant elles en cachent encore quelques-uns. Mon Dieu, que de sacrilèges ! Qu’il faut de prudence pour faire ouvrir les cœurs et purifier les consciences. Souvent, plus on presse une personne, moins elle se déclare, et cent mensonges ne lui coûtent rien pour se tirer d’embarras et pour s’épargner une légère confusion. Alors un confesseur prudent sentira que le moment d’une parfaite déclaration n’est pas arrivé pour cette âme si faible ; il faut l’y préparer par la prière et de saintes pratiques qui l’éclairent et qui la touchent.

8° J’ai tiré bien des lumières touchant l’administration des sacrements de la lecture du Livre des Synodes de Benoît XIV. Je l’ai lu avec beaucoup d’ardeur. Parmi tant de diversités d’opinion c’est toujours au Chef de l’Église, à l’Église romaine, qu’il faut recourir comme à la source de la vraie doctrine pour être sûr de ne point errer. Or, voici ce que j’ai remarqué dans ce savant livre :

1. Que dans les opinions probables le Souverain Pontife veut qu’on laisse à chacun la liberté de suivre celle qui lui plaît. Quand les opinions de quelques auteurs sont contraires aux décisions des saints Pères et au sentiment commun des théologiens, il les rejette.

2. Il réfute les objections qu’on fait contre ceux qui prétendent qu’on peut donner quelques sacrements sous conditions, et prouve que ce sentiment est très probable et qu’on peut le suivre en conscience.

3. Il rapporte plusieurs rituels dont les uns défendent de donner les sacrements aux pécheurs moribonds qui ne donnent point de signes de pénitence, d’autres qui le permettent ou l’ordonnent s’ils ont mené une vie chrétienne, il conclut de cette diversité le sentiment qu’on ne doit rien décider là-dessus et laisser chacun agir selon sa conscience, tenant le juste milieu, car le Saint-Père remarque que dans cette matière comme en bien d’autres les uns donnent dans un excès de rigueur, les autres dans un excès de douceur. Alia rem nimis ampliare, alia eamdem nimis in actum constringere. L’extrême-onction opère plus sûrement après l’absolution dans ces cas.

4. Il rapporte le sentiment d’un fameux auteur. C’est Cajetan, qui dit qu’il faut croire le pénitent même au sujet de la contrition, et lui donner l’absolution quand il assure qu’il est contrit. Ecclesia credit pœnitenti dicenti se esse contritum. Mais il est aisé de voir que ce n’est pas là le sentiment du Souverain Pontife, car en expliquant le rituel romain, qui dit qu’il est de la prudence du confesseur de savoir quand il doit donner ou refuser ou différer l’absolution, il dit qu’il doit la refuser à ceux qui donnent des marques d’une fausse contrition, et la différer à ceux qui donnent des signes d’une contrition suspecte, et la donner à ceux qui donnent des preuves d’une contrition véritable. Cela suppose bien clairement que le confesseur ne doit pas s’en rapporter au témoignage du pénitent touchant la contrition, et que pour l’absoudre il doit avoir des preuves de ses bonnes dispositions, même intérieures. Ainsi voilà le sentiment des confesseurs relâchés rejeté, et celui des confesseurs exacts approuvé par le Souverain Pontife Benoît XIV. Ce grand Pontife défend aussi, par une bulle, de faire déclarer le complice du pénitent, excepté dans les cas où l’intégrité de la confession l’exige. Il recommande beaucoup le secret. En effet, on ne saurait pousser là-dessus la délicatesse trop loin. Le peuple craint toujours que les prêtres ne se servent de leurs confessions, qu’ils n’en parlent, qu’ils n’en prêchent, qu’ils n’agissent en conséquence ? Et cette crainte leur ferme la bouche quand il est question de se confesser à un prêtre qui les connaît.

Benoît XIV combat aussi les opinions erronées sur l’usure, entre autres celle qui permet de recevoir quelque chose des prêts faits aux riches, aux commerçants. Cependant un auteur récent a voulu rénover ce mauvais système en France. C’est être bien téméraire que de s’élever ainsi contre la décision du Saint-Père et contre le sentiment commun enseigné par les Pères, les canonistes et les théologiens. Malheur à ceux qui se laissent séduire par la nouveauté et éblouir par de fausses lueurs ! Il ne faut jamais s’écarter de la voie tracée par nos Pères. Voici les paroles de Benoît XIV (De synodo diœcesana, XI, ch. 2, § 18) : Porro absolutionem sacramentalem aliis quidem concedendam, aliis vero denegandam aliis vero differendam esse in ipseo rituali romano habetur, id quod ad titulum De sacramento pœnitentiæ lex ista confessario præscribitur... Videat autem diligenter sacerdos quando et quibus conferenda vel deneganda vel differenda sit absolutio... Omnesque graviores theologi in eo consentiunt ut haud cuilibet pœnitenti concedenda sit absolutio, sed eis deneganda qui vel pœnitentiam minime profitentur, vel fictæ pœnitentia indicia præ se ferunt, iis autem differenda sit quorum poenitentia incerta et suspecta merito habetur. Après avoir posé ces principes le Souverain Pontife décide un cas particulier d’un ordinand qui a vécu dans une mauvaise habitude de péché d’impureté, et il dit que s’il ne donne que des marques d’une contrition suspecte on ne peut lui donner l’absolution, qu’il faut la lui différer : Sine ulla dubitatione differendam esse absolutionem donec certiora prœbeat conversionis suæ argumenta... Casus igitur qui in controversiam adduci potest is est quo pœnitens eo usque in peccatis habitualiis ad sacros ordines promoveri intendebat simulque talia contriti cordis indicia præ se ferat ut conversionem sinceram merito existimare valeat atque confidere eum non amplius relapsurum esse in antiqua peccata quorum consuetudinem involutus fuit profecto negari nequit hujusmodi pœnitentia spiritualem directorem ancipiti nimium cura in hac facti specie distrahendum fore : nullam vero suppetere generalem regulam, quare in hujusmodi casibus indistincte ab eo adhiberi valeat, quare non aliud consilium eidem præbere censemus quam ut omnia personæ rerum et casum adjuncta diligenter inspiciat et mature perpendat. De là il paraît que le Saint-Père laisse donc à la prudence du confesseur à juger si les marques que donne le pénitent sont suffisantes, et que s’il les juge suffisantes, de sorte qu’il ait lieu de croire que son pénitent, engagé jusqu’alors dans un péché d’habitude, est véritablement converti, il peut lui donner l’absolution ; mais qu’il est plus sûr de la différer à moins qu’il n’y ait quelques raisons spéciales qui exigent qu’on la donne aussitôt. Denique divinis luminis opem enixis precibus imploret, ut illius ductum sequens neque seipsum prodat neque pœnitentem ducem, cui aliquando absolutionis dilatio salubrior esse potest quam properata ejus concessio, non exactis prius novis experimentis super ejus conversionis firmitate.

9° Voilà donc le principe certain, qu’il faut pour absoudre avoir une certitude morale de sa contrition et de ses bonnes dispositions, mais dans la pratique on applique ce principe bien différemment. Les uns exigent plus, les autres moins. Je crains d’avoir un peu trop exigé dans la Vie de M. Jobal, et j’ai parlé d’une manière trop décisive. Il y a aussi beaucoup à craindre de donner l’absolution trop légèrement. Je suis tombé dans les deux excès.

C’est bien ici qu’on doit implorer les lumières du Saint-Esprit en lui disant, Ostende mihi viam qua ambulem (3 R 8, 36) ; doce me facere voluntatem tuam (Ps 142, 10), ut non declinem neque ad dexteram neque ad sinistram (Is 30, 21). Quoi qu’on fasse, quelques précautions qu’on prenne, on fera toujours bien des fautes, et on aura toujours lieu de dire : Ab occultis meis munda me, et ab alienis parce servo tuo (Ps18, 13). Mais le grand point auquel on doit faire le plus attention, c’est de veiller sur son cœur pour que la passion n’influe pas dans l’exercice de notre ministère, de sorte qu’on ne refuse pas l’absolution ni les soins aux fidèles par humeur, par indignation, par scrupule, par préjugés, ou par quelque sujet de mécontentement qu’on avait conçu contre une personne, ou par négligence parce qu’on ne veut pas se donner la peine de faire ce qui convient pour les disposer. Il ne faut pas non plus l’accorder par lâcheté, par respect humain, de peur de déplaire à une personne dont on a quelque chose à craindre ou à espérer. Les fautes que l’on commet dans le ministère par fragilité, par ignorance, par bonne volonté, parce qu’on espère que telle façon d’agir gagnera le pénitent, ces fautes, Dieu les pardonnera plus aisément ; mais celles que l’on fait par passion seront plus difficilement pardonnées.

M. Gleyo se relevait la nuit pour pleurer les fautes qu’il avait faites dans le ministère et pour prier Dieu de les réparer. À mon avis, quand une personne fait paraître de la sincérité, de la religion, et une bonne volonté, qu’elle fait des efforts, qu’elle préfère son salut à tout, je pense qu’on a une certitude morale et qu’on peut lui accorder les sacrements.

10° Benoît XIV suppose aussi, comme on voit par la lettre que je viens de citer, qu’on peut dans certaines circonstances, même hors du danger de mort, donner l’absolution à un pécheur d’habitude qui renonce à son péché et qui donne des marques extraordinaires de contrition. Mais il dit aussi qu’on peut l’éprouver selon les règles de l’Église, ce qu’il insinue comme le parti le plus sûr. Cela fait voir qu’on peut agir différemment selon la prudence et les circonstances.

11° Quelque mitigé que l’on puisse être dans l’administration des sacrements, on trouvera toujours un grand nombre de gens qui ne sont pas dignes de les recevoir. Un pasteur qui veut bien examiner et connaître ses ouailles et qui les suivra dans leurs démarches et dans leur conduite n’en trouvera que trop qui n’ont pas les dispositions suffisantes pour être admis à la participation des sacrements, quelque peu qu’il exige, s’il demande au moins l’essentiel. Mais il arrivera avec le temps que ceux qui n’ont pas été disposés à la réception des sacrements s’en rendront dignes, et plusieurs de ceux qu’on aura admis s’en rendront indignes. Cependant c’est un devoir des pasteurs de se concilier l’affection et la confiance de leurs paroissiens par des moyens convenables, surtout par leur charité, leur compassion, leur bon exemple, afin de les porter à s’adresser à eux pour la confession, surtout les garçons, afin de les contenir ; mais il faut donner une grande liberté aux filles, de peur qu’elles ne cachent leurs péchés.

12° Il n’est pas nécessaire que le confesseur décide sur tout. Il le ferait témérairement quand le pénitent est bien disposé et qu’il s’accuse autant que Dieu le connaît coupable ; le confesseur lui donne l’absolution, qui est conditionnelle selon l’exigence des cas. C’est le sentiment de Gerson, que Benoît XIV cite sans le contredire. Les âmes éclairées ont toujours matière assez pour qu’elles aperçoivent des fautes presque partout. In multis offendimus omnes (Jc 3, 2). À chaque heure nous péchons, selon saint Ambroise.

13° Il arrive à certains confesseurs, qui ont des sentiments trop humains ou qui sont trop attachés à leur sens de combattre dans les âmes pieuses les dons de Dieu comme des défauts ou des illusions. On a fait cela à l’égard de sainte Thérèse, ce qui l’a beaucoup peinée. Et au lieu de ces dons de Dieu qui ne sont pas du goût des directeurs parce qu’ils ont une façon de penser trop mondaine, trop humaine, ils voudraient leur inspirer leurs propres vices, leurs défauts, leur façon de penser trop mondaine, trop humaine, qu’ils prennent pour des vertus et dont ils se flattent même comme s’ils avaient la vraie piété, une piété qui sait accorder la religion avec le monde. Ils voudraient que leurs pénitents abandonnent les lumières et la conduite de l’Esprit de Dieu pour suivre l’esprit du monde qui les anime. Ainsi on doit en tout avoir beaucoup de prudence, de réserve, de modération.

14° Un grand abus dans les directeurs, c’est de se faire des systèmes de perfection et de sainteté différents de celle que les saints ont pratiquée, et de vouloir conduire les âmes selon leurs propres idées et non pas selon les maximes de l’évangile et selon l’Esprit de Dieu. Il vaudrait beaucoup mieux que les directeurs s’appliquassent à étudier les vues de Dieu sur les différentes âmes qu’ils dirigent que de se faire des systèmes à leur mode, et que de vouloir forcer les autres à se conduire selon leur propre sens. Il faut donc se défaire de tout préjugé et suivre en tout l’Esprit de Dieu et non son propre esprit.

15° Un grand abus dans les prédicateurs, surtout dans les campagnes, c’est de s’affecter trop d’une chose qui les choque plus sensiblement que les autres, et cela souvent plutôt par rapport à eux-mêmes que par rapport à Dieu. De là il arrive que souvent par l’impétuosité de leur zèle ils répètent sans cesse la même, qui n’est pas toujours la plus nécessaire, et qu’ils gardent le silence sur des matières plus importantes. Ils combattent quelquefois un fantôme ou une vue moins considérable que leur imagination ou leur amour-propre choqué grossit à l’excès, et ils ne disent rien sur mille autres désordres plus monstrueux qui règnent dans la paroisse. Aussi il faut toujours se défier de ses inclinations, surtout quand elles sont trop violentes, ne pas trop s’affecter d’une chose de peur qu’on n’en néglige d’autres plus essentielles. Il faudrait suivre une méthode d’instruction qui développe successivement les vérités de la religion, comme font tous les bons catéchismes. Cela n’empêche pas qu’on insiste davantage sur certains points capitaux, sur certains vices régnants, mais il faut tout envisager selon Dieu et non selon son propre sens. Il arrive aussi que l’on est diffus, et que par de longs circuits on énerve les vérités chrétiennes. C’est une réflexion que j’ai ouï faire à des gens de campagne dans leur langage. Jamais les vérités de la religion n’ont plus d’efficacité que quand elles sont prêchées dans leur simplicité naturelle. Souvent l’éloquence humaine est un obstacle au fruit que la parole de Dieu annonce et explique brièvement par définitions et divisions, éclaire les esprits et touche les cœurs. Elle fait des impressions divines et surnaturelles. Mais si on l’humanise, pour ainsi dire, en l’altérant par ces figures, ces tours, ces portraits, ces comparaisons, ces termes recherchés pour flatter l’oreille et plaire aux auditeurs mondains. Ce ne sera plus la parole de Dieu ; ce ne sera plus que la parole de l’homme ; elle ne fera plus que des impressions humaines. C’était là le grand reproche que saint Paul faisait aux faux apôtres : adulterantes verbum Dei (2 Co 2, 17).

Je regarde aussi comme un défaut dans les prédicateurs de prêcher si rarement la passion de Notre Seigneur. C’est un système bien opposé aux sentiments du grand apôtre, qui se glorifiait de ne savoir et de ne prêcher que Jésus crucifié. Il est bien préjudiciable aux fidèles, qui ne sont jamais plus touchés et plus édifiés que quand on leur parle des souffrances et de la mort du Sauveur.

16° Enfin, un avis bien important pour les catéchistes, c’est de tenir leur cœur toujours libre et dégagé de toute passion, de toute affection naturelle, et de se débarrasser le plus qu’il leur sera possible du temporel, du maniement des affaires séculières, afin que leur esprit, leur affection, leur ardeur, se portent toutes vers le surnaturel, qu’ils consacrent leur temps, leur vie, leurs talents, à procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes. Nemo militans Deo implicat se negotiis sœcularibus (2 Tm 2, 4).

Saint Pierre jugeait qu’il ne fallait pas quitter la prière et la parole de Dieu pour servir les pauvres. Non est æquum nos relinquere verbum Dei et ministrare mensis (Ac 6, 2). À plus forte raison ne faut-il pas abandonner ces saints exercices pour se livrer au maniement des choses temporelles. Si on commence à y prendre goût il y a tout à craindre. Il faut au contraire les envisager comme un fardeau et s’en débarrasser le plus qu’il est possible, pour donner tout son temps et son application aux choses spirituelles, à la prière, à l’étude de l’écriture, aux visites du Saint-Sacrement. Nos vero orationi et ministerio verbi constanter erimus (Ac 6, 4).

 

Tables de la Vie de M. Jobal

 

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