À son Père.

 

Loué soit Jésus !

de Macao

 

Mon cher Père,

Nous voilà enfin, grâces à Dieu, arrivés en Chine, après avoir fait, dans sept ou huit mois, environ huit mille lieues. Nous sommes au bout du monde, car au-delà il n’y a que la mer, et ensuite les antipodes. Le soleil se lève ici huit ou neuf heures plus tôt que chez nous, en sorte que nous sommes déjà levés quand vous allez vous coucher. Par exemple, le samedi saint, quand il est neuf ou dix heures chez vous, nous avons déjà dit la messe de Pâques. C’est un printemps ou un été perpétuel ; jamais les fleurs ne tombent des arbres ; il y a toujours des fleurs et des fruits. Mais parce que cela n’est pas nouveau, cela ne fait pas la même sensation que le printemps chez nous. Dieu merci, jusqu’ici rien ne m’a manqué ; la Providence à qui je me suis confié, a pourvu à mes besoins abondamment. Je n’ai pas été absolument malade, quoique j’aie souffert sur le vaisseau. Depuis mon arrivée ici, j’ai senti, pendant trois semaines une indisposition provenant des humeurs amassées sur le vaisseau, et de la fatigue ; mais j’ai pris de la rhubarbe qui est très commune ici, et à présent, je me porte à merveille. Dieu nous a délivrés des dangers sur mer, et j’espère qu’il me préservera encore des autres que je courrai sur la terre, car s’il plaît à Dieu, dans six semaines ou deux mois je partirai pour me rendre à notre mission qui est à quatre ou cinq cents lieus d’ici, et le chemin est bien dangereux de toute façon. Il faut se déguiser. Il est défendu aux Européens d’entrer en Chine, sinon dans cette ville de Macao qu’ils ont cédée aux Portugais. Les Chinois ne deviennent pas noirs, quoiqu’ils soient sous le soleil ; ils sont d’une couleur semblable ou à l’airain, ou au cuivre jaune ; mais comme le pays est très grand, ceux qui sont plus au nord ont de la couleur, mais tout un visage semblable pour le nez et les yeux, de sorte qu’il est aisé de voir qu’ils ont la même origine, qu’ils viennent d’un même père. Ils sont d’un caractère assez doux. Les personnes du sexe ne sortent point ; elles sont toujours renfermées dans l’enceinte de la maison, et ne paraissent jamais ni sur la porte, ni même dans la première chambre. Mais malheureusement cette multitude innombrable de peuple, car il y a des villes qui sont deux ou trois fois plus grandes que Paris, et partout le pays est très peuplé, tous ou presque tous sont idolâtres ; ils adorent le démon même, ou des idoles. Nous voyons tous les soirs, sur les vaisseaux qui sont à notre vue, les feux qu’ils allument pour faire leurs sacrifices, et j’entends encore avec douleur, tous les jours, aux environs de notre maison, car ici nous sommes libres, tranquilles, et nous avons une maison au vu et au su de tout le monde, j’entends, dis-je, les cris des enfants chinois, avec bien de la douleur de voir que ces pauvres enfants n’ont pas reçu le baptême, et que nous ne pouvons pas le leur donner. Il est défendu à quiconque d’entrer dans la maison des Chinois sans la permission du maître. Il y en a qui apportent leurs enfants pour les vendre ; nous en avons acheté deux dont l’un est déjà mort et est au ciel. Il y a des missionnaires qui sont répandus par toute la Chine ; mais il en faudrait cent mille fois davantage. Cependant c’est toujours une chose glorieuse à la religion que l’Évangile soit prêché partout, et que d’un bout du monde à l’autre on offre Dieu, dans tous les lieux et à toutes les heures, puisque, comme je vous l’ai marqué, nous avons le jour quand vous avez la nuit, ainsi à toute heure on offre le saint sacrifice de la Messe. Je suis très content et satisfait d’être venu ici. Je partirai avec joie pour nos missions. J’ai tout lieu de croire que Dieu m’a appelé, et je suis plein de confiance que ce sera pour sa gloire, le salut des âmes et de la mienne. Il faut gagner le ciel par quelque endroit ; quand nous ne ferions que procurer le baptême à une seule âme, à un seul enfant, cela vaudrait bien la peine de venir ici, puisqu’une seule âme a coûté J.-C. tout son sang. J’espère que Dieu en sauvera plusieurs par notre ministère, tout indignes que nous sommes. J’en ai déjà baptisé plusieurs en passant à l’Ile-de-France, comme je vous ai écrit. Je remercie Dieu de la facilité qu’il me donne, à mon âge pour apprendre la langue chinoise. Je commence à la parler, à l’entendre et à la lire, quoique les caractères soient très différents de toutes les autres langues. M. Steiner, mon confrère, demeure ici, à la procure. Nous avons trouvé, en arrivant, notre confrère mort depuis deux mois et demi ; mais la Providence avait pris soin de notre maison. Je prie tous les jours pour vous et tous mes frères et sœurs, parents et amis. Vous pouvez assurer toutes nos bonnes gens de Cutting que je ne les oublie pas ; je leur suis toujours présent de cœur et d’esprit, je rêve presque toujours les nuits que je suis avec vous et avec eux, car les premières impressions ne s’effacent jamais. Mes respects à M. le Curé, et à celui de Domnon et de Nébing et des environs, surtout où j’ai fait des missions et où il y a des écoles de filles. Je prie Dieu pour les maîtresses et les écolières, et toutes les âmes qui m’ont connu et qui m’ont entendu. Je me recommande beaucoup à leurs prières, et j’espère que les prières de tant de bonnes âmes réunies obtiendront sur nos travaux une bénédiction abondante.

Mon très cher Père, j’ai l’honneur d’être avec respect et reconnaissance, votre très humble et obéissant fils et serviteur,

Moÿe, prêtre, missionn. apost. en Chine.

(archives de Portieux.)

 

Lettre à sa famille

 

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