Chemins pavé de marbre.

 

Ce fut dans ce voyage de Kân-làng-tang que je commençai à voir les chemins pavés de marbre ; c’est une chose bien vraie. Il est si commun en Chine, et surtout dans les montagnes vers le Kouy-tcheou, qu’il y a des endroits où il serait difficile de trouver une pierre brute ; quand il pleur surtout, ces pierres, polies par les pieds des passants, sont aussi luisantes et éclatantes que celles qui sont polies par les mains de l’artiste ; elles récréent, par l’éclat et la diversité de leurs couleurs, la vue des voyageurs fatigués. J’avais vu de loin, en passant dans la province de Hou-quan, des montagnes de marbre qui paraissaient assez éclatantes ; mais j’en ai vu une infinité de tout près dans nos provinces. Quoique le marbre, exposé au soleil, soit impoli et n’ait rien de brillant, cependant comme l’eau le mine et le polit, les côtés des montagnes où l’eau s’écoule sont très agréables à voir.

En revenant de Chine, j’ai passé dans une rivière bordée de ces montagnes de marbre ; comme l’eau était retirée en grande partie, elle laissait à découvert le pied de ces montagnes de marbre toutes polies par le courant d’eau ; et cette masse énorme, embellie de toutes sortes de couleurs, les plus vives et les plus charmantes, fournissait à la vue le spectacle le plus agréable que j’aie vu dans ma vie. J’ai vu aussi des montagnes creusées et percées à jour par l’eau qui les avait minées : j’y ai vu des sources très abondantes sortir de ces montagnes de marbre et des rivières aussi ; car, dans les endroits où ce marbre est commun, il y a des gouffres où l’eau s’absorbe tout à coup et forme des rivières souterraines. J’ai vu dans la province de Quan-si, vers la capitale, quantité de montagnes de marbre minées par l’eau est formées en pain de sucre ; il est probable que ces montagnes divisées étaient auparavant réunies.

Comme les chemins sont très glissants à cause de ces pierres de marbre et de l’inégalité du terrain, un voyageur ne peut se mettre en route sans avoir des souliers ferrés qui sont très lourds et rendent la marche fatigante. Si la montée des hauteurs est pénible, la descente des montagnes est encore plus dangereuse. Combien de fois ai-je été en danger de me précipiter ! Une fois je suis tombé de tout mon long à la renverse, la tête sur une pierre de marbre ; la chute fut si lourde, que je pensai mourir du coup sans pouvoir me relever ; cependant après un instant, avec l’aide de Dieu, je me relevai, et je continuai mon chemin avec une sorte d’étonnement ; ces paroles du Psaume me vinrent à l’esprit : Justus non ceciderit non collidetur, quia Dominus supponit manum suam (Ps 36, 24) Lors même que le juste tomberait, il ne se briserait point, parce que le Seigneur met sa main sous lui. L’application en est bien mal faite quant à la première partie, mais elle fut réalisée quant à la seconde.

 

Montagnes.

 

Table de la Grande Relation

 

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