ESPRIT DE LINSTITUTION
Introduction de léditeur
Nous reproduisons ici deux documents que nous intitulons " Esprit de lInstitution ", et " Règlement de la journée ". Le premier, situé dans le Directoire au début de la section VIII de lHistoire des pauvres surs (p. 351-356), offre une courte présentation des quatre vertus recommandées aux religieuses par le fondateur. Omises par Puy-Pény dans son édition du Directoire, restaurées par Marchal, ces pages nappartiennent pas au texte primitif de lHistoire des pauvres surs, dont elles interrompent le récit, et dont elles ne suivent pas le style puisquelles sadressent directement aux religieuses. Elles expliquent le fondement spirituel de luvre des écoles. Il faut toutefois se rappeler en lisant ce texte que Jean-Martin Moye vivait à une époque où la communion fréquente nétait pas encouragée. Le second document (Directoire, p. 100-193) nest peut-être
pas entièrement de Jean-Martin Moye. Lensemble correspond cependant bien à ce que celui-ci recommandait aux religieuses. Il sagit dun règlement assez général. Nous omettons un Règlement Particulier pour les Dimanches et pour les Fêtes, qui suit ce texte dans le Directoire, mais qui contredit le règlement général en imposant la " méthode de saint François de Sales " pour faire sa méditation quotidienne. De plus il fait allusion à un contexte précis, tardif, où les Surs habitent près de léglise et ont la charge des chants pendant les services.G.T.
ESPRIT DE LINSTITUTION
Le véritable esprit de notre état, cest lesprit de simplicité, de pauvreté, de charité, et dabandon total à la Providence. Voilà les quatre vertus de votre état. Ce sont les quatre colonnes qui soutiennent lédifice de votre société. Tant que vous les pratiquerez vous subsisterez ; et dès que vous les abandonnerez vous tomberez, ou vous ne subsisterez quaux yeux des hommes et vous serez mortes aux yeux de Dieu. Je vous ai expliqué ces quatre vertus dans le Projet
[Cette phrase suggère que le Projet contenait à lorigine un passage sur les quatre vertus. Note de lÉditeur] ; mais vous ne pouvez trop les méditer, car cest par une application continuelle à les méditer, à les désirer, à les pratiquer à chaque occasion, que vous les acquerrez et que vous vous y perfectionnerez toujours de plus en plus jusquà la mort.
Soyez donc simples ; allez droit à Dieu, sans vous inquiéter de ce que les hommes pensent ou disent de vous. Aimez la pauvreté ; vivez dans le détachement de tout ; craignez les biens de ce monde, loin de les désirer. Vivez comme les pauvres gens de la campagne. Respirez un air de simplicité dans vos habits, dans votre logement, dans vos meubles, dans votre nourriture, dans votre coucher, dans vos paroles et vos maximes. Faites cela pour honorer la pauvreté de Jésus et de Marie. Avec la pauvreté on a lieu de pratiquer bien des vertus : lhumilité, la reconnaissance la dépendance envers les bienfaiteurs, sans flatterie cependant et sans bassesse, la mortification, la patience en supportant la privation des commodités de la vie, les rebuts, les mépris.
La charité doit être lâme de toute votre conduite. Si vous avez bien du zèle pour procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes il ny a rien que vous ne fassiez et que vous ne souffriez pour une fin si excellente. Lisez dans lImitation (III, ch. 5) le beau chapitre des Effets admirables de lamour divin, et vous saurez ce que cet amour produit dans les curs quil possède.
Labandon à la Providence, cest cette vertu qui vous fait nommer Surs de la Providence, parce que vous nêtes fondées que sur la Providence. Nous craignons plus les fondations que nous ne les désirons, parce quelles sont une tentation très dangereuse contre cette vertu. Dés quon sappuie sur quelques moyens humains on commence à perdre peu à peu la confiance en Dieu. Sans sen apercevoir, on na plus quune confiance de parole et de spéculation ; mais dans la pratique et la réalité, on se repose sur ces fondations, on sapplaudit en soi-même, on dit comme le riche de lévangile : " Je ne manquerai de rien ; jai du bien pour le reste de ma vie ". Cest ainsi que la vue du Créateur se dérobe à nous, et que nous nous dérobons à lui à mesure que nous tombons vers la créature. Cest là le sens de ce passage de lImitation, quon ne comprend guère ; on la traduit en chinois dune manière qui le rend fort sensible : " Nous tournons le dos à Dieu, dés que nous envisageons la créature ". Plus nous avons du temporel moins nous avons du spirituel ; et moins nous avons de consolations et de biens temporels, plus nous avons de consolations et de biens spirituels et surnaturels.
Pendant les premiers temps de lemprisonnement de M. Gleyo, il lui venait à lesprit des inquiétudes sur sa triste situation : comment, abandonné de tout le monde, il pourrait sortir de cette prison. Le Père éternel lui apparut environné danges, avec un visage triste, inquiet, mécontent de ce que M. Gleyo ne voulait pas mettre sa confiance en lui, et de ce quil sinquiétait pour lavenir. Et adressant la parole aux anges il leur dit : " A-t-il manqué de soins ? Oh ! Sil voulait sabandonner à moi ! ". M. Gleyo, voyant que sa méfiance causait tant de peine à Dieu, en conçut une vive douleur, et il sabandonna à lui sans réserve.
On voit par là combien notre défiance de la Providence est injurieuse à Dieu. Il apparut à M. Gleyo sous limage dun bon père, qui prend un soin si particulier de ses enfants quil ne les laisse manquer de rien, et quil les recommande aux anges qui pourvoient à leurs besoins. Cest pour cela que les anges paraissent dans cette vision comme les ministres de la Providence. Or, les Surs qui nont pas cette confiance en Dieu et cet entier abandon à la Providence ne méritent pas que Dieu et ses anges prennent soin delles ; elles ne méritent pas non plus de porter le nom de Surs de la Providence.
Pour pratiquer parfaitement cet abandon à la Providence, non seulement pour le présent, mais pour lavenir, nous ne voulons point de maison de retraite pour les vieilles Surs ; cet établissement nuirait beaucoup à ce parfait abandon. Il faut se reposer tellement sur la Providence quon ne sache pas, et même quon ne veuille pas savoir, ce qui nous arrivera dans lavenir, ni comment nous finirons notre carrière, ni de quels moyens Dieu se servira pour subvenir à nos besoins dans la suite. Nous ne devons pas nous inquiéter de tout cela. Nous devons, comme dit le livre des Actes des apôtres, jeter toutes ces sollicitudes dans le sein de Dieu, puisquil a soin de nous. Si de pareilles inquiétudes viennent dans lesprit des Surs, elles doivent les rejeter bien vite, comme des tentations dangereuses, et faire des actes de confiance en Dieu et dabandon à sa Providence, et aussi des actes de résignation, se disant à elles-mêmes : " Hé bien, soit ! Que je meure sur un fumier ou derrière une haie, ou sur le bord dun grand chemin, jen suis contente, pourvu que je meure dans la grâce de Dieu. Si les hommes me délaissent, Dieu ne me délaissera pas, et ses anges massisteront. Pour mon corps, que mimporte quil soit jeté à la voirie ou mangé par les bêtes, pourvu que mon âme ait le bonheur de voir et de posséder Dieu ".
Ainsi, mes Surs, ne vous inquiétez pas pour vous ; mais, si vous avez de la charité, inquiétez-vous plutôt pour une pauvre veuve, chargée denfants et de dettes, qui souffrirait volontiers la faim et la rigueur de la pauvreté si elle était seule, mais qui gémit de ne pouvoir donner un morceau de pain à ses enfants, qui, en lui en demandant avec des cris et des larmes, lui percent le cur de douleur.
Ce nest pas la pauvreté que vous devez craindre ; cest la propriété, cest le bien-être. Cest là ce qui perd tous les ordres qui sont tombés dans le relâchement à mesure quils se sont établis trop commodément. Rien de plus dangereux pour les filles que dêtre un peu à leur aise, car aussitôt la nature corrompue, avec tous ses vices et ses convoitises, reprend le dessus, étouffe les sentiments de la grâce ; et on voit en elles toutes les passions se ranimer : lamour-propre, la vanité, lattachement à leur corps, lenvie de plaire, la sensualité, le désir de paraître, limpureté. Ne vaut-il pas mieux être réduit à la plus grande pauvreté et vivre dans le mépris et lhumiliation en pratiquant les vertus qui y sont attachées, que dêtre exposé à tant de dangers et de tentations pour vouloir être un peu à son aise ? Pour mieux pratiquer la pauvreté et labandon à la Providence, à la fin de lannée chaque Sur remettra ce quelle aura de reste à la Surveillante
[Cette désignation de certaines religieuses nétait pas utilisée par Moye dans les débuts de sa fondation ; il la sans doute acceptée à son retour de Chine. Note de léditeur], qui fera serment de ne pas employer à son usage, ni pour ses parents, les charités quon lui donnera ; et si une Surveillante a plus quil ne lui faut pour les besoins de son quartier, elle donnera son superflu à une autre Surveillante qui manquera du nécessaire.
Je prévoyais ce qui est arrivé dès les commencements de létablissement ; cest pour ce motif que je nai pas voulu fixer le temps des communions, laissant chacun à sa conscience et au jugement du confesseur. Il sen faut de beaucoup que toutes les Surs soient en état de communier fréquemment. Il y en a bien qui ne communient souvent que pour faire comme les autres, ainsi que le dit lImitation, par coutume, par habitude, de crainte dêtre méprisées. Ce sont des pharisiennes. Cest pour moi le sujet dune grande amertume. Je fais souvent à Dieu amende honorable pour les communions indignes et sacrilèges qui ont été faites jusquici par nos Surs.
RÉGLEMENT DE LA JOURNÉE
Vous vous lèverez à cinq heures, et ensuite vous réciterez les prières en commun, dans lesquelles vous réciterez toujours les Litanies du Saint-Enfant-Jésus.
Vous ferez une lecture dans le Nouveau Testament, aussi courte que vous voudrez ; mais par respect pour lécriture sainte, cette lecture se fera toujours la première. Après quoi vous vous prosternerez, 1°, pour adorer le Saint-Esprit, qui a inspiré ce que vous venez dentendre, 2°, pour lui demander sa lumière afin de le comprendre, et sa grâce pour le mettre en pratique. Vous ferez ensuite votre méditation, au moins dune demi-heure, soit sur ce que vous aurez lu dans le Nouveau Testament, soit sur un autre sujet. Pour la manière de méditer, chacun suivra son attrait, car il y a bien des sortes doraison. Demandez au Saint-Esprit de vous faire connaître celle quil veut que vous fassiez, et de vous enseigner lui-même à la faire comme il faut. Mais persuadez-vous bien que si vous nêtes point intérieures et fidèles à loraison, vos actions extérieures auront peu de fruit et de succès, malgré les plus belles apparences. Le reste de la matinée se passera à faire lécole, à entendre la messe, et à travailler.
Vous vous recueillerez un petit quart dheure avant votre dîner, immédiatement après la classe, et vous lirez pour cela quelques versets de lImitation. Pendant et après le dîner vous converserez ensemble jusquà la classe du soir, qui sera à une heure. Vous la commencerez par la prière, aussi bien que celle du matin. À trois heures vous adorerez Jésus-Christ mourant, et à toutes les heures du jour vous ferez réciter aux enfants quelques prières. La classe finie, vous vous recueillerez encore un moment, car après sy être beaucoup occupé des autres, il est bien nécessaire de rentrer en soi-même. Si vous avez quelques visites à faire pour les malades ou pour dautres motifs de charité, vous les ferez après ce recueillement qui suivra immédiatement les classes du matin et du soir.
Vous saluerez les personnes que vous rencontrerez en disant, Loué soit Jésus-Christ ! Et on répondra, Ainsi soit-il ! À jamais ! Dans tous les siècles ! Les papes ont accordé une indulgence chaque fois quon prononce ces paroles, et une indulgence plénière à la mort pour tous ceux qui auront été dans cette sainte habitude pendant leur vie. Cest pour cela que vous tâcherez dintroduire cette pratique là où vous serez, et vous y accoutumerez vos enfants. Souvenez-vous quil est bien nécessaire de rentrer souvent en soi-même, pour se recueillir.
Au sortir de la classe du soir
[Ce paragraphe semble contredire ce qui est dit plus haut à propos des visites à faire après la classe. Il est vraisemblable quil fut écrit dans un contexte très particulier. Note de léditeur], vous conduirez vos enfants à léglise, où vous commencerez par adorer le Saint-Sacrement par lacte du catéchisme : Je vous adore, ô mon Dieu, dans ladorable sacrement de leucharistie... Et ensuite vous ferez la prière du soir, à la fin de laquelle vous répéterez les Litanies de la Sainte Vierge, auxquelles les enfants répondront, Ora pro nobis. Puis vous ferez une lecture, parce que jespère que plusieurs personnes du village y assisteront. On pourra donner aux plus petits enfants, incapables den profiter, la permission de se retirer. Enfin, vous réciterez tout haut le chapelet, ensemble et alternativement. On pourra faire en sorte que les deux écoles, de garçons et de filles, sortent à la même heure, afin de se trouver ensemble à cette prière, quon annoncera au son de la cloche.
Vous ferez avant de vous coucher un recueillement qui consistera surtout dans un examen de la journée suivi dun acte de contrition, par lequel vous demanderez à Dieu quil vous pardonne et quil répare les fautes que vous aurez commises. Ensuite vous direz le cantique de Siméon, Nunc dimittis. Vous pourrez dire les Complies pour votre prière du soir, comme fait lÉglise, si vous en avez la dévotion et la commodité.
Motifs de consolation
Il y a bien de lapparence que lorsque vous vous trouverez dans un village pauvre et inconnu comme dans une terre étrangère, lennui vous prendra. Il est à craindre que dans cet état dennui et de dégoût vous ne soyez tentées de quitter votre poste pour retourner au lieu où vous habitiez auparavant. Ce qui vous y attache, ce que vous y aimiez, ce que vous y voyiez, se présentera alors à votre esprit avec des charmes dautant plus attrayants que la solitude vous sera plus ennuyeuse.
Alors, mes pauvres Surs, songez bien que toutes les idées qui vous occuperont dans ces tristes moments ne sont que des tentations, parce que le démon, voyant combien il est important que vous persévériez, fera tout ce quil pourra pour vous faire quitter votre entreprise, car il ne craint rien tant que la persévérance. Il vous laissera tout commencer, mais il ny a pas de stratagème dont il nusera pour vous faire discontinuer votre entreprise. Il sefforcera de vous persuader quà la ville vous feriez mieux votre salut, quon y a plus de dévotion ; il vous persuadera que lorsque vous y étiez vous faisiez telle et telle bonne uvre qui valait beaucoup mieux que celle que vous faites à présent, quil ny a point de fruit à faire à la campagne. Que dautres choses encore il vous remettra sous les yeux pour vous tenter, vous décourager, et vous porter à tout abandonner, sil le peut ! Mais gardez-vous bien de succomber à la tentation.
Quand vous aurez limagination troublée, obsédée de telles idées, je vous déclare sûrement que ce ne sera que pure tentation, que vous ne devez point raisonner sur cela, mais tout remettre entre les mains de Dieu sans rien discuter ni approfondir, car ce nest pas le temps. Vous navez alors autre chose à faire quà calmer votre imagination. Et lorsque vous serez devenues tranquilles, vous verrez que toutes les raisons qui vous semblaient les plus spécieuses étaient les plus frivoles.
Voici cependant des motifs de consolation que vous pourrez méditer dans ces moments de peine et dennui :
1° Rappelez-vous que Jésus-Christ a voulu passer dans son agonie par toutes les peines intérieures de tristesse, dennui, et de crainte ; et cela, pour vous apprendre par son exemple à les supporter courageusement, en vous conformant comme lui à la volonté du Père, et en disant sans cesse avec lui : " Ô Père,... que votre volonté soit faite, et non pas la mienne ! (Lc 22, 42) ".
2° Songez bien encore que la vraie piété ne consiste pas, même quand on habite la ville, à suivre les différentes dévotions pour lesquelles on a du goût, mais à faire son devoir en faisant la volonté de Dieu, à souffrir, à se détacher de tout, à se renoncer soi-même. Or, il ny a point de position meilleure pour cela, propre à mourir à tout et à nous-mêmes, que celle dune personne qui vit à la campagne, séparée et privée de tout.
3° Jésus-Christ et sa sainte Mère ont vécu à la campagne, car Nazareth nétait quune petite ville où lon vivait à peu près comme au village, dans la même simplicité et la même pauvreté, dans les mêmes travaux et les mêmes occupations. Nest-ce pas une grande consolation pour un chrétien de mener le même genre de vie que Jésus-Christ ?
4° Pour vous accoutumer à la solitude, considérez que Jésus-Christ a passé quarante jour dans le désert, que saint Jean-Baptiste y a passé toute sa vie, quune infinité de saints ont quitté les villes pour vivre dans les forêts, dans les antres, et dans les cavernes, sur les montagnes et les rochers, séparés du commerce des hommes, ne se nourrissant que dherbes et de racines. Mais aussi, pour les récompenser, Dieu leur envoyait des anges, et les consolait lui-même par sa grâce, qui leur tenait lieu de tout. Plus on séloigne du monde, plus on est en état de sunir à Dieu et dentrer, par loraison, en un saint commerce avec lui. Si vous pensez bien tous ces motifs, vous verrez que votre demeure en un village vous deviendra, par une sainte habitude, douce et agréable, comme il est dit dans lImitation, au chapitre de lAmour de la solitude (Imitation I, ch. 20), surtout quand vous aurez surmonté les premières difficultés.
5° Rappelez-vous encore que le divin Sauveur a mené pendant trente ans une vie cachée, couvrant léclat de ses perfections sous les dehors vils et méprisants dun artisan et travaillant dans le boutique de saint Joseph. En sorte que lorsquil commença de prêcher, les Juifs, pleins de mépris pour lui, se disaient les uns aux autres : " Nest-ce pas le fils de Joseph ? Sa mère ne se nomme-t-elle pas Marie ? Ses frères et ses surs " - ses proches parents, - " ne sont-ils pas tels et tels que nous connaissons, qui demeurent avec nous ? " (Mt 13, 55-56). Oh ! quand on est touché de cette vie cachée dun Dieu, quelle consolation de limiter, darriver " à être inconnu et à ne compter pour rien " (Imitation I, ch. 2, n. 3) ! Or, cest à la campagne, cest dans un pauvre hameau surtout que lon peut mener cette vie ignorée des hommes, et qui plaît si fort à Dieu.
6° Lévangile nous représente sans cesse Jésus-Christ allant par les bourgs, les villages, et les hameaux, cest-à-dire les plus petits endroits de la campagne, prêchant et évangélisant les pauvres. Cétait même un caractère distinctif du Messie que cette qualité que lui attribue le Prophète, " dannoncer lévangile aux pauvres ". Quel bonheur pour vous dêtre appliquées aux mêmes fonctions, en instruisant les pauvres à la campagne !
Prenez bien garde aussi que ce qui est dit dans limitation ne se vérifie en vous : cest une grande folie davoir soin des autres et de se négliger soi-même. Cest un grand malheur qui arrive à des personnes zélées, mais dont le zèle nest pas pur, qui se perdent en travaillant au salut des autres. Cest de ces sortes de gens quil est dit dans lévangile : " Alors beaucoup diront, Seigneur, navons-nous pas prêché en votre nom ? Navons-nous pas fait des prodiges et des merveilles ? Je leur répondrai : je ne vous connais point ", nescio vos.
Pour éviter ce malheur il faut commencer par prendre soin de vous-mêmes. Il ne faut pas vous livrer tellement au-dehors que vous cessiez de voir ce qui se passe au-dedans de vous. Il faut que vous soyez intérieures, ayant toujours au milieu de vos occupations les yeux de lesprit fixés sur Dieu et sur vous-mêmes, discernant quel est le principe, le mouvement qui vous fait agir. Cest par ce moyen que vous éviterez la dissipation extérieure, et que vous attirerez la bénédiction de Dieu sur vos instructions, parce quétant unies à lui il vous aidera en tout. Ce nest que par son secours que nous pourrons faire du fruit. Sans la grâce vous ne ferez quun bien apparent. Alors il vous arrivera ce qui est dit au ch. 3 du livre de lImitation : Une âme pure, simple, et constante ne se dissipe pas dans les occupations extérieures, dautant quelle nagit que pour la gloire de Dieu et le salut de son âme, et quelle sait conserver la paix et le recueillement intérieur, et se défaire de la recherche de soi-même.
Défiez-vous beaucoup de vos lumières, et ne nous entêtez pas à contester contre la décision de quelque prêtre, quoi quil vous semble avoir lu et entendu ; car jai rencontré des personnes qui pensaient mavoir ouï dire ce que je navais pas dit, et dautres qui avaient très mal compris ce que javais dit. À plus forte raison, lorsquil sagit dexpliquer un passage de lécriture sainte, ou quelque autre difficulté, rapportez-vous en toujours au jugement des ecclésiastiques. Cependant, si, pour de bonnes raisons, quelquun vous semble se tromper évidemment en donnant une décision fausse, vous pourrez consulter un autre prêtre. Mais soyez persuadées que, malgré toutes les connaissances que vous pouvez avoir, il vous est très facile de vous tromper.
Extraits du Directoire des surs