Questions

sur la dispense dans l’empêchement de disparité de culte.

 

16 mars 1779.

La S. Congrégation a donné, il est vrai, d’excellentes règles concernant la dispense dans l’empêchement de disparité de culte, et les missionnaires sont tenus de les avoir toujours présentes à l’esprit et de les observer autant que possible. Mais dans une matière si difficile et sujette à se diversifier selon les circonstances, ne pourrait-on pas quelquefois se servir de l’interprétation bénigne, pour se départir de la sévérité et de la rigueur de ces règles, et incliner à des accommodements que semblent imposer les temps et les lieux, afin d’éviter de plus grands maux ? Pour mieux expliquer ma pensée, j’admets qu’il faut rigoureusement appliquer ces règles aux parents chrétiens qui contractent des fiançailles pour leurs filles avec des païens, ou qui le leurs donnent en mariage. On doit certainement refuser les sacrements à ceux qui sont dans ce cas, à moins qu’ils ne reviennent à résipiscence et réparent ce grand péché. Ainsi donc, quand il s’agit de parents chrétiens, toutes les règles tracées par la S. Congrégation sont strictement obligatoires. Mais il est des cas où 1° des jeunes filles, qui ont embrassé la religion chrétienne, restent sous l’autorité de leurs parents encore païens ; 2° il en est aussi qui, après avoir été fiancées à des païens, deviennent chrétiennes ainsi que leurs parents ; 3° et il en est qui ont été promises, même données à des infidèles par des parents chrétiens dont la foi est devenue tiède. Or, l’autorité des parents sur leurs enfants est telle, dans ces pays de Chine, que ceux-ci essaieraient en vain de résister à la volonté de leurs parents, lesquels ne songent nullement à demander la dispense, à plus forte raison, ne faut-il pas songer à obtenir d’eux d’exiger des païens l’engagement pour la liberté du baptême et de l’éducation chrétienne des enfants. Ces choses-là, disent-ils, ne sont pas bonnes à dire : po-hao xo – et il faut ajouter que les promesses des païens ne sont jamais sérieuses, et que, la plupart du temps, malgré l’engagement consenti, ils empêchent le libre exercice de la religion chrétienne. On en voit cependant qui, après avoir blasphémé les choses saintes et persécuté leurs épouses, se sont ensuite convertis à la foi. Au sujet du danger de perversion, il faut d’ailleurs faire plus attention aux dispositions de la femme qu’à l’hostilité du mari. Si la femme est forte dans la foi, quelle que soit l’animosité du mari, il y a toujours espoir ; mais si la femme est tiède et molle, le danger sera toujours très grand pour elle et ses enfants, malgré les plus belles promesses d’un mari païen. Je connais bon nombre de femmes chrétiennes qui ont plus ou moins à souffrir de leurs maris païens, et leur conduite est certainement plus parfaite que celle d’autres femmes mariées à des chrétiens. La S. Congrégation n’ignore pas qu’une fois promises à des païens, les jeunes filles ne peuvent plus éviter le mariage, et, au cas, où elles voudraient y renoncer, elles seraient enlevées de force pour être données à leurs fiancés. Or, pour écarter les funestes conséquences d’un mariage invalide, je me suis cru autorisé à accorder la dispense dans les trois cas cités plus haut, lors même que les païens n’avaient pris aucun engagement au sujet du libre exercice de la religion, lors même qu’il lui étaient opposés. Dispenso inquam in quantum possum, et nihil loquor de debito conjugali denegando, namque moraliler vel etiam physice denegari non potest, et hæc denegatio maximum odium in religionem christianam concitaret. Car Dieu veut la paix et non la discorde. Il me paraît plus sage de les laisser dans la bonne foi, car il est assez difficile de prévoir, au commencement du mariage, s’il y aura danger de perversion, ou s’il reste quelque espoir, et si je vois que ces femmes soient ferventes et ne prennent aucune part aux pratiques superstitieuses de leurs maris, que, d’autre part, elles professent en toute occasion la religion chrétienne ; dans le cas où je leur trouve une conscience droite, je vais même jusqu’à les admettre à la sainte Communion. Ainsi, j’ai vu une jeune fille qui, dans une persécution que ses propres parents avaient fomentée, a trouvé l’insigne grâce de la conversion. Elle a été donnée, par la suite, en mariage à un ardent ennemi de la religion chrétienne ; elle n’a jamais cédé ni aux menaces ni aux coups : plus son mari païen la persécute, plus elle prie avec ferveur, toujours prête à donner sa vie pour Jésus-Christ. Je ne saurais donc priver de la Communion une femme d’une si grande foi et d’une si ardente piété. J’ai cru jusqu’ici devoir accorder la dispense à celle-ci entre autres, et à celles qui se trouvaient dans le même cas. Je donne une dispense autant que je le peux ; mais, si la dispense est invalide, je compte que la bonne foi suppléera. À l’égard des femmes qui sont maîtresses d’elles-mêmes, j’agis tout autrement : je n’accorde de dispense que selon les règles tracées par la S Congrégation, et quand je ne puis réaliser toutes les conditions exigées, le mariage reste invalide, et elles ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes. Telle est donc ma manière d’agir. Si je me trompe en quelque chose, la S. Congrégation voudra bien corriger mon erreur. Dans les lieux écartés, où le missionnaire apparaît rarement, j’ai aussi pensé accorder une dispense générale, afin que les chrétiens puissent se marier avec des femmes ou des filles païennes, et les femmes chrétiennes avec des païens lorsque les conditions requises sont obtenues ; car, si on ne leur accorde point cette dispense générale, il y aura quantité de mariages invalides. Les Chinois, qui ne demandent pas même la dispense au missionnaire présent ne feront certes pas cent lieues de chemin pour aller le trouver.

16 mars 1779.

Moÿe,

Missionnaire Apostolique.

 

(Archives de la Propagande)

Portieux, volume a 24, XXXIX

 

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