DU SOIN EXTRÈME QU’ON DOIT AVOIR

DU BAPTÊME DES ENFANTS

dans le cas d’une fausse-couche

ou de la mort d’une femme enceinte

 

 

Introduction de l’éditeur

Le document qui suit fut composé, imprimé, et distribué à Metz en 1764 par les soins de Jean-Martin Moye et de Louis Jobal de Pagny. Le scandale qui s’ensuivit fut l’une des raisons qui décidèrent l’évêque de Metz à écarter Jean-Martin de la ville épiscopale et à le nommer vicaire à la paroisse de Dieuze, en janvier 1765. Les deux responsables avaient été fort impressionnés par le livre qui y est mentionné, Traité d’Embriologie sacrée, par Francesco Cangiamiglia, paru en 1745 en Sicile avec l’approbation de cet ouvrage par l’évêque de Catane, dont ils connurent vraisemblablement la doctrine par un Abrégé de l’Embriologie sacrée, sorti à Paris en 1762. Il est vraisemblable que Moye soit l’unique auteur de cette feuille, et que Jobal en ait financé la publication. Le lecteur moderne en sera peut-être aussi choqué que le furent alors les curés et les bourgeois de Metz. La théologie et la pastorale d’aujourd’hui n’acceptent plus les thèses très strictes d’autrefois sur la nécessité absolue du baptême sacramentel pour le salut des enfants qui meurent avant l’âge de raison. La doctrine des limbes des enfants, qui était généralement acceptée depuis saint Augustin, n’est plus enseignée. L’Église fait confiance à la bonté infinie de Dieu et à l’universalité du salut par le Christ pour tous ceux qui n’y opposent pas un obstacle majeur...

G.T.

 

Puisque c’est un article de foi qu’on ne peut être sauvé sans le baptême, selon ces paroles du Sauveur, " Si quelqu’un ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit il ne peut entrer dans le royaume des cieux ", chacun, pour peu qu’il ait de zèle pour le salut des âmes, doit faire son possible pour procurer le saint baptême aux enfants. Et cependant l’expérience nous apprend qu’il y en a une infinité qui périssent malheureusement sans le recevoir, et cela par la négligence et l’ignorance de ceux qui devraient veiller à cette importante affaire, comme des pasteurs, sages-femmes, pères et mères, parents et amis. Enfin, tout le monde devrait s’employer à pourvoir à cette bonne œuvre; et cependant à peine y pense-t-on, de sorte qu’il arrive tous les jours que dans des fausses couches, des pertes de sang, des enfants périssent sans ce sacrement si nécessaire, et surtout à la mort des femmes enceintes que l’on enterre avec leur fruit, au lieu de les ouvrir aussitôt après la mort pour lui donner le saint baptême. Il devrait y avoir dans chaque lieu des gens capables de faire cette opération, et à leur défaut toute personne doit s’y prêter, de quelque caractère elle puisse être, comme l’a décidé, après Van Espen, l’évêque de Catane dans son mandement de 1742.

" Si une femme enceinte meure ", dit le Rituel romain, " il faut aussitôt l’ouvrir pour en tirer le fœtus de l’enfant et le baptiser ". Et comme on ne sait pas en quel temps il est animé, car les uns disent à trente ou quarante jours, et maintenant les plus habiles médecins croient qu’il l’est à vingt, - il y a même des auteurs qui prétendent qu’il l’est aussitôt après la conception, - le parti le plus sûr serait de faire l’opération césarienne à toutes les femmes dont on a le moindre doute qu’elles soient enceintes ; et bien loin d’écouter les parents qui s’y opposeraient, on doit au contraire les forcer à y consentir en recourant au Magistrat. Il y a des évêques qui ont excommunié tous ceux qui voudraient empêcher cette œuvre de charité. On doit chercher exactement l’enfant, non seulement dans la place où il doit être naturellement, mais aussi partout ailleurs où il pourrait être, comme dans les endroits supérieurs à la matrice, et voir s’il y en a plusieurs. Il est aussi bon de savoir qu’il arrive qu’une femme accouche dans les travaux de l’agonie, et si on n’y prend garde l’enfant se trouvera étouffé dans le lit. On baptise ces sortes d’enfants par immersion, c’est-à-dire en les plongeant dans de l’eau un peu tiède. Si on doute s’il est vivant, ou si c’est un vrai embrion ou un enfant, on le baptise sous cette condition : " Si tu es capable de recevoir le baptême, je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ". Il faut que l’eau touche immédiatement l’enfant, sa tête ou sa poitrine ; ainsi on doit ôter la peau qui l’enveloppe, ou si on l’a baptisé sous cette peau ou membrane, comme on doit le faire lorsqu’il y a lieu de craindre qu’on ne fasse mourir l’enfant en l’ouvrant, il faut le rebaptiser ensuite sous condition après l’avoir ouverte ; de même si on avait baptisé dans le sein de la mère un enfant sur le bras ou sur le pied, ou avec un tuyau, ou avec la main en faisant couler l’eau sur lui, il faudrait le rebaptiser sur la tête sous condition.

On ne doit pas croire aisément que l’enfant soit mort, quoiqu’il ne donne pas signe de vie, et dans le doute on doit le baptiser sous condition. Pour distinguer si la production est un vrai embryon, ou seulement une mole ou un caillot de sang ou un faux germe, il faut le considérer avec attention, quand même le fœtus ne serait pas plus gros qu’un grain d’orge ou une fourmi. Si la membrane est d’une couleur tirant sur le blanc, semblable aux intestins, de figure ovale, et qu’elle cède à l’impression du doigt, on peut croire alors que c’est un fœtus et non une mole. Mais si ce qui est sorti du sein est une chair informe, marquetée de veines noirâtres et sanguines, et qu’elle soit rude et dure au toucher, on peut croire que ce n’est qu’une mole de chair et non un enfant, qu’on doit cependant toujours ouvrir avec précaution, car dans les fausses couches, les pertes de sang, les avortements et les opérations césariennes il faut avoir un très grand soin d’examiner avec toute l’attention possible tout ce qui sort du sein de la mère ; et il faut bien se garder de faire comme certaines sages-femmes imprudentes, qui les jettent indiscrètement sans examen ; et il y faut apporter d’autant plus de soin qu’il arrive que des femmes ont des fausses couches sans presque s’en apercevoir. J’ai été bien surpris, quand j’ai commencé à m’informer de la manière dont on se comportait dans ces fâcheuses circonstances, de voir que les premières personnes à qui je m’adressai pour cela avaient eu ce malheur, faute d’avoir été instruites sur tout cela. Je prie donc celles qui auront connaissance de cet écrit d’en faire part à toutes celles qui pourraient être dans le cas d’en faire usage. Et si quelqu’un peut avoir là-dessus une science plus étendue, il n’a qu’à voir le livre qui a pour titre, L’Embriologie sacrée. Benoît XIV l’a vu et estimé, et plusieurs évêques l’ont conseillé.

De tout cela il est aisé de conclure aussi quelles précautions les personnes enceintes sont obligées de prendre pour conserver le fruit qu’elles portent, et avec combien d’ardeur elles doivent demander à Dieu qu’il ait le bonheur de recevoir le saint baptême, et avec combien de soin elles doivent éviter tout ce qui peut lui nuire, comme des mauvais traitements, des voyages pénibles, des fardeaux pesants, les querelles, la colère, les emportements, une tristesse excessive, une nourriture nuisible, toutes sortes d’intempérances, les jeûnes trop rigoureux, car une femme enceinte, d’un bon tempérament, peut encore jeûner les deux ou trois premiers mois de sa grossesse. La saignée au pied est pernicieuse, celle du bras droit doit être faite avec prudence et en petite quantité. Saint Augustin, saint Ambroise, saint Jérôme, et les théologiens enseignent que l’usage du mariage est dangereux dans les huit premiers jours qui suivent la conception et vers la fin de la grossesse. Il serait même à souhaiter que pendant tout le temps qu’elle dure on vécût dans la continence. Tout mouvement et toutes agitations violentes sont contraires au fruit, et peuvent en procurer la destruction. Les bals, les danses, les habits trop étroits, une personne enceinte qui n’évite pas toutes ces choses avec soin, et qui se met par son imprudence en danger de nuire à son enfant pêche mortellement, et elle se rend parricide aux yeux de Dieu, puisqu’elle lui occasionne la mort corporelle et surtout la spirituelle, puisque souvent il arrive qu’il n’a pas le baptême et qu’il est perdu pour jamais, ce qui est le plus grand des malheurs.

On ne parle pas de celles qui seraient assez malheureuses pour faire périr volontairement le fruit qu’elles portent. Ce sont des monstres qui font horreur à la nature, et qui méritent la mort selon les ordonnances de nos rois. Et l’Église, pour faire voir combien elle détestait ce crime, a défendu dans le concile d’Elvire de leur donner les sacrements, même à la mort. Encore si ces malheureuses avaient soin de baptiser ou de faire baptiser ces pauvres victimes ! Mais le démon qui les porte à cet horrible attentat les étourdit au point qu’elles ne pensent point à cette chose si nécessaire. Si toute personne enceinte faisait réflexion qu’il est question d’un souverain bonheur ou d’un souverain malheur pour son enfant, il n’y a rien qu’elle ne ferait et qu’elle ne souffrirait pour lui procurer le baptême.

Comme toute personne peut baptiser en cas de nécessité, même le père ou la mère de l’enfant s’il ne s’en trouve point d’autre qui puisse le faire, tout le monde doit savoir comment on doit baptiser. Il faut,

1° verser de l’eau naturelle, et non de l’eau-de-vie, ni de l’eau de rose, ni d’autre liqueur, mais de l’eau simple, telle que Dieu l’envoie, chaude ou froide, n’importe ; il faut, dis-je, verser de l’eau sur la tête de l’enfant, de manière que cette eau touche immédiatement la peau ; et s’il y a des cheveux il faut ou les couper ou les détourner.

2° En même temps qu’on verse l’eau il faut prononcer ces paroles : " Je te baptise au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit ". Toutes ces paroles sont si nécessaires que si on en omettait une seule le baptême ne serait pas valide.

3° Il faut que la même personne qui verse l’eau prononce les paroles, car si une autre les prononçait le baptême serait encore invalide.

4° Si on doute si l’enfant est vivant on ajoute : " Si tu es vivant, je te..., etc. ". Si on doute que ce soit un monstre, on ajoute : " Si tu es homme, je te..., etc. ". Dans ce cas on doit se garder de l’étouffer, mais on doit le faire examiner par des personnes sages et éclairées qui en décident.

5° Quand un enfant a été baptisé, mais qu’on doute si le baptême a été valide, comme s’il n’avait été baptisé que sur un membre différent de la tête, ou si l’on n’était pas sûr que l’eau l’ait touché, ou qu’on n’eût pas bien prononcé les paroles, ou enfin si on avait quelqu’autre raison de douter de la validité du baptême, il faudrait le rebaptiser sous condition, en disant : " Si tu n’es pas baptisé, je te baptise au nom..., etc. ". Si dans le trouble et l’embarras on ne souvient pas de la condition particulière qu’il faut ajouter, on peut se servir d’une générale qui peut suppléer à toutes les autres, savoir : " Si tu es capable de recevoir le baptême, je te baptise au nom..., etc. ".

Quand on baptise quelqu’enfant à la naissance, les personnes qui sont présentes doivent regarder attentivement celle qui baptise, pour voir si elle ne manque à rien, ensuite dire au prêtre tout ce qui s’est passé. Et la personne qui a baptisé doit être la première à avertir si elle a manqué à quelque chose, ou si elle en doute, afin que si l’enfant vit encore on puisse réparer la faute en le baptisant sous condition.

On recommande à tous ceux qui verront cet écrit de prier pour que tous les enfants qui seront sujets aux accidents dont on a parlé aient le bonheur de recevoir le baptême, et que ceux qui l’ont reçu en conservent la grâce, et que Dieu leur procure une sainte éducation. On peut employer pour cela l’intercession de tous les enfants morts dans l’innocence baptismale, afin qu’ils obtiennent aux autres par leurs prières la grâce du baptême qui les a sauvés et le bonheur de la conserver.

FIN

 

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