AVIS AUX SURS
Introduction de léditeur
La partie du Directoire qui suit le Projet des écoles est une collection de textes authentiques et dadditions diverses dues soit à des collègues de Moye comme Raulin, soit à léditeur du premier Directoire, Puy-Pény. Cette section contient plusieurs documents qui se ressemblent, intitulés, Avis importants, p. 105-107 (10 avis) ; Avis aux Surs, p. 275-291 (23 avis) ; Autres avis pour les Surs, p. 292-310 (45 avis) ; Nouveaux avis, p. 311-319 (19 avis). Ces textes représentent bien lenseignement de Jean-Martin Moye, soit quils aient été écrits directement par lui, soit quil sagisse de notes prises par les religieuses au cours de causeries, soit quils résultent de diverses compilations. Ils sont postérieurs au retour de Chine puisquils y font allusion. Par ailleurs la dernière série se réfère à une organisation (p. 305) et donne des détails sur la réception dune postulante (p. 309-310), qui correspondent mal à la situation des écoles et des Surs avant le départ du fondateur pour la Chine. Ces listes de conseils diffèrent peu entre elles. Nous prenons les vingt-trois Avis aux Surs, avec lesquels les autres listes font double ou triple emploi. Ils semblent avoir été composés peu après le retour de Jean-Martin Moye. Nous ajoutons les Nouveaux avis, qui contiennent des souvenirs personnels et des réminiscences de Chine. Fidèle aux manuscrits des Archives de Portieux, le Directoire donne aux Nouveaux avis la date, 12 octobre 1786, date qui nest pas certaine.
G.T.
AVIS AUX SURS
Jai toujours été dans la persuasion que Dieu me rappelait en Europe pour vous corriger de vos défauts, vous purifier de vos taches, et réformer les abus qui commencent à sintroduire parmi vous. Cest apparemment ce que voulait dire ce songe où je vis votre supérieure avec un visage couvert de taches noires. En effet, japprends avec douleur que plusieurs dentre vous se sont déjà écartées des règles de notre Projet et ont déjà perdu lesprit de notre Institut, fondé sur quatre vertus essentielles, savoir, la simplicité, la pauvreté, labandon à la Providence, et la charité, comme sur quatre colonnes qui soutiennent votre société.
Javais tant parlé contre lesprit du monde, pensant vous prémunir à jamais contre cette peste ; jétais allé jusquà donner ma malédiction à celles qui voudraient lintroduire parmi vous. Et cependant il y en a déjà qui sont dégoûtées de lhabit de pauvreté et de simplicité, si nécessaire pour mettre des barrières contre la vanité et la frivolité naturelle au sexe, pour fixer linconstance et le caprice des modes, et vous apprendre à vous contenir vous-mêmes dans les bornes de la bienséance, de la modestie, et de la pudeur religieuses. Cet habit religieux, pauvre et simple, déplaît déjà à certaines frivoles et mondaines ; elles ne le portent quavec peine ; elles veulent des vêtements plus fins, plus conformes au siècle, au monde auquel elles veulent plaire.
Dautres, au lieu de se contenter dune nourriture ordinaire, sobre, et pauvre, veulent déjà être nourries délicatement ; elles se procurent du vin, des liqueurs ; elles mangent à la table de MM. les Curés, abusant ainsi de leur trop grande bonté. Jai moi-même appris avec une sorte dindignation quil y en avait qui allaient à des fêtes, des noces, des festins ou des repas séculiers ! Voilà donc deux vertus fondamentales énervées ; et si les choses vont ainsi en dépérissant, bientôt lédifice de notre société tombera. Vous perdrez lesprit de votre état ; vous deviendrez des filles mondaines, frivoles, sensuelles, orgueilleuses, vaines ; vous abandonnerez Dieu, et Dieu vous abandonnera. Il faut donc prévenir ces maux futurs, en réformant de bonne heure les abus qui commencent à sintroduire parmi vous. Il faut pour cela vous prescrire des règles et maximes.
Encore un autre abus que javais prévu et voulu prévenir. Cest la fréquentation des maisons curiales et la trop grande assiduité chez MM. les Ecclésiastiques, qui donne occasion à des méchants de mal parler, et à des esprits faibles de mal penser. Ce mal a déjà occasionné la ruine et la destruction de plusieurs écoles. Dieu veuille larrêter dans son principe.
Enfin, il y a quelques-unes de nos Surs qui, après avoir bien commencé, ont mal fini. Elles ont quitté leur état ; elles ont retourné en arrière vers le monde, contre les maximes du Sauveur, qui dit que " celui qui, ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière, nest pas propre au royaume des cieux " (Lc 9, 62).
Leur funeste exemple doit vous faire trembler, car linconstance de lhomme, et surtout de votre sexe, et les pièges du démon, qui, jalousant le bien commencé, met tout en uvre pour le détruire, peuvent vous entraîner dans le même malheur si vous nêtes en garde contre la tentation, et si Dieu ne vous affermit dans la sainte résolution que vous avez prise de persévérer jusquà la mort.
Tous ces malheurs que je viens dexposer, outre ceux que jignore encore, doivent vous humilier, vous confondre. Ce sont vos péchés qui les ont attirés. Prions Dieu quil répare le passé par sa bonté et quil pourvoie à lavenir par sa providence. Faisons aussi pour cela tout ce qui dépend de nous, chacun de son côté, moi en vous prescrivant des principes de conduite, et vous en les suivant.
Règles de conduite
1. Pour conserver la vertu de simplicité, les Surs seront exactes à garder leur habillement dans sa simplicité et grossièreté, selon que les règles le prescrivent.
2. Je trouve que votre habillement nest pas encore assez modeste ; je voudrais quil fût comme celui des Surs de la Charité, que votre corset fût sans plis, vos manches larges, votre coiffe si grande quelle vous couvrît le visage comme un voile. Les Surs auront toujours horreur de ce qui ressent tant soit peu la mondanité, la vanité, la superfluité dans leurs pensées, dans leurs paroles, dans leurs démarches, dans leur maintien, dans leurs meubles, etc.
3. Comme lhabit quon donne aux Surs est plutôt pour réprimer la vanité, fixer linconstance, prévenir les envies de plaire, que pour les distinguer, celles qui voudront conserver leur vêtement de pauvres paysannes nen seront que plus louables.
4. Pour pratiquer le détachement et la sainte vertu de pauvreté, elles préféreront toujours la dernière place à la première, une école sans revenus à une qui serait fondée. Celles qui seront dans un endroit où il y a un revenu nen vivront pas pour cela plus dans labondance ; elles shabilleront, se nourriront, se logeront, se meubleront aussi simplement que les autres. Pour couper racine à lavarice, elles donneront à la fin de lannée aux pauvres tout ce qui leur restera, sans quil en revienne rien à leurs parents, car lintention des fondateurs na pas été de soulager les parents des Surs, mais de procurer léducation de la jeunesse. Les Surs fondées seront toujours dans la disposition de quitter leur place en faveur de celles qui sont sans revenus ; et cela sexécutera ainsi, afin de prévenir lesprit de propriété et lattachement aux choses temporelles. On déplacera donc, au moins de temps en temps, les Surs rentées pour les mettre dans les endroits où il ny a point de revenus fixes. Partout les Surs ne se fondront que sur la Providence, et ne mettront pas leur confiance dans les biens périssables de ce monde.
5. Jai appris avec douleur que plusieurs dentre les Surs mangent à la table de MM. les Curés, et que cet honneur les enorgueillit, les distrait, les dissipe ; que dautres boivent du vin jusquà lexcès, jusquà scandaliser des prêtres même, qui men ont fait des plaintes, jusquà scandaliser tout un village et perdre toute confiance, de sorte quelles ne peuvent presque plus faire le bien. Il y en a qui ont déjà du vin en cave, dautres des liqueurs. Quels déplorables abus ! On les eût prévenus, ces abus détestables, si lon sen était tenu à la règle qui avait été prescrite dabord, de ne point boire de vin, excepté en cas de maladie, avec permission des Supérieures, et en très petite quantité. Est-ce que de pauvres servantes doivent boire du vin et sasseoir à la table des messieurs ? Sainte Paule, qui tirait son origine des Empereurs romains, ne voulut jamais boire de vin dans la maladie dont elle mourut, malgré les invitations et les sollicitations que saint Épiphane et saint Jérôme lui en firent. Et ce dernier, qui dirigeait des Vierges romaines de la première qualité, ne leur permettait pas de boire du vin. Vous devez souvent vous demander pourquoi vous avez embrassé votre état, si cest pour être honorée et vivre à votre aise, pour vous élever et tomber ensuite dans labîme. Souvenez-vous toujours quune de vos vertus fondamentales, cest la pauvreté ; aimez-la donc comme un trésor inestimable, pratiquez-la dans les habits, dans les meubles, dans le logement, dans la nourriture, dans le coucher, et dans tout, en un mot. Souvenez-vous que Jésus navait pas où reposer la tête. La nature aime le beau, le brillant, les habits propres ; la grâce se contente du simple, du grossier. Elle aime tout ce qui ressent la pauvreté, lhumilité ; elle se contente de peu ; elle préfère le vil, le plus chétif, au plus riche et au plus précieux. Ainsi il faut établir comme une règle ferme et stable que les Surs ne mangeront point à la table de MM. les Curés, quelles ne boiront point de café et de liqueurs, quelles se contenteront des mets grossiers dont se nourrissent les pauvres de la campagne. Quelque mal logées et nourries quelles seront, elles seront toujours beaucoup mieux que les missionnaires ne sont en Chine.
6. Elles nauront aucune assiduité dans les maisons de MM. les Curés et des habitants du village. Elles seront dune réserve, dune modestie extrême devant les Ecclésiastiques, ayant toujours les yeux baissés, sans oser les lever, pour ainsi dire, sur leurs personnes sacrées qui représentent Jésus-Christ, aimant mieux passer pour imbéciles que de faire les aimables et agréables, tentation bien délicate pour les personnes du sexe. En Chine je vis un jour en songe un ange qui exhortait une jeune personne à la sainte communion ; il y avait entre lun et lautre une distance de deux à trois pieds ; tous les deux tenaient les yeux baissés, sans se regarder. Si ce songe vient de Dieu, il métait donné pour vous apprendre avec quelle réserve il en faut agir avec les personnes dun sexe différent, même dans les choses saintes
[Le texte du Directoire ajoute ici deux phrases : " Ceci ne doit autoriser personne à croire témérairement aux songes. Il est si rare quils viennent de Dieu que lon a bien raison de sen défier ". Il est possible quelles soient du rédacteur, Puy-Pény, plutôt que de Jean-Martin Moye, qui, ayant déjà parlé dun songe prémonitoire au début de ces Avis aux Surs, aurait dû logiquement y placer cet avertissement. Note de léditeur] !
7. Les Surs doivent être intérieures, recueillies, unies à Dieu, mortes au monde et à toutes les vanités du monde, vivant dans la retraite et la solitude, dont elles ne doivent sortir que quand la charité les appelle à visiter les malades ou à exercer quelquuvre de miséricorde. Japprends avec étonnement que quelques-unes dentre elles sont dissipées, se répandent dans le monde, vont çà et là pour voir et se faire voir. Ces allées et venues sont une triste preuve que les Surs qui les aiment négligent totalement lintérieur pour se livrer au-dehors, quelles haïssent la retraite et aiment la dissipation ; et en voulant plaire au monde elles se font mépriser, car les personnes du monde même sont scandalisées de ces fréquentes sorties, de ces courses, de ces visites. Ainsi les Surs demeureront enfermées chez elles comme dans un cloître.
8. Les Surs doivent se confesser à leur Curé, afin dinspirer par cet exemple aux paroissiens la confiance envers leurs Pasteurs
[Les Avis importants comportent lavis suivant : " 9° Vous tâcherez de vous confesser tous les huit jours. Si votre confesseur nest pas dans lendroit où vous demeurez, choisissez pour laller trouver le jeudi, qui est le jour de congé " (Directoire, p.106). Les deux avis semblent peu compatibles, et correspondent à des situations différentes. Note de léditeur]. Elles doivent aussi prier beaucoup pour eux, demander au Seigneur quil bénisse leurs instructions et leur zèle, quil leur donne toutes les grâces nécessaires pour bien gouverner les âmes, et aux fidèles la docilité, la soumission à légard de leurs Pasteurs. Cependant, elles tâcheront déviter un défaut assez ordinaire au sexe, qui est attache trop humaine et une confiance trop naturelle pour leur directeur ; elles mettront toute leur confiance en Dieu, et ne regarderont leur confesseur que comme lorgane et linstrument de sa miséricorde. Elles iront se confesser et communier ; non par consolation et contentement quelconque, mais par des vues toutes surnaturelles, pour la gloire de Dieu et le bien spirituel de leurs âmes.
9. Les Surs peuvent se visiter, non pour se satisfaire, mais pour sédifier, sencourager, savertir charitablement de leurs défauts, sans contestation ni envie.
10. Elles doivent souffrir tout en silence, sans se plaindre à personne. Quelles imitent en cela cette sainte fille de la Chine qui est morte victime de son zèle et de ses travaux. Elle a essuyé toutes sortes de critiques et de rebuts ; on dit quelle est passé trois jours sans manger parce que personne ne lui donnait rien ; et elle nen a pas dit un mot, pas même à moi. Les Surs se feront un devoir indispensable daimer leurs ennemis et leurs contradicteurs, comme Notre-Seigneur a aimé les siens, de prier pour eux, comme il a prié pour les siens, den parler avantageusement, et de leur rendre tous les services qui dépendent delles. Nous avons fait cela en Chine, et nous avons eu la consolation de voir nos plus grands ennemis se convertir. Que les Surs pensent souvent à ces paroles de lImitation : " Embarrassez-vous fort peu de ce qui est pour vous ou contre vous, pourvu que Notre-Seigneur soit avec vous dans tout ce que vous faites " (Imitation II, ch. 2, n. 1).
11. Jai vu des Surs qui sinquiètent et se troublent chaque fois quon leur dit quelque chose de désagréable ou quil leur arrive quelque contrariété, au lieu den faire un bon usage, de recevoir tout avec humilité, avec patience, douceur, conformité à la volonté de Dieu, qui nous envoie ces contradictions pour nous éprouver, nous humilier, nous purifier, nous exercer. Elles samusent à y penser inutilement, à faire là-dessus mille réflexions déplacées ; elles se laissent aller à des sentiments de tristesse, dabattement et de découragement, à des plaintes, peut-être à des murmures et à de laigreur, ce qui ne peut être que leffet de lorgueil, dun amour-propre choqué et qui ne veut pas accepter lhumiliation. Il faut saccoutumer à envisager les plus petits événements dans des vues de foi, et à tout accepter avec une entière résignation et une sainte égalité dâme, sans trouble ; ou, sil sélève en nous quelquémotion, il faut lapaiser aussitôt en se renonçant, en se crucifiant. Alors, tout ce qui nous arrive tourne à la plus grande gloire de Dieu et à notre avantage, comme dit saint Paul. Quelles se souviennent de ces paroles de lImitation, quil faut " dompter la nature jusquà ce quelle soit disposée à tout accepter et à tout souffrir sans murmurer " (Imitation III, ch. 11, n. 11).
12. Pour pratiquer cette maxime de lévangile, " Si quelquun veut marcher après moi, quil se renonce lui-même " (Mt 16, 24), les Surs auront soin de veiller sur leur cur et sur les mouvements qui sélèvent en elles ; et dès quelles y verront quelque mouvement de passion de vanité, damour-propre, de sensualité, denvie, de jalousie, de désir de plaire, de rechercher lestime du monde, elles le réprimeront aussitôt et produiront par la grâce du Seigneur des actes des vertus opposées. Comme aussi, toutes les fois quelles se sentiront de la joie, de linclination ou de lempressement pour quelque chose, elles se modéreront, elles renonceront à leur propre goût, à toute satisfaction humaine et naturelle ; et au contraire elles feront tous leurs efforts pour surmonter leurs répugnances et pour faire ce à quoi la nature a le moins dinclination.
13. Le Père éternel apparaissant à notre saint confrère, M. Gleyo, lui dit : " Allez à mon Fils ; vous trouverez tout en lui et en ses mérites ". Ainsi les Surs, dans tous les événements, au lieu de sinquiéter, de se troubler, iront à Notre-Seigneur, au pied des autels ou au pied de la croix, et elles trouveront en lui des lumières, des conseils, du courage, et tout ce qui leur est nécessaire.
14. Je crois que nos Surs qui nont pas persévéré sont tombées dans les pièges du démon ; il a excité en elles quelque passion qui, prenant accroissement peu à peu, les a enfin conduites à de fâcheux excès. Cest une leçon pour vous toutes. Dès que vous éprouverez en vous quelques passions naissantes, combattez-les, vainquez-les, arrachez-en jusquà la plus petite racine. Soyez en garde contre les embûches de Satan, qui vous prépare des tentations de toute espèce : " Il vous attend pour vous cribler comme le froment " (Lc 22, 31). " Veillez donc et priez, afin que vous nentriez pas en tentation, car lesprit est prompt, mais la chair est faible " (Mt 26, 41). Priez Notre-Seigneur, sa sainte Mère, les Anges, et les Saints, de venir à votre secours dans les combats que vous aurez à soutenir ; demandez à Dieu quil terrasse le démon sous vos pieds, et quil vous donne sur lui et sur vous-mêmes une entière victoire.
15. Pour mener une vie intérieure et surnaturelle, une vie doraison et dunion à Dieu, pour employer utilement le temps, et surtout pour lexercice des vertus et des sentiments de piété, les Surs auront soin de se simplifier, cest-à-dire de se défaire de tout ce qui nest ni nécessaire ni utile, de sorte quelles sabstiendront de toutes les pensées, paroles, visites, affections, désirs, et sentiments qui ne sont daucune utilité pour la gloire de Dieu, leur sanctification et celle du prochain. Par ce renoncement elles se mettront en état de soccuper de saintes pensées, de pieuses affections, de bons désirs, et de produire sans cesse des actes de toutes les vertus, réalisant ainsi ce que dit saint Paul de lui et de ses premiers chrétiens : " Notre conversation est dans le ciel, car cest là aussi que nous attendons notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ " (Ph 3, 20). Quand elles seront ainsi avec leurs Surs, elles ne parleront que de choses spirituelles ; quand elles seront avec des gens du monde, après de ce que la bienséance exige, elles tourneront aussitôt le discours vers quelque but édifiant.
16. Comme il arrive souvent quon aime à lire beaucoup de différents livres plutôt par légèreté, inconstance, curiosité, que dans le dessein sincère den profiter, les Surs, pour ne pas tomber dans cet écueil, sen tiendront communément au Nouveau Testament et à lImitation de Jésus-Christ, quelles liront sans cesse jusquà la mort. Elles sappliqueront aux livres dinstruction concernant leur état, comme de bons catéchismes, lhistoire de la Bible, la vie des saints, les livres composés par les saints, où lon trouve lesprit de Dieu dans la vérité et dans la simplicité ; et elles éviteront les livres dont le style pourrait leur inspirer lesprit du monde et satisfaire leur curiosité et leur vanité. Enfin, elles sappliqueront plus à prier et à méditer quà lire.
17. Elles demanderont surtout à Dieu lesprit de prière et doraison, qui est lâme de la vie intérieure et surnaturelle. Dans leurs méditations, elles prieront plus de cur que de tête, cest-à-dire quelles donneront plus lieu aux affections, aux sentiments de piété, damour, de confiance, de reconnaissance, dhumilité, et de toutes les vertus, quà des réflexions vaines et stériles. Quelles se comportent de telle manière que limagination travaille peu, mais que le cur et la volonté fasse beaucoup. Quelles naillent pas se croire capables dune haute contemplation, crainte de tomber dans quelque illusion ; mais que lobjet ordinaire de leurs méditations soit la vie, la mort, et la passion de Notre-Seigneur. Elles y trouveront de quoi nourrir leur piété et lexemple de toutes les vertus à imiter. Quelles offrent sans cesse les mérites du Sauveur, de la sainte Vierge, des Anges, et des Saints, pour elles et pour tout lunivers, pour suppléer à leurs défauts, et en réparation de tous les péchés du monde. De semblables pratiques sont plus utiles que ces contemplations prétendues sublimes, dont quelques-unes se flattent très mal à propos. Puisquelles nont pas encore acquis les vertus communes, il faut quelles sexercent dans la vie purgative, sappliquant à connaître et à vaincre leurs passions, loin de simaginer quelles en sont exemptes. Une semblable imagination serait de leur part la plus damnable présomption, car elles sont remplies de défauts. Tout le monde le sait ; tout le monde le dit. Les Ecclésiastiques zélés, et même les séculiers, répètent que les Surs sont vaines et dissipées, les unes mondaines et les autres sensuelles, etc. Nous savons dans quels écarts quelques-unes sont déjà tombées. Que leurs chutes vous soient salutaires en vous faisant prévenir de semblables malheurs !
18. Vous devez savoir que tout le monde a les yeux ouverts sur vous. Vous pouvez faire du bien et du mal. Si vous vous comportez comme il faut, avec prudence, avec piété, avec modestie et réserve, ne laissant rien apercevoir dans votre maintien, vos démarches, vos paroles, qui ne soit édifiant et qui ne respire la piété, vous serez " la bonne odeur de Jésus-Christ " (2 Co 2, 15), comme dit saint Paul ; vous édifierez lÉglise, et vous porterez bien des âmes à la vertu. Mais si lon aperçoit en vous quelque chose de répréhensible, on sen scandalisera furieusement ; vous serez une " odeur de mort " (2 Co 2, 16), une " pierre de scandale " (1 P 2, 8). Comportez-vous donc avec toute la précaution possible, et vivez en tout dune manière digne de Dieu et de votre vocation.
19. Pour ce qui est de la sainte vertu de pureté, demandez souvent aux Sacrés-Curs de Jésus et de Marie quils purifient votre cur et votre âme ; veillez sur tous vos sens, et encore plus sur les affections de votre cur ; ne contractez aucune amitié avec qui que ce puisse être, et sous quelque prétexte que ce puisse être. Si vous sentez naître en vous quelque penchant pour une personne de différent sexe, étouffez-le aussitôt. Veillez sur vos regards, car souvent il y a une sensualité subtile à voir et à être vue. Exterminez aussi toute envie de plaire ; affectez un maintien et des manières sévères plutôt quun air aisé et riant, surtout devant cette sorte de personne. La parure et la vanité des habits est encore un piège dont le démon se sert pour porter à limpureté. Souvenez-vous de la parabole des vierges sages et des vierges folles. Ce nest donc pas assez de faire profession de virginité devant les hommes ; il faut avoir devant Dieu le cur chaste, les pensées saintes, les intentions droites, les affections pures ; il faut tous les jours avancer dans cette pureté intérieure qui fait la beauté de lâme, et que Dieu considère, exige, encore plus que tout le reste. " La gloire de la fille du roi ", dit lécriture, " est toute au-dedans delle-même " (Ps 44, 15), cest-à-dire dans son fond et son intérieur, dans la pureté de son cur. Pour acquérir cette pureté du cur, il faut sans cesse purifier, retrancher les affections humaines, sensuelles ou passionnées, mortifier la nature, et suivre la grâce.
20. Les Surs vivront dans un grand détachement du monde et des choses du monde, persuadées que moins elles auront de consolations humaines, plus elles seront propres à recevoir les consolations divines. Se regardant ici-bas comme des pèlerines et des étrangères, et toujours prêtes à tout quitter, et disposées à aller partout où les enverra la Providence. Si elles se conservent dans ce détachement, elles mourront avec confiance, comme dit lImitation (I, ch. 23, n. 4).
21. Pour persévérer dans cet état jusquà la mort il faut se souvenir de ce dit lImitation, que lhomme en ce monde sera toujours sujet à des vicissitudes quant au sentiment ; ce qui plaît aujourdhui nous déplaît demain ; on est tantôt tiède, tantôt fervent, tantôt triste, tantôt joyeux, quant au sentiment seulement, car au milieu de ces mouvements différents la volonté doit être toujours stable, ferme, et inébranlable. Une âme instruite et expérimentée dans les voies de Dieu ne sétonne pas de se voir ainsi sujette à tant de changements ; mais sans suivre son goût ni son dégoût, sans sinquiéter de quel côté le vent souffle, elle va toujours à Dieu, elle fait toujours son devoir, elle emplit toujours les fonctions de son état, dans les temps de peine, dennui, et de tristesse, comme dans les temps de joie, de contentement, et de prospérité, tandis que celles qui ne font le bien que quand elles y trouvent leur satisfaction et que la nouveauté le leur rend agréable, qui ne savent pas renoncer à leur goût ou surmonter leur dégoût, elles ne persévèrent pas longtemps.
22. Enfin, mes chères Surs, comme il nest que trop vrai que lon tombe peu à peu dans le relâchement, et presque sans sen apercevoir, pour vous ranimer dans la ferveur et dans lesprit de votre vocation, que vous devez préférer à tous les états du monde, je vous adresse ces paroles de saint Paul aux Ephésiens, " Renouvelez-vous dans lesprit " dans lintérieur de votre âme (Ep 4, 23), et cet autre, que Notre-Seigneur adressait lui-même à un évêque qui était tombé dans la tiédeur : " Voyez doù vous êtes tombé. Reprenez vos premières uvres. Plût à Dieu que vous fussiez froid ou chaud ! Mais parce que vous êtes tiède je vais vous vomir de ma bouche ! " (Ap 2, 5 ; 3, 15-16).
Vous savez peut-être comment je passais autrefois les vendredis. Létat dinfirmité où je suis ne me permet plus de faire ce que je faisais alors. Cependant il faut toujours conserver le même esprit et la même disposition intérieure. Je vous conseille donc de vous ranimer chaque vendredi dune manière toute particulière, de passer au pied du Crucifix un temps considérable dans la contemplation des souffrances de notre divin Sauveur. Cest là quil faut laver dans son sang les taches, les souillures, que la faiblesse humaine et le commerce du monde vous ont fait contracter. Cest là quil faut puiser, dans les plaies sacrées de Notre-Seigneur, les grâces et les vertus nécessaires pour vous sanctifier et persévérer dans votre état. Les chrétiens en Chine, surtout les Vierges, ont pour maxime et pour habitude de passer le vendredi en jeûnes, en prières, en mortification et en silence, soccupant toute la journée de la méditation de la Passion de Notre-Seigneur et de la Compassion de sa sainte Mère, et produisant des actes damour, de componction, de confiance, de reconnaissance conformes aux mystères douloureux quils méditent. Plusieurs ce jour-là portent la haire et prennent la discipline.
23. Rappelez-vous aussi le souvenir de vos Surs qui sont mortes dans la première ferveur, et qui vous attendent dans la céleste patrie. Tâchez, en les imitant, de vivre dune manière digne de Dieu et du ciel, où il plaise au Seigneur de nous réunir tous un jour, pour le voir, le bénir, le louer, ladorer, et laimer à jamais. Ainsi soit-il.
NOUVEAUX AVIS
Voilà environ vingt ans que jai écrit mon Projet pour un établissement de Surs pour les écoles chrétiennes ; et ce que jai dit et prévu est arrivé. Cest une preuve quil vient de Dieu : car ayant tant éprouvé de contradictions, il y a longtemps quil serait anéanti, si Dieu ne lavait soutenu comme son ouvrage. Cest dans cet écrit, mes pauvres Surs, que vous devez puiser lesprit de votre état. Et si vous aviez observé les maximes qui y sont contenues, vous auriez évité les abus dans lesquels, malheureusement, plusieurs dentre vous sont tombées.
Ainsi je dois encore vous répéter les mêmes maximes, et vous donner à peu près les mêmes avis, pour vous diriger dans la pratique de vos devoirs et des vertus convenables à votre état.
1. Vous demanderez souvent à Dieu les quatre vertus fondamentales de votre Institut, qui sont : la Simplicité, la Pauvreté, lAbandon à la Providence, et la Charité, et vous vous exercerez dans la pratique de ces vertus en y faisant des progrès.
Pour exercer la simplicité, vous ne chercherez pas votre gloire ni lestime du monde, mais la gloire de Dieu, votre sanctification et le salut des âmes, vivant dans loubli et le mépris des hommes. Vous ne chercherez pas vos propres intérêts, mais les intérêts de Jésus-Christ et ceux du prochain. Vous ne désirerez pas vos plaisirs, mais plutôt le bon plaisir de Dieu. Vous ne chercherez pas non plus à plaire aux hommes mais à Dieu, et vous vous étudierez à renoncer en tout à votre volonté, pour accomplir celle de Dieu.
Pour pratiquer la pauvreté, vous naurez que des habits, des meubles et une nourriture pauvres, vous servant de vaisselle de terre ou de bois, couchant sur la paille, vous nourrissant comme les pauvres gens de la campagne. Vous vivrez ainsi dans un grand détachement des biens du monde.
Pour pratiquer labandon à la Providence, vous ne demanderez pas détablissement fixe, vous demeurerez sans choix et sans attache, jetant toutes vos inquiétudes dans le sein de Dieu, prêtes à mourir sur un fumier ou derrière une haie, sil le veut.
Pour exercer la charité, vous consacrerez votre vie, vos forces, vos talents, votre santé et tout votre être à procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes, pensant souvent à ces paroles de saint Paul : " La charité de Jésus-Christ nous presse ".
2. Vous serez parfaitement soumises aux décisions de lÉglise et du Souverain Pontife, à lautorité de MM. les curés et vicaires, surtout pour ce qui retarde les exercices de la paroisse ; en un mot, vous serez soumises à toutes les puissances. Vous vous adresserez à MM. les curés pour la confession, afin dinspirer aux paroissiens par votre exemple de la confiance envers leurs pasteurs.
3. Vous communierez chacune selon vos dispositions, les unes plus souvent, les autres plus rarement, sans quil y ait une règle uniforme, parce que les dispositions sont différentes. Il faut être exempt de laffection au péché véniel pour communier tous les huit jours. La communion fréquente ne doit pas être accordée aisément à celles dentre vous qui ont vécu dune manière mondaine, ni à celles qui ont des passions quelles ne confessent pas ; car il faut purger un malade avant que de lui donner une nourriture forte, fréquente et abondante. Mais celles qui vont simplement, pauvrement, qui connaissent leur corruption et qui combattent vigoureusement leurs défauts, pourront être admises à la communion fréquente. Vous nirez pas vous confesser, ni communier par habitude, encore moins pour vous contenter, pour décharger votre cur et pour raconter vos peines ; mais vous le ferez par un principe surnaturel, pour vous humilier, et recevoir les grâces des sacrements. Vous tâcherez déviter les abus dune fausse dévotion.
4. Vous aimerez la retraite et la solitude ; vous demeurerez dans votre maison comme dans un cloître. Vous nirez point çà et là pour vous montrer et vous dissiper, pas même sous prétexte de dévotion. Vous ne mangerez chez personne, pas même chez MM. les curés, excepté en voyage ou en arrivant à votre poste ; et encore ce ne sera jamais à leur table. Vous ne fréquenterez pas les maisons curiales, vous ny ferez pas la cuisine, vous ny servirez pas à table. Car quoique MM. les Ecclésiastiques aient toute la prudence et la vertu possibles, lexpérience apprend que les Surs qui fréquentent leurs maisons, perdent peu à peu lesprit de leur état. À mesure quon les voit prendre du goût pour toute autre chose, on les voit devenir vaines et sensuelles ; elles perdent la confiance des pères et mères ; elles passent pour des rapporteuses, et donnent lieu à la malignité de former des soupçons et de faire des critiques déplacées. Au lieu que tout le monde est édifié de voir une Sur rester chez elle, comme les Religieuses dans leurs monastères. Cest ainsi quen évitant jusquà lapparence du mal, vous fermerez la bouche aux méchants par votre conduite irréprochable, et que vous serez la bonne odeur de Jésus-Christ par votre patience, votre prudence, votre humilité, votre charité, en un mot, par la pratique de toutes les vertus chrétiennes.
5. Quand vous vous visiterez les unes les autres que ce soit toujours pour vous édifier et vous encourager mutuellement dans la pratique de vos devoirs et des vertus de votre état, et non pour raconter vos peines et faire des plaintes. Vous vous avertirez charitablement de vos défauts. Vous serez soumises à vos Supérieures, qui pourront vous placer et vous déplacer selon que la Providence lexigera.
6. Vous fuirez les liaisons et les amitiés sensuelles avec les personnes dun autre sexe comme une peste. Vous ne laisserez entrer aucun homme ni garçon dans vos écoles. Vous serez en garde contre la nature, même à légard des petits garçons au-dessous de sept ans que vous pourriez instruire. Pour prévenir les abus de loin, vous nembrasserez personne, pas même vos consurs ni les enfants.
7. Il est bon de faire changer souvent de situation aux enfants, en les faisant lever ou mettre à genoux pour réciter des prières. Il faut renouveler souvent lair, en ouvrant les fenêtres. Dans les écoles nombreuses, il y aura toujours deux enfants qui réciteront le chapelet devant une image de la sainte Vierge.
8. Dans les événements fâcheux, vous ne vous troublerez pas, mais vous aurez aussitôt recours à Dieu ; vous irez à Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement ou à la croix. Vous ne vous plaindrez jamais des personnes qui parlent mal de vous ou qui vous font du mal, au contraire, vous en direz du bien, et vous prierez pour elles, vous offrirez pour leur salut les peines qui vous arrivent de leur part. Loin de murmurer dans vos disgrâces, vous bénirez Dieu, vous adorerez la Providence dans tout ce qui pourra vous arriver. Vous adorerez la Providence en tout, persuadées que rien narrive sans sa participation ou sans son ordre. Vous serez contentes de tout, et tirerez avantage de tout. Loin de désirer les avantages temporels et les applaudissements des hommes, vous les craindrez, et vous nattendrez votre récompense que de Dieu.
9. Vous ferez tous les ans, autant quil sera possible, une retraite dans la maison du noviciat, sans éclat, sans prédicateur, dans lobscurité et le silence, sous la direction de la Supérieure, qui aura soin de vous faire lire, pendant cette retraite, tous les règlements, les avis qui vous ont été donnés, afin de vous renouveler dans lesprit de votre état.
10. Vous prendrez le vendredi, pour vous recueillir tout en Dieu et vous purifier des fautes de la semaine, par la méditation de la Passion de Notre-Seigneur que vous lirez dans lévangile, à genoux et les bras en croix. Ce jour-là, vous jeûnerez et ferez des mortifications particulières en prenant la discipline, en portant des instruments de pénitence. Vous irez à léglise à trois heures pour adorer Jésus mourant, et vous réciterez le chapelet de la Passion, les bras en croix.
Vous irez ensuite devant une croix réciter cinq Pater et cinq Ave, en lhonneur des cinq plaies de Notre-Seigneur, pour la conversion des pécheurs. Vous gagnerez ainsi des indulgences. Vous parlerez de la Passion aux enfants, leur apprenant à pratiquer quelques petites mortifications ce jour-là, pour honorer la mort du Sauveur. En un mot, vous passerez toute la journée du vendredi dans le silence, un grand recueillement, un grand esprit de componction, vous unissant à la sainte Vierge et aux Saints, pour compatir aux souffrances de Jésus-Christ, jetant souvent les yeux sur un crucifix et offrant les mérites infinis du Rédempteur à Dieu son Père, afin dobtenir toutes les grâces du salut pour vous et pour vos enfants et pour tous les hommes. Vous vous priverez aussi, ce jour-là surtout, de toute parole vaine et inutile.
11. Quand on parlera mal de vous ou quil vous arrivera quelque tribulation, vous tournerez votre sensibilité sur les souffrances de Jésus-Christ, pensant que ce divin Sauveur en a bien enduré davantage, en tout genre de peines tant intérieures quextérieures. Loin de vous attendre à des plaisirs et à des satisfactions, vous vous préparerez à toutes sortes de croix et de tribulations qui vous sont préparées et qui vous attendent partout. Vous les envisagerez comme des grâces et des faveurs. Quand on paiera vos soins et vos bienfaits par des ingratitudes, des plaintes, des murmures, souvenez-vous que Jésus-Christ na reçu que de lingratitude pour ses bienfaits, de la haine pour sa charité, du mépris et des censures pour sa doctrine, et des blasphèmes pour ses miracles.
12. Vous vous conserverez dans un grand détachement de votre pays et de vos parents, selon ce que dit lImitation, que si nous voulons vaquer facilement à Dieu et jouir de la grâce de la dévotion il faut nous tenir " éloignés de nos proches et de nos amis " (Imitation III, ch. 53, n. 7). Presque toutes les fois que vous allez chez vos parents, vous en revenez moins ferventes, moins zélées pour les devoirs de votre état. Vous ne devez y aller que très rarement, par nécessité, et toujours avec la permission de vos Supérieurs. La première chose que vous devez faire en arrivant dans votre lieu natal, cest de penser aux péchés que vous y avez commis, et de tâcher de les expier par les larmes de la pénitence, et de réparer, par des exemples et des discours édifiants, les scandales que vous avez donnés. En sortant, vous devez secouer la poussière de vos pieds, en vous purifiant de toutes les affections charnelles, humaines et corrompues que vous avez pu contracter pendant ce séjour que vous y avez fait.
13. Vous ne serez pas intrigantes, ni curieuses, ni causeuses. Vous nécouterez pas les plaintes et les rapports que les femmes et les filles viendront vous faire pour vous tenter, pour vous faire entrer dans leurs sentiments, leurs passions, leurs vengeances, leurs médisances, leurs envies, leurs jalousies, pour vous rendre ainsi complices de leurs péchés. Vous les empêcherez, au contraire, de se laisser aller à ces plaintes, ces murmures et êtes discours déplacés. Vous ne vous mêlerez que de ce qui vous concerne, et vous ne prendrez pas parti pour les uns contre les autres ; mais vous tâcherez de faire régner partout, la paix et la charité.
14. Comme vous serez, dans cette vie, sujettes à mille vicissitudes, tantôt bien, tantôt mal, passant continuellement dun état à un autre, au milieu de ces changements et de ces différentes situations vous serez toujours égales à vous-mêmes, sans trop vous laisser aller à la joie, ni à la tristesse. Vous demeurerez toujours fermes, constantes dans vos résolutions, fidèles à laccomplissement de vos devoirs, malgré les ennuis et les dégoûts qui pourront vous survenir. Vous marcherez toujours dun pas égal dans la voie de la perfection, sans vous inquiéter de quel côté le vent souffle. Vous tendrez toujours à votre fin. Méditez bien ces paroles de saint Paul aux Philippiens : " Jai appris à me contenter de ce que jai ; je sais porter labondance et souffrir la pauvreté " (Ph 4, 12). Vous vous réjouirez plutôt quand vous manquerez du nécessaire que quand vous laurez copieusement, vous rappelant lexemple du même Apôtre qui, décrivant ses travaux, disait quil servait Dieu dans la faim, la soif, le froid, la nudité, dans la bonne et la mauvaise réputation, passant pour un séducteur, quoiquil fût sincère et véritable.
15. En enseignant, surtout sur les dogmes et sur les mystères, vous ne direz rien de vous-mêmes, mais seulement ce que vous aurez lu dans les livres approuvés par lÉglise. Vous nexagérerez point les matières, en traitant de mortel ce qui nest que véniel, car cette exagération formerait de fausses consciences aux enfants, et ferait quils pécheraient en commettant des péchés véniels quils croiraient mortels.
16. Vous prendrez garde aussi, en enseignant, de ne pas affecter un air dorgueil et de suffisance quon appelle ordinairement un air de petit-maître, qui ne serait propre quà inspirer aux enfants du mépris pour les vérités de la religion ; mais vous leur parlerez de Dieu et des choses du salut dune manière respectueuse, dun ton grave et modeste, qui marque un cur touché et pénétré. Cest ainsi que vous ferez passer dans le cur des enfants les sentiments de piété et de religion dont vous devez être remplies les premières.
17. Ainsi quil arrive trop souvent, selon les maximes du monde et les principes de la nature corrompue, on nen veut que pour soi, et on est indifférent pour les autres ; vous inspirerez aux enfants des sentiments tout contraires. Vous leur apprendrez dabord à aimer Dieu plus queux-mêmes, et à être toujours disposés à tout faire, tout souffrir, tout sacrifier pour les intérêts de sa gloire ; ensuite à aimer le prochain comme eux-mêmes, à se réjouir des avantages des autres, à prendre part à leurs peines, et même à se dépouiller pour les enrichir ; à ne pas chercher leur bonheur ici-bas, mais dans le ciel ; à ne pas mettre leur fin dernière dans la créature, mais dans Dieu seul ; à ne pas sattendre à des joies et à des plaisirs en ce monde, mais plutôt à des croix et à des tribulations sur le chemin du ciel.
18. Comme les filles, et surtout les jeunes, éprouvent une grande honte de déclarer leurs péchés au tribunal de la pénitence, et surtout les péchés dimpureté, vous aurez grand soin de leur montrer la nécessité de les découvrir tous, et vous leur inspirerez une grande confiance pour saccuser sincèrement, sans cacher ni déguiser aucun péché mortel. Vous leur apprendrez encore avec plus de soin comment il faut se préparer à la sainte communion. Vous les conduirez tous les jours à la messe, et après-midi à ladoration du Saint-Sacrement. Dans les hameaux où il ny a pas déglise, vous apprendrez aux enfants comment il faut sunir au prêtre qui célèbre, pour offrir le saint sacrifice et pour entendre la messe spirituellement, et vous les ferez se prosterner vers léglise où le Saint-Sacrement est conservé pour ladorer.
19. Vous aurez toujours devant les yeux la vie, la mort et la passion de Jésus-Christ, ainsi que les exemples de la sainte Vierge et des Saints, et vous ferez tout votre possible pour les imiter. Dans toutes les circonstances de votre vie, vous jetterez les yeux sur Jésus et Marie. Vous vous étudierez à les imiter dans lintérieur, en prenant les sentiments et lesprit de Jésus et de Marie ; et dans lextérieur, en imitant les vertus et les actions de Jésus et de Marie, et en prenant part à la compassion de Marie. Vous penserez à ce qui est arrivé à Jésus et à Marie, à ce quils ont souffert, et vous vous étudierez à les imiter en tout. Ainsi soit-il.
Précautions que les Surs doivent prendre pour conserver la Chasteté
Ce nest pas assez dêtre vierge de corps, il faut lêtre desprit et de cur. Il y a des vierges folles, comme Jésus-Christ nous lapprend dans lévangile ; elles font profession de garder le célibat devant les hommes, et elles sont corrompues devant Dieu par les affections de leurs pensées et de leurs désirs. Ce nest pas assez déviter le vice extérieur, les péchés grossiers dont les filles mondaines même ont horreur ; mais lessentiel de la chasteté est de préserver son cur de toute affection profane, déréglée, sensuelle, humaine et naturelle, pour toutes les personnes dun autre sexe, quelles quelles puissent être.
Voici donc en quoi consiste la vraie chasteté : à prendre Jésus Christ pour époux et à lui consacrer votre cur avec toutes ses affections, et cela sans réserve, de sorte quil possède lui seul toute votre tendresse, sans quaucune créature la partage avec lui. Une épouse peut et doit avoir un amour naturel pour son mari, et une mère de la tendresse pour ses enfants ; mais une vierge doit toutes ses affections à Jésus-Christ. Je pense souvent aux paroles de saint Paul : " Je vous ai vouée, comme une vierge pure, à lunique époux Jésus-Christ ". Voilà lunique objet de mes désirs : que vous soyez de dignes épouses de Jésus-Christ ; que vous vouliez naimer que lui et ne chercher à plaire quà lui ; que votre cur lui soit dévoué avec toutes ses affections et ses inclinations, de sorte que quand vous sentez naître en vous la moindre inclination naturelle pour quelque personne que ce soit, vous larrachiez à linstant de votre cur. Mais, hélas ! jai vu des Surs qui conservaient, qui nourrissaient, qui fomentaient ces malheureuses inclinations pour des personnes dun autre sexe ; au lieu de sen éloigner elles sen approchaient, même devant moi. Que font-elles donc en mon absence ? La sainte Vierge tremblait devant un ange, parce quil avait la figure dun homme. Tremblez donc devant un homme, quand même il aurait la figure dun ange. Ce nest que par ces précautions extrêmes que vous vous conserverez pures de corps et desprit. Veillez sur vos regards.
Je voudrais que vous neussiez aucune liaison, aucun rapport, aucune conversation avec les hommes, pas même avec les Ecclésiastiques, quand cela nest pas absolument nécessaire. Cest pourquoi je voudrais que vous fissiez tout par vous-mêmes, comme on fait dans les autres communautés ; que vous-mêmes vous instruisissiez les novices et leur apprissiez à lire, à écrire, etc., de manière à pouvoir vous passer de maîtres étrangers, car il y a toujours à craindre dêtre dans la proximité des personnes dun autre sexe. Si la nature sy plaît, cest parce que la passion, une passion subtile sy trouve cachée, prête à insinuer son poison pour corrompre le cur, amollir la vertu, souiller lâme et répandre sur lentendement dépaisses ténèbres. Elle ôte ainsi la sainte liberté, en resserrant chaque jour les liens de ces dangereuses et pernicieuses attaches, quon a tant de peine à rompre dans la suite, qui engendrent enfin les scandales, les soupçons et tous les maux qui viennent de ces entrevues entre personnes de différent sexe. LÉglise, pour y remédier, a défendu, sous peine dexcommunication, même aux religieux, de converser hors de certains temps avec les personnes consacrées à Dieu. Ainsi prévenez les maux à venir par une sage précaution.
Le vu fixe la volonté, et rend la vertu plus méritoire ; mais il faut le faire avec prudence et après avoir pris conseil, surtout quand on doit le faire pour toute la vie. Alors il ny a que le Pape qui puisse en dispenser. Japprouve que vous fassiez vu de chasteté pour un an. Mais si après votre vu vous péchiez contre la chasteté, votre péché serait plus grief, et ce serait un péché dune autre espèce. Outre le péché contre la chasteté vous en commettriez un contre la religion, en profanant par des actions impures, ou des pensées, ou des désirs déshonnêtes, votre corps, votre âme, que vous avez consacrés à Dieu par le vu.
Exhortation à la dévotion envers la Passion de Notre-Seigneur et à diverses pratiques de piété
Les enfants doivent prendre lesprit de leur père. Lesprit que je voudrais vous inspirer surtout, cest celui de Jésus-Christ, avec une grande dévotion pour sa douloureuse Passion. Cette dévotion est une des plus grandes grâces que Dieu mait faites dans ma vie. Cest en cela que vous devez mimiter, et non dans mes défauts, car jen suis rempli. Comme cest dans les jeûnes et les humiliations que Dieu se communique à nous, jai toujours senti dans mes plus grandes tribulations une force et une vertu surnaturelles ; les dons de Dieu augmentaient alors sensiblement en moi, tout indigne que jen fusse. Je me rappelle que durant les séjours que je fis à Dieuze et à Saint-Dié, et depuis, jusquà mon arrivée en Chine, jétais si touché des souffrances de Notre-Seigneur, les vendredis surtout, que dès mon réveil jétais pénétré dun de ses mystères douloureux, ou dune circonstance particulière de sa Passion, et que ce souvenir simprimait si fortement dans mon esprit, quil y durait toute la journée, et longtemps âpres. Il en résultait que je nosais prendre aucun plaisir ni aucun soulagement naturel, ni boire, ni manger, ni me chauffer, ni masseoir, jusquà trois heures après-midi, où le Seigneur est mort, parce que la vue de ses souffrances était toujours présente à mon esprit.
Je passais tout ce temps en prière, ou à léglise, ou devant une croix ; je passais ainsi au moins une heure, les bras étendus. Je me rappelle que je fus extrêmement frappé de ces paroles de saint Paul : " Sortons du camp et allons à Jésus-Christ ; portons les opprobres et les ignominies de sa croix ". Je crus que Dieu minspirait, pour avoir plus de part aux ignominies du Sauveur, daller hors de la ville, dans un lieu public, sur un grand chemin, prier devant une croix, y passer au moins une heure, à la vue du monde, au risque de passer pour un insensé ; et je le fis. Je continuai aussi de le faire à Moussey, à Gondrexange, à Saint-Dié.
Je jeûnais toute la journée, ne prenant, le soir, que du pain et de leau. Je ne vous oblige pas à tout cela ; mais au moins faites ce que vous pouvez. Passez le vendredi dans la retraite et la mortification. Faites vous-mêmes et faites faire dans vos écoles quelque exercice de piété en lhonneur de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Inspirez cette dévotion à vos enfants et à tout le monde. Je me rappelle que mon père versait des larmes quand il lisait la passion de Jésus-Christ, et quil jeûnait tous les vendredis. Nos chrétiens de la Chine prient les bras étendus, sabstiennent de vin et de tabac, et je voulais quils sabstinssent aussi de rire et de parler inutilement en ce jour. Si vous voulez mimiter dans une bonne chose, cest dans la dévotion envers Jésus et Marie que jai toujours devant les yeux, dans le cur et dans la bouche. Jai encore une dévotion sensible pour le Saint-Sacrement, pour les Saints que jinvoque très souvent, tant en général quen particulier.
Imitez-moi dans labandon à la divine Providence. Il y a longtemps que jen fais mon étude, et je men trouve bien. Je vois que cette divine Providence conduit tous mes pas, règle toutes mes démarches, et que tout va mal si, en agissant de moi-même, je mécarte un moment de ses voies.
Imitez-moi encore, si vous voulez, dans une sainte pratique, qui est doffrir sans cesse à Dieu les mérites, les actions, les sentiments, les vertus de Jésus et de Marie, des Anges et des Saints, et, les dimanches, de rapporter toutes ces offrandes à la sainte Trinité. Je vous ai toujours recommandé daimer vos ennemis, vos contradicteurs, de prier sincèrement pour eux, den dire du bien, de ne conserver dans votre cur aucun ressentiment contre eux. Voici encore une pratique à ce sujet. Quand une personne ma fait quelque peine, je loffre à Dieu pour son salut ; et quand je sens que mon cur éprouve quelque répugnance pour aimer mes adversaires et mes contradicteurs, je prie Dieu de ne pas regarder la méchanceté de mon cur, mais plutôt la bonté et la charité de Jésus et de Marie, lui protestant que je veux aimer mes ennemis comme Jésus et Marie ont aimé leurs ennemis ; que je veux prier pour mes ennemis, comme Jésus et Marie ont prié pour leurs ennemis ; que je leur veux du bien, comme Jésus et Marie en ont voulu, en ont procuré, à ceux qui les haïssaient et les persécutaient ; que je pardonne à mes ennemis comme Jésus a pardonné à ses bourreaux, et comme Marie a pardonné aux bourreaux de Jésus ; et que je suis prêt à donner ma vie pour ceux qui me veulent ou me font du mal, comme Jésus a donné la sienne pour ceux qui le crucifiaient.
Extraits du Directoire des surs