AVIS AUX SŒURS

 

Introduction de l’éditeur

La partie du Directoire qui suit le Projet des écoles est une collection de textes authentiques et d’additions diverses dues soit à des collègues de Moye comme Raulin, soit à l’éditeur du premier Directoire, Puy-Pény. Cette section contient plusieurs documents qui se ressemblent, intitulés, Avis importants, p. 105-107 (10 avis) ; Avis aux Sœurs, p. 275-291 (23 avis) ; Autres avis pour les Sœurs, p. 292-310 (45 avis) ; Nouveaux avis, p. 311-319 (19 avis). Ces textes représentent bien l’enseignement de Jean-Martin Moye, soit qu’ils aient été écrits directement par lui, soit qu’il s’agisse de notes prises par les religieuses au cours de causeries, soit qu’ils résultent de diverses compilations. Ils sont postérieurs au retour de Chine puisqu’ils y font allusion. Par ailleurs la dernière série se réfère à une organisation (p. 305) et donne des détails sur la réception d’une postulante (p. 309-310), qui correspondent mal à la situation des écoles et des Sœurs avant le départ du fondateur pour la Chine. Ces listes de conseils diffèrent peu entre elles. Nous prenons les vingt-trois Avis aux Sœurs, avec lesquels les autres listes font double ou triple emploi. Ils semblent avoir été composés peu après le retour de Jean-Martin Moye. Nous ajoutons les Nouveaux avis, qui contiennent des souvenirs personnels et des réminiscences de Chine. Fidèle aux manuscrits des Archives de Portieux, le Directoire donne aux Nouveaux avis la date, 12 octobre 1786, date qui n’est pas certaine.

G.T.

 

AVIS AUX SŒURS

 

J’ai toujours été dans la persuasion que Dieu me rappelait en Europe pour vous corriger de vos défauts, vous purifier de vos taches, et réformer les abus qui commencent à s’introduire parmi vous. C’est apparemment ce que voulait dire ce songe où je vis votre supérieure avec un visage couvert de taches noires. En effet, j’apprends avec douleur que plusieurs d’entre vous se sont déjà écartées des règles de notre Projet et ont déjà perdu l’esprit de notre Institut, fondé sur quatre vertus essentielles, savoir, la simplicité, la pauvreté, l’abandon à la Providence, et la charité, comme sur quatre colonnes qui soutiennent votre société.

J’avais tant parlé contre l’esprit du monde, pensant vous prémunir à jamais contre cette peste ; j’étais allé jusqu’à donner ma malédiction à celles qui voudraient l’introduire parmi vous. Et cependant il y en a déjà qui sont dégoûtées de l’habit de pauvreté et de simplicité, si nécessaire pour mettre des barrières contre la vanité et la frivolité naturelle au sexe, pour fixer l’inconstance et le caprice des modes, et vous apprendre à vous contenir vous-mêmes dans les bornes de la bienséance, de la modestie, et de la pudeur religieuses. Cet habit religieux, pauvre et simple, déplaît déjà à certaines frivoles et mondaines ; elles ne le portent qu’avec peine ; elles veulent des vêtements plus fins, plus conformes au siècle, au monde auquel elles veulent plaire.

D’autres, au lieu de se contenter d’une nourriture ordinaire, sobre, et pauvre, veulent déjà être nourries délicatement ; elles se procurent du vin, des liqueurs ; elles mangent à la table de MM. les Curés, abusant ainsi de leur trop grande bonté. J’ai moi-même appris avec une sorte d’indignation qu’il y en avait qui allaient à des fêtes, des noces, des festins ou des repas séculiers ! Voilà donc deux vertus fondamentales énervées ; et si les choses vont ainsi en dépérissant, bientôt l’édifice de notre société tombera. Vous perdrez l’esprit de votre état ; vous deviendrez des filles mondaines, frivoles, sensuelles, orgueilleuses, vaines ; vous abandonnerez Dieu, et Dieu vous abandonnera. Il faut donc prévenir ces maux futurs, en réformant de bonne heure les abus qui commencent à s’introduire parmi vous. Il faut pour cela vous prescrire des règles et maximes.

Encore un autre abus que j’avais prévu et voulu prévenir. C’est la fréquentation des maisons curiales et la trop grande assiduité chez MM. les Ecclésiastiques, qui donne occasion à des méchants de mal parler, et à des esprits faibles de mal penser. Ce mal a déjà occasionné la ruine et la destruction de plusieurs écoles. Dieu veuille l’arrêter dans son principe.

Enfin, il y a quelques-unes de nos Sœurs qui, après avoir bien commencé, ont mal fini. Elles ont quitté leur état ; elles ont retourné en arrière vers le monde, contre les maximes du Sauveur, qui dit que " celui qui, ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière, n’est pas propre au royaume des cieux " (Lc 9, 62).

Leur funeste exemple doit vous faire trembler, car l’inconstance de l’homme, et surtout de votre sexe, et les pièges du démon, qui, jalousant le bien commencé, met tout en œuvre pour le détruire, peuvent vous entraîner dans le même malheur si vous n’êtes en garde contre la tentation, et si Dieu ne vous affermit dans la sainte résolution que vous avez prise de persévérer jusqu’à la mort.

Tous ces malheurs que je viens d’exposer, outre ceux que j’ignore encore, doivent vous humilier, vous confondre. Ce sont vos péchés qui les ont attirés. Prions Dieu qu’il répare le passé par sa bonté et qu’il pourvoie à l’avenir par sa providence. Faisons aussi pour cela tout ce qui dépend de nous, chacun de son côté, moi en vous prescrivant des principes de conduite, et vous en les suivant.

 

Règles de conduite

 

1. Pour conserver la vertu de simplicité, les Sœurs seront exactes à garder leur habillement dans sa simplicité et grossièreté, selon que les règles le prescrivent.

2. Je trouve que votre habillement n’est pas encore assez modeste ; je voudrais qu’il fût comme celui des Sœurs de la Charité, que votre corset fût sans plis, vos manches larges, votre coiffe si grande qu’elle vous couvrît le visage comme un voile. Les Sœurs auront toujours horreur de ce qui ressent tant soit peu la mondanité, la vanité, la superfluité dans leurs pensées, dans leurs paroles, dans leurs démarches, dans leur maintien, dans leurs meubles, etc.

3. Comme l’habit qu’on donne aux Sœurs est plutôt pour réprimer la vanité, fixer l’inconstance, prévenir les envies de plaire, que pour les distinguer, celles qui voudront conserver leur vêtement de pauvres paysannes n’en seront que plus louables.

4. Pour pratiquer le détachement et la sainte vertu de pauvreté, elles préféreront toujours la dernière place à la première, une école sans revenus à une qui serait fondée. Celles qui seront dans un endroit où il y a un revenu n’en vivront pas pour cela plus dans l’abondance ; elles s’habilleront, se nourriront, se logeront, se meubleront aussi simplement que les autres. Pour couper racine à l’avarice, elles donneront à la fin de l’année aux pauvres tout ce qui leur restera, sans qu’il en revienne rien à leurs parents, car l’intention des fondateurs n’a pas été de soulager les parents des Sœurs, mais de procurer l’éducation de la jeunesse. Les Sœurs fondées seront toujours dans la disposition de quitter leur place en faveur de celles qui sont sans revenus ; et cela s’exécutera ainsi, afin de prévenir l’esprit de propriété et l’attachement aux choses temporelles. On déplacera donc, au moins de temps en temps, les Sœurs rentées pour les mettre dans les endroits où il n’y a point de revenus fixes. Partout les Sœurs ne se fondront que sur la Providence, et ne mettront pas leur confiance dans les biens périssables de ce monde.

5. J’ai appris avec douleur que plusieurs d’entre les Sœurs mangent à la table de MM. les Curés, et que cet honneur les enorgueillit, les distrait, les dissipe ; que d’autres boivent du vin jusqu’à l’excès, jusqu’à scandaliser des prêtres même, qui m’en ont fait des plaintes, jusqu’à scandaliser tout un village et perdre toute confiance, de sorte qu’elles ne peuvent presque plus faire le bien. Il y en a qui ont déjà du vin en cave, d’autres des liqueurs. Quels déplorables abus ! On les eût prévenus, ces abus détestables, si l’on s’en était tenu à la règle qui avait été prescrite d’abord, de ne point boire de vin, excepté en cas de maladie, avec permission des Supérieures, et en très petite quantité. Est-ce que de pauvres servantes doivent boire du vin et s’asseoir à la table des messieurs ? Sainte Paule, qui tirait son origine des Empereurs romains, ne voulut jamais boire de vin dans la maladie dont elle mourut, malgré les invitations et les sollicitations que saint Épiphane et saint Jérôme lui en firent. Et ce dernier, qui dirigeait des Vierges romaines de la première qualité, ne leur permettait pas de boire du vin. Vous devez souvent vous demander pourquoi vous avez embrassé votre état, si c’est pour être honorée et vivre à votre aise, pour vous élever et tomber ensuite dans l’abîme. Souvenez-vous toujours qu’une de vos vertus fondamentales, c’est la pauvreté ; aimez-la donc comme un trésor inestimable, pratiquez-la dans les habits, dans les meubles, dans le logement, dans la nourriture, dans le coucher, et dans tout, en un mot. Souvenez-vous que Jésus n’avait pas où reposer la tête. La nature aime le beau, le brillant, les habits propres ; la grâce se contente du simple, du grossier. Elle aime tout ce qui ressent la pauvreté, l’humilité ; elle se contente de peu ; elle préfère le vil, le plus chétif, au plus riche et au plus précieux. Ainsi il faut établir comme une règle ferme et stable que les Sœurs ne mangeront point à la table de MM. les Curés, qu’elles ne boiront point de café et de liqueurs, qu’elles se contenteront des mets grossiers dont se nourrissent les pauvres de la campagne. Quelque mal logées et nourries qu’elles seront, elles seront toujours beaucoup mieux que les missionnaires ne sont en Chine.

6. Elles n’auront aucune assiduité dans les maisons de MM. les Curés et des habitants du village. Elles seront d’une réserve, d’une modestie extrême devant les Ecclésiastiques, ayant toujours les yeux baissés, sans oser les lever, pour ainsi dire, sur leurs personnes sacrées qui représentent Jésus-Christ, aimant mieux passer pour imbéciles que de faire les aimables et agréables, tentation bien délicate pour les personnes du sexe. En Chine je vis un jour en songe un ange qui exhortait une jeune personne à la sainte communion ; il y avait entre l’un et l’autre une distance de deux à trois pieds ; tous les deux tenaient les yeux baissés, sans se regarder. Si ce songe vient de Dieu, il m’était donné pour vous apprendre avec quelle réserve il en faut agir avec les personnes d’un sexe différent, même dans les choses saintes [Le texte du Directoire ajoute ici deux phrases : " Ceci ne doit autoriser personne à croire témérairement aux songes. Il est si rare qu’ils viennent de Dieu que l’on a bien raison de s’en défier ". Il est possible qu’elles soient du rédacteur, Puy-Pény, plutôt que de Jean-Martin Moye, qui, ayant déjà parlé d’un songe prémonitoire au début de ces Avis aux Sœurs, aurait dû logiquement y placer cet avertissement. Note de l’éditeur] !

7. Les Sœurs doivent être intérieures, recueillies, unies à Dieu, mortes au monde et à toutes les vanités du monde, vivant dans la retraite et la solitude, dont elles ne doivent sortir que quand la charité les appelle à visiter les malades ou à exercer quelqu’œuvre de miséricorde. J’apprends avec étonnement que quelques-unes d’entre elles sont dissipées, se répandent dans le monde, vont çà et là pour voir et se faire voir. Ces allées et venues sont une triste preuve que les Sœurs qui les aiment négligent totalement l’intérieur pour se livrer au-dehors, qu’elles haïssent la retraite et aiment la dissipation ; et en voulant plaire au monde elles se font mépriser, car les personnes du monde même sont scandalisées de ces fréquentes sorties, de ces courses, de ces visites. Ainsi les Sœurs demeureront enfermées chez elles comme dans un cloître.

8. Les Sœurs doivent se confesser à leur Curé, afin d’inspirer par cet exemple aux paroissiens la confiance envers leurs Pasteurs [Les Avis importants comportent l’avis suivant : " 9° Vous tâcherez de vous confesser tous les huit jours. Si votre confesseur n’est pas dans l’endroit où vous demeurez, choisissez pour l’aller trouver le jeudi, qui est le jour de congé " (Directoire, p.106). Les deux avis semblent peu compatibles, et correspondent à des situations différentes. Note de l’éditeur]. Elles doivent aussi prier beaucoup pour eux, demander au Seigneur qu’il bénisse leurs instructions et leur zèle, qu’il leur donne toutes les grâces nécessaires pour bien gouverner les âmes, et aux fidèles la docilité, la soumission à l’égard de leurs Pasteurs. Cependant, elles tâcheront d’éviter un défaut assez ordinaire au sexe, qui est attache trop humaine et une confiance trop naturelle pour leur directeur ; elles mettront toute leur confiance en Dieu, et ne regarderont leur confesseur que comme l’organe et l’instrument de sa miséricorde. Elles iront se confesser et communier ; non par consolation et contentement quelconque, mais par des vues toutes surnaturelles, pour la gloire de Dieu et le bien spirituel de leurs âmes.

9. Les Sœurs peuvent se visiter, non pour se satisfaire, mais pour s’édifier, s’encourager, s’avertir charitablement de leurs défauts, sans contestation ni envie.

10. Elles doivent souffrir tout en silence, sans se plaindre à personne. Qu’elles imitent en cela cette sainte fille de la Chine qui est morte victime de son zèle et de ses travaux. Elle a essuyé toutes sortes de critiques et de rebuts ; on dit qu’elle est passé trois jours sans manger parce que personne ne lui donnait rien ; et elle n’en a pas dit un mot, pas même à moi. Les Sœurs se feront un devoir indispensable d’aimer leurs ennemis et leurs contradicteurs, comme Notre-Seigneur a aimé les siens, de prier pour eux, comme il a prié pour les siens, d’en parler avantageusement, et de leur rendre tous les services qui dépendent d’elles. Nous avons fait cela en Chine, et nous avons eu la consolation de voir nos plus grands ennemis se convertir. Que les Sœurs pensent souvent à ces paroles de l’Imitation : " Embarrassez-vous fort peu de ce qui est pour vous ou contre vous, pourvu que Notre-Seigneur soit avec vous dans tout ce que vous faites " (Imitation II, ch. 2, n. 1).

11. J’ai vu des Sœurs qui s’inquiètent et se troublent chaque fois qu’on leur dit quelque chose de désagréable ou qu’il leur arrive quelque contrariété, au lieu d’en faire un bon usage, de recevoir tout avec humilité, avec patience, douceur, conformité à la volonté de Dieu, qui nous envoie ces contradictions pour nous éprouver, nous humilier, nous purifier, nous exercer. Elles s’amusent à y penser inutilement, à faire là-dessus mille réflexions déplacées ; elles se laissent aller à des sentiments de tristesse, d’abattement et de découragement, à des plaintes, peut-être à des murmures et à de l’aigreur, ce qui ne peut être que l’effet de l’orgueil, d’un amour-propre choqué et qui ne veut pas accepter l’humiliation. Il faut s’accoutumer à envisager les plus petits événements dans des vues de foi, et à tout accepter avec une entière résignation et une sainte égalité d’âme, sans trouble ; ou, s’il s’élève en nous quelqu’émotion, il faut l’apaiser aussitôt en se renonçant, en se crucifiant. Alors, tout ce qui nous arrive tourne à la plus grande gloire de Dieu et à notre avantage, comme dit saint Paul. Qu’elles se souviennent de ces paroles de l’Imitation, qu’il faut " dompter la nature jusqu’à ce qu’elle soit disposée à tout accepter et à tout souffrir sans murmurer " (Imitation III, ch. 11, n. 11).

12. Pour pratiquer cette maxime de l’évangile, " Si quelqu’un veut marcher après moi, qu’il se renonce lui-même " (Mt 16, 24), les Sœurs auront soin de veiller sur leur cœur et sur les mouvements qui s’élèvent en elles ; et dès qu’elles y verront quelque mouvement de passion de vanité, d’amour-propre, de sensualité, d’envie, de jalousie, de désir de plaire, de rechercher l’estime du monde, elles le réprimeront aussitôt et produiront par la grâce du Seigneur des actes des vertus opposées. Comme aussi, toutes les fois qu’elles se sentiront de la joie, de l’inclination ou de l’empressement pour quelque chose, elles se modéreront, elles renonceront à leur propre goût, à toute satisfaction humaine et naturelle ; et au contraire elles feront tous leurs efforts pour surmonter leurs répugnances et pour faire ce à quoi la nature a le moins d’inclination.

13. Le Père éternel apparaissant à notre saint confrère, M. Gleyo, lui dit : " Allez à mon Fils ; vous trouverez tout en lui et en ses mérites ". Ainsi les Sœurs, dans tous les événements, au lieu de s’inquiéter, de se troubler, iront à Notre-Seigneur, au pied des autels ou au pied de la croix, et elles trouveront en lui des lumières, des conseils, du courage, et tout ce qui leur est nécessaire.

14. Je crois que nos Sœurs qui n’ont pas persévéré sont tombées dans les pièges du démon ; il a excité en elles quelque passion qui, prenant accroissement peu à peu, les a enfin conduites à de fâcheux excès. C’est une leçon pour vous toutes. Dès que vous éprouverez en vous quelques passions naissantes, combattez-les, vainquez-les, arrachez-en jusqu’à la plus petite racine. Soyez en garde contre les embûches de Satan, qui vous prépare des tentations de toute espèce : " Il vous attend pour vous cribler comme le froment " (Lc 22, 31). " Veillez donc et priez, afin que vous n’entriez pas en tentation, car l’esprit est prompt, mais la chair est faible " (Mt 26, 41). Priez Notre-Seigneur, sa sainte Mère, les Anges, et les Saints, de venir à votre secours dans les combats que vous aurez à soutenir ; demandez à Dieu qu’il terrasse le démon sous vos pieds, et qu’il vous donne sur lui et sur vous-mêmes une entière victoire.

15. Pour mener une vie intérieure et surnaturelle, une vie d’oraison et d’union à Dieu, pour employer utilement le temps, et surtout pour l’exercice des vertus et des sentiments de piété, les Sœurs auront soin de se simplifier, c’est-à-dire de se défaire de tout ce qui n’est ni nécessaire ni utile, de sorte qu’elles s’abstiendront de toutes les pensées, paroles, visites, affections, désirs, et sentiments qui ne sont d’aucune utilité pour la gloire de Dieu, leur sanctification et celle du prochain. Par ce renoncement elles se mettront en état de s’occuper de saintes pensées, de pieuses affections, de bons désirs, et de produire sans cesse des actes de toutes les vertus, réalisant ainsi ce que dit saint Paul de lui et de ses premiers chrétiens : " Notre conversation est dans le ciel, car c’est là aussi que nous attendons notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ " (Ph 3, 20). Quand elles seront ainsi avec leurs Sœurs, elles ne parleront que de choses spirituelles ; quand elles seront avec des gens du monde, après de ce que la bienséance exige, elles tourneront aussitôt le discours vers quelque but édifiant.

16. Comme il arrive souvent qu’on aime à lire beaucoup de différents livres plutôt par légèreté, inconstance, curiosité, que dans le dessein sincère d’en profiter, les Sœurs, pour ne pas tomber dans cet écueil, s’en tiendront communément au Nouveau Testament et à l’Imitation de Jésus-Christ, qu’elles liront sans cesse jusqu’à la mort. Elles s’appliqueront aux livres d’instruction concernant leur état, comme de bons catéchismes, l’histoire de la Bible, la vie des saints, les livres composés par les saints, où l’on trouve l’esprit de Dieu dans la vérité et dans la simplicité ; et elles éviteront les livres dont le style pourrait leur inspirer l’esprit du monde et satisfaire leur curiosité et leur vanité. Enfin, elles s’appliqueront plus à prier et à méditer qu’à lire.

17. Elles demanderont surtout à Dieu l’esprit de prière et d’oraison, qui est l’âme de la vie intérieure et surnaturelle. Dans leurs méditations, elles prieront plus de cœur que de tête, c’est-à-dire qu’elles donneront plus lieu aux affections, aux sentiments de piété, d’amour, de confiance, de reconnaissance, d’humilité, et de toutes les vertus, qu’à des réflexions vaines et stériles. Qu’elles se comportent de telle manière que l’imagination travaille peu, mais que le cœur et la volonté fasse beaucoup. Qu’elles n’aillent pas se croire capables d’une haute contemplation, crainte de tomber dans quelque illusion ; mais que l’objet ordinaire de leurs méditations soit la vie, la mort, et la passion de Notre-Seigneur. Elles y trouveront de quoi nourrir leur piété et l’exemple de toutes les vertus à imiter. Qu’elles offrent sans cesse les mérites du Sauveur, de la sainte Vierge, des Anges, et des Saints, pour elles et pour tout l’univers, pour suppléer à leurs défauts, et en réparation de tous les péchés du monde. De semblables pratiques sont plus utiles que ces contemplations prétendues sublimes, dont quelques-unes se flattent très mal à propos. Puisqu’elles n’ont pas encore acquis les vertus communes, il faut qu’elles s’exercent dans la vie purgative, s’appliquant à connaître et à vaincre leurs passions, loin de s’imaginer qu’elles en sont exemptes. Une semblable imagination serait de leur part la plus damnable présomption, car elles sont remplies de défauts. Tout le monde le sait ; tout le monde le dit. Les Ecclésiastiques zélés, et même les séculiers, répètent que les Sœurs sont vaines et dissipées, les unes mondaines et les autres sensuelles, etc. Nous savons dans quels écarts quelques-unes sont déjà tombées. Que leurs chutes vous soient salutaires en vous faisant prévenir de semblables malheurs !

18. Vous devez savoir que tout le monde a les yeux ouverts sur vous. Vous pouvez faire du bien et du mal. Si vous vous comportez comme il faut, avec prudence, avec piété, avec modestie et réserve, ne laissant rien apercevoir dans votre maintien, vos démarches, vos paroles, qui ne soit édifiant et qui ne respire la piété, vous serez " la bonne odeur de Jésus-Christ " (2 Co 2, 15), comme dit saint Paul ; vous édifierez l’Église, et vous porterez bien des âmes à la vertu. Mais si l’on aperçoit en vous quelque chose de répréhensible, on s’en scandalisera furieusement ; vous serez une " odeur de mort " (2 Co 2, 16), une " pierre de scandale " (1 P 2, 8). Comportez-vous donc avec toute la précaution possible, et vivez en tout d’une manière digne de Dieu et de votre vocation.

19. Pour ce qui est de la sainte vertu de pureté, demandez souvent aux Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie qu’ils purifient votre cœur et votre âme ; veillez sur tous vos sens, et encore plus sur les affections de votre cœur ; ne contractez aucune amitié avec qui que ce puisse être, et sous quelque prétexte que ce puisse être. Si vous sentez naître en vous quelque penchant pour une personne de différent sexe, étouffez-le aussitôt. Veillez sur vos regards, car souvent il y a une sensualité subtile à voir et à être vue. Exterminez aussi toute envie de plaire ; affectez un maintien et des manières sévères plutôt qu’un air aisé et riant, surtout devant cette sorte de personne. La parure et la vanité des habits est encore un piège dont le démon se sert pour porter à l’impureté. Souvenez-vous de la parabole des vierges sages et des vierges folles. Ce n’est donc pas assez de faire profession de virginité devant les hommes ; il faut avoir devant Dieu le cœur chaste, les pensées saintes, les intentions droites, les affections pures ; il faut tous les jours avancer dans cette pureté intérieure qui fait la beauté de l’âme, et que Dieu considère, exige, encore plus que tout le reste. " La gloire de la fille du roi ", dit l’écriture, " est toute au-dedans d’elle-même " (Ps 44, 15), c’est-à-dire dans son fond et son intérieur, dans la pureté de son cœur. Pour acquérir cette pureté du cœur, il faut sans cesse purifier, retrancher les affections humaines, sensuelles ou passionnées, mortifier la nature, et suivre la grâce.

20. Les Sœurs vivront dans un grand détachement du monde et des choses du monde, persuadées que moins elles auront de consolations humaines, plus elles seront propres à recevoir les consolations divines. Se regardant ici-bas comme des pèlerines et des étrangères, et toujours prêtes à tout quitter, et disposées à aller partout où les enverra la Providence. Si elles se conservent dans ce détachement, elles mourront avec confiance, comme dit l’Imitation (I, ch. 23, n. 4).

21. Pour persévérer dans cet état jusqu’à la mort il faut se souvenir de ce dit l’Imitation, que l’homme en ce monde sera toujours sujet à des vicissitudes quant au sentiment ; ce qui plaît aujourd’hui nous déplaît demain ; on est tantôt tiède, tantôt fervent, tantôt triste, tantôt joyeux, quant au sentiment seulement, car au milieu de ces mouvements différents la volonté doit être toujours stable, ferme, et inébranlable. Une âme instruite et expérimentée dans les voies de Dieu ne s’étonne pas de se voir ainsi sujette à tant de changements ; mais sans suivre son goût ni son dégoût, sans s’inquiéter de quel côté le vent souffle, elle va toujours à Dieu, elle fait toujours son devoir, elle emplit toujours les fonctions de son état, dans les temps de peine, d’ennui, et de tristesse, comme dans les temps de joie, de contentement, et de prospérité, tandis que celles qui ne font le bien que quand elles y trouvent leur satisfaction et que la nouveauté le leur rend agréable, qui ne savent pas renoncer à leur goût ou surmonter leur dégoût, elles ne persévèrent pas longtemps.

22. Enfin, mes chères Sœurs, comme il n’est que trop vrai que l’on tombe peu à peu dans le relâchement, et presque sans s’en apercevoir, pour vous ranimer dans la ferveur et dans l’esprit de votre vocation, que vous devez préférer à tous les états du monde, je vous adresse ces paroles de saint Paul aux Ephésiens, " Renouvelez-vous dans l’esprit " dans l’intérieur de votre âme (Ep 4, 23), et cet autre, que Notre-Seigneur adressait lui-même à un évêque qui était tombé dans la tiédeur : " Voyez d’où vous êtes tombé. Reprenez vos premières œuvres. Plût à Dieu que vous fussiez froid ou chaud ! Mais parce que vous êtes tiède je vais vous vomir de ma bouche ! " (Ap 2, 5 ; 3, 15-16).

Vous savez peut-être comment je passais autrefois les vendredis. L’état d’infirmité où je suis ne me permet plus de faire ce que je faisais alors. Cependant il faut toujours conserver le même esprit et la même disposition intérieure. Je vous conseille donc de vous ranimer chaque vendredi d’une manière toute particulière, de passer au pied du Crucifix un temps considérable dans la contemplation des souffrances de notre divin Sauveur. C’est là qu’il faut laver dans son sang les taches, les souillures, que la faiblesse humaine et le commerce du monde vous ont fait contracter. C’est là qu’il faut puiser, dans les plaies sacrées de Notre-Seigneur, les grâces et les vertus nécessaires pour vous sanctifier et persévérer dans votre état. Les chrétiens en Chine, surtout les Vierges, ont pour maxime et pour habitude de passer le vendredi en jeûnes, en prières, en mortification et en silence, s’occupant toute la journée de la méditation de la Passion de Notre-Seigneur et de la Compassion de sa sainte Mère, et produisant des actes d’amour, de componction, de confiance, de reconnaissance conformes aux mystères douloureux qu’ils méditent. Plusieurs ce jour-là portent la haire et prennent la discipline.

23. Rappelez-vous aussi le souvenir de vos Sœurs qui sont mortes dans la première ferveur, et qui vous attendent dans la céleste patrie. Tâchez, en les imitant, de vivre d’une manière digne de Dieu et du ciel, où il plaise au Seigneur de nous réunir tous un jour, pour le voir, le bénir, le louer, l’adorer, et l’aimer à jamais. Ainsi soit-il.

 

NOUVEAUX AVIS

 

Voilà environ vingt ans que j’ai écrit mon Projet pour un établissement de Sœurs pour les écoles chrétiennes ; et ce que j’ai dit et prévu est arrivé. C’est une preuve qu’il vient de Dieu : car ayant tant éprouvé de contradictions, il y a longtemps qu’il serait anéanti, si Dieu ne l’avait soutenu comme son ouvrage. C’est dans cet écrit, mes pauvres Sœurs, que vous devez puiser l’esprit de votre état. Et si vous aviez observé les maximes qui y sont contenues, vous auriez évité les abus dans lesquels, malheureusement, plusieurs d’entre vous sont tombées.

Ainsi je dois encore vous répéter les mêmes maximes, et vous donner à peu près les mêmes avis, pour vous diriger dans la pratique de vos devoirs et des vertus convenables à votre état.

1. Vous demanderez souvent à Dieu les quatre vertus fondamentales de votre Institut, qui sont : la Simplicité, la Pauvreté, l’Abandon à la Providence, et la Charité, et vous vous exercerez dans la pratique de ces vertus en y faisant des progrès.

Pour exercer la simplicité, vous ne chercherez pas votre gloire ni l’estime du monde, mais la gloire de Dieu, votre sanctification et le salut des âmes, vivant dans l’oubli et le mépris des hommes. Vous ne chercherez pas vos propres intérêts, mais les intérêts de Jésus-Christ et ceux du prochain. Vous ne désirerez pas vos plaisirs, mais plutôt le bon plaisir de Dieu. Vous ne chercherez pas non plus à plaire aux hommes mais à Dieu, et vous vous étudierez à renoncer en tout à votre volonté, pour accomplir celle de Dieu.

Pour pratiquer la pauvreté, vous n’aurez que des habits, des meubles et une nourriture pauvres, vous servant de vaisselle de terre ou de bois, couchant sur la paille, vous nourrissant comme les pauvres gens de la campagne. Vous vivrez ainsi dans un grand détachement des biens du monde.

Pour pratiquer l’abandon à la Providence, vous ne demanderez pas d’établissement fixe, vous demeurerez sans choix et sans attache, jetant toutes vos inquiétudes dans le sein de Dieu, prêtes à mourir sur un fumier ou derrière une haie, s’il le veut.

Pour exercer la charité, vous consacrerez votre vie, vos forces, vos talents, votre santé et tout votre être à procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes, pensant souvent à ces paroles de saint Paul : " La charité de Jésus-Christ nous presse ".

2. Vous serez parfaitement soumises aux décisions de l’Église et du Souverain Pontife, à l’autorité de MM. les curés et vicaires, surtout pour ce qui retarde les exercices de la paroisse ; en un mot, vous serez soumises à toutes les puissances. Vous vous adresserez à MM. les curés pour la confession, afin d’inspirer aux paroissiens par votre exemple de la confiance envers leurs pasteurs.

3. Vous communierez chacune selon vos dispositions, les unes plus souvent, les autres plus rarement, sans qu’il y ait une règle uniforme, parce que les dispositions sont différentes. Il faut être exempt de l’affection au péché véniel pour communier tous les huit jours. La communion fréquente ne doit pas être accordée aisément à celles d’entre vous qui ont vécu d’une manière mondaine, ni à celles qui ont des passions qu’elles ne confessent pas ; car il faut purger un malade avant que de lui donner une nourriture forte, fréquente et abondante. Mais celles qui vont simplement, pauvrement, qui connaissent leur corruption et qui combattent vigoureusement leurs défauts, pourront être admises à la communion fréquente. Vous n’irez pas vous confesser, ni communier par habitude, encore moins pour vous contenter, pour décharger votre cœur et pour raconter vos peines ; mais vous le ferez par un principe surnaturel, pour vous humilier, et recevoir les grâces des sacrements. Vous tâcherez d’éviter les abus d’une fausse dévotion.

4. Vous aimerez la retraite et la solitude ; vous demeurerez dans votre maison comme dans un cloître. Vous n’irez point çà et là pour vous montrer et vous dissiper, pas même sous prétexte de dévotion. Vous ne mangerez chez personne, pas même chez MM. les curés, excepté en voyage ou en arrivant à votre poste ; et encore ce ne sera jamais à leur table. Vous ne fréquenterez pas les maisons curiales, vous n’y ferez pas la cuisine, vous n’y servirez pas à table. Car quoique MM. les Ecclésiastiques aient toute la prudence et la vertu possibles, l’expérience apprend que les Sœurs qui fréquentent leurs maisons, perdent peu à peu l’esprit de leur état. À mesure qu’on les voit prendre du goût pour toute autre chose, on les voit devenir vaines et sensuelles ; elles perdent la confiance des pères et mères ; elles passent pour des rapporteuses, et donnent lieu à la malignité de former des soupçons et de faire des critiques déplacées. Au lieu que tout le monde est édifié de voir une Sur rester chez elle, comme les Religieuses dans leurs monastères. C’est ainsi qu’en évitant jusqu’à l’apparence du mal, vous fermerez la bouche aux méchants par votre conduite irréprochable, et que vous serez la bonne odeur de Jésus-Christ par votre patience, votre prudence, votre humilité, votre charité, en un mot, par la pratique de toutes les vertus chrétiennes.

5. Quand vous vous visiterez les unes les autres que ce soit toujours pour vous édifier et vous encourager mutuellement dans la pratique de vos devoirs et des vertus de votre état, et non pour raconter vos peines et faire des plaintes. Vous vous avertirez charitablement de vos défauts. Vous serez soumises à vos Supérieures, qui pourront vous placer et vous déplacer selon que la Providence l’exigera.

6. Vous fuirez les liaisons et les amitiés sensuelles avec les personnes d’un autre sexe comme une peste. Vous ne laisserez entrer aucun homme ni garçon dans vos écoles. Vous serez en garde contre la nature, même à l’égard des petits garçons au-dessous de sept ans que vous pourriez instruire. Pour prévenir les abus de loin, vous n’embrasserez personne, pas même vos consœurs ni les enfants.

7. Il est bon de faire changer souvent de situation aux enfants, en les faisant lever ou mettre à genoux pour réciter des prières. Il faut renouveler souvent l’air, en ouvrant les fenêtres. Dans les écoles nombreuses, il y aura toujours deux enfants qui réciteront le chapelet devant une image de la sainte Vierge.

8. Dans les événements fâcheux, vous ne vous troublerez pas, mais vous aurez aussitôt recours à Dieu ; vous irez à Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement ou à la croix. Vous ne vous plaindrez jamais des personnes qui parlent mal de vous ou qui vous font du mal, au contraire, vous en direz du bien, et vous prierez pour elles, vous offrirez pour leur salut les peines qui vous arrivent de leur part. Loin de murmurer dans vos disgrâces, vous bénirez Dieu, vous adorerez la Providence dans tout ce qui pourra vous arriver. Vous adorerez la Providence en tout, persuadées que rien n’arrive sans sa participation ou sans son ordre. Vous serez contentes de tout, et tirerez avantage de tout. Loin de désirer les avantages temporels et les applaudissements des hommes, vous les craindrez, et vous n’attendrez votre récompense que de Dieu.

9. Vous ferez tous les ans, autant qu’il sera possible, une retraite dans la maison du noviciat, sans éclat, sans prédicateur, dans l’obscurité et le silence, sous la direction de la Supérieure, qui aura soin de vous faire lire, pendant cette retraite, tous les règlements, les avis qui vous ont été donnés, afin de vous renouveler dans l’esprit de votre état.

10. Vous prendrez le vendredi, pour vous recueillir tout en Dieu et vous purifier des fautes de la semaine, par la méditation de la Passion de Notre-Seigneur que vous lirez dans l’évangile, à genoux et les bras en croix. Ce jour-là, vous jeûnerez et ferez des mortifications particulières en prenant la discipline, en portant des instruments de pénitence. Vous irez à l’église à trois heures pour adorer Jésus mourant, et vous réciterez le chapelet de la Passion, les bras en croix.

Vous irez ensuite devant une croix réciter cinq Pater et cinq Ave, en l’honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur, pour la conversion des pécheurs. Vous gagnerez ainsi des indulgences. Vous parlerez de la Passion aux enfants, leur apprenant à pratiquer quelques petites mortifications ce jour-là, pour honorer la mort du Sauveur. En un mot, vous passerez toute la journée du vendredi dans le silence, un grand recueillement, un grand esprit de componction, vous unissant à la sainte Vierge et aux Saints, pour compatir aux souffrances de Jésus-Christ, jetant souvent les yeux sur un crucifix et offrant les mérites infinis du Rédempteur à Dieu son Père, afin d’obtenir toutes les grâces du salut pour vous et pour vos enfants et pour tous les hommes. Vous vous priverez aussi, ce jour-là surtout, de toute parole vaine et inutile.

11. Quand on parlera mal de vous ou qu’il vous arrivera quelque tribulation, vous tournerez votre sensibilité sur les souffrances de Jésus-Christ, pensant que ce divin Sauveur en a bien enduré davantage, en tout genre de peines tant intérieures qu’extérieures. Loin de vous attendre à des plaisirs et à des satisfactions, vous vous préparerez à toutes sortes de croix et de tribulations qui vous sont préparées et qui vous attendent partout. Vous les envisagerez comme des grâces et des faveurs. Quand on paiera vos soins et vos bienfaits par des ingratitudes, des plaintes, des murmures, souvenez-vous que Jésus-Christ n’a reçu que de l’ingratitude pour ses bienfaits, de la haine pour sa charité, du mépris et des censures pour sa doctrine, et des blasphèmes pour ses miracles.

12. Vous vous conserverez dans un grand détachement de votre pays et de vos parents, selon ce que dit l’Imitation, que si nous voulons vaquer facilement à Dieu et jouir de la grâce de la dévotion il faut nous tenir " éloignés de nos proches et de nos amis " (Imitation III, ch. 53, n. 7). Presque toutes les fois que vous allez chez vos parents, vous en revenez moins ferventes, moins zélées pour les devoirs de votre état. Vous ne devez y aller que très rarement, par nécessité, et toujours avec la permission de vos Supérieurs. La première chose que vous devez faire en arrivant dans votre lieu natal, c’est de penser aux péchés que vous y avez commis, et de tâcher de les expier par les larmes de la pénitence, et de réparer, par des exemples et des discours édifiants, les scandales que vous avez donnés. En sortant, vous devez secouer la poussière de vos pieds, en vous purifiant de toutes les affections charnelles, humaines et corrompues que vous avez pu contracter pendant ce séjour que vous y avez fait.

13. Vous ne serez pas intrigantes, ni curieuses, ni causeuses. Vous n’écouterez pas les plaintes et les rapports que les femmes et les filles viendront vous faire pour vous tenter, pour vous faire entrer dans leurs sentiments, leurs passions, leurs vengeances, leurs médisances, leurs envies, leurs jalousies, pour vous rendre ainsi complices de leurs péchés. Vous les empêcherez, au contraire, de se laisser aller à ces plaintes, ces murmures et êtes discours déplacés. Vous ne vous mêlerez que de ce qui vous concerne, et vous ne prendrez pas parti pour les uns contre les autres ; mais vous tâcherez de faire régner partout, la paix et la charité.

14. Comme vous serez, dans cette vie, sujettes à mille vicissitudes, tantôt bien, tantôt mal, passant continuellement d’un état à un autre, au milieu de ces changements et de ces différentes situations vous serez toujours égales à vous-mêmes, sans trop vous laisser aller à la joie, ni à la tristesse. Vous demeurerez toujours fermes, constantes dans vos résolutions, fidèles à l’accomplissement de vos devoirs, malgré les ennuis et les dégoûts qui pourront vous survenir. Vous marcherez toujours d’un pas égal dans la voie de la perfection, sans vous inquiéter de quel côté le vent souffle. Vous tendrez toujours à votre fin. Méditez bien ces paroles de saint Paul aux Philippiens : " J’ai appris à me contenter de ce que j’ai ; je sais porter l’abondance et souffrir la pauvreté " (Ph 4, 12). Vous vous réjouirez plutôt quand vous manquerez du nécessaire que quand vous l’aurez copieusement, vous rappelant l’exemple du même Apôtre qui, décrivant ses travaux, disait qu’il servait Dieu dans la faim, la soif, le froid, la nudité, dans la bonne et la mauvaise réputation, passant pour un séducteur, quoiqu’il fût sincère et véritable.

15. En enseignant, surtout sur les dogmes et sur les mystères, vous ne direz rien de vous-mêmes, mais seulement ce que vous aurez lu dans les livres approuvés par l’Église. Vous n’exagérerez point les matières, en traitant de mortel ce qui n’est que véniel, car cette exagération formerait de fausses consciences aux enfants, et ferait qu’ils pécheraient en commettant des péchés véniels qu’ils croiraient mortels.

16. Vous prendrez garde aussi, en enseignant, de ne pas affecter un air d’orgueil et de suffisance qu’on appelle ordinairement un air de petit-maître, qui ne serait propre qu’à inspirer aux enfants du mépris pour les vérités de la religion ; mais vous leur parlerez de Dieu et des choses du salut d’une manière respectueuse, d’un ton grave et modeste, qui marque un cœur touché et pénétré. C’est ainsi que vous ferez passer dans le cœur des enfants les sentiments de piété et de religion dont vous devez être remplies les premières.

17. Ainsi qu’il arrive trop souvent, selon les maximes du monde et les principes de la nature corrompue, on n’en veut que pour soi, et on est indifférent pour les autres ; vous inspirerez aux enfants des sentiments tout contraires. Vous leur apprendrez d’abord à aimer Dieu plus qu’eux-mêmes, et à être toujours disposés à tout faire, tout souffrir, tout sacrifier pour les intérêts de sa gloire ; ensuite à aimer le prochain comme eux-mêmes, à se réjouir des avantages des autres, à prendre part à leurs peines, et même à se dépouiller pour les enrichir ; à ne pas chercher leur bonheur ici-bas, mais dans le ciel ; à ne pas mettre leur fin dernière dans la créature, mais dans Dieu seul ; à ne pas s’attendre à des joies et à des plaisirs en ce monde, mais plutôt à des croix et à des tribulations sur le chemin du ciel.

18. Comme les filles, et surtout les jeunes, éprouvent une grande honte de déclarer leurs péchés au tribunal de la pénitence, et surtout les péchés d’impureté, vous aurez grand soin de leur montrer la nécessité de les découvrir tous, et vous leur inspirerez une grande confiance pour s’accuser sincèrement, sans cacher ni déguiser aucun péché mortel. Vous leur apprendrez encore avec plus de soin comment il faut se préparer à la sainte communion. Vous les conduirez tous les jours à la messe, et après-midi à l’adoration du Saint-Sacrement. Dans les hameaux où il n’y a pas d’église, vous apprendrez aux enfants comment il faut s’unir au prêtre qui célèbre, pour offrir le saint sacrifice et pour entendre la messe spirituellement, et vous les ferez se prosterner vers l’église où le Saint-Sacrement est conservé pour l’adorer.

19. Vous aurez toujours devant les yeux la vie, la mort et la passion de Jésus-Christ, ainsi que les exemples de la sainte Vierge et des Saints, et vous ferez tout votre possible pour les imiter. Dans toutes les circonstances de votre vie, vous jetterez les yeux sur Jésus et Marie. Vous vous étudierez à les imiter dans l’intérieur, en prenant les sentiments et l’esprit de Jésus et de Marie ; et dans l’extérieur, en imitant les vertus et les actions de Jésus et de Marie, et en prenant part à la compassion de Marie. Vous penserez à ce qui est arrivé à Jésus et à Marie, à ce qu’ils ont souffert, et vous vous étudierez à les imiter en tout. Ainsi soit-il.

 

Précautions que les Sœurs doivent prendre pour conserver la Chasteté

 

Ce n’est pas assez d’être vierge de corps, il faut l’être d’esprit et de cœur. Il y a des vierges folles, comme Jésus-Christ nous l’apprend dans l’évangile ; elles font profession de garder le célibat devant les hommes, et elles sont corrompues devant Dieu par les affections de leurs pensées et de leurs désirs. Ce n’est pas assez d’éviter le vice extérieur, les péchés grossiers dont les filles mondaines même ont horreur ; mais l’essentiel de la chasteté est de préserver son cœur de toute affection profane, déréglée, sensuelle, humaine et naturelle, pour toutes les personnes d’un autre sexe, quelles qu’elles puissent être.

Voici donc en quoi consiste la vraie chasteté : à prendre Jésus Christ pour époux et à lui consacrer votre cœur avec toutes ses affections, et cela sans réserve, de sorte qu’il possède lui seul toute votre tendresse, sans qu’aucune créature la partage avec lui. Une épouse peut et doit avoir un amour naturel pour son mari, et une mère de la tendresse pour ses enfants ; mais une vierge doit toutes ses affections à Jésus-Christ. Je pense souvent aux paroles de saint Paul : " Je vous ai vouée, comme une vierge pure, à l’unique époux Jésus-Christ ". Voilà l’unique objet de mes désirs : que vous soyez de dignes épouses de Jésus-Christ ; que vous vouliez n’aimer que lui et ne chercher à plaire qu’à lui ; que votre cœur lui soit dévoué avec toutes ses affections et ses inclinations, de sorte que quand vous sentez naître en vous la moindre inclination naturelle pour quelque personne que ce soit, vous l’arrachiez à l’instant de votre cœur. Mais, hélas ! j’ai vu des Sœurs qui conservaient, qui nourrissaient, qui fomentaient ces malheureuses inclinations pour des personnes d’un autre sexe ; au lieu de s’en éloigner elles s’en approchaient, même devant moi. Que font-elles donc en mon absence ? La sainte Vierge tremblait devant un ange, parce qu’il avait la figure d’un homme. Tremblez donc devant un homme, quand même il aurait la figure d’un ange. Ce n’est que par ces précautions extrêmes que vous vous conserverez pures de corps et d’esprit. Veillez sur vos regards.

Je voudrais que vous n’eussiez aucune liaison, aucun rapport, aucune conversation avec les hommes, pas même avec les Ecclésiastiques, quand cela n’est pas absolument nécessaire. C’est pourquoi je voudrais que vous fissiez tout par vous-mêmes, comme on fait dans les autres communautés ; que vous-mêmes vous instruisissiez les novices et leur apprissiez à lire, à écrire, etc., de manière à pouvoir vous passer de maîtres étrangers, car il y a toujours à craindre d’être dans la proximité des personnes d’un autre sexe. Si la nature s’y plaît, c’est parce que la passion, une passion subtile s’y trouve cachée, prête à insinuer son poison pour corrompre le cœur, amollir la vertu, souiller l’âme et répandre sur l’entendement d’épaisses ténèbres. Elle ôte ainsi la sainte liberté, en resserrant chaque jour les liens de ces dangereuses et pernicieuses attaches, qu’on a tant de peine à rompre dans la suite, qui engendrent enfin les scandales, les soupçons et tous les maux qui viennent de ces entrevues entre personnes de différent sexe. L’Église, pour y remédier, a défendu, sous peine d’excommunication, même aux religieux, de converser hors de certains temps avec les personnes consacrées à Dieu. Ainsi prévenez les maux à venir par une sage précaution.

Le vœu fixe la volonté, et rend la vertu plus méritoire ; mais il faut le faire avec prudence et après avoir pris conseil, surtout quand on doit le faire pour toute la vie. Alors il n’y a que le Pape qui puisse en dispenser. J’approuve que vous fassiez vœu de chasteté pour un an. Mais si après votre vœu vous péchiez contre la chasteté, votre péché serait plus grief, et ce serait un péché d’une autre espèce. Outre le péché contre la chasteté vous en commettriez un contre la religion, en profanant par des actions impures, ou des pensées, ou des désirs déshonnêtes, votre corps, votre âme, que vous avez consacrés à Dieu par le vœu.

 

Exhortation à la dévotion envers la Passion de Notre-Seigneur et à diverses pratiques de piété

 

Les enfants doivent prendre l’esprit de leur père. L’esprit que je voudrais vous inspirer surtout, c’est celui de Jésus-Christ, avec une grande dévotion pour sa douloureuse Passion. Cette dévotion est une des plus grandes grâces que Dieu m’ait faites dans ma vie. C’est en cela que vous devez m’imiter, et non dans mes défauts, car j’en suis rempli. Comme c’est dans les jeûnes et les humiliations que Dieu se communique à nous, j’ai toujours senti dans mes plus grandes tribulations une force et une vertu surnaturelles ; les dons de Dieu augmentaient alors sensiblement en moi, tout indigne que j’en fusse. Je me rappelle que durant les séjours que je fis à Dieuze et à Saint-Dié, et depuis, jusqu’à mon arrivée en Chine, j’étais si touché des souffrances de Notre-Seigneur, les vendredis surtout, que dès mon réveil j’étais pénétré d’un de ses mystères douloureux, ou d’une circonstance particulière de sa Passion, et que ce souvenir s’imprimait si fortement dans mon esprit, qu’il y durait toute la journée, et longtemps âpres. Il en résultait que je n’osais prendre aucun plaisir ni aucun soulagement naturel, ni boire, ni manger, ni me chauffer, ni m’asseoir, jusqu’à trois heures après-midi, où le Seigneur est mort, parce que la vue de ses souffrances était toujours présente à mon esprit.

Je passais tout ce temps en prière, ou à l’église, ou devant une croix ; je passais ainsi au moins une heure, les bras étendus. Je me rappelle que je fus extrêmement frappé de ces paroles de saint Paul : " Sortons du camp et allons à Jésus-Christ ; portons les opprobres et les ignominies de sa croix ". Je crus que Dieu m’inspirait, pour avoir plus de part aux ignominies du Sauveur, d’aller hors de la ville, dans un lieu public, sur un grand chemin, prier devant une croix, y passer au moins une heure, à la vue du monde, au risque de passer pour un insensé ; et je le fis. Je continuai aussi de le faire à Moussey, à Gondrexange, à Saint-Dié.

Je jeûnais toute la journée, ne prenant, le soir, que du pain et de l’eau. Je ne vous oblige pas à tout cela ; mais au moins faites ce que vous pouvez. Passez le vendredi dans la retraite et la mortification. Faites vous-mêmes et faites faire dans vos écoles quelque exercice de piété en l’honneur de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Inspirez cette dévotion à vos enfants et à tout le monde. Je me rappelle que mon père versait des larmes quand il lisait la passion de Jésus-Christ, et qu’il jeûnait tous les vendredis. Nos chrétiens de la Chine prient les bras étendus, s’abstiennent de vin et de tabac, et je voulais qu’ils s’abstinssent aussi de rire et de parler inutilement en ce jour. Si vous voulez m’imiter dans une bonne chose, c’est dans la dévotion envers Jésus et Marie que j’ai toujours devant les yeux, dans le cœur et dans la bouche. J’ai encore une dévotion sensible pour le Saint-Sacrement, pour les Saints que j’invoque très souvent, tant en général qu’en particulier.

Imitez-moi dans l’abandon à la divine Providence. Il y a longtemps que j’en fais mon étude, et je m’en trouve bien. Je vois que cette divine Providence conduit tous mes pas, règle toutes mes démarches, et que tout va mal si, en agissant de moi-même, je m’écarte un moment de ses voies.

Imitez-moi encore, si vous voulez, dans une sainte pratique, qui est d’offrir sans cesse à Dieu les mérites, les actions, les sentiments, les vertus de Jésus et de Marie, des Anges et des Saints, et, les dimanches, de rapporter toutes ces offrandes à la sainte Trinité. Je vous ai toujours recommandé d’aimer vos ennemis, vos contradicteurs, de prier sincèrement pour eux, d’en dire du bien, de ne conserver dans votre cœur aucun ressentiment contre eux. Voici encore une pratique à ce sujet. Quand une personne m’a fait quelque peine, je l’offre à Dieu pour son salut ; et quand je sens que mon cœur éprouve quelque répugnance pour aimer mes adversaires et mes contradicteurs, je prie Dieu de ne pas regarder la méchanceté de mon cœur, mais plutôt la bonté et la charité de Jésus et de Marie, lui protestant que je veux aimer mes ennemis comme Jésus et Marie ont aimé leurs ennemis ; que je veux prier pour mes ennemis, comme Jésus et Marie ont prié pour leurs ennemis ; que je leur veux du bien, comme Jésus et Marie en ont voulu, en ont procuré, à ceux qui les haïssaient et les persécutaient ; que je pardonne à mes ennemis comme Jésus a pardonné à ses bourreaux, et comme Marie a pardonné aux bourreaux de Jésus ; et que je suis prêt à donner ma vie pour ceux qui me veulent ou me font du mal, comme Jésus a donné la sienne pour ceux qui le crucifiaient.

 

Extraits du Directoire des sœurs

 

Home Page